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L’entretien individuel en deuxième étape

Deuxième Partie : Le Cadre méthodologique

Chapitre 2: Le programme de recherche

2. L’entretien individuel en deuxième étape

i) Les grandes approches de l’entretien individuel

Les entretiens structurés

Ils sont ce que l’on appelle des questionnaires. Ils laissent peu de place à des commentaires sur les réponses sauf lorsqu’ils incluent des questions ouvertes, ce qui est rare. Ils ne correspondent pas à l’objectif de la présente recherche, car leur objectif est de capturer des données précises, codifiables pour expliquer un comportement dans des catégories préétablies (Evrard, Pras et Roux, 2003).

Les entretiens en profondeur.

L’entretien en profondeur vise à comprendre le comportement complexe des membres d’une société sans imposer a priori de catégorisation qui puisse limiter le champ de recherche. Ce dernier est basé sur l’empathie du chercheur. Celui-ci doit être capable de se mettre à la place de l’informant et de voir la situation de son point de vue. L’entretien doit être considéré comme une interaction sociale où le discours est coproduit et négocié. Par exemple, comme le souligne Caroline Baker (1997, cité par Fontana et Frey 2000), un chercheur qui dit à ses répondants « je suis mère de trois enfants » versus « je suis professeur d‘université », accède à différentes catégories et produit différents discours.

L’entretien en profondeur (Fontana et Frey, 2000) ou long entretien (McCraken, 1988) appartiennent à la même catégorie d’entretiens. Ils laissent la place à l’informant de s’exprimer librement. L’interviewer joue un rôle pour relancer l’entretien afin de gagner en profondeur. Dans cette famille, il y a deux approches pour le recueil des données : l’entretien non directif, et l’entretien semi-directif (Evrard, Pras et Roux, 2003). La différence entre les deux réside dans le fait que dans l’entretien semi-directif, l’interviewer a une liste de thèmes

qu’il souhaite aborder (cinq ou six au maximum) et qu’il introduira si l’informant ne les aborde pas spontanément.

En résumé,

« Un entretien non directif est un entretien en profondeur, non structuré, respectant les principes d’empathie et d’acceptation inconditionnelle ; il laisse à l’interviewé(e) une liberté totale dans sa façon d’aborder le sujet et de le développer. Le rôle de l’interviewer est de renvoyer à l’interviewé(e) le contenu de son propre discours pour qu’il devienne de plus en plus approfondi. Il dure de 45 minutes à deux heures et nécessite l’usage d’un magnétophone. Les bandes magnétiques sont retranscrites et donnent lieu à une analyse de contenu » (Evrard, Pras et Roux, 2003, p104).

De même,

« L’entretien semi-directif n’est pas un questionnaire ouvert mais s’articule autour de cinq ou six points ou thèmes à aborder et approfondir qui forment le guide d’entretien.

Il nécessite les mêmes interventions de types non directifs visant à faciliter le discours.

Il dure de 30 minutes à une heure et est enregistré au magnétophone. De la même manière il donne lieu à une analyse de contenu.»(Evrard, Pras et Roux, 2003, p104).

Dans la présente recherche, l’entretien en profondeur sera plutôt de type semi-directif car un de ses objectifs principaux sera d’approfondir les concepts induits de la première phase exploratoire de la recherche. Mais il sera en réalité un mélange des deux approches, avec un début d’entretien très peu structuré, avec une question d’ouverture large « Pouvez-vous me parler des repas que vous prenez à la maison ? », avant de passer à une phase semi structurée où une liste de thèmes est abordée.

ii) L’entretien individuel, un récit négocié entre deux personnes

L’entretien n’est pas un outil neutre où l’informant donne passivement des informations, c’est une interaction active entre deux personnes (ou plus) qui amène à une production négociée et liée au contexte de l’entretien. Ainsi le focus de l’entretien compte autant le « comment » de la vie des répondants (le travail quotidien qui vise à produire la vie quotidienne) que le traditionnel « quoi » (les activités du quotidien), (Gubrium et Holstein, 2003). Chaque récit a deux parties : une histoire (le quoi) et un discours (le comment). Le discours est un peu comme l’intrigue, comment le lecteur devient-il conscient de ce qu’il se passe.

Ainsi l’entretien est le résultat d’une collaboration entre l’informant et le chercheur pour construire un récit (Fontana, 2003). Les répondants ne sont plus considérés comme des numéros, dont nous utilisons les données produites passivement. Ainsi on n’approche plus

186 l’entretien en attendant d’un répondant qu’il réponde strictement aux questions. Le chercheur doit encourager le répondant à exprimer ses sentiments, ses craintes, ses doutes. Si je veux comprendre comment les parents vivent l’activité « nourrir », je dois leur demander de parler aussi bien de leurs sentiments que de l’activité elle-même.

iii) Pourquoi utiliser l’entretien individuel?

Dans cette recherche phénoménologique, l’entretien individuel s’inscrit comme une méthode complémentaire aux focus group. Il s’agit, comme il l’a été explicité, d’approfondir la compréhension du phénomène étudié, par une perspective individuelle, et de pouvoir aller ainsi plus en détail dans l’expression individuelle de l’expérience de production du repas, et dans le rôle que jouent les produits de consommation dans la production du consommateur.

Pour atteindre cet objectif, deux types d’entretien ont été conduits. D’un part des entretiens de type « autodriving » avec 8 informants « clé » ayant participé aux focus group. D’autre part 13 « longs entretiens » avec de nouveaux informants, afin de questionner, consolider l’interprétation du phénomène, et d’établir des liens entre les « constructions de sens » et les consommations alimentaires.

iv) L’entretien de type autodriving

Qu’est ce que l’autodriving ?

Le terme autodriving indique que l’interview est conduit par l’informant qui voit ou qui écoute ses propres mots. L’autodriving amène les informants à commenter leurs comportements de consommations. Cette approche permet une interprétation négociée des événements de consommation. Cette méthode a été utilisée par Heisley et Levy (1991). Elle donne aux informants plus de voix pour interpréter des événements de consommation. Cette technique enrichit les données qualitatives en leur donnant une « Perspective d’action », c’est-à-dire qu’elle permet aux informants d’expliciter leurs actions pour les rendre intelligibles à une personne extérieure. De plus, l’autodriving aide les répondants à prendre de la distance par rapport à leur propre perspective quotidienne (McCraken, 1988). Cette technique encourage les informants à s’expliquer, à faire un retour sur leur propre expérience.

L’autodriving est basé sur les méthodes projectives. L’étude de Heisley et Levy (1991) illustre l’autodriving comme technique de stimulation basée sur la photo. Une série de photos d’un repas familial a ensuite fait l’objet de deux interview consécutives, la première, basée

sur les photos, la deuxième basée de nouveau sur les photos avec l’écoute de l’enregistrement du précédant entretien. Heisley et Lévi (1991) témoignent un gain d’informations importantes grâce à cette technique.

La démarche de cette recherche s’inspire de celle de Heisley et Lévi (1991), tout en étant adaptée au contexte spécifique de la présente recherche. En effet, il s’agissait d’utiliser comme « stimuli » des données générées des focus group. Le choix s’est porté sur l’idée d’utiliser les collages ainsi que les propos métaphoriques des informants comme stimulus projectif.

Au final, ce type d’entretien est une interprétation négociée entre l’informant et le chercheur.

Le chercheur intervient sur le choix des supports qui seront commentés (collage, extraits de texte). Ceux-ci sont choisis par rapport à leur intérêt concernant la problématique de recherche. L’informant est libre de commenter et réagir à sa guise à ces stimuli et ainsi de conduire l’interview afin d’amener le chercheur vers ce qui le plus porteur de sens aux yeux de l’informant.

v) Le « long » entretien

En complément des 8 entretiens de type autodriving, 13 longs entretiens ont été conduits, auprès d’informants qui participaient à cette recherche pour la première fois.

Les entretiens ont été menés en accord avec les recommandations de McCracken (1988). Les grands thèmes de l’entretien sont choisis sur la base de la revue de littérature et des catégories émergentes du premier terrain (celui des focus group). Ces thèmes donnent lieu à des questions, s’ils ne sont abordés directement par l’informant (guide d’entretien en annexe).

L’entretien doit permettre à l’informant de raconter sa propre histoire avec ses propres termes.

Les questions sont ouvertes et non directives. L’interviewer fait preuve d’empathie, il doit s’interdire tout jugement et s’abstenir de devancer les propos de l’informant. Il doit au contraire amener l’informant à laisser émerger sa propre vision et interprétation du phénomène étudié. L’entretien démarre ainsi avec des questions ouvertes de type « grand tour » (McCraken, 1988).

Dans le cas de cette recherche, les entretiens démarraient avec la question suivante :

« Pouvez-vous me raconter comment se passent les repas à la maison ? ». Cette question de type « grand tour » permettait ensuite d’inciter les personnes à approfondir leurs propos en réutilisant leur propres termes.

188 Cette approche permet d’aller en profondeur dans les propos des informants comme dans l’exemple ci-dessous.

Informant : « Alors, d’abord c’est moi qui fait tout (insistance sur le mot tout) les repas.

J‘anticipe les jours où je travaille pour que les repas soient prêts pour la nounou… » ./..

Animateur : « Je voulais revenir sur quelques points dont vous m’avez parlé. Vous me disiez que vous faites tous les repas, même quand la nounou est là. En quoi c’est important pour vous ?

Informant : « Ah mais c’est un contrôle à fond de ce qu’ils mangent !... »

Cette approche permet d’expliciter des termes clés et d’amener l’informant à comparer ses propres termes, comme dans l’exemple ci-dessous.

Informant : « En tout cas chez nous, à la campagne, à l’intérieur vers Confignon, ils ont une vraiment superbe cuisine scolaire, très équilibrée. Donc souvent le soir, on peut aussi ce qu’on appelle « bricoler », donc sans faire forcément la grande cuisine. Parce que quand on arrive, enfin tout le monde à la maison à 6 heures et demi, et puis pratiquement une heure plus tard, tout le monde doit être au lit. On fait pas de repas gastronomique donc des fois aussi préparation de soupe le soir d’avant… »

./..

Animateur : « Que veux-tu dire par « bricoler »? »

Informant : « Ben, c’est ça… Tu regardes dans le frigo ce qu’il y a et puis tu fais quelque chose quoi. »

./..

Animateur : « Et quelle est la différence entre ce que tu appelles « bricoler » et faire la cuisine ? »

Informant : « Et ben faire la cuisine c’est déjà consciemment faire les commissions pour. Donc prévoir dans ta tête ce que tu veux faire et acheter en conséquence les ingrédients. Ce dire bon, qu’est-ce que je fais ?... »