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Etudier les processus créatifs et les intentions d’influence en SIC : représentations

CHAPITRE 4. Le détournement du genre (DDG) : stratégie créative au service de la

2. Etudier les processus créatifs et les intentions d’influence en SIC : représentations

L’œuvre, même ouverte, signifie une intention communicationnelle : « l’étude du projet primitif se poursuit à travers l’analyse des structures définitives de l’objet artistique, considérée comme significative d’une intention de communication » (Eco, 1965, p. 11). Et comme nous l’avons déjà posé, à la fois en esthétique et en communication persuasive, le récepteur est déjà dans la pensée du créatif au moment de la création : « c’est un fait aussi qu’au moment même où il projette une opération productive (et par conséquent, un objet, une œuvre), l’artiste projette également un type de consommation ; bien souvent il projette diverses possibilités de consommation, qu’il a toutes présentes à l’esprit. (…) l’artiste qui produit sait qu’il structure à travers son objet un message : il ne peut ignorer

qu’il travaille pour un récepteur. Il sait que ce récepteur interprètera l’objet-message en mettant à profit toutes ses ambiguïtés, mais il ne se sent pas pour autant moins responsable de cette chaine de communication. Par la suite, toute poétique explicite est déjà, comme projet opératoire, projet de communication, elle est projet sur un objet et sur ses effets » (Couchot & Lambert, 2016). Si « le projet d’un message [de l’œuvre ouverte, est] doté d’un large éventail de possibilités interprétatives » (Eco, 1965, p. 11), celles-ci ne sont pas infinies : « « ouverture » ne signifie pas « indétermination » de la communication, « infinies » possibilités de la forme, liberté d’interprétation. Le lecteur a simplement à sa disposition un éventail de possibilités soigneusement déterminées, et conditionnées de façon à ce que la réaction interprétative n’échappe jamais au contrôle de l’auteur ». Ainsi, l’œuvre ouverte non seulement ne laisse pas de liberté d’interprétation infinie et absolue, mais une liberté relativement restreinte et conditionnée, et de plus, c’est aux récepteurs de puiser, parmi les multiples marqueurs ou traces et leurs sens déterminés mais aussi appropriés, comme dans le processus à une voie (voir l’Unimodel, point 3.1, page 121), pour interpréter.

Avec le DDG, nous retrouvons cette dimension hybride entre communication et art, de manière transversale. Non injonctif, peu prescriptif, il est un donné à voir du monde, critique. La suggestion du monde social genré est induite par sa version déformée. S’appuyant sur Mallarmé, Eco pointe un trait essentiel de l’œuvre ouverte : « il faut éviter qu’une interprétation unique s’impose au lecteur : l’espace blanc, le jeu typographique, la mise en page du texte poétique contribuent à créer un halo d’indétermination autour du mot, à le charger de suggestions diverses » (Eco, 1965, p. 22). L’œuvre ouverte en art serait-elle œuvre fermée en communication ? Dans notre approche, la réponse est négative : d’une part, l’un et l’autre des champs ont des emprunts réciproques, d’autre part, les créations, d’autant plus celles relevant de notre objet (la lutte contre les violences faites aux femmes), convergent vers une position politique, et enfin, l’approche interactionniste et le processus à une voie (Kruglanski & Thompson, 1999) infirment l’idée d’une co-construction de sens et d’effets « balisés » en amont et « effectifs ». Selon nous, l’ensemble des créations issues du DDG, même ancrées dans le monde de l’art et sans « commanditaire » ou cahier des charges, ce que nous pourrions appeler des « œuvres ouvertes », s’inscrivent dans un mouvement convergent de mise en question des normes de genre, au sens large, et prescrivent une certaine lecture, intentionnellement, bien que celle-ci laisse en réception une amplitude interprétative. La lecture demeure orientée, la prescription étant le questionnement sur le monde social genré, pour les sujets sociaux en réception.

Ainsi, pour investir la réception, il est intéressant d’investir la création.

Ayant pointé le caractère central et croisé des interactions et des intentions dans ce que désigne le processus médiatique et artistique avec le DDG, nous posons que ces deux concepts sont centraux dans notre recherche. En particulier, sur la création, nous notons que les créatifs sont en interaction avec les autres pôles, qu’ils sont dotés d’intentionnalités, qu’ils et elles mettent en action un projet de construction d’un

dispositif. Nos questions sur la création, pour mieux la comprendre et pour mieux comprendre la réception et les formes de DDG, nous conduisent à nous intéresser à deux éléments : les processus créatifs et les intentions, en particulier persuasives, de ces dispositifs qui visent à produire un effet possible, ayant une lecture prescrite dans l’œuvre relativement ouverte.

Nous prenons pour appui ici des recherches empiriques ayant mobilisé des théories qui nous semblent appropriées dans l’étude de la création et des créatifs, qui s’inscrivent dans le domaine des SIC (Courbet & Fourquet-Courbet, 2005; Courbet et al., 2017; Fourquet-Courbet et al., 2007). Nous le verrons dans la partie des méthodologies (voir troisième partie, points 1.2 et 1.3, page 202), il est possible de coupler une approche communicationnelle et phénoménologique pour accéder aux processus créatifs et intentions, notamment persuasives, pour étudier ces créations plutôt communicationnelles, plutôt artistiques, et les hybrides.

La création est ainsi envisagée, pour l’étudier, à travers les « processus psychologiques sous-tendant la créativité », visant à « mieux comprendre les processus de créativité se déroulant « dans l’esprit » des créatifs » (Courbet et al., 2017). Les questions qui se posent sur la création et leurs auteur·e·s sont : « quels sont les cognitions, cognitions sociales, processus cognitifs et socio-cognitifs impliqués dans l’acte créatif des concepteurs de messages de communication persuasive ? ».

Si nous avons vu que dans la création communicationnelle et artistique, il y a des intentions et des buts, cette idée de processus est aussi partagée. Les SIC évoquent des processus, en particulier cognitifs et affectifs, en art, que nous retrouvons : « un certain nombre de processus mentaux, sensibles, émotionnels, généralement non verbaux » (Couchot & Lambert, 2016, p. 40). De même, quand en SIC est pointé, concernant la créativité publicitaire, « l’élaboration de réponses originales et imaginatives à des problèmes lors de la conception de message » (Courbet et al., 2017), les arts parlent « d’une confrontation singulière de l’artiste au réel qui, à travers notamment l’articulation de percepts, affects et la façon dont ils s’articulent à son imaginaire, l’oblige à se départir des routines pour tenter d’appréhender ce qui lui pose problème » (Couchot & Lambert, 2016, p. 48).

Ainsi, en plus de la littérature et de l’analyse du DDG (ses formes dans les dispositifs de DDG), nous allons étudier les créatifs. Ce sont, par leur activité de création, les créatifs qui sont à même de nous éclairer. A travers les interactions et les intentions, nous nous intéressons aux représentations sociales et théories naïves mobilisées, d’autant qu’à travers la création de DDG, elles sont centrales. Il s’agit en effet de réécrire un monde social perçu, une réalité par une autre. Ces deux concepts permettent ainsi d’accéder aux supports de la création détournement et genre.

Nous nous intéressons donc, de manière socio-pragmatique, aux processus créatifs, tels qu’il s’agit des « processus de décision au cours de la production » à l’aide « de représentations sociales et de théories implicites » (Courbet & Fourquet-Courbet, 2005),

soit les « savoirs courants (…) socialement élaborés et partagés par un groupe d’individus » et « des théories non scientifiquement fondées auxquelles les acteurs sociaux ont recours pour expliquer la réalité sociale ». Par ailleurs, nous nous appuierons, quant aux processus créatifs, sur ceux de l’hypertextualisation (Genette, 1982) et du hacking du

genre (Dayer, 2014).

Cette application, opérationnalisation, de l’étude des processus créatifs n’oublie ni les intentions persuasives, ni l’inclusion des publics dans le processus de création, telles que nous les avons définies.

3. Etudier la co-construction de sens en réception : les