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C’est de façon indissociable de la singularité de notre démarche de recherche que se précise la problématique qui sous-tend notre travail d’analyse. Ce sont les univers ludiques en ligne comme occurrences singulières du partage d’un monde dont il est question ici. Les principales questions qui découlent de cette perspective sont articulées autour des thèmes dominants que sont la conception et la pratique, et interrogent la distribution de l’autorité sur la définition des mondes de l’activité de jeu que sont les univers ludiques en ligne.

De quoi et comment sont faits les univers ludiques ? Nous abordons les univers ludiques en ligne comme des agencements uniques de choses et de significations : à la fois comme des infrastructures et comme des arènes au sein desquelles différents mondes sociaux négocient, à différentes échelles, une circonscription des pratiques et représentations du monde ludique. On s’intéresse donc ici aux conditions de la construction et de la mise en œuvre d’un monde d’incertitudes, de significations et de relations singulières. Les MMOG sont ici interrogés comme des mondes qui

reposent simultanément sur le changement et sur la permanence, des mondes « où tout change et rien ne bouge », pour citer une joueuse de World of Warcraft.

On insiste ici par ailleurs sur l’inscription des objets que nous traitons dans l’ensemble de techniques et d’usages de ces techniques qui sont marqués par l’évolution et la diffusion du média Internet et plus largement de l’informatique. On interroge donc les pratiques et les représentations du jeu comme celles d’un espace médiatique. Les MMOG sont ici questionnés comme des mondes de jeu partagés dans un contexte technologique et massif. Qu’est-ce que jouer à un MMOG veut dire ? Que font les joueurs quand ils jouent à World of Warcraft ou à Age of Utopia ? Avec qui et quoi interagissent-il ? Comment et pourquoi les joueurs contribuent-ils à la négociation de la définition du jeu ?

Notre travail se positionne de cette manière comme l’effort d’articulation, que suggèrent nos apprentissages empiriques comme nos recherches théoriques, d’une approche culturelle des jeux qui emprunte aux travaux récents des Game Studies anglosaxonnes, et d’une perspective sociologique qui s’inscrit dans la continuité de nombreux travaux de recherche l’innovation, la réception, et les usages dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication. La façon dont nous faisons dialoguer ces deux domaines de recherche consiste à d’une part, nourrir l’approche culturelle des jeux en ligne par une préoccupation forte pour leur dimension technique ; d’autre part, à prendre appui sur la spécificité du jeu pour éclairer, au travers de sa qualité à le rendre particulièrement visible, le processus de cadrage social et technique de ces mondes socioculturels et sociotechniques.

Connexions

Nous présentons, dans une première partie, le contexte technologique, économique et culturel dans lequel les univers virtuels sont développés. En s’appuyant sur des ouvrages, des articles et diverses ressources historiques de seconde main, ce que l’on cherche ici à proposer est une histoire sociale qui décrive la façon dont l’essor de ces univers ludiques s’inscrit dans des changements à la fois techniques, sociaux et économiques plus larges qui ont lieu entre les années 1960 et 2010. Ceux-ci contribuent à construire le jeu vidéo comme à la fois comme un objet autonome et comme un phénomène social et culturel contemporain avec lequel (et au travers duquel) les sciences humaines peuvent dialoguer.

Fabrique

Les mondes virtuels n’apparaissent pas spontannément. Ils sont une construction, et la définition des possibles qu’ils contiennent n’a rien d’un processus évident orchestré par des démiurges omniscients et omnipotents. Une seconde partie introduit ainsi la question de la fabrique de ces mondes. En s’appuyant sur la richesse en information offerte par le terrain AoU, nous retraçons son élaboration comme celle du passage d’un monde de discours à un monde objet et enfin à une arène, investie par des mondes sociaux hétérogènes, dont les joueurs. La fabrique d’un produit est aussi celle de son public, et c’est une approche des joueurs d’AoU, à la fois comme figure au sein de la conception et comme population statistiquement observée que nous présentons ici.

Pratiques

Jouer, c’est faire quoi ? On passe avec cette troisième partie du côté de la pratique, à un niveau microsociologique, pour mieux comprendre l’impact à un niveau local de son hétérogénéité. On s’intéresse ainsi aux modes de régulation, d’appropriation, et d’équilibre entre standardisation et personnalisation, qui permettent aux joueurs d’ajuster jeu et rapports au jeu. La plasticité technique des espaces médiatiques de la pratique tient ici un rôle crucial, que l’on observer comment en lorsqu’on s’intéresse de près aux activités de coordination, dont on s’attache ici à restituer en détail l’expérience.

Partage

Dans cette dernière partie, on investit essentiellement, à partir de l’observation réalisée au cœur de la gestion de communauté de Stillnode, la question des tensions occasionnées par le partage d’un monde commun, et celle l’autorité sur la définition de ce monde et de ses enjeux. D’abord, nous insistons sur la dimension conflictuelle de l’hétérogénéité de la population des joueurs de MMOG, sur le positionnement public des modes de relation au jeu, et sur l’usage qui est fait par les joueurs des techniques et espaces médiatiques, à la fois comme enjeu et comme moyen de négociation. Dans les rapports conflictuels observés entre joueurs d’AoU, celui qu’on appelle comme arbitre est toujours Stillnode. L’observation des relations entre « les joueurs » et « les développeurs » tend à montrer que la distance qui existe entre ces rôles n’a rien d’une évidence. Elle est à l’inverse le résultat d’un travail continu d’ajustement qui est articulé par la mise en place et du maintien d’un dispositif complexe de médiations.