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Le krach des années 1980 et la restructuration du secteur

I. J EUX ELECTRONIQUES

I.2. La mise en place d’une industrie

I.2.2. Le krach des années 1980 et la restructuration du secteur

Le début des années 1980 voit pour le jeu vidéo une multiplication des genres et des titres. Malgré une expansion dans un premier temps de l’industrie et la naissance de certains éditeurs qui perdureront (Electronic Arts ; Sierra entre autres), cette profusion provoquera également une surproduction de supports de jeux et de titres de qualité moindre. Un krach de l’industrie américaine et la banqueroute de nombreuses entreprises s’en suit. Dans le même temps, les ordinateurs personnels, devenus plus accessibles financièrement, proposent des avantages techniques non négligeables vis-à-vis des consoles : multitâche, plus de mémoire, de meilleures capacités graphiques, etc. Certains fabricants tels que Commodore se positionnent alors nettement en concurrents des consoles sur le marché du loisir électronique d’intérieue. Les raisons du krach de l’industrie du jeu vidéo en 1983 sont multiples et lié à un mouvement de structuration d’une industrie culturelle75.

La chaîne de production de jeux de console se trouve d’abord transformée à partir de 1982 par l’apparition de sous-traitants. C’est la société Activision qui crée ici un précédent.76 Des employés

74 “The Atari computers competed in the marketplace against video game systems and similarly designed early PCs, such as those produced by Texas Instruments, Radio Shack, and Commodore. (…) com- puter companies like Commodore produced personal computers like the Commodore 64 model that was also designed with the television-set-as- monitor set-up in mind. (…) Atari’s line of computers, like other “multi-functional” gaming/computer devices produced at the time when personal computers were first viable consumer products, were difficult to market (Is it a computer? A game?) and caused customer confusion over which device one should purchase.” (Murphy 2009:206)

75 (Herman 1997; Kline et al. 2003)

76 (Kline et al. 2003:97). Les auteurs attribuent à l’absence de reconnaissance de l’autorité personnelle des développeurs de jeux vidéo l’apparition dans les jeux de ce que l’on nomme aujour’hui les « Easter Eggs », « œufs de pâques », éléments ou espaces dissimulés. En 1978, un employé d’Atari aurait ainsi dissimulé dans le titre Adventure une chambre cachée dans laquelle son nom apparaissait en lettres brillantes.

d’Atari reprochent à la firme le manque de reconnaissance et l’absence de crédits comme de droits d’auteurs sur le produit. Il faut noter qu’alors, Atari est détenu par Warner Communications, spécialisée dans l’industrie de loisirs. Aux programmeurs d’Atari qui démissionnent se joint un ancien cadre de l’industrie musicale, James Levy, afin de fonder une nouvelle société qui offre aux concepteurs un modèle de crédits liés au produit. Activision, poursuivie dans un premier temps en justice par Atari, mais sans succès, développera néanmoins des jeux pour les consoles de la firme, et contribue à créer une position nouvelle d’entreprise tierce, concernant le développement pour console. La même année, Trip Hawkins, ancien employé d’Apple, crée Electronic Art, et pousse encore plus loin qu’Activision le parallèle au fonctionnement de l’industrie musicale, notamment quant à la médiatisation accordée aux créateurs. La transformation professionnelle du secteur du jeu vidéo et son parallèle à l’évolution du cinéma est relevé par Patrice Flichy, qui écrit en 1987, dans un article consacré aux décalages entre innovation technologique et usage qu’introduisent des temporalités multiples (techniques, industrielles, professionnelles, esthétiques des note « le développement de l’édition des jeux vidéo a transformé des informaticiens en vedette »77. L’événement Activision va indirectement permettre la multiplication développements

indépendants, qui ne sont parfois le fait que de branches d’entreprises souhaitant élargir leur activité et profiter du boom économique des jeux vidéo. Les constructeurs de consoles, qui avaient jusqu’alors l’exclusivité de la production logicielle, ont du mal à contrôler la qualité de la quantité importante de titres qui résulte de la multiplication incontrôlée de ce qu’on nomme aujourd’hui les studios de développement78.

La quantité de titres disponibles en 1982 est deux fois plus importante que celle que le marché peut absorber. Les chroniques de cette crise rapportent que les distributeurs tentent de retourner aux éditeurs le surplus, mais que la plupart se trouvent rapidement dans l’incapacité de les racheter. La faillite d’un certain nombre d’entre eux pousse les distributeurs à faire chuter de manière drastique les prix des produits.79 De nombreux constructeurs de consoles se retirèrent

alors du secteur (Magnavox et Coleco, entre autres). Ce krach aura également des conséquences à long terme, provoquant la défiance des distributeurs vis-à-vis du jeu vidéo, confiance que les nouveaux entrants, peinent à regagner dans les années suivantes. Ces années voient également venir l’une des conséquences à moyen terme de ce crash, soit la montée en puissance des

77 (Flichy 1987:107)

78 (Herman 1997; Kline et al. 2003) 79 (The Dot Eaters 2006)

constructeurs japonais, avec la troisième génération de consoles (8-bits), dont la Sega Master

System, et la Nintendo Entertainment System (NES80) qui relanceront le marché.

I.2.3. La Génération Nintendo

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Malgré des capacités plus prometteuses pour la console de la firme originellement spécialisée dans les jeux d’arcade « Service Games » (Sega), c’est la NES de Nintendo qui rencontrera le plus grand succès commercial tous marchés confondus. David Sheff, journaliste qui retrace l’histoire du succès de la console japonaise insiste sur la volonté de Yamauchi, son dirigeant, de concevoir un produit aussi simple et économique que possible, qui autoriserait pour autant le développement de jeux d’un niveau de complexité supérieure à ces concurrents et notamment Atari82. Mis sur le marché plus tardivement que ses concurrents avec un prix de vente nettement

inférieur le système bénéficiera d’une campagne promotionnelle également bien plus importante. Accompagnant du succès du système de Nintendo lui-même, certains jeux produits pour la console battront des records de vente qui resteront longtemps inégalés. C’est le cas de Super Mario

Bros 3, sorti en 1989, qui a généré 500 millions de dollars aux États-Unis, et vendu 11 millions de

copies sur les marchés asiatique et américain. À cette époque la firme a succédé à Toyota au premier rang de « succes story » des entreprises nippones. Un tiers des foyers américains et japonais sont équipés de leur système. Ce succès commercial égale alors déjà ceux des industries musicale et cinématographique83. La firme a par ailleurs su prendre parti de la multiplication des studios de

développement tiers, et sa position de monopole va lui permettre de mettre en place un modèle de contrôle très performant sur ces derniers. Jusqu’alors les studios indépendants qui produisaient des jeux pour des constructeurs devaient faire un investissement originel sur ce qu’on nommerait aujourd’hui un kit de développement auprès du constructeur, et étaient ensuite libres de développer les titres qu’ils souhaitaient pour la plate forme, sans droit de regard particulier du constructeur. Nintendo va mettre fin à ce modèle en implémentant une protection à la fois matérielle et légale sur les cartouches de jeu de sa console. Celles-ci contiennent une

80 Nintendo change l’appellation de son produit, la Famicom pour « Family Computer », sorti au Japon en 1983, pour les marchés européen et américain. C’est une version améliorée du système qui est proposée au marché américain à la fin de l’année 1985. (Herman 1997:95-120)

81 Référence à l’ouvrage qui retrace l’histoire de la montée en influence de la firme, écrit par David Sheff, journaliste d’investigation américain (Sheff 1993).

82 (Sheff 1993:23-25)

83 « Par exemple, Super Mario Bros. 3 qui est sorti en 1989 a rapporté plus de 500 millions de dollar uniquement en Amérique. Dans le domaine des loisirs, seul le film E.T. avait eu un meilleur rendement. Super Mario Bros. 3 aurait vendu plus de 7 millions d’exemplaires en Amérique et 4 millions au Japon, ce qui était plus d’exemplaires qu’aucun autre jeu dans l’histoire. Sheff écrit : “selon les standards de l’industrie musicale, ‘SMB3’ aurait été disque de platine onze fois. » Tda (GaZZwa 2004)

« puce-clé », qui conditionne leur fonctionnement et sur la fabrication de laquelle Nintendo pose un brevet. Ce système va en standardisant, soumettre les développeurs tiers à des formes de relations contractuelles plus complexes vis à vis des constructeurs et renforcer le droit de regard de ceux-ci sur les produits, mais aussi leurs contrôle sur la production, incluant dans certains contrats des clauses d’exclusivité. Nintendo établira également un rapport particulier aux distributeurs, notamment en s’inscrivant comme précurseur de la stratégie de la rupture de stock volontaire, qui lui permet d’entretenir une demande forte pour ses produits. Cette stratégie renforcera encore son influence autant sur les distributeurs que sur les studios tiers de production, qui engrangent les bénéfices des ventes de façon parfois trop lente pour garantir leur survie.

Si la fin des années 1970 est marquée par une importance grandissante donnée à la production logicielle, la conséquence majeure du krach du début des années 1980 est la structuration de l’industrie qui passe par le renforcement du contrôle des constructeurs sur le développement de jeu par des entreprises tierces. Le succès de la NES et de ses titres va octroyer au début des années 1990 à Nintendo une forme de monopole sur le marché, et une grande influence sur la chaîne de production. Les conséquences de cette restructuration de la chaîne de production vont perdurer jusqu’à aujourd’hui, forgeant un modèle proche de celui de l’industrie du cinéma, et qui s’étend aux jeux développés pour les ordinateurs personnels, représentant une part moindre du marché des jeux vidéo84.

Loin d’avoir succombé aux aléas économiques du début des années 1980, dans les années 1990 le secteur du jeu vidéo dévoile les atours d’une véritable industrie culturelle. Davantage structurés, les éditeurs élaborent des projets plus ambitieux, qui requièrent des budgets, des équipes de conception et des collaborations avec les industries connexes plus conséquents. Les jeux profitent également alors des avancées graphiques du matériel qui peut équiper un panel plus large de foyer, autorisant des expériences « multimédia » plus complexes (développement des graphismes en trois dimensions, des cartes sons et diffusion du support CD-Rom). La qualité des matériels « d’intérieur » (ordinateurs personnels ou consoles de salon) s’oppose alors au déclin relatif du support arcade, auquel palliera parfois cependant la mise en place, dans les lieux publics dédiés, d’équipements vidéoludiques peu accessibles par des particuliers (tels que les Rhythm Games). Les années 1990 marquent également l’apparition des consoles portables (impulsée par la Game Boy de Nintendo) qui étend la souplesse des contextes d’usage du jeu vidéo.