• Aucun résultat trouvé

La description du citoyen : un portrait ambivalent

1. Recension et classification des passages de Thucydide

1.4. Compléments du jugement personnel au fil du récit

5. VI, 28 : conduite privée d’Alcibiade et sa perception par les Athéniens.

Dans cette section, Thucydide rapporte comment les affaires d’impiétés sont utilisées par les adversaires politiques d’Alcibiade qui, utilisant la conduite privée d’Alcibiade 15 Voir infra p. 253-264 chap. 5.

connue de tous, le montrent comme un adversaire de la démocratie. Dans ce même chapitre, nous commentons deux notions présentes dans ce texte : l’hybris commise

lors de la mutilation des Hermès et de la parodie des Mystères, ainsi que la paranomia

d’Alcibiade.

*

5bis. VIII, 45, 1 : conduite privée d’Alcibiade à Sparte.

[…] (ἦν γὰρ καὶ τῷ Ἄγιδι ἐχθρὸς καὶ ἄλλως ἄπιστος ἐφαίνετο) […].

[…] (outre qu’il était l’ennemi d’Agis, on avait d’autres raisons de le trouver indigne de confiance) […].

Cette phrase ne nécessite pas un long commentaire, cependant elle doit être remarquée, car elle est une allusion de Thucydide à la conduite privée d’Alcibiade à Sparte. En effet, si l’historien ne traite pas dans les détails l’affaire de l’adultère de Timaia, il ne l’ignore pas16.

*

6. VIII, 17, 2 : recherche des honneurs personnels et τὸ ἀγώνισμα, le prix de la lutte17.

ἐβούλετο γὰρ ὁ Ἀλκιβιάδης, ὢν ἐπιτήδειος τοῖς προεστῶσι τῶν Μιλησίων, φθάσαι τάς τε ἀπὸ τῆς Πελοποννήσου ναῦς προσαγαγόμενος αὐτοὺς καὶ τοῖς Χίοις καὶ ἑαυτῷ καὶ Χαλκιδεῖ καὶ τῷ ἀποστείλαντι Ἐνδίῳ, ὥσπερ ὑπέσχετο, τὸ ἀγώνισμα προσθεῖναι, ὅτι πλείστας τῶν πόλεων μετὰ τῆς Χίων δυνάμεως καὶ Χαλκιδέως ἀποστήσας.

Alcibiade en effet, qui était lié avec les principaux des Milésiens, voulait rallier cette ville avant l’arrivée des vaisseaux du Péloponnèse ; ainsi les gens de Chios, lui-même, Chalcideus et, selon sa promesse, Endios qui les avait envoyés recueilleraient le mérite de l’exploit, s’il arrivait à obtenir le plus de défection possible, avec l’aide des gens de Chios et de Chalcideus.

7. VIII, 47-48 : omniprésence des intérêts personnels dans chaque action.

(VIII, 48, 4) καὶ τοῖς μὲν ἄλλοις ἐφαίνετο εὔπορα καὶ πιστά, Φρυνίχῳ δὲ στρατηγῷ ἔτι ὄντι οὐδὲν ἤρεσκεν, ἀλλ’ ὅ τε Ἀλκιβιάδης, ὅπερ καὶ ἦν, οὐδὲν μᾶλλον ὀλιγαρχίας ἢ δημοκρατίας δεῖσθαι ἐδόκει αὐτῷ οὐδ’ ἄλλο τι σκοπεῖσθαι ἢ ὅτῳ τρόπῳ ἐκ τοῦ παρόντος κόσμου τὴν πόλιν μεταστήσας ὑπὸ τῶν ἑταίρων παρακληθεὶς κάτεισι, σφίσι δὲ περιοπτέον εἶναι τοῦτο μάλιστα, ὅπως μὴ στασιάσωσιν· Tous [les chefs du mouvement oligarchique à Samos] les trouvèrent pleines d’avantages et dignes de confiance [les propositions d’Alcibiade], sauf Phrynichos, qui était encore stratège, et à qui elles

16 Pour un récit plus détaillé, voir Plutarque, Vie d’Alcibiade, 23, 7.

17 Cf.  III, 82, 8, équivalent à traiter les intérêts de la cité comme des ἆθλα, «  des prix à remporter » ; d’un ἆθλον ici.

n’agréaient en rien ; il pensait qu’Alcibiade – et c’était bien vrai – ne désirait pas18 plus l’oligarchie

que la démocratie, et que son seul but19 était, d’une façon ou d’une autre, de changer l’ordre établi

dans la cité pour y rentrer à l’appel de sa faction, tandis qu’eux-mêmes devaient se préoccuper avant tout de prévenir les luttes civiles […].

Nous ne citons pas intégralement le passage de Thucydide ici, mais seulement le jugement de Phrynichos partagé par Thucydide lui-même. Dans le texte qui précède, l’historien rappelle qu’Alcibiade agit toujours dans l’intérêt de ceux qu’il conseille, mais n’oublie jamais son intérêt personnel20.

*

8. VIII, 52 : ardeur dans toutes les actions, y compris la flatterie.

Καὶ ὁ μὲν Ἀλκιβιάδης, ἅτε περὶ μεγάλων ἀγωνιζόμενος21, προθύμως τὸν Τισσαφέρνην θεραπεύων22

προσέκειτο23· […].

Tandis donc qu’Alcibiade, vu la grandeur de l’enjeu, faisait la cour à Tissapherne avec une ardeur inlassable […].

Pour Thucydide, l’ardeur passionnée (τὸ πρόθυμον) caractérise sans cesse Alcibiade,

quelles que soient les époques et les actions. Nous commenterons l’évolution de ce qualificatif au livre VI.

*

9. VIII, 56, 3 : une forfanterie (parfois) politique et une volonté de paraître.

Δοκεῖ δέ μοι24 καὶ ὁ Τισσαφέρνης τὸ αὐτὸ βουληθῆναι, αὐτὸς μὲν διὰ τὸ δέος, ὁ δὲ Ἀλκιβιάδης, ἐπειδὴ

ἑώρα ἐκεῖνον καὶ ὣς οὐ ξυμβησείοντα, δοκεῖν τοῖς Ἀθηναίοις ἐβούλετο μὴ ἀδύνατος εἶναι πεῖσαι, ἀλλ’ ὡς πεπεισμένῳ Τισσαφέρνει καὶ βουλομένῳ προσχωρῆσαι τοὺς Ἀθηναίους μὴ ἱκανὰ διδόναι.

Je crois que Tissapherne avait pour sa part la même intention, mais c’était par peur, alors qu’Alcibiade, qui le voyait de toute façon hostile à un accord, voulait faire croire aux Athéniens que lui-même n’était pas impuissant à persuader Tissapherne, qu’au contraire celui-ci était tout persuadé et désireux d’un arrangement, mais qu’Athènes lui offrait trop peu.

18 δεῖσθαι : « ne semblait pas plus demander, avoir besoin de », plus exactement.

19 σκοπεῖσθαι : « semblait plutôt, examiner comment ».

20 Pour notre commentaire du rôle d’Alcibiade auprès de Tissapherne, voir infra p. 401-402 chap. 9.

21 « Luttant » : parce qu’il luttait pour. 22 « En le servant avec zèle ».

23 « S’attachait à lui » : lui était tout dévoué.

24 L’expression δοκεῖ δέ μοι semble indiquer un avis personnel, très critique, de Thucydide. Voir Lévy 2009, p. 418.

Thucydide voit en Alcibiade une volonté incessante de paraître  : il veut sans cesse donner l’impression d’un pouvoir et se soucie continuellement de son image.

*

9bis. VIII, 81-82 : hâblerie d’Alcibiade et manipulation de l’image.

(VIII, 81, 2) Il y eut une assemblée, où Alcibiade se plaignit et se lamenta du malheur que l’exil avait été pour lui personnellement et traita longuement des affaires publiques, offrant pour l’avenir des espoirs considérables et vantant à l’excès son influence sur Tissapherne (καὶ ὑπερβάλλων ἐμεγάλυνε τὴν ἑαυτοῦ δύναμιν παρὰ τῷ Τισσαφέρνει, ἵνα…), à plusieurs fins : à Athènes, il voulait intimider les maîtres de l’oligarchie et favoriser la désagrégation des sociétés de conjurés  ; à Samos, accroître son propre prestige et renforcer la confiance ; chez les ennemis enfin, il voulait provoquer contre Tissapherne l’hostilité la plus vive qu’il pourrait et les précipiter du haut de leurs espérances. Alcibiade en tout cas faisait une promesse qui était bien le comble de la hâblerie (μέγιστα ἐπικομπῶν ὡς) : Tissapherne, disait-il, lui avait juré, tant qu’il lui resterait quelque chose à lui-même, et s’il pouvait donner sa confiance aux Athéniens, de ne pas les laisser manquer de subsides, dût-il à la fin vendre son propre lit ; les navires phéniciens qui étaient déjà à Aspendos seraient remis aux Athéniens, non aux Péloponnésiens ; mais il ne se fierait aux Athéniens que si Alcibiade en personne, revenu sain et sauf, s’en portait garant auprès de lui.

[…]

(VIII, 82, 3) Aussitôt après cette assemblée, il y partit, pour donner ainsi le sentiment (ἵνα δοκῇ) d’une association totale avec lui et en même temps parce qu’il voulait accroître son propre prestige aux yeux de l’autre, lui montrer qu’on (καὶ ἐνδείκνυσθαι ὅτι) l’avait maintenant nommé stratège, qu’il était donc maintenant en mesure de lui faire du bien ou du mal. Il se trouvait ainsi qu’Alcibiade cherchait à intimider les Athéniens au moyen de Tissapherne, et celui-ci au moyen des Athéniens.

9ter. VIII, 88 et 108 : propagande politique et personnelle.

(VIII, 88) Mais quand Alcibiade apprit que Tissapherne se rendait à Aspendos, il en fit autant et partit avec treize navires, en promettant aux gens de Samos de leur rendre un service sûr et considérable (ὑποσχόμενος τοῖς ἐν τῇ Σάμῳ ἀσφαλῆ καὶ μεγάλην χάριν) ; car de deux choses l’une : ou il amènerait, lui, la flotte phénicienne aux Athéniens, ou du moins il l’empêcherait d’aller chez les Péloponnésiens. Il connaissait, probablement, depuis longtemps l’intention de Tissapherne de ne pas amener la flotte, et il voulait le compromettre le plus possible aux yeux des Péloponnésiens comme étant son ami et celui des Athéniens : cela obligerait Tissapherne à pencher davantage pour Athènes. Alcibiade mit donc le cap vers l’est, droit sur Caunos et Phasélis.

(VIII, 108, 1) Vers cette même époque Alcibiade, de son côté, avait ramené ses treize navires de Phasélis et Caunos à Samos, avec la nouvelle qu’il avait empêché la flotte phénicienne de rejoindre les Péloponnésiens et que maintenant, grâce à lui, Tissapherne avait plus d’amitié qu’auparavant pour Athènes (καὶ τὸν Τισσαφέρνην ὅτι φίλον πεποιήκοι μᾶλλον Ἀθηναίοις ἢ πρότερον).

Les extraits 9bis (VIII, 81-82) et 9ter (VIII, 88 ; 108) illustrent ce souci permanent de l’image de soi. Il peut être politique, mais également personnel : Alcibiade en joue et le manipule. Pour les trois textes, nous ne donnons que les passages essentiels et indiquons le texte grec entre parenthèses.