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: Positionnement épistémologique de la recherche

Deuxième Partie : Le Cadre méthodologique

Chapitre 1 : Positionnement épistémologique de la recherche

I. QUEST CE QUUN PARADIGME ?... 153

II. LE CHOIX DU PARADIGME INTERPRETATIVISTE... 154 1. Axiologie ... 154 2. Ontologie... 155 3. Espistémologie... 156 4. Méthodologie... 159

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Toute recherche reflète inévitablement une certaine vision du monde et de la connaissance (Bergadaà et Nyeck, 1992). Le chercheur peut emprunter plusieurs chemins pour trouver les réponses à ses questions de recherche. Par ses choix, il inscrit sa démarche dans un paradigme de recherche.

I. Qu’est ce qu’un paradigme ?

Denzin et Lincoln (2000) définissent le paradigme en s’appuyant sur Guba (1990), comme un ensemble de croyances qui guident l’action. Nos actions dans le monde ne peuvent ainsi pas se produire sans référence à ces paradigmes. Un paradigme, selon ces auteurs, compte quatre concepts.

Axiologie : Comment puis-je être une personne morale dans le monde ?

Ontologie : Quelle est la nature de la réalité et la nature de l’homme dans le monde ?

Epistémologie : Comment j’appréhende le monde ? Quelle est la relation entre le chercheur et le savoir ?

Méthodologie : Quels sont les meilleurs moyens pour obtenir le savoir sur le monde ?

Pour Denzin et Lincoln (2000), les principaux paradigmes en Sciences Sociales sont le positivisme, le post-positivisme, la théorie critique et le constructivisme. Cependant, selon les auteurs, ces paradigmes varient. Il n’y a pas d’accord dans la littérature sur ce qui doit être considéré comme paradigme. Par exemple, dans un article qui fait référence en « Consumer Research », Hudson et Ozanne (1988) opposent positivisme et interprétativisme, et proposent l’interprétativisme comme alternative au paradigme dominant du positivisme.

Le choix du paradigme interprétativiste pour cette recherche est argumenté dans les paragraphes qui suivent.

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II. Le Choix du Paradigme Interprétativiste

Depuis une trentaine d’années, l’approche interprétativiste reçoit de plus en plus d’attention dans la recherche consommateur et, est considérée comme une alternative au paradigme positiviste pour créer de la connaissance (Arnould et Thompson, 2005; Belk, Sherry et Wallendorf, 1988; Bergadaà et Nyeck, 1992; Hudson et Ozanne, 1988).

1. Axiologie

i) Proposition de définition

Pour l’interprétativisme, le processus de création de connaissance passe par la compréhension du sens que les acteurs donnent à la réalité. Il ne s’agit pas, comme dans le paradigme positiviste, d’expliquer la réalité, mais de la comprendre à travers l’interprétation qu’en font les acteurs. Ainsi le chercheur prend en compte les intentions, motivations, attentes, les raisons, les croyances des acteurs qui portent moins sur les faits que sur les pratiques (Pourtois et Desmet, 1988). Le statut privilégié de la compréhension chez les interprétativistes se fonde sur la notion de Verstehen (comprendre) développée par Weber. A un premier niveau, Verstehen est le processus par lequel les individus, dans leur quotidien, sont amenés à interpréter et à comprendre leur propre monde. A un deuxième niveau, Verstehen est le processus par lequel le chercheur interprète les significations subjectives qui fondent le comportement des individus qu’il étudie. L’interprétativisme caractérise la tradition Verstehen dans les sciences sociales, à la fin du XIXème, début du XXème, en réaction au positivisme dominant (Schwandt, 2000). Leurs défenseurs de l’interprétativisme considèrent que les sciences sociales doivent avoir pour but de comprendre l’action humaine.

ii) Dans la présente recherche

Cette recherche doctorale a pour but de comprendre une activité, celle de « nourrir ». Les questions de recherche s’intéressent au vécu des parents à travers cette activité, à la signification subjective que prend cette activité, ainsi qu’à l’analyse de la consommation à travers ce vécu.

Or, s’intéresser au vécu des acteurs, exige de prendre en compte toute leur subjectivité. Dans cette approche, on considère non pas que la réalité est décrite à travers leurs discours, mais

plutôt que les discours créent la réalité du vécu (Mottier, 2008). La réalité dans cette approche n’est pas une donnée objective mais résulte d’un processus de compréhension des acteurs. Les motivations à « nourrir», et les stratégies mises en place sont vécues comme uniques et spécifiques par les acteurs.

2. Ontologie

i) Proposition de définition

Les interprétativistes refusent l’idée qu’une seule réalité existe, car celle-ci est essentiellement mentale et perçue (Hudson et Ozanne, 1988). Ainsi, la réalité n’est jamais indépendante de l’esprit, de la conscience de celui qui l’observe ou l’expérimente. Par conséquent, l’objet est dépendant de l’observateur. On parle alors d’hypothèse phénoménologique, qui s’oppose à l’hypothèse ontologique développée par les positivistes (Perret et Séville, 2007). L’hypothèse phénoménologique repose sur l’idée qu’un phénomène est le mode d’apparition des choses dans la conscience (De Bruyne et al., 1974, cité dans Perret et Séville, 2007). Ainsi, pour les interprétativistes, le monde social est fait d’interprétations. Ces interprétations se construisent grâce aux interactions entre acteurs, dans des contextes particuliers. Par exemple, on ne peut interpréter le sens des mots indépendamment du contexte dans lequel ils ont été utilisés. Ce qui distingue l’action humaine du mouvement physique des objets, c’est que la première est intrinsèquement porteuse de sens. Ainsi, pour comprendre une action particulière, le chercheur doit saisir la signification de cette action. Par exemple : un sourire peut être interprété comme moqueur ou d’amour, un mouvement de bras peut être aussi bien interprété comme un vote, un appel de taxi, une demande pour prendre la parole, en fonction du contexte et des intentions de l’acteur. Etudier la signification dans les actions, ou pouvoir affirmer que l’on comprend ce qu’une action particulière signifie, revient à interpréter d’une façon particulière ce que l’acteur veut dire.

ii) Dans la présente recherche

C’est l’hypothèse phénoménologique qui est retenue pour la présente recherche. Cette recherche rejette l’unique réalité proposée par les études économiques qui associent systématiquement la préparation des repas aux tâches ménagères, au même titre que le ménage et le repassage. La revue de littérature montre qu’il peut y avoir de multiples réalités concernant cette activité. La démarche entreprise dans cette recherche est de se mettre dans la

156 perspective subjective du parent qui parle de son activité, et de proposer une interprétation des constructions de sens qu’il exprime à travers à cette activité.

On s’intéresse à la personne, dans son contexte, qui communique à travers une consommation où elle s’exprime et se construit. Chaque acte de consommation est un acte de communication. On consomme pour se construire (Ger, 2006). Le focus ne porte pas sur

« comment » les gens répondent aux stimuli du marché et se comportent dans une culture héritée. Cette recherche s’intéresse aux pratiques à travers lesquelles différents acteurs du marché produisent et utilisent les produits et services comme des objets culturels. L’idée est de produire une connaissance culturelle du marché, d’étudier comment les réalités culturelles, sociales et matérielles se construisent à travers les processus du marché, tant pour les consommateurs que pour les marketeurs (Moisander et Valtonen, 2006). Cette approche culturelle de l’activité « nourrir » telle qu’étudiée dans la présente recherche appelle une approche phénoménologique de la consommation, qui elle-même s’inscrit dans le paradigme interprétatif.

On considère ainsi la réalité, non pas comme des faits objectifs, mais constituée de façon intersubjective, entre les gens, à travers la communication : ici la réalité est appréhendée dans la perspective du parent, dans sa relation au marché, comme dans sa relation aux membres de sa famille. Le parent est défini comme un producteur d’un repas, qui utilise des ressources du marché, qui mobilise ses propres ressources pour élaborer un plat ou un repas porteur de sens.

Le focus est sur la signification de son action, telle qu’interprétée par l’acteur lui-même, et non sur le comportement observé.

3. Epistémologie

i) Proposition de définition

Les interprétativistes étudient un phénomène spécifique dans un lieu et un temps donné.

Plutôt que d’essayer de déterminer des lois généralisables, ils cherchent à déterminer les motifs, les significations, les raisons en lien avec le temps et le contexte (Hudson et Ozanne, 1988). La connaissance ainsi produite doit présenter une description détaillée du phénomène étudié, incluant les aspects historiques et contextuels. C’est ce que Geertz (1993) appelle

« thick description ». L’attention est sur les particularités plus que sur la généralisation.

La connaissance produite est idiographique : « l'approche idiographique est centrée sur l’étude d’individus, considérés de manière isolée. Une telle approche ne doit pas basculer

dans le particularisme, empêchant ensuite toute tentative de généralisation des résultats. Le principe est de tenter de caractériser finement le fonctionnement d’individus, et de chercher dans un second temps ce que ces fonctionnements individuels ont en commun. » (Didier Delignières, Université Montpellier I cité par Perret et Séville, 2007). Il ne faut pas en conclure qu’il n’y a pas de généralisation possible, mais que la généralisation peut se faire au sein d’un même contexte. Giddens parle d’une double herméneutique car il y a dans l’interprétation deux niveaux de construction de sens. Les chercheurs construisent du sens sur ce qu’ils comprennent du sens des acteurs.

Dans les méthodes interprétatives ou compréhensives, on abandonne cette vision de la recherche comme objective et neutre pour prendre en compte la nature construite du processus de recherche et des données. On reconnaît que le chercheur fait partie du champ qu’il étudie. Celui-ci influence le processus de recherche, interagit avec les personnes qu’il étudie et fait partie de la réalité sociale qu’il étudie (Lincoln et Guba, 1985). Il faut ainsi réfléchir de manière critique et réflexive sur son propre rôle. Les éléments qu’on ne peut pas neutraliser, il faut les reconnaître. La validité d’une recherche interprétative va consister à pouvoir suivre chaque décision de recherche prise par les chercheurs. Aussi le chercheur se doit d’être explicite et réflexif. La question de la validité est traitée dans le dernier chapitre de cette partie.

Dans cette perspective, les personnes qui font l’objet de la recherche ne sont plus appelées sujets (comme dans l’expérimentation), ni répondants (comme pour les questionnaires) mais informants (Hudson et Ozanne, 1988).

D’un point de vue épistémologique, les approches interprétativistes partagent le désir néo Kantien de mettre l’accent sur la contribution de la subjectivité humaine au savoir, sans sacrifier l’objectivité du savoir. En d’autres termes, les interprétativistes considèrent qu’il est possible de comprendre l’action humaine subjective et le faire de manière objective (Schwandt, 2000).

ii) Dans la présente recherche

Le savoir généré dans cette recherche est idiographique. Il s’intéresse au discours individuel et au discours de groupe, qui produisent un discours culturel sur l’objet de recherche. Le

158 processus de compréhension se fait au niveau individuel, en profondeur, sur un échantillon de petite taille.

De plus le savoir généré est lié au contexte. Aussi plusieurs types de contexte sont définis.

Tout d’abord le contexte de consommation. Cette recherche s’intéresse à la production des repas pris au domicile, et partagés par les membres de la famille, en semaine et le week-end.

Cette recherche exclut donc de son contexte les repas pris à l’extérieur ainsi que les repas individuels. Elle exclut également les repas à caractère exceptionnel (repas de Noël, réception d’amis à titre exceptionnel…). Ensuite, le contexte familial. Cette recherche s’intéresse à des parents ayant des enfants à charge entre 3 et 11 ans, vivant à Genève, et qui s’occupent des repas pris au domicile au moins deux fois par semaine. Enfin, le contexte dans lequel ont été récoltées les données (critère d’échantillonnage, lieu des entretiens, déroulement des entretiens…) est documenté dans la partie 4.

Enfin, le rôle du chercheur n’est pas neutre dans la production des données. L’entretien (qu’il soit individuel ou de groupe) est une interaction sociale où le discours est coproduit et négocié entre les informants et le chercheur (Gubrium et Holtsein, 2003). Par exemple, comme le souligne Caroline Baker (1997, cité par Fontana et Frey 2000), un chercheur qui dit à ses répondants « je suis mère de trois enfants » versus « je suis professeur d‘université », accède à différentes catégories et produit différents discours. En tant que chercheur et mère de famille de deux jeunes enfants, faisant une recherche sur les parents ayant des enfants à charge, j’ai fait un choix sur la façon de me présenter aux informants. Dans une démarche de recherche d’empathie, je me suis présentée comme mère de deux jeunes enfants, qui fait une recherche sur la nourriture familiale. Ce choix était pour moi une façon de dire aux informants, « je vous comprends », « je comprends les questions que vous vous posez, les difficultés et les joies que vous vivez car je suis dans la même situation que vous ». Etant donné que l’identité du chercheur a un impact sur la production des données, il était important que tous les entretiens soient menés par la même personne. Je me suis posée la question, par exemple, pour la discussion de groupe des pères, de qui était le mieux placé pour l’animer : moi-même ou un homme ? Un homme aurait probablement produit d’autres données. Deux raisons m’ont poussée à être l’animateur de la discussion de groupe des hommes. La première fait référence à l’homogénéité des données, pour que les discussions de groupe soient animées par la même personne. La deuxième concerne le caractère peu structuré de ces discussions, et la liberté que ce format offre au chercheur de rebondir sur des questions qui n’étaient pas

prévues dans le guide d’entretien. Pour cette raison, il me semblait mieux adapté que le chercheur lui-même anime les entretiens plutôt qu’il délègue cette activité.

4. Méthodologie

L’interprétativisme appelle à des méthodes naturelles, afin d’étudier les consommateurs dans leur contexte, là où ils sont. Pour viser la compréhension des phénomènes étudiés, les méthodes utilisées doivent permettre une interaction entre le chercheur et l’objet de recherche.

Sans que ce soit une règle absolue, les méthodes qualitatives sont plus souvent adaptées à une approche interprétativiste. C’est la nature de l’objet de recherche, qui guide les choix concernant la méthodologie, définie comme une manière de penser et d’étudier la réalité sociale (Strauss et Corbin, 1994), qui elle-même conduit à des choix de méthodes, un ensemble de procédures et de techniques pour récolter et analyser des données (Strauss et Corbin, 1994).

Les choix d’une approche qualitative et inductive sont présentés dans le chapitre suivant. Le choix des méthodes de collectes des données fait également l’objet d’un chapitre détaillé.

160 Pour résumer, le tableau ci-dessous, adapté de Hudson et Ozanne (1988), présente une synthèse de la littérature sur les approches interprétativistes, selon les quatre axes proposés par Denzin et Lincoln (2000).

Interprétativisme

Axiologie

Objectif prédominant La compréhension

Ontologie Nature de la réalité

Relativiste construite socialement

multiple holistique contextuelle

Nature des individus Attitude volontaire

Pro actifs Epistémologie

Savoir Généré Idiographique

Lié au temps Dépendant du contexte Vision de la causalité Vues multiples et simultanées Relation du chercheur à son

objet

Interactivité et coopération avec l’objet de recherche.

Pas de point d’observation privilégié

Méthodologie Naturelle

Interaction chercheur - objet de recherche Principalement qualitative

Figure 6, Positivisme et Interprétativisme adapté de Hudson et Ozanne (1988)