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Première Partie : Le Cadre théorique

Chapitre 1 : La consommation familiale, positionnement théorique

2. Le consommateur-producteur

Aujourd’hui, le consommateur n’est plus considéré comme destructeur mais comme producteur de sens dans sa consommation (Bergadaà, 1990, 2006 ; Firat et Venkastesh, 1995).

Les travaux de Douglas et Irshwood (1979), de Bourdieu (1979), puis de Belk (1988), ont permis de faire admettre la consommation comme un moyen de communication et

d’expression avec le monde dans lequel nous vivons. Les biens deviennent un moyen de faire passer des messages entre les hommes et les groupes (Douglas et Irshwood, 1979). La consommation est le lieu où l’on lutte pour sa culture et où celle-ci prend forme.

« Oublions que les biens sont bons pour manger, s’habiller, oublions leur utilité et essayons l’idée que les biens sont bons à penser, traitons-les comme des moyens non-verbaux de la créativité humaine » (Douglas et Irshwood, 1979, p63).

L’action du consommateur a été mise en évidence par Bergadaà (1990) : l’orientation temporelle du consommateur et son type de motivation vont le guider vers une attitude d’action ou de réaction, et des choix de produits qui lui permettront de produire des projets en phase avec son orientation temporelle. Aucun n’objet n’a de fonction ou valeur intrinsèque que l’on puisse dissocier de sa valeur symbolique (Richins, 1994a ; Firat et Venkastesh, 1995) et de sa valeur d’usage (Bergadaà, 1990 ; Holt, 1995 ; Holbrook, 1999). Dans l’approche post-moderne de la consommation, le consommateur doit ainsi être étudié non pas comme quelqu’un qui cherche à satisfaire un besoin, mais comme quelqu’un qui cherche à produire des symboles. Le consommateur producteur consomme en fonction de ce qu’il souhaite produire. Ainsi l’objectif du consommateur est de construire un monde intelligible à travers des biens qu’il choisit (Douglas et Irshwood, 1979).

3. La coproduction

Cette approche d’un consommateur-acteur, a des impacts importants dans la conception du rôle du marketing. Ainsi le marketing doit évoluer vers une nouvelle logique (Vargo et Lusch, 2004). Si la logique du marketing traditionnel est axée sur l’échange de biens (la transaction), dans la nouvelle logique du marketing, c’est l’offre de service, plus que le bien tangible qui est fondamentale. Pour expliciter ce point de vue, Vargo et Lusch (2004) font appel au concept de « ressources opérandes » et de « ressources opérantes ». Les ressources opérandes font référence aux ressources matérielles, aux biens physiques, aux matières premières produites par l’entreprise. Les ressources opérantes sont les ressources nécessaires pour agir sur les ressources opérandes. Elles sont souvent invisibles et intangibles. Elles permettent de créer de la valeur (savoir-faire, technologie…). Parmi les prémisses fondamentales proposées par Vargo et Lusch (2004) concernant cette nouvelle logique du marketing, deux d’entre elles sont particulièrement intéressantes pour cette recherche: tout d’abord le consommateur est toujours coproducteur (ou producteur), de plus, l’entreprise ne peut faire que des propositions de valeur. Ces deux propositions sont maintenant développées.

30 i) Le consommateur est toujours coproducteur

Dans l’approche traditionnelle du marketing, le producteur et le consommateur sont considérés séparément. L’objectif est de maximiser l’efficacité du système d’offre. Dans une approche orientée service, le consommateur doit être impliqué dans la production de valeur.

Même lorsqu’on parle de biens tangibles, la production ne se termine pas avec la fin du processus de fabrication. Les biens sont des ressources qui procurent des services pour le consommateur et en lien avec lui. Cependant pour que ce service soit délivré, le consommateur doit apprendre à utiliser et adapter le service en vue de son unique besoin, de son contexte d’utilisation, et de son comportement. En résumé, en utilisant un produit, le consommateur continue le processus de création de valeur, et donc continue le processus de marketing du produit. Ainsi, de nombreux praticiens et chercheurs en marketing optent pour cette perspective d’un continuum dans les processus de production. Ainsi « la clé pour créer de la valeur est de coproduire des offres qui mobilisent les consommateurs » (Normann et Ramirez, 1993 p 69, cités par Vargo et Lusch, 2004). Du côté des praticiens, les projets de coproduction se développent, et de plus en plus d’entreprises font appel aux compétences des consommateurs pour produire leurs biens et services. L’intervention du consommateur intervient à différents niveaux de la production et de la consommation du produit. Au niveau de la production du produit, Cova (2008) parle de « co-innovation » et de « co-promotion ».

Citons par exemple le cas du lancement de la Fiat 500, où les internautes ont été appelés à réinventer le produit, ou le cas de Nespresso, où ce sont les consommateurs qui ont choisi leur icône, George Clooney et orientent les campagnes publicitaires-test proposées en ligne. Dans le domaine de la customisation de masse (Merle, Chandon et Roux, 2008), la valeur de l’expérience de co-design influence significativement la valeur globale perçue de la customisation de masse. La coproduction se situe elle, au niveau de l’expérience de consommation du produit, et s’inscrit habituellement dans une forme de collaboration entre le client et l’entreprise, comme l’illustre le cas de la coproduction des meubles en kit (Carton, 2008). Elle se définit comme « la participation active encadrée du consommateur dans le processus de réalisation de l’offre » (Carton, 2008, p4).

Pour conclure, ce qui est important dans cette approche c’est que les consommateurs deviennent des ressources opérantes (producteurs) plus que des ressources opérandes (des cibles). Ils peuvent ainsi être impliqués dans la chaîne de valeur et agir sur les ressources opérandes.

ii) L’entreprise ne peut faire que des propositions de valeur

Si le consommateur est le point central de l’entreprise, la création de valeur n’est possible que quand un bien ou un service est consommé. L’attention du marketing doit ainsi porter plus sur le processus de création de valeur du consommateur, que sur le produit. Ainsi, le marketing devrait s’intéresser à la création de valeur, plus que de distribuer de la valeur tout prête aux consommateurs. L’entreprise ne peut offrir qu’une proposition de valeur. C’est le consommateur qui détermine la valeur et participe à sa création à travers le processus de coproduction. Le processus marketing est complet seulement quand les consommateurs mobilisent leurs propres ressources pour bénéficier du service proposé et en extraient une valeur d’usage à travers leur activité.

Ainsi passer d’une logique de l’offre (ou produit) à une logique de service implique des changements de perspective du marketing, que nous résumons dans le tableau ci-dessous.

Logique Produit Logique Service

Produire quelque chose (produit ou service) Assister les consommateurs dans leur propre processus de création de valeur

La valeur est produite La valeur est cocréée

Les consommateurs sont considérés de façon

isolée Les consommateurs sont considérés dans le

contexte de leurs propres réseaux Les ressources des entreprises sont

« opérandes » (tangibles) Les ressources des entreprises sont d’abord

« opérantes »

Les consommateurs sont des cibles Les consommateurs sont des ressources Primauté au rendement Rendement grâce à l’efficience.

Figure 1, Les transitions d’un marketing produit à une logique de service

adapté de Vargo et Lusch (2008)