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CHAPITRE 1. Etude empirique des formes de DDG

1. Dessiner des formes de DDG

1.1 Stratégie créative de lutte contre les violences genrées

Nous envisageons le DDG comme stratégie créative, à la fois matériel discursif et visuel, qui vise à manipuler le genre, lui faire prendre un chemin qui contrevient aux attentes formulées sur le monde social (les individus, groupes sociaux, systèmes (sociaux, politiques) et société). Le DDG repose sur la perturbation des relations, normes ou représentations socialement construites, dans une réalité socio-historique située, de ce qui relève du masculin ou du féminin, des hommes ou des femmes (sans que ces bi- catégorisations se superposent exactement (Coulomb-Gully, 2010). Nous envisageons cette stratégie créative dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes.

Le DDG tel que nous l’entendons se concentre autour des problématiques de sexisme et de violences faites aux femmes : inégalités, discriminations et violences genrées. Alors que le sexisme et les discriminations s’inscrivent dans la problématisation des violences faites aux femmes, comme formes de violences, et que le sexisme constitue et permet ce phénomène social des violences genrées, c’est uniquement dans ce cadre que nous investiguons le DDG et donc aussi uniquement par ce prisme que nous le définissons. S’il existe d’autres formes de DDG (dénonçant d’autres violences, n’ayant pas pour visée la lutte contre les violences) nous ne les envisageons pas. Cela ne veut pas dire qu’elles n’ont pas d’intérêt, mais qu’elles s’excluent de cette recherche pour des raisons de logique de constitution d’un corpus, déjà hétérogène, ayant deux points de convergence (les critères premiers) : sur les violences et sur les intentions inférées de lutte contre ces violences. Ces intentions sont, bien entendu, jusqu’ici inférées, par l’analyse. Elles sont réfléchies grâce à une appréciation initiée par une analyse progressive : lecture des dispositifs et inférences d’écriture et de lecture et lecture de l’état de l’art. C’est sous le prisme sémio-

pragmatique, mais aussi avec certainement une certaine prétention immanentiste (Odin, 2011, p. 15-16) que nous avons fait un premier « tri » de dispositifs de DDG. Nous y reviendrons.

1.2 Déconstruire, dénaturaliser et aussi l’expérience d’être au

monde comme savoir

Nous l’avons vu, le DDG, dans la littérature, à travers ses notions connexes, vise à déconstruire le genre : montrer son artificialité, sa non-naturalité, face au processus de naturalisation des normes genrées. Or, selon nous, et d’après ce que nous allons découvrir au fil de cette recherche, ce sont à la fois ces perspectives de déconstruction et dénaturalisation qui sont visées, mais leur support et leur fin orientent notre regard sur un autre versant peu exploré jusqu’alors. Ces formes de DDG, sans être nommées ainsi, sont selon nous des lieux d’expression d’être au monde. Le DDG, tel que nous l’avons envisagé, semble se rapprocher d’une application, d’une opérationnalisation de la phénoménologie et d’une épistémologie féministe.

En effet, les dispositifs que nous présenterons, à travers les critères sélectifs que nous détaillons plus loin, nous ont conduit, sans le savoir initialement, à disposer de ressources visant à faire vivre, voir, entendre, percevoir, montrer, imaginer depuis l’expérience d’être

au monde selon le prisme d’une femme (le personnage) ou des femmes. Ce sont donc

nécessairement des points de vue subjectifs en deux lieux : subjectivité de celui ou celle qui narre l’histoire mise en scène, subjectivité de femmes, lesquelles demeurent ou deviennent le sujet, sujet qui narre son (ses) histoires, sa perspective de ses expériences de vie.

Phénoménologique, le DDG, par son partage de l’expérience d’être au monde en tant que

femmes. Epistémologie féministe, le DDG, par son présupposé que ce point de vue

expérientiel constitue un savoir sur le monde. Ce savoir sur le monde, parce qu’il est celui d’être au monde, devient un levier persuasif.

Ainsi, il ne pourrait pas s’agir uniquement d’envisager le DDG comme l’état de l’art le met en exergue, par la performativité du genre, mais aussi par la porte de l’expérience genrée. En effet, si jouer le genre et se jouer du genre peut être le levier du détournement,

jouer l’expérience genrée d’être au monde l’est aussi. Dans ces deux perspectives, ce sont

à la fois les interactions individuelles, mettant en jeu le soi et l’autre, mais aussi les interactions de soi avec la réalité socio-historique dont il est question.

Dans nos premiers présupposés de chercheure, la combinaison de plusieurs facteurs - DDG, inclusion des hommes dans le champ et en tant que cibles, diversification des violences- nous pensions que ces dispositifs visaient à sensibiliser les hommes, majoritairement. Puis, cette idée initiale n’a pas toujours trouvé écho dans nos lectures et analyses. Y-aurait-il une intuition ici erronée de départ ? Y-aurait-il une gêne des créatifs à dire publiquement ou à vouloir toucher un public d’hommes, connaissant les réticences à mettre la focale sur eux, quand le féminisme est envisagé comme un mouvement

émancipateur et par, et pour les femmes ? Finalement, nous nous sentions inconfortable dans nos propres positions de chercheure et de féministe. Or, il s’avère que le DDG, loin d’être exclusif des femmes ou des hommes, serait plutôt une stratégie créative très inclusive : un levier pour que tou·t·e·s puissent y avoir et voir un intérêt. Si nous ne pensons pas qu’il puisse y être déterminé deux réceptions sexuées différenciées, car ce serait revenir à l’idée d’une séparation femmes-hommes et d’un collage identique féminin/masculin, nous pensons qu’il y a une réception variable selon les expériences d’être au monde, incluant donc le contexte socio-politique culturel, mais aussi les interactions au cours de la vie, les expériences, et enfin, la sexuation des individus, qui jouent nécessairement dans et par ces interactions, expériences et contextes.

1.3 Atouts, faiblesses et hypertextualisation

Si le genre n’a pas de version originale -il est une imitation d’imitation- nous avons vu que les notions connexes au DDG reprennent des objets collectifs, partagés, comme les clichés, les codes, les stéréotypes, comme base ensuite parodiée, dégenrée, troublée. En somme, il est possible de constituer un hypotexte au genre, bien que celui-ci ne soit jamais une version originale, puisque le genre est déjà une imitation, une parodie.

Notre propos ici sera double : d’une part, nous pointons ce qui, dans les formes connexes, relève des atouts et des limites dans le sens de la déconstruction et de la dénaturalisation du genre. D’autre part, nous nous appuyons sur l’approche de l’hypertextualité développée par Genette pour envisager le DDG, considérant qu’il existe un hypotexte, un processus de réécriture, l’hypertextualisation, et un objet détourné, l’hypertexte. Ces deux éléments nous conduiront directement à présenter les critères préalables à la constitution du DDG, ce qui nous sert de guide, et répond à notre première question de recherche, posée plus loin : quel premier tri peut-on faire dans les dispositifs portant le DDG, et ainsi resserrer notre analyse vers des dispositifs de DDG participant à des intentions et à la diffuser un message de lutte contre les violences.

Le principal atout des formes connexes au DDG tient à son but : montrer le caractère construit de la norme, son artificialité, et opposer aux arguments des faits de nature ceux des faits et méfaits de la culture. Le genre étant construit, il peut être déconstruit. Ses autres atouts sont le pendant positif de ses faiblesses.

Ses principales faiblesses, ou limites, sont premièrement que ces formes font sens dans un contexte, une réalité socio-historique située. La référence à un original doit faire sens, et participer à se rendre compte que cet original n’en est finalement pas un : que ce que

l’on croyait être une version originale était en fait déjà une supercherie. Ceci n’est ni une

faiblesse, ni une limite, mais une condition d’existence.

Les principales limites sont donc que les transgressions partent de l’intérieur du système qu’elles critiquent : conditions d’existence -rares sont les transgressions en

dehors du système de pensée dominant- mais aussi risque de réifier la norme qu’elles

retournement de l’arme contre l’agresseur (à un niveau conceptuel ici), d’un côté négatif, réification de la norme, réintégration du mythe, action dans des logiques de correction et non de renversement. Plus encore, la transgression peut être condamnée, récupérée et appropriée par la cause adverse et le genre réassigné. Par ailleurs, l’asymétrie entre féminin/masculin pose question dans le DDG : féminiser, sans lier cet acte à une réduction,

infériorisation ; masculiniser, sans que l’acte devienne synonyme de valorisation.

Enfin, et cette réflexion sur les limites nous conduit au point de départ et au point suivant : la réécriture, et la compréhension, dans le sens visé de lutte contre les violences, de l’hypotexte, soit la base créative.

Si le terme détournement est souvent envisagé négativement, comme une soustraction, comme une perte ou un dommage, nous pensons que le détournement ajoute aussi à son objet initial. Et s’il substitue un objet à un autre, c’est pour mieux voir l’ensemble des deux objets. Détourner nécessite par ailleurs de connaître l’objet ou sujet de départ pour lui faire parcourir un nouveau chemin et ajouter du sens au sens initial.

C’est en ce sens que nous envisageons le DDG, à l’instar de Dayer qui pointe l’analyse du sexisme préalable avant l’étape de piratage, ou à l’instar de Genette, lequel s’est longuement penché sur les différentes imitations et transformations -l’hypertextualité- dans la littérature. C’est de cette base théorique, développée par ailleurs en point 3.4, page 97, que s’inspire notre travail et analyse des formes de DDG.

1.4 Ouverture, question et limites de forme(s)

Souvent, dans la littérature, la parodie n’est pas envisagée comme un moyen subversif ou radical, par ses limites, par le fait qu’elle ne sort pas du système qu’elle dénonce. Il est par ailleurs parfois fait mention que la parodie, le détournement, peuvent constituer une première étape dans le processus de reconnaissance du sexisme et violences.

Il devient donc intéressant de se poser la question des formes de DDG. Puisque « en soi, la parodie n’est pas subversive » pour Butler « il faut encore chercher à comprendre comment certaines répétitions parodiques sont vraiment perturbantes » (Butler, 1990, p. 262-263). Ce sera donc notre premier travail, de dessiner des formes de DDG, pour, dans un premier temps, comprendre quelles formes de DDG existent, avec l’ensemble des conditions que nous avons posées (intention et message dans le sens de la lutte, stratégie créative de DDG, diversification des violences, inclusion des hommes dans le champ et dans la cible). Bien que Butler exprime que « faire une typologie des actions ne serait vraisemblablement pas suffisant122 » elle sera notre première étape avant de nous

engager dans la création et la réception du DDG.

122 « (…) Faire une typologie des actions ne serait vraisemblablement pas suffisant, car la déstabilisation

parodique, même le rire parodique, dépend d’un contexte et de condition de réception qui permettent d’entretenir les confusions subversives » (Butler, 1990, p. 262-263).

Par ailleurs, nous l’avons aussi compris du point de vue de Genette (1982) : la construction taxinomique des formes d’hypertextualité permet l’exploration, mais l’analyse rend les frontières floues. De plus, dans le cadre de notre approche interactionnelle des trois pôles, et considérant la particularité du détournement à placer la réception en son centre, l’étude en réception, suivant celle de la création, enrichira toute l’analyse. Ainsi, cette première décomposition « défriche » l’étendue du DDG plus qu’elle ne la fige ou ne la catégorise.

Aussi, devançant nos questions de recherche, notre objectif est de nous demander comment répertorier ces formes de DDG, d’en proposer une méthodologie et une analyse qui en dessinent des traits, comme un croquis. Celui-ci ne sera pas, en soi, une œuvre que nous jugerons finie, mais un point de départ pour les analyses, ensuite, de la création, de la réception et d’une sélection de formes de DDG et de dispositifs.