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Ceci étant, de façon plus significative encore qu’avec le profil sociodémographique, l’activité principale est corrélée à des dimensions internes à la pratique, sans être pour autant directement inscrites dans les systèmes de jeu. Pour être plus explicite : la prédominance d’un type activité paraît en fait dépendre tout particulièrement, d’une part, de la longévité de l’expérience de jeu, de l’autre, de l’autre du développement d’une sociabilité en jeu et des modalités présentées par cette dernière. L’intérêt à l’activité « primaire » qu’est le combat, particulièrement centrée sur les systèmes de jeu semble ainsi décroître avec la durée totale de la pratique du produit, alors que la discussion et la logistique prennent une place plus prépondérante, ainsi que le présente le tableau suivant :

Tableau  9  -­‐  Enquête  Age  of  Utopia  -­‐  Période  totale  de  jeu  et  activité  principale  en  jeu. Combat Narration  et  immersion Artisanat  et    commerce Discussion  et  logistique TOTAL

Moins  d'un  an 43,5 24,2 9,7 22,6 100

De  un    

à  deux  ans 29,3 17,1 24,4 29,3 100

Plus  de  2  ans 18 16,4 27,9 37,7 100

TOTAL 30,2 19 21 29,8 100

p<0,02  (Très  significatif)

À moins d’un an d’expérience du jeu, l’activité de nos Songeurs est ainsi principalement orientée vers les activités primaires et secondaires, délaissant (ou ignorant) l’activité d’artisanat et de commerce. De un à deux ans de jeu, les activités sont distribuées sans présenter d’écarts notables. À plus de deux ans, l’attraction vers l’activité primaire est faible, alors que les activités parallèles et secondaires sont surreprésentées. L’hypothèse d’une évolution de la pratique de l’espace du jeu dans le temps est également soutenue par les résultats obtenus grâce à la question qui était ainsi directement posée aux Songeurs : « Cet ordre d’importance a-t-il évolué au fil du temps passé en jeu ? ». Parmi les Songeurs qui ont déclaré un changement notable de l’ordre d’importance 44,4 %

ont également déclaré que les activités parallèles (discussion, logistique) étaient leurs activités principales en jeu, et, inversement, les Songeurs ayant déclaré une absence de changement de cet ordre – qui sont aussi principalement de « jeunes » arrivants en jeu — sont nombreux à également déclarer les activités primaires (combat) comme activité principale.

Nous avons également demandé aux Songeurs quels étaient les facteurs ayant principalement pesé sur l’évolution de l’ordre d’importance de leurs activités en jeu. Il apparaît alors l’évolution de l’investissement lu au travers de l’activité principale ne présente pas une modalité unique. Le tableau 10 montre nettement que l’insertion dans un groupe de joueurs est un facteur affectant les activités parallèles, que l’optimisation et la spécialisation du personnage affectent les activités primaires et secondaires, aux dépens des activités tertiaires (narration et immersion) et que l’évolution du contenu, de l’audience du jeu affectent très largement les activités parallèles, ainsi que les activités tertiaires.

Tableau  10  -­‐  Enquête  Age  of  Utopia  -­‐  Facteurs  d'évolution  des  types  d'activité  et  activité  principale  en  jeu. Combat Narration  et  immersion Artisanat  et  commerce Discussion  et  logistique TOTAL Insertion  dans  un  groupe  

de  joueurs 28,5 18,1 16,6 36,8 100s

Optimisation,  

spécialisation  de  l'avatar 34,9 11,9 30,2 23 100

Évolution  du  jeu   (contenu,  communauté)   et  du  rapport  au  jeu

20,7 23,9 17,4 38 100

TOTAL 28,7 17,5 20,9 32,8 100

p<0,01  (Très  significatif)

Ces résultats, en faisant apparaître une dimension longitudinale aux modalités de la pratique des joueurs, nous conduisent à revenir au jeu comme objet. L’évolution des pratiques des Songeurs pourrait ici être expliquée par un affaiblissement de l’intérêt pour certaines activités lié à l’usage prolongé du jeu. Les joueurs, dans la logique du déploiement d’une « carrière »281 type seraient

281 L’approche par le concept de carrière est précisément celle à laquelle invite Samuel Coavoux(Coavoux 2010b), mais dans ce cas, au sens de la « modélisation du processus d’engagement dans une pratique sociale », empruntant à Becker et Strauss (Becker et Strauss 1956). L’inconvénient de cette perspective est selon nous qu’elle tend à cristalliser la question de l’engagement autour d’une modalité unique, qui est celle de la carrière dite « compétitive ». Si on s’accorde avec le caractère central des activités qui caractérisent celle-ci, notre approche souhaite, à l’inverse, souligner l’ensemble des possibles qui s’articulent autour de ce mode d’engagement, prescrit et dominant.

ainsi susceptibles d’exploiter successivement les activités prescrites par les systèmes de jeu (primaires, puis secondaires) avant de se tourner plus principalement vers ses activités tertiaires et parallèles, dans lesquelles ils peuvent mettre à profit l’expérience comme l’expertise développées antérieurement. Mais on pourrait tout autant dans le cas présent attribuer ces évolutions à une absence de renouvellement du contenu du jeu. Le sens donné au repli sur les activités d’immersion, de narration, de discussion et de logistique, activités mobilisant dans une moindre mesure les mécanismes et contenus du jeu, serait alors assez différent.

Comme le souligne l’impact du facteur « insertion dans un groupe de joueurs » sur le type d’activité principale, ce dernier s’avère très largement dépendant des degrés et modes de sociabilité en jeu. Ainsi, en cohérence avec la durée totale de la période de jeu, les joueurs principalement orientés vers le combat disposent d’une liste de contacts en jeu moins fournie que ceux qui déclarent comme activité principale les activités parallèles ou secondaires. Sur les joueurs ayant déclaré avoir moins de 15 contacts dans sa liste d’amis, 50 % consacrent la majeure partie de leur temps aux activités de combat, alors que plus de 50 des joueurs déclarant avoir plus de 30 personnes dans leur liste de contacts ont principalement des activités de discussion, logistique, d’artisanat et de commerce.

Autrement dit le développement quantitatif de liens interpersonnels en jeu, qui peut être un effet cumulé induisant la longévité de l’expérience de jeu, l’insertion dans des collectifs et la prise de responsabilité au sein de ceux-ci semble, chez les Songeurs, aller de pair avec une orientation vers des activités moins au centre de l’expérience de jeu. Au-delà de l’influence de la sociabilité considérée sur un mode quantitatif, nos résultats tendent également à souligner l’impact qualitatif de cette dernière sur les pratiques différentielles du jeu, en mettant en avant la correspondance entre la présence de liens familiaux avec les partenaires de jeu et le type d’activité déclarée comme principale, qui semble affecter particulièrement les personnes jouant en couple, dont les activités sont principalement des activités parallèles ou tertiaires.

Tableau  11  -­‐  Enquête  Age  of  Utopia  -­‐  Liens  familiaux  et  activité  principale  en  jeu.

Combat Narration  et    immersion Artisanat  et    commerce Discussion  et    logistique TOTAL

Conjoint 5,9 29,4 23,5 41,2 100

Famille  nucléaire  

 et  large 34,4 12,5 21,9 31,3 100

Pas  de  liens  

 familiaux 34,8 18,1 20,3 26,8 100

TOTAL 29,9 19,1 21,1 29,9 100

L’exposé de la diversité des profils de joueurs considérés sous l’angle des modalités de leur pratique doit donc prendre en compte plusieurs dimensions. Nous avons, pour notre part, relevé une dimension sociodémographique exogène à cette pratique, à laquelle se superpose sans se confondre une dimension endogène qui met en relation certaines modalités de la pratique des Songeurs avec ces modes spécifiques d’investissement au jeu. Par exemple, deux facteurs mettant en jeu une dimension longitudinale : l’âge, et l’expérience du jeu, montrent des attractions particulières avec une certaine pratique du produit qui s’éloigne des activités primaires, sans pour autant être eux-mêmes systématiquement dépendants : un joueur expérimenté peut apparaître dans les classes d’âges les moins élevées de l’échantillon, et inversement. Cet aspect multidimensionnel éclaire de façon plus fine la diversité comme la complexité des liens qui existent entre joueurs et investissement au jeu.

Les joueurs interviennent au quotidien dans le travail des concepteurs, sans pour autant que ceux- ci connaissent ou considèrent utile de connaître les caractéristiques des profils sociaux et des pratiques des Songeurs. Pourtant, ceux-ci forment bien une population, qui apparaît moins homogène sur ces deux plans que celle dont l’image est portée par le travail de conception. La spécificité de l’audience que composent les Songeurs, en termes sociodémographiques, tient dans sa forte masculinisation, la représentation importante du statut étudiant en son sein, mais surtout dans son niveau élevé d’éducation et d’expérience antérieure de pratiques culturelles et de loisirs apparentés. La population à laquelle nous avons à faire est finalement moins marquée par une disponibilité matérielle aux loisirs ou par un isolement social relatif à la sphère professionnelle comme privée, que par une disponibilité culturelle à la pratique. Elle apparaît également sur ces critères, présenter une distribution moins homogène, et moins en marge que celle qu’induisent les stéréotypes concernant les joueurs en ligne. Cette diversité trouve un reflet dans les modalités de l’investissement dans la pratique, soit dans la façon dont les joueurs, en fonction de ces facteurs exogènes au jeu, vont être attirés plus spécifiquement vers certaines activités proposées par le produit plutôt que par d’autres.

Ainsi si l’âge, ou le statut d’occupation ne présentent pas d’influence apparente sur le temps que les joueurs passent hebdomadairement en jeu, ils font émerger des relations avec le type d’activité principalement pratiquée par les joueurs sur ce temps de jeu. De plus, la pratique elle-même introduit des facteurs endogènes de différenciation, affectant également ces activités. Les modalités d’investissement des joueurs évoluent ainsi sur la longue durée de la pratique, selon une

tendance générale dans le cas observé à s’écarter des activités au cœur des mécanismes de jeu, sans pour autant que ce type d’évolution puisse être affirmé comme modèle unique pour les MMOG. Les joueurs ne sont pas non plus dans leur pratique des individus isolés, et les modes de socialisation en jeu sont un critère à prendre en compte conjointement aux précédents si l’on souhaite appréhender les influences agissant sur les modalités et à l’évolution de l’investissement individuel en jeu. Ici mise en avant comme point de départ plus pertinent que le temps dédié à la pratique pour la compréhension de la multiplicité des formes d’investissement de la pratique, la question de l’activité reste pour autant presque entière. Il convient maintenant de détailler les raisons qui ont conduit à présenter les catégories principales de l’activité en jeu sur un mode hiérarchique, et, plus largement, de s’appuyer cette fois sur des matériaux qualitatifs afin de décrire plus finement l’activité des joueurs.