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II. J OUEUR TYPE ET TYPES DE JOUEURS

II.1. Joueur type : la vie réelle des Songeurs.

I.1.2. Une population élective ?

L’autre masque de la figure du joueur est celui d’une population ayant accès à un niveau de vie et d’éducation relativement élevé. L’argument porte ici sur les coûts matériels et d’apprentissage engendrés par l’abonnement au produit, mais aussi induits par la possession et l’usage du support informatique. Au-delà de l’éducation à un sens large, cette population est également censée être composée d’utilisateurs expérimentés dans la pratique vidéoludique. Autrement dit, la population des joueurs de jeux vidéo et de jeux en ligne a fortiori présenterait un caractère électif, en supposant la capacité à mobiliser non seulement du temps de loisir disponible, mais également des ressources matérielles et culturelles importantes. Cette section cherche, dans les caractéristiques de notre échantillon des indicateurs permettant d’interroger la validité de ce portrait. Ne disposant pas de données qui concernent directement le niveau de vie des Songeurs, nous nous sommes intéressées à la répartition de cette population en fonction du niveau d’étude et de la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles. Ces données tendent plutôt à confirmer pour notre échantillon le profil d’une population sensiblement éduquée et où les catégories socioprofessionnelles moyennes élevées sont légèrement surreprésentées. En matière par ailleurs de compétences ludiques, on interroge la pratique du jeu sur différents types de supports informatiques, celle des MMOG en général, mais aussi celle du jeu de rôle.

Notre population de Songeurs est relativement éduquée : à partir d’une question précisant le dernier diplôme obtenu, on constate que 77 % de la population de notre échantillon déclare au moins disposer d’un niveau baccalauréat ou équivalent, et plus de la moitié (57 %) d’un niveau d’étude supérieur au baccalauréat (universitaire ou non). Notons que ce niveau est — sans réelle surprise, corrélé au statut d’occupation de la population : 40 % des répondants qui ont un niveau de diplôme inférieur ou équivalent au bac sont également des étudiants. Si l’on ne considère que la part de l’échantillon non scolarisée, on constate une plus nette surreprésentation, dans cette population de niveaux d’étude assez élevés : 64,7 % au-delà du baccalauréat, c'est-à-dire presque

269 En sortant un instant du cadre de l’enquête AoU pour passer à celle de l’observation en jeu sur World of Warcraft, on peut signaler à ce propos que de nombreux joueurs avec lesquels nous avons été en relation sur un moyen terme (les membres de la guilde, par exemple) jouent avec au moins une personne qu’ils connaissent et fréquentent localement. Il s’agit parfois d’un ami, d’un compagnon d’étude ou d’un collègue, d’un frère, d’un père, ou d’un conjoint (rencontré ou non en pratiquant le jeu). On précise que nous avons nous-même pratiqué le jeu en couple, et avec des connaissances professionnelles et amicales.

trois fois la part à l’échelle nationale selon les données fournies par l’INSEE pour le recensement de 2006, soit 22,2 %.270 La répartition en professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) est

relativement cohérente avec ce profil d’éducation de notre échantillon. Les catégories qui regroupent l’essentiel de notre échantillon de Songeurs sont, à la première échelle de la nomenclature, par ordre décroissant les professions intermédiaires (26,4 %), les cadres et professions intellectuelles supérieures (18,8 %) et les employés (16,8 %). Autrement dit, en comparaison ici encore avec des statistiques nationales, les professions intermédiaires et les cadres et professions intellectuelles supérieures sont légèrement surreprésentées, tandis que les employés sont légèrement et les ouvriers largement sous-représentés parmi nos Songeurs. Pour plus de précision, si on observe la seconde échelle de la nomenclature des PCS, on peut constater qu’au sein des PCS 3 et 4 prédominent les professions à caractère technique (part des techniciens dans la catégorie professions intermédiaires : 54,5 % ; part d’ingénieurs et cadres techniques d’entreprise dans la catégorie cadres et professions intellectuelles supérieures : 48,7 %). Parmi les employés la population de notre échantillon est répartie entre les employés administratifs d’entreprise (40 %) et les policiers et militaires (20 %). Au regard de son profil d’éducation et de sa composition socioprofessionnelle, notre échantillon de Songeurs semble bien correspondre à un portrait relativement sélectif.

La construction de la pratique des MMOG est inscrite dans la convergence d’un ensemble de pratiques culturelles et de loisirs (cf. chapitre 2). Nous avons, de ce fait, cherché à savoir avec l’enquête AoU, si ce produit constituait pour la plupart des Songeurs une découverte des modalités de partage d’une fiction ou d’un univers ludique, ou si, comme le déclarent les discours endogènes concernant la « communauté », on avait à faire à une audience particulièrement avertie, et qui disposerait de ce fait, d’exigences particulièrement élevées vis-à-vis du produit et de leurs partenaires de jeu. Nous avons donc questionné les Songeurs quant à leur pratique antérieure du jeu vidéo, du jeu de rôle « classique » (papier crayon, sur table, ou grandeur nature), et des Multi- User Dungeons (MUD). Les résultats de l’enquête révèlent une population majoritairement expérimentée dans le domaine des jeux vidéo et notablement dans le domaine du jeu de rôle « classique ». En revanche, l’expérience des fictions partagées en ligne, qu’il s’agisse de MMOG ou de MUD y paraît minoritairement. L’expérience de la pratique du jeu de rôle nous intéressait tout spécialement. L’un des principaux arguments de distinction commerciale d’Age of Utopia, sur le marché concurrentiel des MMOG, était en effet largement fondé sur une correspondance particulièrement forte avec le jeu de rôle. De façon plus générale, l’intérêt pour ce produit en particulier pouvait s’expliquer par une affinité spécifique avec le jeu de rôle.

Et en effet la pratique antérieure du jeu de rôle est bien représentée par une proportion importante, même si non majoritaire de nos Songeurs (42 %). Les effectifs sont bien plus faibles, quoique notables concernant la pratique antérieure de MUD (20 %). Toujours en suivant l’hypothèse d’Age of Utopia comme une niche pour des rôlistes peu convaincus par le passage de leur pratique sur un support numérique, on aurait pu penser qu’Utopia pouvait constituer une première découverte du médium jeu vidéo pour une partie importante des Songeurs. De fait, la majorité de l’échantillon est familière avec ce médium, 60 % déclarent une pratique régulière du jeu vidéo avant la découverte d’Age of Utopia, et pour 52 % de ceux-ci, cette pratique remonte à plus de 10 ans. AoU constitue une découverte du jeu vidéo pour seulement 9 % des Songeurs interrogés. En revanche, Age of Utopia est la première expérience de MMOG pour les deux tiers (66 %) de l’échantillon. Afin mieux qualifier les types d’expériences de MMOG, nous avons demandé à notre échantillon de sélectionner parmi une liste prédéfinie que l’on a tâché de constituer de manière exhaustive du ou des titres (jusqu’à 4) auxquels ils avaient joué avant AoU. Les choix étant nombreux, nous avons regroupé les titres déclarés, tous ordres chronologiques de pratique confondus, en fonction de l’ampleur de leur audience, ce à partir des données et catégories elles-mêmes disponibles sur le site MMOGChart. Nous arrivons ainsi à 3 catégories de produits, qui nous permettent d’évaluer de quelle part de marché des MMOG les expériences antérieures de notre échantillon relèvent. On constate alors que les expériences antérieures de l’échantillon correspondent pour une majorité (58%) à des produits de large et très large audience (soit qui recueillent plus de 200 000 souscriptions). Mais une quantité non négligeable, soit 30% correspondent à des titres plus marginaux, qui ne sont pas recensés par le site MMOGCharts271.

Pour résumer, l’enquête menée auprès des Songeurs ne permet pas de complètement remettre en cause les figures répandues des joueurs de MMOG. La population ici interrogée est bien majoritairement masculine et célibataire, et comporte une part importante d’étudiants ou d’actifs dont l’occupation laisse supposer un temps disponible conséquent pour les loisirs. Cette population présente par ailleurs un niveau d’éducation relativement élevé, et une répartition dans les catégories socio-professionnelles qui, pris ensembles, laissent deviner pour la plupart un niveau de revenu permettant l’acquisition des ressources matérielles nécessaires à l’activité de jeu comme loisir d’intérieur. Ces résultats dénotent par ailleurs un profil du Songeur qui peut apparaître comme électif, confirmant encore une fois une singularité de l’audience. Cette

271 Soit parce que leur audience est considérée comme trop faible (leur nombre de souscriptions est inférieur à 10 000 joueurs), soit parce que ces produits sont gratuits, ce qui rend difficile l’évaluation de l’audience, soit enfin parce que non considérés formellement par MMOGCharts comme des MMOG.(Woodcock 2002)

population est enfin majoritairement familiarisée à la pratique d’activités de loisirs sur support électronique, et en proportion plus que notable à la pratique du jeu de rôle. D’un autre côté, et concernant particulièrement la répartition en tranches d’âge, en statuts d’occupation, comme la question des modes de vie, on a pu mettre en avant des éléments qui viennent rejoindre les constats d’autres travaux, en nuançant cette fois le stéréotype largement répandu de l’utilisateur de jeux en ligne. L’enquête Age of Utopia dévoile (ou confirme, en s’ajoutant aux résultats par ailleurs obtenus concernant le produit World of Warcraft) une population sensiblement plus avancée dans les âges de la vie que celle à laquelle on aurait pu s’attendre : de jeunes adultes plus que d’adolescents, et dont la marginalité vis-à-vis des activités de la sphère professionnelle comme privée et leurs contraintes supposées n’apparaît pas comme un critère dominant. Autrement dit encore, le temps disponible pour l’activité de jeu apparaît somme toute beaucoup moins discriminant pour la pratique du jeu que la disponibilité en termes de ressources culturelles (éducation, la familiarité avec des domaines techniques d’activité, l’expérience de pratiques ludiques apparentées). En somme, et à l’instar de toute pratique culturelle et de loisir, celle des univers partagés en ligne n’est pas indifférente aux caractéristiques sociodémographiques des individus qui y adhèrent. Pour autant l’analyse des données a également révélé un portrait des Songeurs que l’on ne peut décrire comme homogène sur l’ensemble de ses caractéristiques.