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Le détournement du genre (DDG) : hypertextualité du genre et des violences faites

CHAPITRE 3. Le détournement du genre (DDG) pour lutter contre les violences faites au

3. Le détournement du genre (DDG) : hypertextualité du genre et des violences faites

Le travail de notre thèse vise à étudier, dans le champ de la lutte contre les violences faites aux femmes, une stratégie créative que nous avons qualifiée de détournement du genre (DDG). Nous présentons ci-après la définition que nous en donnons. D’une part, elle s’inscrit dans la définition convergente des nombreuses définitions de la littérature et, d’autre part, invite une autre approche théorique : l’hypertextualité.

3.1 Définition du DDG

Le DDG, tel que nous l’envisageons, est une stratégie créative qui vise à réécrire, à travers le genre, les violences faites aux femmes. Il s’oppose au processus de construction asymétrique des relations femmes-hommes, dans le but de lutter contre les violences genrées envers les femmes et illustre la performativité du genre.

Ces violences recoupent celle du continuum de violences, dans différentes sphères et prenant différentes formes. Elles incluent les formes de discrimination et d’inégalité faisant elles aussi violence dans le système de genre. Le DDG tel qu’il nous intéresse, s’insère dans une visée de déconstruction du genre à travers des communications et créations persuasives, voire réflexives, d’intérêt général, sociale et politique. Ces dispositifs servent un discours d’influence, déclaré féministe, militant, ou non, et d’un discours encadrant le dispositif construit a priori ou a posteriori.

Le DDG repose sur une double lecture : celle d’une version initiale, a priori, du genre et des violences faites aux femmes ; et celle d’une version détournée, qui se lisent par transparence. Ce processus d’hypertextualité consiste à montrer l’artificialité de la norme : si la version détournée est une parodie, sa version originale l’est aussi. La « norme » est un artefact, des rôles sans cesse joués, sans nature si substance (Butler, 1990) et un processus de construction asymétrique des relations femmes hommes (Delphy, 2013).

En somme, lorsque nous évoquerons le DDG, il s’agira de l’envisager tel que nous le définissons ici succinctement, et au regard des éléments théoriques de cette partie, comme : perturbations des relations, normes ou représentations socialement construites, dans une réalité socio-historique située, de ce qui relève du masculin ou du féminin, des hommes ou des femmes, sans que ces bi-catégorisations se superposent exactement

(Coulomb-Gully, 2010). Cette stratégie créative hypertextualise, au sens de Genette (1982), le genre, par une réécriture qui transforme et imite un hypotexte vers un hypertexte. Par ces leviers, les intentions des créatifs pourraient différer de la communication étatique : « saisir » les violences par le prisme du genre, mettre la lumière sur les femmes et les hommes (dans le champ et dans la cible) et se différencier de l’injonction. Le DDG en tant que stratégie créative pose des questionnements et met en jeu à la fois les interactions interindividuelles mais aussi le collectif, partant d’un point de vue situé, celui des « femmes » en tant que femmes, dans une perspective féministe et visant à déconstruire le genre. Il est aussi, en tant que stratégie créative, un processus interactionnel et social : il met en discussion la création, la réception et le dispositif, dans un cadre socio-historique situé, jouant des horizons d’attentes (sur la lecture, sur le genre) et d’une contractualisation de ces interactions.

Nous envisageons le DDG sous certaines conditions, des critères premiers. D’une part, les violences faites aux femmes, au sens large, qui incluent les inégalités et discriminations, sont l’objet des dispositifs que nous étudions. D’autre part, les intentions des créatifs, tels que nous pouvons les inférer, relèvent d’une volonté de lutter contre les violences faites aux femmes, considérant le genre comme construit, donc dans une relative critique du genre et du genre comme objet critique.

De plus, nous ajoutons une seconde série de critères préalables, qui font écho aux manques de la communication de l’Etat français de lutte contre les violences. Ainsi, nous appréhendons le DDG à travers des dispositifs qui incluent les hommes dans le champ et dans le public-cible. Nous nous intéresserons aux DDG à travers des dispositifs qui visent à lutter contre toutes formes de violences envers les femmes, y compris conjugales, sans se restreindre à celles-ci.

Nous retrouvons ces critères -premiers et préalables- dans la deuxième partie, qui s’intéresse aux formes de DDG, que nous étudions à travers une base de données construite : une collecte puis une systématisation des dispositifs de DDG.

Nous explicitons les bases théoriques sur lesquelles repose le DDG visant à lutter contre les violences en nous intéressant à des dispositifs de DDG ayant des critères préalables.

3.2 Critères de limitation du champ d’étude du DDG : inclure les

hommes

Alors que nous étudions le DDG, notre perspective est aussi d’étudier des dispositifs qui prennent le contre-pied des manques de la communication de l’Etat français contre les violences faites aux femmes.

Nous serons plus extensive et précise sur ces critères dans la partie dédiée à l’étude des dispositifs (seconde partie, point 2., page 137). Cependant, nous précisons dès

maintenant ces principaux critères, puisqu’ils limitent notre champ d’action d’étude du DDG.

D’une part, nous nous intéressons aux dispositifs de DDG visant à lutter contre les violences faites aux femmes qui incluent, dans le champ de la caméra (ou dans le cadre de l’affiche) les hommes. Ensuite, ces dispositifs devront également viser à inclure, dans la cible de communication (ou plus largement, le public-cible du dispositif), les hommes.

3.3 Le détournement, une veine contestataire et de remise en

question

Le détournement, le DDG et les notions connexes s’inscrivent dans une veine contestataire. Par exemple, Kunert (2012) note que « la pratique du « dégenrage des codes » s’inscrit dans une longue tradition militante, on en trouve déjà l’expression dans les premiers textes du mouvement de libération des femmes au début des années 1970 ».

A ce titre, nous pouvons mentionner l’ouvrage « MLF // Textes premiers » (Bernheim, 2009), dont la première partie débute avec un slogan de cette deuxième vague : « un homme sur deux est une femme ! ». Le détournement du genre, proche de la parodie, a un héritage lointain. La parodie est notamment documentée par Genette (1982), traçant son histoire depuis Aristote à la confusion régnant aujourd’hui sur le concept, ou par Trépanier-Jobin (2013), qui en retrace longuement les lignes, autour de la notion de « parodie de genre ».

Le détournement prend ses racines contemporaines (souvent associées à l’anticapitalisme) dans ce que l’on appelle la contreculture, notamment sur le détournement publicitaire ou « antipub », développé dans la fin des années 1970 aux Etats-Unis, mouvement qui a ensuite voyagé, notamment en France. Ces actions relèvent d’une critique, d’une contestation contre la communication « produit ». Le journal

Adbuster et la fondation éponyme ont ainsi vu le jour au Canada en 1989, définissant leurs

publications comme « the most provocative, emotionnally stirring and heretical ideas in the

geopolitical, environmental, psychological, activist and social arenas106 ». Ce mouvement

ne focalise pas son action sur les seuls espaces publicitaires, mais sur une critique sociétale.

De la manière dont il est envisagé aujourd’hui, le détournement hérite aussi du situationnisme des années 1950. Debord et Wolman, deux figures de l’international situationniste, ont rédigé le « Mode d’emploi du détournement» (Debord & Wolman, 1956) dans lequel l’inversion comme forme de détournement constitue « l'ultra- détournement, c'est-à-dire les tendances du détournement à s'appliquer dans la vie sociale quotidienne. (…) Le détournement par simple retournement est toujours le plus immédiat et le moins efficace. Ce qui ne signifie pas qu'il ne puisse avoir un aspect 106 Traduction libre : « [nous publions] les idées les plus provoquantes, émotionnellement vibrantes et

hérétiques des sphères géopolitique, environnementale, psychologique, activiste et sociale]. ») https://www.adbusters.org/about/submissions, consulté le 05.05.2015

progressif. (…) C'est évidemment dans le cadre cinématographique que le détournement peut atteindre à sa plus grande efficacité, et sans doute, pour ceux que la chose préoccupe, à sa plus grande beauté. (…) Enfin, quand on en arrive à construire des situations, but final de toute notre activité, il sera loisible à tout un chacun de détourner des situations entières en en changeant délibérément telle ou telle condition déterminante ».

Poursuivant, dans le champ de l’art, le détournement est proche des ready-made de Duchamp. Dans une lettre envoyée à sa sœur, il écrira « Ici à New-York, j’ai acheté des objets d’un style similaire et les ai appelés « Ready-made ». Tu connais suffisamment l’anglais pour comprendre le sens de « déjà terminé » que j’ai attribué à ces objets » (Duchamp, cité par Mink, 2004, p. 57). Avec ces ready-made, il s’agit de « l’élimination par Duchamp de la qualité individuelle et manuelle de l’art » (Mink, 2004, p. 63) Il s’agit bien, peut-être nous l’exprimerons trop simplement, d’une (dé)connexion entre l’œuvre et l’artiste, de questionner ce qu’est l’art et d’une transposition (modifiée à différents degrés) d’un objet de son contexte. Le détournement, c’est aussi, dans l’art, le surréalisme de Magritte, décrochant la représentation de l’objet, avec sa célèbre pipe, qui n’en est pas une. Ceci n’est pas une pipe : ici aussi (dé) connexion, cette fois entre la représentation et l’objet : « comme s’il convenait pour chacune de ces œuvres d’intégrer en elles-mêmes quelque chose qui les nie, les dénonce, des mots peints, ou bien des évidences paradoxales renforcées par un titre pour dire : « ce n’est pas ça, ce n’est pas ce que tu vois, ce n’est pas ce que tu crois :  ceci n’est pas l’image » » (Massat, 2017).

3.4 Le détournement, une hypertextualisation du genre

3.4.1 Le DDG, un processus de réécriture

Avec le détournement, nous nous sommes intéressée, dans le champ de la littérature, à l’hypertextualité (Genette, 1982). Additionné au concept de genre, objet du détournement, nous nous sommes aussi intéressée à l’idée de Hacker, pirater, le genre en tant que construit (voir point 1.6, page 83).

En nous appuyant sur l’hypertextualisation, nous mettons en perspective que l’objet détourné (une œuvre chez Genette, le genre chez Dayer) est un construit initial, humain et social. Il est nécessaire de connaître l’œuvre ou le système initial, afin de l’imiter, de le transformer pour en proposer une nouvelle version, visant à lire la version détournée et par transparence, la version initiale.

Par la richesse de ses apports, c’est à travers l’hypertextualité que nous envisageons le DDG, dans une visée de lutte contre les violences faites aux femmes.

L’hypertextualité désigne ainsi « toute relation unissant un texte B (que j’appellerai

hypertexte) à un texte antérieur A (que j’appellerai, bien sûr, hypotexte) sur lequel il se

Le DDG devient ainsi les relations unissant une version détournée à une version initiale du genre, à la fois construit socialement et construit par le regard du créatif qui le transforme ou l’imite.

Si l’ouvrage s’intéressant à l’hypertextualité de Genette a pour titre Palimpsestes, ce mot désigne « un parchemin dont on a gratté la première inscription pour en tracer une autre, qui ne la cache pas tout à fait, en sorte qu’on peut y lire, par transparence, l’ancien sous le nouveau ». Ce dédoublement de la lecture, la transparence entre nouvelle et précédente expression du genre, constitue le pivot central du DDG. De plus, l’hypertexte, ou le DDG, ne prévient pas nécessairement, a priori, de sa contrefaçon, bien que des indices soient présents, notamment paratextuels (Genette, 1982, p. 17). Une première « intuition » de recherche peut être formulée (le terme d’intuition étant préféré à hypothèse dans la mesure où il correspond à notre démarche abductive –Anadón & Guillemette, 2007) : le DDG, à travers le dédoublement de la lecture et la découverte du caractère hypertextuel du dispositif peut susciter un certain inconfort, et notamment « un inconfort émotionnel [qui motive l’individu] à retrouver un état de bien-être » (Fointiat, Girandola, & Gosling, 2013, p. 5). Cet inconfort se définit comme « un état émotionnel négatif (i.e., l’inconfort psychologique) » (Martinie & Priolo, 2013).

Un des problèmes liés à l’hypertextualité est de se demander ce qui en relève, ou non. Comme le souligne Genette, il y a toujours évocation d’un autre texte dans un autre, on pourrait alors dire que toutes les œuvres sont hypertextuelles. « Certaines le sont plus que d’autres. (…) Moins l’hypertextualité d’une œuvre est massive et déclarée, plus son analyse dépend d’un jugement constitutif, voire d’une décision interprétative du lecteur ». C’est donc ici un point limite : pour les formes de DDG les « moins hypertextuelles », l’interprétation prend davantage de place dans l’analyse.

La démarche de Genette, que nous adoptons pour le DDG, est ainsi d’aborder dans un premier temps « l’hypertextualité par son versant le plus ensoleillé : celui où la dérivation de l’hypotexte à l’hypertexte est à la fois massive (…) et déclarée, d’une manière plus ou moins officielle ». Puis, dans un second temps, « il faudra donc aller sensiblement plus loin, en commençant par ces pratiques manifestes et en allant vers de moins officielles »

Autre élément important dans le concept d’hypertextualité, Genette envisage « la relation entre le texte et son lecteur d’une manière plus socialisée, plus ouvertement contractuelle, comme relevant d’une pragmatique consciente et organisée » plutôt que de se situer dans une herméneutique littéraire ou textuelle. Cette vision et approche contractuelle fait écho à la fois à la forte dimension interactionnelle de l’hypertextualité, du DDG ; aux horizons d’attentes et aux compétences de lecture ; et à sa dimension contractuelle.

3.4.2 Interaction, horizon d’attente, compétence de lecture et contrat

Ainsi, nous considérons la dimension interactionnelle à travers l’ouvrage, ou le genre, et sa version réécrite, qui implique une double lecture. Il s’agit d’« une lecture spécifique de va-et-vient entre texte passé et texte nouveau » (Connan-Pintado, 2009).

Le point des horizons d’attentes est également central. Nous l’avons vu à travers les

attentes sur le genre (Damian-Gaillard et al., 2014). Il s’agit aussi, dans le champ littéraire

de « l’horizon d’attente du lecteur, et donc la réception de l’œuvre ». Genette (1982) parle ici des attentes quant au genre de l’œuvre (poésie, roman, …).

Cet horizon d’attente, en réception, désigne que « le texte nouveau évoque pour le lecteur (ou l'auditeur) tout un ensemble d'attentes et de règles du jeu avec lesquelles les textes antérieurs l'ont familiarisé et qui, au fil de la lecture, peuvent être modulées, corrigées ou simplement reproduites » (Jauß, 1978, p. 56). L’horizon d’attente, en lecture, est une « précompréhension du monde et de la vie dans le cadre de référence littéraire impliquée par le texte. [Il] inclut les attentes concrètes correspondant à l’horizon de ses intérêts, désirs, besoins et expériences tels qu’ils sont déterminés par la société et la classe à laquelle il appartient aussi bien que par son histoire individuelle (…) [et] qu’à cet horizon d’attente concernant le monde et la vie sont intégrées aussi déjà des expériences littéraires antérieures » (Jauß, 1978, p. .284). Or, l’horizon d’attente peut être perturbé : « La distance entre l’horizon d’attente préexistant et l’œuvre nouvelle dont la réception peut entraîner un “changement d’horizon” en allant à l’encontre d’expériences familières ou en faisant que d’autres expériences, exprimées pour la première fois, accèdent à la conscience, cet écart esthétique, mesuré à l’échelle des réactions du public et des jugements de la critique (succès immédiat, rejet ou scandale, approbation d’individus isolés, compréhension progressive ou retardée), peut devenir un critère de l’analyse historique » (Jauß, 1978, p. 58). Si ici l’auteur semble évoquer des lecteur·trice·s empiriques, son approche reste centrée, avec l’horizon d’attente, à celle du·de la lecteur·trice implicite.

Enfin, le point relatif aux compétences de lecture nécessaires quant à l’hypertextualité, au DDG, fait appel au concept de contrat de communication. Avec les œuvres détournées, la question se pose de la connaissance de la version originale avant celle détournée, mais aussi du champ de connaissances et compétences de lecture. D’une part, sur la connaissance de l’hypotexte : « On peut certes lire le Chapelain décoiffé sans connaître le Cid ; mais on ne peut percevoir et apprécier la fonction de l’un sans avoir l’autre à l’esprit, ou sous la main. Cette condition de lecture fait partie de la définition du genre [l’hypertextualité], et -par conséquent, mais d’une conséquence plus contraignante que pour d’autres genres – de la perceptibilité, et donc de l’existence de l’œuvre » (Genette, 1982, p. 31).

D’autre part, Genette envisage « la relation entre le texte et son lecteur d’une manière plus socialisée, plus ouvertement contractuelle, comme relevant d’une pragmatique consciente et organisée ». Il y a une forme de contractualisation de la situation de communication, asynchrone, puisque auteur·e et récepteur·trice ni ne se situent, ni n’exercent en même temps les actes d’écriture et de lecture, où il est reconnu certaines conditions à l’échange.

Dans la création et la réception de dispositifs, en général, et particulièrement avec le DDG, il y a bien ici des co-constructeur·trice·s de réalité, à travers les interactions, les horizons d’attentes et l’inférence d’une certaine compétence de lecture, qui lient les partenaires de l’échange. L’écart esthétique mentionné par Jauß n’est autre que la co- construction des sens, d’enjeux et buts qui lient des partenaires à l’interlocution, en différé. C’est ce que l’on appelle le contrat de communication, qui nécessite, à l’instar des compétences de lecture, que les partenaires se reconnaissent mutuellement le statut d’interlocuteurs « valables » et « potentiels » dans l’échange (Ghiglione, Landré, Bromberg, & Molette, 1998, p. 20).

3.4.3 L’importance de la réception

A travers ces éléments, nous pensons avoir illustré l’importance de la réception des œuvres hypertextuelles, et donc du DDG : objet de lutte contre les violences, dimension contestataire, processus de réécriture visant une double lecture, dimensions interactionnelles, horizons d’attentes et approche contractuelle.

Cette réception s’envisage d’ailleurs empiriquement. En effet, la question de la capacité du DDG, ou pour reprendre Butler, des parodies de genre, à être subversives, est conditionnée à cette approche.

« Faire une typologie des actions ne serait vraisemblablement pas suffisant, car la déstabilisation parodique, même le rire parodique, dépend d’un contexte et de conditions de réception qui permettent d’entretenir les confusions subversives. Il est évidemment impossible de savoir à l’avance ou exactement quelle performance inversera la distinction entre l’intérieur et l’extérieur et forcera à repenser radicalement les présuppositions psychologiques de l’identité de genre et de la sexualité » (Butler, 1990, p. 262-263).

Butler exprime ainsi qu’une étude a priori des effets des performances serait caduque. Par ailleurs, comme l’explique Genette, la taxinomie des formes d’hypertextualité permet l’exploration, mais l’analyse, même construite, rend les frontières floues.

3.4.4 Imitation, transformation et régime

Pour Genette, l’hypertexte désigne « tout texte dérivé d’un texte antérieur par transformation simple (nous dirons désormais transformation tout court) ou par transformation indirecte : nous dirons imitation ».

Ainsi, Genette développe, à partir de deux relations (de transformation, d’imitation) de l’hypotexte à l’hypertexte, et de plusieurs régimes (les tons ludiques, satiriques, sérieux, mais aussi humoristique, polémique et ironique) un tableau de différentes formes d’hypertextualité. Il explique que « tout ce qui suit [ce tableau] ne sera, d’une certaine manière, qu’un long commentaire de ce tableau, qui aura pour principal effet, je l’espère, non de le justifier, mais de le brouiller, de le dissoudre et finalement de l’effacer » (Genette, 1982, p. 44).

Ce que Genette qualifie de transformation correspond au « degré de déformation infligé à l’hypotexte » et l’imitation « le degré d’aggravation stylistique » (Genette, 1982, p. 40). Il s’agit des relations qu’entretient l’hypertexte avec son hypotexte.

Quant aux régimes, ils sont six : le ludique « vise une sorte de pur amusement ou exercice distractif, sans intentions agressive ou moqueuse » (Genette, 1982, p. 43) ; le sérieux, lequel ne dégrade pas, mais transforme ou imite sur le même sujet / ton que l’originale. Ces deux régimes s’inscrivent dans ce que Genette qualifie « les façons de n’être pas satirique ». Ensuite, ce qui relève du satirique c’est « une fonction critique ou ridiculisante » (Genette, 1982, p. 32). Entre le ludique et le satirique, il y a la fonction de l’ironie ; entre le satirique et le sérieux il y a celle de la polémique ; et entre le ludique et le sérieux, il y a celle de l’humoristique (Genette, 1982, p. 46).

Le choix de notre approche par le détournement et l’hypertextualité est proche des notions connexes issues de la littérature comme les « pratiques discursives militantes » (Kunert, 2012) ou les « productions discursives » (Trépanier-Jobin, 2013) qui s’intéressent aux discours. Notre choix de l’hypertextualité en est proche, au sens où il