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François Chaix

C. La planification du divorce au moyen de la donation

Dans la perspective d’une séparation, les époux peuvent convenir d’une donation de l’un envers l’autre. Cette donation s’inscrit dans le cadre – plus large – d’une convention matrimoniale (infra a) ; elle peut également être prévue aux fins d’obtenir le divorce (infra b).

a. Convention matrimoniale au sens de l’art. 140 CC aa. Objet de la convention

Comme on l’a vu, les époux sont en principe libres de faire tous les actes de disposition entre eux. Ils ont ainsi la faculté de planifier les conséquences de leur divorce par le biais d’un accord privé. Cet accord contient générale-ment des dispositions sur le régime matrimonial (choix d’un régime conven-tionnel au moment du mariage ou pendant l’union conjugale ; modalités de liquidation), sur l’entretien entre époux et envers les enfants (pendant la vie commune et après le divorce), sur les expectatives en matière de prévoyance professionnelle (partage ou renonciation) et sur les expectatives en matière successorale (pacte successoral)64. Ces conventions sont considérées comme

61 Malgré l’abrogation de l’art. 214 CP, le fait d’accuser un époux de commettre l’adultère porte néan- moins atteinte à son honneur au sens des art. 173 ss CP (ATF 6S.5/2007, 14.3.2007 consid. 3.4).

62 Apparemment pour une telle exclusion : Vogt, BSK OR-I, art. 249, N 11.

63 Dans ce sens : Kobel Schnidrig, p. 311.

64 En détail : Courvoisier, p. 203-232 ; Geiser, p. 227-233 ; Meier, p. 291-294 ; Philippe, p. 1246 ss.

Pour un exemple, ATF 5C.114/2003, 3.12.03 : deux mois avant de se marier, un couple a conclu un contrat de mariage – par lequel il adoptait le régime de la séparation de biens –, une convention sur les effets du divorce – qui allouait notamment à l’épouse un entretien de 13 000 fr. par mois et le transfert de la propriété d’un bien-fonds d’une valeur de 2 700 000 fr. – et un pacte succes-soral – qui accordait à l’épouse des expectatives successucces-sorales de 3 900 000 fr. environ.

des contrats. La détermination de l’objet et du contenu des conventions sur les effets accessoires du divorce s’effectue selon les principes habituels en matière d’interprétation des contrats65. Dans la mesure où le résultat ma-tériel de ces conventions s’écarte de la réglementation légale, se pose la ques-tion de savoir si l’on se trouve face à une donaques-tion pour ce qui dépasse les expectatives du droit dispositif. Dans ce travail d’appréciation, le juge doit prendre en compte de manière globale toutes les conventions passées entre les époux66.

Cet accord peut prendre la forme d’une convention de divorce conclue dans la perspective d’une procédure de divorce ou au cours de celle-ci67. Les époux peuvent également souhaiter régler les conséquences de leur éventuel divorce avant même la célébration de leur mariage : on parle alors de conven-tion anticipée. Selon la jurisprudence, il importe peu que ces convenconven-tions aient été conclues avant ou pendant la procédure de divorce, avant ou pendant le mariage68.

bb. Annulation de la convention

En tant que contrats, ces conventions de divorce, qu’elles soient anticipées ou non, sont revêtues de la force obligatoire inhérente à tout engagement contractuel. Une annulation pour vices de la volonté est envisageable69. En revanche, la révocation unilatérale d’une telle convention par l’un des époux est aussi peu admissible que pour un autre contrat70.

Toutefois, en dépit du caractère obligatoire de la convention conclue, rien n’empêche une partie de demander au juge de refuser la ratification et de lui exposer les motifs pour lesquels, selon elle, une ratification ne se justifierait pas71. A teneur de l’art. 140 al. 2 CC, le juge du divorce doit en effet refuser de ratifier les conventions qui ne sont ni claires72 ni complètes73 ou encore qui sont manifestement inéquitables pour l’un ou l’autre des époux. C’est évi-demment l’appréciation de cette dernière notion – qui revient pour le juge à procéder à un contrôle matériel de l’accord des époux – qui fait l’objet de

65 ATF 5C.270/2004, 14.7.05, consid. 5.3.

66 Philippe, p. 1247.

67 Geiser, p. 224 ; Meier, p. 297 ; Philippe, p. 1242.

68 ATF 5C.270/2004, 14.7.05, consid. 4.1.

69 ATF 99 II 359 consid. 3b.

70 ATF 5C.270/2004, 14.7.05, consid. 5.1.

71 ATF 5C.270/2004, 14.7.05 consid. 5.1.

72 FamKomm, Leuenberger / Schwenzer, art. 140, N 12.

La donation entre époux et par les époux controverses74. Lorsque les époux ont des enfants mineurs, le juge applique la maxime inquisitoire : il n’est donc pas plus lié par les termes d’une convention de divorce que par les conclusions des parties elles-mêmes75. La situation est différente en présence d’époux sans enfants mineurs : à notre avis, dans la mesure où une telle convention s’écarte de la réglementation légale en faveur d’un époux et constitue ainsi une donation envers lui, l’autonomie des parties doit être entièrement reconnue. En dehors des cas de révocation propres au droit de la donation (art. 249 et 250 CO), le juge du divorce n’aurait pas à s’im-miscer dans les relations entre les époux.

b. Donation en vue du divorce

Un époux peut-il valablement faire une donation à son conjoint dans le but d’obtenir le divorce ? Cette convention pourra-t-elle être ratifiée par le juge du divorce ? Enfin, une telle donation peut-elle être assortie de conditions (sus-pensives) aux fins d’assurer la survenance de ce résultat ?

La première question pose le problème de l’éventuelle contrariété aux bonnes mœurs d’un tel engagement : en règle générale, la renonciation aux droits issus du mariage, en particulier celui d’être entretenu, est illicite76 ; cette interdiction n’est cependant pas absolue et n’a certainement plus lieu d’être lorsque l’époux concerné se voit attribuer, d’une autre manière, un avantage important : tel pourrait être le cas de l’époux qui – en contrepartie d’une re-nonciation à sa contribution d’entretien – se voit attribuer la jouissance exclu-sive du domicile conjugal77. La seconde question revient à s’interroger sur le caractère équitable de l’accord des époux. Quant à la troisième question, elle consiste à se demander s’il s’agit d’une donation ou de l’exécution de devoirs issus du droit de la famille.

Nous allons étudier maintenant ces trois questions à la lumière d’une récente jurisprudence78. Les faits essentiels peuvent être résumés ainsi.

Peu après avoir déposé une requête commune en divorce auprès du juge français compétent, les époux et un avocat genevois – en qualité de tiers sé-questre – signent à Genève, le 17 mai 2002, une « convention de séquestre amiable

74 Meier, p. 297.

75 FamKomm, Leuenberger / Schwenzer, art. 140, N 15-16 ; Hohl, n. 837.

76 Zufferey-Werro, n. 1501.

77 CJ, SJ 1963 p. 271. Pour les juges cantonaux, cette renonciation aurait été légitime si l’épouse s’était trouvée dans l’appartement au moment de la conclusion de la convention et si elle avait été en mesure de sous-louer une partie de l’appartement. Or, ces deux conditions n’étaient pas réalisées.

78 ATF 5A_438/2007, 20.11.07 rendu à la suite de l’ACJC/694/2007 du 8 juin 2007 (disponible sur le site http://justice.geneve.ch/jurisprudence/CJ/ACJC).

soumise au droit suisse, avec élection de for à Genève ». Au terme de cette conven-tion, le mari s’engage à verser à son épouse la somme de 3 800 000 Euros, ainsi que la rente viagère de 5355 Euros prévue devant le juge français du divorce,

« le tout pour solde de toute prétention de quelque nature que ce soit et à quelque titre que ce soit ». Le versement de ces sommes est soumis à la réalisation des deux conditions cumulatives suivantes : « obtention du jugement de divorce à interve-nir et obtention d’un certificat de non appel dudit jugement ». La levée du séquestre est subordonnée à la remise, au tiers séquestre, du jugement de divorce à in-tervenir et du certificat de non-appel « dans les seize mois au maximum à compter de la signature de la convention ».

Pour apprécier la validité d’une telle convention, il convient de comparer les avantages patrimoniaux accordés de manière consensuelle avec ce que fixerait le juge du divorce en appliquant les règles légales. Cette comparaison s’effectue habituellement de manière abstraite, en fonction de ce qu’aurait dé-cidé un juge du divorce saisi du litige. L’intérêt de la présente affaire réside dans le fait que cette comparaison peut ici être opérée concrètement car le juge saisi du divorce a fixé les conditions financières de celui-ci.

Apparemment dans l’idée d’obtenir un meilleur règlement des effets accessoires de son divorce, l’épouse retire, le 26 septembre 2002, la procé-dure de divorce pendante à Paris. S’en suit une procéprocé-dure de divorce sur requête unilatérale de l’époux qui conduit, le 13 janvier 2005, au prononcé du divorce aux torts partagés des conjoints. A titre de prestation compensa-toire, l’épouse se voit attribuer par le juge français – pourtant informé de la donation convenue à Genève – une somme de 2 000 000 Euros seulement. On peut ainsi comparer la situation financière de l’épouse sur la base de l’accord d’origine (3 800 000 Euros en capital + 1 200 000 Euros environ de rentes via-gères capitalisées, soit en tout 5 000 000 Euros) et celle sur la base du jugement étatique (2 000 000 Euros) et constater que l’accord d’origine la gratifiait de 3 000 000 Euros supplémentaires par rapport à ce que prévoyait le droit du divorce. Quelles conséquences peut-on tirer de ce constat ?

La convention de divorce contenait un élément prépondérant de donation (à raison de 3 000 000 Euros). Pour ce motif, celle-ci pouvait être assortie de conditions (art. 245 al. 1 CO). Si cette convention avait été soumise pour ratifica-tion au juge suisse du divorce (art. 140 CC), celui-ci aurait dû donner une suite favorable à la requête puisque le résultat adopté par les époux n’est pas mani-festement inéquitable79. Pour le même motif, une telle convention est licite au regard des limites posées par les règles sur les bonnes mœurs puisque l’épouse se voyait accorder sous la forme d’un capital un montant plus important que celui fixé par le juge du divorce.

79 On pourrait envisager une dimension inéquitable pour le conjoint qui consent la donation, en

IV. La donation par les époux

Sous réserve des dispositions protégeant les héritiers réservataires (art. 522 ss CC), les époux sont libres de disposer de leurs biens par donation envers des tiers. De telles donations suscitent de nombreuses questions, en particulier sur le sort de la donation après le décès des donateurs. Plutôt que d’examiner ces questions de manière théorique, il nous paraît préférable d’aborder la ma-tière au moyen d’un exemple de jurisprudence : l’ATF 133 III 421 qui a opposé les Consorts arenne à la ille de Genève80.