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CHAPITRE 1. Etude empirique des formes de DDG

2. Les critères de la collecte de dispositifs de DDG

2.1 Critères premiers : DDG et lutte contre les violences

Dans l’absolu, notre premier critère de collecte de dispositifs est qu’ils mobilisent le DDG comme stratégie créative, selon la définition que nous avons donnée, inspirée à la fois des notions connexes dans la littérature, du genre comme construit, du détournement comme hypertextualité.

Ensuite, notre première préoccupation est de nous intéresser à des formes de DDG dans des dispositifs ayant pour axe la lutte contre les violences faites aux femmes. Ces dispositifs visent à lutter contre les violences faites aux femmes, dans toute l’amplitude définitionnelle que nous avons donnée : ces violences peuvent revêtir toutes formes de violences visant les femmes, considérant que sexisme et discrimination font aussi violence, et que le sexisme participe et constitue le système du genre et des violences. Le genre vise à être déconstruit, dénaturalisé.

Enfin, en renfort de cette première préoccupation, les intentions (que nous pouvons) inférées à la création sont de s’inscrire dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Il s’agit de porter une attention particulière aux intentions, aux significations du dispositif, mais aussi au diffuseur et au contexte de diffusion. Cette analyse passe aussi par le filtre des lectures répétées des dispositifs, inférences d’écriture et de lecture, et lecture de l’état de l’art. En ce sens, des dispositifs seront exclus de notre collecte, et nous préciserons ce choix à travers leurs analyses.

2.2 Critères préalables : contre-pied de la communication de l’Etat

français

Nous cherchons des dispositifs, au-delà du DDG dans la lutte contre les violences, qui vont prendre le contre-pied de la communication de l’Etat français, et de ses limites constatées (pour le détail, voir première partie, points 3.2, page 58). Nous rappelons ces

manques, puis les critères que nous retenons dans la collecte, qui visent à prendre le contre-pied de ces manques.

Une première limite de la communication de l’Etat français dans la lutte contre les violences, est qu’elle se focalise, en majorité, sur les violences conjugales, principalement physiques123.

Notre premier critère sera donc de chercher des dispositifs de DDG qui traitent non seulement de ces violences conjugales, mais aussi de toutes les autres formes de violences que nous pourrons trouver : violences sexuelles, sexisme, harcèlement, prostitution… En somme, la collecte de dispositifs de DDG diversifie et inclut les formes dénoncées, dont les violences conjugales, mais aussi toutes formes de violences genrées, telles que les envisagent les créatifs.

La seconde limite pointée de la communication de l’Etat français est l’absence d’hommes dans le champ (de la caméra, du cadre de l’affiche) et en tant que cible de communication. Notre second critère, double, sera de nous intéresser à des dispositifs de DDG incluant les hommes dans le champ et dans la cible de communication. Ces hommes, dans le champ et en tant que cible, peuvent être auteurs de violences ou non.

2.3 Autres critiques de la communication de l’Etat et DDG

Deux autres limites à la communication de l’Etat français ne composent pas, en soi, et en contrepartie, des critères de sélection de dispositifs de DDG.

La première limite est que, souvent, les femmes ont pour injonction de briser le silence, et sont par ailleurs privées d’agentivité. La seconde limite est que seul l’acte violent individuel est montré, les dimensions collective et structurelle en sont éludées.

Si nous n’avons pas de critère qui vienne s’opposer à celui de l’injonction, en revanche, nous supposons que le DDG, a priori, peut participer à prendre le contre-pied du manque lié à la deuxième limite i.e. au fait de ne montrer que l’acte, éludant la dimension collective. En effet, possiblement, le DDG pourrait participer à lier aux actes violents la dimension collective des violences : en s’attaquant aux représentations, codes, normes, il pourrait illustrer, au-delà des actes montrés et dénoncés, la dimension collective à laquelle se rattachent ces actes et comportements violents. Ce n’est pas tout. La question du statut des créatifs de dispositifs de DDG, en particulier celui des associations, peut participer à prendre le contre-pied de cette individualisation du problème. C’est ce que nous développons ci-après.

123 Nous l’avons vu en première partie, point 1.1.3 page 43, la communication de l’Etat français s’est

concentrée sur les violences conjugales considérant l’ampleur du phénome révélé par l’ENVEFF en 2001. Ces violences constituent toujours une problématique centrale, considérant le Grenelle sur les violences conjugales et aux regards des 105 féminicides qui ont eu lieu en France entre le 01/01/2019 et le 18/08/2019.

2.4 Statut des créatifs : associations mais aussi artistes

Puisque notre analyse porte sur des manques de la communication de l’Etat, nous avons cherché à constituer majoritairement une base de données de dispositifs issus de la société civile. Il s’agit de s’intéresser à la communication d’autres organisations, non étatiques, bien que ce critère ne soit pas exclusif.

Collecter des dispositifs de la société civile permet aussi de prendre le contre-pied d’un manque de la communication de l’Etat. En effet, Hernandez Orellana et Kunert (2014, p. 62-63) pointent que la construction de la définition des violences, pour l’Etat, « semble toujours s’appliquer aux attitudes et aux comportements individuels (…) c’est toujours de la responsabilité des individus » A l’inverse, pointent-elles, « dans les discours des associations féministes de lutte contre les violences, le cadrage du problème s’effectue explicitement au regard de la dissymétrie des rapports sociaux de sexe et prend en compte sa dimension structurelle. ».

Ainsi, nous nous intéresserons majoritairement à des organisations de type associatif, considérant que leur communication peut traduire cette mise en perspective d’un problème collectif. Ce n’est cependant pas à l’ensemble des dispositifs d’associations que nous nous intéresserons, mais en particulier à ceux du DDG.

Ensuite, nous nous intéressons également à des créations de DDG aussi issues de créations artistiques. C’est davantage la collecte de dispositifs qui nous conduit sur cette voie. Ainsi, les créations qui nous intéressent et constituent progressivement notre base de données sont des créations artistiques et communicationnelles issues de la société civile, constituée ou non en contre-public. Enfin, nous verrons dans nos résultats que les

statuts des créatifs sont des artistes, des associations, mais aussi d’autres organisations

issues de la société civile (des acteurs économiques par exemple) et d’organisations publiques (dans une moindre mesure).

La collecte et l’analyse de dispositifs plutôt communicationnels ou artistiques est possible, nous l’avons décrit dans notre première partie, considérant que la frontière entre créations communicationnelle et artistique peut être poreuse, d’autant qu’elles ont pour trait commun le DDG et la lutte contre les violences faites aux femmes.

Les créations issues de mobilisations sociales féministes ou d’artistes, engagés à différents degrés dans la cause, viennent questionner les frontières entre ces deux champs. Des œuvres qui relèvent de l’engagement artistique viennent questionner « l’autonomie et [les] limites du monde artistique » (Balasinski, 2009). Les artistes peuvent prendre l’art comme support de l’action, « un moyen de véhiculer un message contestataire d’une manière différente, en particulier dans un contexte d’essoufflement et de renouvellement des pratiques contestataires ». Mouvements sociaux et formes de contestations dans le monde de l’art ont des convergences, notamment « des emprunts réciproques des répertoires d’action (scandale, pétition, grève, boycott) au travail similaire de manipulation des symboles ». Par ailleurs, « on retrouve également, au-delà

de l’engagement des artistes et des œuvres », des emprunts du monde militant au monde de l’art, mais aussi « une esthétisation marquée des actions purement protestataires, qui prennent la forme de zaps, actions éclairs inspirées du monde du spectacle, ou encore le

die-in, simulations momentanées de la mort appelant la représentation photographique ».

Cette composition mixte est par exemple mobilisée par Kunert (2012) pour le « dégenrage des codes » -notion connexe au DDG. La chercheure prend appui sur deux dispositifs, l’un d’une association militante, l’autre « action militante sous forme de performance artistique ».

Ainsi, les frontières entre mobilisation et art sont ténues, voire peuvent se confondre : « Ces différents modes d’action, par leur dimension théâtrale et visuelle, ont une visée autant médiatique que d’effet surgénérateur alliant l’efficacité du message à la satisfaction esthétique et entraînent, finalement, une quasi-indifférence entre l’art et l’activisme » (Balasinski, 2009).

2.5 Critère de matérialisation des dispositifs

Nous cherchons des créations matérialisées, au sens où les dispositifs ne sont pas des performances (au sens d’action, mode d’expression artistique, ou que celles-ci soient constituées en dispositif archivable et projetable). Notre intention initiale est de pouvoir envisager ensuite d’étudier empiriquement la création mais aussi la réception, d’où cette contrainte qu’il existe des traces constituées du dispositif. Par ailleurs, nous pensons qu’étudier des formes de DDG matérialisées versus éphémères nous conduirait à une analyse ne relevant plus des mêmes champs théoriques.

Avec l'ensemble de ces critères, nous avons finalement construit une grille a priori délimitant les dispositifs de DDG. Elle aboutit à un corpus de dispositifs de DDG ayant possiblement la capacité d'avoir une influence positive dans le sens de la lutte contre les violences faites aux femmes.