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Les « nouvelles » tendances en matière d’alimentation

Première Partie : Le Cadre théorique

Chapitre 2 : La consommation alimentaire familiale

3. Les « nouvelles » tendances en matière d’alimentation

Les grandes tendances présentées précédemment coïncident avec une rupture sociétale, celle de mai 1968, du travail de la femme et de son émancipation. Face à ces grandes tendances, il semble aujourd’hui se dessiner de nouvelles tendances, qui semblent correspondre à une nouvelle évolution structurelle de la société, et au rejet du modernisme. On cherche maintenant à donner un sens à sa consommation. Il s’agit de se réapproprier sa consommation, guidée par des valeurs, plus que par des besoins.

En effet, la globalisation a produit des aliments standardisés, suivant tous les mêmes processus d’industrialisation, vers toujours plus d’homogénéisation (Miele, 1999).Or, depuis peu, cette globalisation cache de nouvelles différentiations, voire une certaine fragmentation de la consommation. Ainsi, face à la globalisation de la nourriture, de nouveaux marchés émergent. La consommation bio représente l’émergence d’une nouvelle culture (Miele, 1999).

L’achat et la consommation alimentaire sont aujourd’hui motivés par une recherche d’un

certain style de vie et une recherche identitaire dans la consommation. Le discours sur la nourriture est devenu un discours moral centré sur la signification symbolique de la nourriture (Mennel et al., 1992 cité par Miele 1999). Ainsi, on assiste à de nouvelles formes de consommation basées sur la valeur symbolique de la nourriture, les préocupations santé et la volonté de préserver l’environnement.

i) L’apparition de micro-cultures de consommation

Une nouvelle culture de consommation a été révélée par Thompson et Troester (2002), la micro-culture de la santé naturelle. Si cette micro-culture n’est pas une culture alimentaire mais une approche globale de la santé, elle intègre l’alimentation, et surtout illustre cette évolution de la consommation comme « art de vie ». Les auteurs montrent que cette micro-culture est porteuse de valeurs qui sont véhiculées par la consommation naturelle. Dans l’alimentaire, d’autres mouvements, tels que le « slow-food » qui s’oppose au « fast–food » lancé en Italie, il y a moins de dix ans, connaît une croissance mondiale. Le « slow-food » s’oppose à la globalisation de la nourriture et à la valorisation des produits et savoir-faire régionaux. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si ces consommateurs acteurs, voire « militants », créateurs de nouvelles cultures, touchent les consommateurs « non-militants » ? Cette question est peu abordée par les chercheurs, mais au vu des tendances de l’évolution du marché agro-alimentaire, il semblerait que les préoccupations du naturel, de la santé, de l’authenticité ne se limiteraient pas à des « tribus » identifiées de consommateurs.

ii) Le marché de la santé

La santé devient une valeur centrale dans notre société. Les progrès de la médecine ont fait prendre conscience que l’alimentation joue un rôle central dans la santé. Les diététiciens pointent le doigt sur les plats préparés et appellent à une alimentation plus saine. La sensibilisation croissante à une meilleure alimentation fait qu’une majorité de personnes établit désormais un lien direct entre nutrition saine et bonne santé ou inversement entre mauvaise alimentation et apparition de certaines maladies. Le nombre toujours plus élevé de manifestations, de séminaires, d’ouvrages, d’émissions de télé, d’articles consacrés à l’alimentation montre bien l’intérêt du consommateur pour une alimentation saine. Le marché de la santé semble être le marché sur lequel souhaitent se positionner les grands acteurs de l’industrie agroalimentaire. Si Danone se positionne depuis de nombreuses années sur la

74 santé, avec la création d’un centre de recherche : le Danone Institute, Nestlé qui se positionnait jusqu’à très récemment sur le marché du plaisir, considère maintenant la santé et le bien-être comme un impératif stratégique (conférence B. Rajon HEC Genève, Octobre 2008). Le Food Marketing Institute8 considère de même la santé et le bien-être comme des impératifs pour l’industrie agroalimentaire en 2008. Or, parmi les segments stratégiques

« santé », les parents avec enfants sont désignés en première place.

iii) Une consommation de plus en plus responsable

La consommation responsable correspond également à une grande mutation du début du XXIème siècle en matière de consommation (Ozcaglar Toulouse, 2005). Après plusieurs décennies d’appels alarmants des scientifiques sur l’épuisement des ressources naturelles, le réchauffement de la planète, la pollution, la disparition d’espèces animales et végétales, les populations occidentales commencent à intégrer les enjeux environnementaux et humains dans leurs consommations.

D’autres tendances se dessinent sur le créneau de l’authenticité. Le produit authentique s’inscrit dans un rejet des principes modernes, vers une quête de sens et de sincérité.

« L’authentique est naturel par opposition à la technologie, est inspiré et original par opposition aux effets de la standardisation, révèle un rapport avec un lien communautaire, par opposition à la dominante individualiste. » (Camus, 2004). Les produits du terroir qui véhiculent les valeurs de la tradition et du savoir-faire local (Fort et Fort, 2006) s’inscrivent dans cette définition.

iv) Les repas au domicile cessent de chuter

Ainsi, se dessinent des micro-tendances qui semblent s’affirmer à un niveau assez général.

Tout d’abord concernant le repas : après une grande chute des repas pris au domicile en famille dans la deuxième moitié du XXème siècle, les repas ont tendance depuis trente ans à se stabiliser en France (Saint Pol, 2006). Et, contre toute attente, le repas pris en famille est loin d’avoir disparu. Il a évolué, il est devenu plus simple (Poulain, 2001). Même s’il est moins fréquent, il n’en est pas moins stratégique (Kaufmann, 2005). D’abord considérée comme exception française, cette tendance semble se trouver aujourd’hui aux Etats-Unis pour

8 www.fmi.org

la première fois. Ainsi, aux Etats-Unis en 2008, de plus en plus de personnes mangent des plats « maison » quand ils sont chez eux. 83% des personnes interviewées le font au moins trois fois par semaine, selon les études du Food Marketing Institute9. Ceci constitue un véritable tournant dans ce pays adepte des « solutions-repas ».

Si l’on constate la baisse de consommation de certains aliments bruts comme le lait, les pommes de terre, le pain ou la viande de bœuf, certains aliments bruts ne chutent pas : les fruits et légumes, les volailles, les œufs (source : Insee, comptes nationaux, tableaux de l’économie française10). De plus, ces grandes tendances sont à prendre avec précaution et ne sont pas révélatrices de l’état du marché. Ainsi par exemple, si l’on constate une forte baisse de la consommation de vin sur les trente dernières années, cette évolution cache une autre réalité : une baisse de la consommation de vin ordinaire mais une forte hausse de la consommation de vins de qualité de type A.O.C (Aurier et Sirieix, 2004).

v) La croissance de la consommation Bio

D’autres tendances comme le Bio, les produits naturels ou du terroir semblent s’affirmer en réaction à l’industrialisation croissante de la production alimentaire. Ainsi, jusqu’au milieu des années 1990, les consommateurs jugeaient les denrées alimentaires comme sources de risques mineurs (Gallen, 2002). Mais la crise de la vache folle (1996) ainsi que les crises successives qui ont suivi, ont provoqué une modification des représentations alimentaires (Fischler, 1998). La technologie s’est trouvée dévalorisée au profit de produits naturels, résultant d’une production non intensive. Ainsi, les crises alimentaires ont développé le sentiment de risque lié à l’alimentation, pour donner lieu à un besoin de réassurance, soulagé notamment par le recours à des produits considérés comme naturels (Gallen, 2002).

Ainsi, la consommation Bio, symbole d’une recherche de naturel et d’authenticité, est en plein essor. La vente de produits biologiques ou labellisés (« Naturaplan », « Bio », « Eco », etc.) est en constante augmentation ; en Europe, les ventes auraient augmenté de 70% entre 1996 et 2001 (El Dahr, 2001). Comme souligné par Miele (1999), il ne s’agit pas d’un effet de mode mais bien d’une évolution structurelle de la consommation portée par l’apparition de nouvelles cultures de consommation. La croissance des produits alimentaires Bio est supérieure à la croissance du marché : elle est de 10% en France contre 3.5% pour le marché

9 www.fmi.org

10 http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATTEF05111

76 agro-alimentaire. La croissance devrait se poursuivre si l’on en croit l’étude Baromètre CSA Agence bio 2007. En effet, les consommateurs déclarant vouloir augmenter leur consommation de produits biologiques au cours des six prochains mois sont de plus en plus nombreux. Ils étaient 21% en 2004, ils sont 30% aujourd’hui. C’est principalement sur les fruits et légumes, la viande, les produits laitiers, et le pain que l’augmentation de leur consommation est envisagée.

En Suisse le Bio représente 4.6% du marché alimentaire en 2007, et 5.9 % des produits frais.

La part du Bio en Suisse est bien plus forte que sur le marché français. Ainsi, 12% des légumes achetés en Suisse 12% sont Bio, 11% du pain est bio, et 13% pour les oeufs.

vi) Vers un rapprochement de la production et de la consommation

Les nouvelles tendances en matière de consommation alimentaire appellent à de nouvelles formes de distribution (Miele, 1999). Ainsi la consommation subit de grosses transformations culturelles qui mènent à l’émergence de nouveaux marchés. Ces « nouveaux marchés » tels que le bio profitent à la fois aux grandes surfaces et aux circuits de distribution alternatifs.

Ainsi le bio profite aux GMS qui captent 75% de ce marché en Suisse et 70% pour la France.

Cependant, pour les produits frais, qui sont les produits bio les plus consommés, les GMS ne sont pas le lieu d’achat privilégié. Ainsi, selon une étude réalisée en France sur un échantillon représentatif de la population11, le marché reste le lieu d’achat préféré pour les fruits et légumes et le poisson, la ferme pour les œufs.

Miele (1999) constate que toutes les approches de la globalisation de l’offre, malgré leurs divergences, partagent une vue macroscopique, et sont orientées vers la production. Très peu donnent une attention particulière à la consommation comme moteur de la production. Ainsi, par exemple, la tendance aux marques globales et aux produits globaux se développe chez les multinationales, dont l’enjeu est à la fois d’être plus efficace pour prendre des parts de marché, tout en réduisant les coûts de gestion interne. La stratégie est de couvrir les besoins de la majorité avec une offre standardisée. L’agriculture intensive est dans le même cas. La production s’organise à l’échelle nationale et mondiale. Il s’agit ainsi de nourrir un maximum

11 Source : Baromètre CSA Agence bio 2007

de personnes avec des variétés standardisées, résistantes et qui plaisent au plus grand nombre.

Si ce défi est plus que louable pour des populations dans le besoin, il est moins adapté aux consommateurs européens qui veulent donner un sens à leur consommation alimentaire.

De nouvelles formes de distribution alternatives…

Le système de production et distribution dominant, celui des grandes exploitations agricoles de production intensive, et des grandes surfaces, est souvent contesté car il pousse à l’industrialisation de l’agriculture, et crée une distance croissante entre la production et la consommation. De nouvelles formes de distribution voient le jour depuis une dizaine d’année.

Il s’agit d’associations agricoles qui regroupent un certain nombre de producteurs locaux et organisent la vente et la distribution de produits locaux, souvent Bio, en direct, via des formules de « panier ». En France, ces associations sont regroupées sous le nom générique d’AMAP (association pour le maintien de l’agriculture paysanne). En Suisse, il n’a pas d’appellation générique à notre connaissance.

Même si, en volume, ces circuits courts ne constituent pas une menace pour la grande distribution, ils marquent un tournant en matière de consommation, et de nouvelles attentes des consommateurs (Miele, 1999). Ils représentent une nouvelle culture de consommation issue de la demande.

Ces circuits ont pour objectif de promouvoir une agriculture locale. Leurs principes sont (Lamine, 2008) :

1- Un engagement réciproque d’un groupe de consommateurs et d’un producteur ou d’une association de producteurs dans l’objectif de maintenir une agriculture de proximité. Les consommateurs sont bien souvent membres de l’association.

2- Des pratiques « respectueuses » de l’environnement (agriculture Bio, agriculture raisonnée) 3- L’achat de la récolte à l’avance, par contrat individuel pour la saison entière.

4- Le partage des risques entre le consommateur et le producteur. Le prix du panier est fixé pour l’année, quel que soit le niveau de la récolte. Il ne varie pas selon les niveaux de récolte et les variations du marché.

5- L’accès des consommateurs à l’exploitation via des visites ou un système d’aide où ils participent directement à des travaux de la ferme (plantation, récoltes, nettoyage…). Le lien direct avec le producteur.

6- La prise en charge par les consommateurs de la gestion et de la logistique comme la distribution des paniers.

78 Ces engagements réciproques sont formalisés par la signature d’un contrat ou une adhésion obligatoire à l’association selon les cas.

… Qui répondent à un besoin des consommateurs

Ce qui est intéressant de signaler, c’est que du côté du consommateur, le fait de se laisser guider dans la conception des menus par la composition des paniers, dépendant eux-mêmes des conditions naturelles de production, procure paradoxalement un sentiment de liberté. Ce sentiment de liberté est associé au caractère naturel de la contrainte (Lamine, 2008), tacitement opposé au caractère « artificiel » de la grande distribution.

Une étude sur le profil des consommateurs des AMAP en France (Lamine, 2008) montre que les profils sont d’une grande diversité. Cependant, malgré cette diversité, le profil dominant est celui du couple avec enfants, citadin, ayant un bon niveau d’études. Les principales motivations de ces « amapiens » sont le souci de consommer local et la recherche de lien social pour certains, le souci de la santé pour d’autres, ou enfin le militantisme (Lamine, 2008).

Ces associations ne sont pas le seul moyen de s’engager, par sa consommation pour une autre forme d’agriculture. L’achat auprès de producteurs sur les marchés, dans une coopérative bio, ou même l’achat de produits bio en grande surface sont autant de moyens accessibles aux consommateurs.

La différence, c’est que quand il achète en grande surface, le consommateur délègue au label bio et au distributeur la maîtrise du processus de choix de l’aliment. En AMAP, ou à travers les associations, il a une maîtrise sur ce processus (Lamine, 2008).

Enfin, ce système a potentiellement la capacité de modifier les pratiques alimentaires. Les adhérents apprécient de se laisser guider par la composition du panier.

C’est en ce sens, une perspective radicalement différente de la grande distribution, et de la nourriture industrielle, que l’on accuse d’être à l’origine de la perte de compétence culinaire de la population (Jaffe et Gertler, 2006). A l’opposé, ce système de distribution, en proposant des recettes qui accompagnent les paniers contribue à une requalification culinaire de ses clients, souvent fiers d’apprendre à cuisiner de nouveaux légumes. De même, l’émission de télé de M6 « le chef contre-attaque », animée par le jeune chef Cyril Lignac, montre de façon très surprenante comment des personnes qui s’étaient totalement désintéressées de la cuisine,

y reprennent goût lorsqu’on les y incite. Y aurait-il une envie latente de réapprendre à cuisiner chez les adultes d’aujourd’hui?