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CHAPITRE 2. Les leviers de la lutte contre les violences faites aux femmes et la

1. La politique des plans triennaux

A travers les plans triennaux et interministériel, la lutte contre les violences faites aux femmes se dessine sous le trait de la communication (et de la formation), de la justice et des lois, et de l’accompagnement des victimes. Nous voyons que la communication y est importante et que les données d’enquête participent à leur construction. Notamment, ces campagnes focalisent l’attention sur les violences conjugales.

1.1 La communication

1.1.1 La communication, un des volets du triptyque des 4

e

et 5

e

plans

triennaux

En France, les grandes orientations politiques de lutte contre les violences faites aux femmes se matérialisent par la succession de plans triennaux et interministériels depuis 2005.

Le 4e plan triennal et interministériel54 de prévention et de lutte contre les violences

faites aux femmes, à la période où nous avons débuté cette thèse, s’étend de 2014 à 2016. Il dispose de trois axes : « organiser l’action publique autour d’un principe d’action partagé : aucune violence déclarée ne doit demeurer sans réponse ; protéger efficacement les victimes ; mobiliser l’ensemble de la société ».

Ainsi, en France, « mobiliser la société » (i.e. former et communiquer) fait partie du triptyque des outils de lutte contre les violences faites aux femmes et pour l’égalité femmes-hommes, à côté de l’action publique et de la protection des victimes.

54 Ministère des Droits des femmes. 4e plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences

faites aux femmes 2014-2016 (2014). http://femmes.gouv.fr/wp-content/uploads/2013/11/4e- planVFF_22112013.pdf. Consulté le 15 octobre 2015

Le 5e plan triennal et interministériel55 comprend à la fois un bilan du 4e plan, mais

aussi s’inscrit dans la continuité du précédent, puisqu’il définit trois grands objectifs faisant écho à celui-ci : « Assurer l’accès aux droits et sécuriser les dispositifs qui ont fait leurs preuves pour améliorer le parcours des femmes victimes de violences (violences conjugales, sexuelles, psychologiques, etc.) ; renforcer l’action publique là où les besoins sont les plus importants ; déraciner les violences en luttant contre le sexisme, qui banalise la culture des violences et du viol ».

1.1.2 La recherche quantitative en soutien de la politique

Alimentant les décisions politiques et de prévention, des enquêtes sont développées, à l’instar de l’ENVEFF, première enquête d’ampleur nationale, dont les résultats sont publiés en 2001. Jaspard (2011) mentionne ainsi la demande de nouvelles enquêtes (après 2005), notamment sur la problématique « violence et santé » laquelle conduira à l’Enquête de la vie et santé (EVS), l’enquête de victimisation (CVS) qui « depuis 2006, (…) élargit le champ des faits de délinquance et de violence (vol, coups), recueillis ultérieurement, aux violences intrafamiliales et aux violences sexuelles. », l’enquête CSFV en Seine-Saint-Denis sur les jeunes femmes dans le département et « sur le modèle de l’enquête ENVEFF », l’enquête CSF sur la sexualité qui « adapte son module sur les violences sexuelles au cours de la vie », l’enquête « Excision et handicap (ExH) [qui] développe une méthodologie inédite auprès d’une population rare ». A cette liste, l’enquête VIRAGE précédemment citée s’ajoute et vient mettre à jour les données de l’ENVEFF et l’élargit. La recherche, quantitative, de ce point de vue, visant à mesurer et produire des états des lieux, a ainsi été développée en France.

1.1.3 Influence de l’ENVEFF sur la communication de l’Etat français,

focalisation sur les violences conjugales et absence des auteurs

Comme le souligne Jaspard (2011, p. 27), l’enquête ENVEFF a eu une influence sur la campagne de lutte contre les violences faites aux femmes de l’Etat français. Dès 2001 elle « s’est inspirée des conclusions de l’enquête, avec la volonté affichée de remplacer le stéréotype de la « femme battue » par une représentation plus nuancée de « femmes victimes de violence ». L’intention était double : rappeler que la violence ne se réduit pas aux agressions physiques et qu’elle touche tous les milieux sociaux. L’ensemble de la communication sur le sujet a intégré ce changement d’image des victimes et, s’appuyant sur la révélation de l’ampleur du silence, a retenu comme thématique : pour lever le tabou, il faut libérer la parole. C’est ce que proclame le slogan « Briser le silence » reproduit sur

55 Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes. 5e plan de mobilisation et de lutte

contre toutes les violences faites aux femmes 2017-2019 Dossier de presse (2017). https://www.egalite- femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2016/11/6-Dossier-de-presse-22.11-v2-AES.pdf.

Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes. 5e plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes 2017-2019 PLAN (2017). https://www.egalite-femmes- hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2016/11/5e-plan-de-lutte-contre-toutes-les-violences-faites-aux- femmes.pdf. Consultés le 15 mai 2018

tous les supports d’information et de formation (brochures, affiches, etc.) édités par le Service des droits des femmes et de l’égalité ».

L’influence de l’ENVEFF sur la communication se poursuit dans les campagnes, comme le soulignent Hernandez Orellana et Kunert (2014, p. 55-59). Les trois premiers plans triennaux (recouvrant la période 2005-2013), s’ils annoncent une volonté de plan de lutte « global » (1er plan) « de lutte contre toutes les violences » (2e plan) ou une « approche

(…) extensive » des violences (3e plan), vont principalement se focaliser sur les violences

conjugales.

Ainsi, l’enquête ENVEFF a permis de révéler l’ampleur du phénomène des violences conjugales, et a eu une influence dès les premières campagnes conduites après la publication de ses résultats. Elle a permis de concentrer les campagnes sur cette problématique, de changer les représentations de « femmes battues » à « femmes victimes de violences » et d’inviter à la libération de la parole. Or, l’influence de l’enquête à communiquer sur cette thématique va se prolonger dans les trois premiers plans triennaux. Le problème soulevé ici, et mis en exergue par Hernandez Orellana et Kunert, est que cette focalisation sur les violences conjugales a de fait exclu des campagnes de prévention les autres problématiques des violences. Les campagnes se sont concentrées sur ces violences, aux dépends des autres.

Par ailleurs, Hernandez Orellana et Kunert relèvent aussi, dans ces campagnes de communication de prévention de l’Etat français, l’absence des hommes et des auteurs de violences dans le champ (ou le cadre) des dispositifs et en tant que cible. Si nous y revenons plus longuement aux points 3 et 4 (pages 57 et 60), il est notable que l’analyse de cette absence des hommes et des auteurs fait aussi écho à l’objectif des campagnes, que les femmes libèrent la parole.

1.1.4 Vers une diversification des violences dans les campagnes de l’Etat ?

Considérant que la communication s’inscrit dans le triptyque de lutte contre les violences faites aux femmes, il semble -nous ne disposons pas d’étude à ce sujet et présentons uniquement les données déclaratives des 4e et 5e plans- que les violences

dénoncées dans les campagnes de l’Etat français se diversifient.

Le 4e plan prévoit ainsi des campagnes : en accompagnement du lancement d’un

nouveau numéro téléphonique pour les femmes victimes de violences ; dans le cadre de « Agir contre le harcèlement à l’école », des actions ciblant les lycéen·ne·s contre le harcèlement sexiste et sexuel ; sur les mêmes violences, des campagnes dans les universités ; sur les mutilations sexuelles féminines, ciblant le grand public et les professionnels autour de la Journée internationale des Droits des Femmes (8 mars) ; des campagnes autour du numéro 3919, auprès du grand public, et autour de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes (25 novembre) ; sur les violences au sein du couple pour les professionnels de santé et ceux et celles en formation.

Dans le 5e plan, ces campagnes annoncées prévoient de diversifier les violences et de

porter un discours plus proche des préoccupations liées au genre : campagne avec « travail de déconstruction des stéréotypes qui constituent le terreau des violences faites aux femmes », avec notamment : « une campagne sur les violences sexuelles et leurs conséquences (….) [avec l’objectif] de mieux faire connaître les réalités que recouvrent le viol et à déconstruire certains stéréotypes associés ». Autre campagne annoncée : « informer le grand public que l’achat d’acte sexuel constitue une infraction (…) sur les sanctions prévues par la loi ainsi que sur la réalité de ce qu’est la prostitution ». Les campagnes sur les « violences sexistes et sexuelles dans les établissements de l’ESR » sont également programmées. Il s’agit également d’une campagne de la RATP sur le harcèlement dans les transports. Enfin des campagnes pour « sensibiliser la société sur les violences faites aux femmes » sont également prévues.

1.2 Les leviers judiciaire et législatif

1.2.1 Les leviers judiciaire et législatif et l’influence féministe

La lutte contre les violences faites aux femmes passe également par des volets judiciaires et législatifs, à travers les lois sur les délits et crimes des violences faites aux femmes. Dans ce développement législatif de la lutte contre les violences faites aux femmes se dessine celui de la lutte par les féministes. Jarpard (2011) l’évoque ainsi : « En France, dans l'effervescence du prologue des années 1970, les militantes féministes ont dénoncé les violences contre les femmes. Avec un relatif décalage temporel et des degrés de mobilisation différents, trois axes de lutte se dessinent : la qualification juridique du viol en tant que crime, la reconnaissance du harcèlement sexuel au travail, la dénonciation des violences conjugales ; entre 1970 et 2010, chaque décennie s'achève par une avancée législative » (voir point 2.5, page 54 pour plus de détails). Plus récemment, on peut citer à titre d’exemple la loi d’abolition du système prostitutionnel d’avril 2016 qui pénalise l’achat d’actes sexuel et vise à accompagner les personnes en situation de prostitution dans un parcours de sortie. L’aboutissement de cette loi a bénéficié de mobilisations féministes et abolitionnistes et de relais institutionnels (Mathieu, 2018).

1.2.2 Evaluation intermédiaire du 5

e

plan : pointer l’impunité des agresseurs

Le Haut Conseil à l’Egalité Femmes-Hommes (HCE) est l’organisation chargée d’évaluer ce plan, à l’instar du précédent. Cette évaluation est transversale et ne s’arrête pas au seul

volet de la prévention par la communication. A ce jour, nous disposons de l’« Evaluation

intermédiaire56 » du 5e plan, sous-titrée « Poursuivre les efforts pour mieux protéger les

femmes victimes et en finir avec l’impunité des agresseurs ».

Ce second élément -l’impunité des agresseurs- nous intéresse plus particulièrement. Il fait écho à la fois aux manques de l’Etat français dans sa communication de lutte contre 56 « Evaluation intermédiaire du 5e plan interministériel (2017-2019) et de la politique contre les

violences faites aux femmes ». Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, 22 novembre 2018. http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_evaluation-5eme-plan-tabl-word_vf-2.pdf.

les violences (voir points 3 et 4, pages 57 et 60). Et à la fois il résonne avec notre choix d’étudier des dispositifs de détournement du genre (DDG) qui incluent les hommes, et parfois les auteurs de violences, dans le champ des dispositifs et dans le public-cible de communication (que nous voyons point 3, page 94).

Le HCE évoque cette « impunité » des agresseurs à 14 reprises dans le document, pointant que « les chiffres des violences faites aux femmes restent alarmants (…) et l’impunité des agresseurs demeure élevée ». Il est fait mention de la baisse des condamnations pour violences sexuelles et le faible taux de condamnation des (ex)conjoints violents relativement au nombre de femmes victimes de ces violences conjugales. Dans son axe 1, six recommandations sont faites, relatives à cette impunité, liées à la formation des professionnel·le·s (sécurité, justice, santé, social), la présence de travailleur·se·s sociaux dans les lieux de sécurité (police, gendarmerie) et le soutien aux associations. Le document relève aussi les « efforts pour en finir avec l’impunité des violences faites aux femmes en ligne ». La question de l’impunité des agresseurs fait aussi écho au harcèlement de rue et à la prostitution (pénalisation de l’achat d’actes sexuels en avril 2016).

1.3 L’accompagnement des victimes et l’importance des

associations aux rôles diversifiés

L’autre volet de protection des victimes passe notamment par un meilleur accompagnement. Ce volet concerne la formation des personnels, le travail social, la protection des victimes et les associations. Ces dernières agissent à la fois dans l’assistance judiciaire, l’accompagnement des victimes (association spécialisée dans l’accompagnement à la sortie de la prostitution, aux victimes de violences sexuelles, aux victimes de violence au travail, à l’hébergement…), la création de formations pour les personnels, par exemple les gendarmes, ou le milieu universitaire.

Les associations ont un rôle diversifié et important dans la lutte : du plaidoyer, à la participation à diverses instances (comme le rapport des associations spécialisées cité par le HCE et sur lequel il s’appuie notamment, « évaluation de la mise en œuvre en France de la Convention d’Istanbul de lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique »), à la communication de prévention, à la formation, et à l’accompagnement des victimes de violences. Le HCE rappelle, dans l’évaluation du 4e plan57, que : « La

politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes n’est possible que grâce à la mobilisation des associations spécialisées, aux côtés des autres acteur·trice·s que sont les services de l’Etat et les collectivités territoriales. Remplissant souvent en l’espèce une mission de service public, elles reçoivent des subventions pour pouvoir mettre en œuvre des mesures du plan ». Ainsi, les associations tiennent une place 57 Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes. « Rapport final d’évaluation du 4e plan

interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes », 22 novembre 2016. http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_rapport_violences_eval_4e_plan_20161122.pdf. Consulté le 16 mai 2018

pivot dans la lutte contre le phénomène. Par ailleurs, la position tenue par le HCE est « d’augmenter substantiellement les financements » qui leur sont alloués.

Nous poursuivons ce panorama sur les leviers de la lutte, en nous intéressant à la place des mobilisations féministes et dans une moindre mesure à la recherche dans la lutte contre les violences faites aux femmes, et à l’influence que ces mobilisations peuvent exercer sur la / les politiques.