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François Chaix

C. L’action en exécution des charges a. Titulaire

Les donateurs, respectivement l’époux survivant, peuvent exiger, dans les termes du contrat, l’exécution d’une charge acceptée par le donataire (art. 246 al. 1 CO). Après le décès des donateurs, l’ensemble des droits et obligations de ceux-ci passent à leurs héritiers dès l’ouverture de la succession : c’est la conséquence de l’application des principes de l’universalité (art. 560 CC) et de la saisine (art. 537 al. 1 CC). L’action en exécution de la charge est donc trans-missible aux héritiers du donateur91.

b. Objet de l’action

Il s’agit d’une exécution réelle, visant à l’exécution des charges convenues. En matière successorale, on parle de droit sui generis à l’exécution92.

La question de savoir si cette action peut conduire à l’octroi de dommages-intérêts – fondés sur l’art. 97 CO – en faveur du donateur, respectivement de ses héritiers, est controversée : le Tribunal fédéral l’a admis sans autre

87 ATF 133 III 421 consid. 4.1.

88 ATF 133 III 421 consid. 3. Cavin, p. 188.

89 ATF 133 III 421 consid. 3.

90 Baddeley, CR CO-I, art. 251, N 17 ; Vogt, BSK OR-I, art. 251, N 4.

91 ATF 133 III 421 consid. 3. Vogt, BSK OR-I, art. 246, N 6b.

92 ATF 108 II 278 consid. 4c.

examen pour le donateur lui-même93, alors que la doctrine est partagée sur ce point94. Les auteurs ne se sont pas prononcés sur la question de savoir si les héritiers du donateur étaient en droit d’émettre de telles prétentions. Dans sa dernière jurisprudence, le Tribunal fédéral ne donne pas de réponse, mais ne l’exclut pas non plus95. Comme les moyens à disposition des héritiers pour faire respecter les charges d’une donation sont extrêmement limités96, la me-nace de dommages-intérêts sur la personne du donataire pourrait être un moyen d’exercer une certaine pression sur le donataire pour qu’il respecte les charges convenues. Il resterait alors à déterminer si un dommage est survenu dans le patrimoine des héritiers, ce qui paraît difficile à envisager97.

Il n’est pas non plus possible de conférer aux héritiers un droit de révo-cation en appliquant les règles sur la demeure du débiteur, en particulier les art. 107 et 109 CO, en lien avec l’action en exécution des charges grevant la donation98. Les règles sur l’inexécution des contrats bilatéraux parfaits (art. 107 à 109 CO) ne s’appliquent en effet pas à la donation parce que la donation n’est pas un contrat synallagmatique, parce que le donateur ne se trouve pas dans la position d’un créancier face au donataire et parce que les art. 246 al. 1 et 249 ch. 3 CO sont des règles spéciales destinées à remplacer, dans leur domaine de validité, des règles sur la demeure99. Dans un souci de protection des héri-tiers, la Cour cantonale est arrivée à la conclusion inverse en exposant que le caractère unilatéral de la donation était en l’espèce diminué du fait de l’exis-tence de charges ; par ailleurs, plusieurs auteurs soutiennent que la violation de simples devoirs accessoires peut justifier une résolution du contrat ; enfin, la Cour invoquait les législations allemande et française qui proposent des solutions analogues à la révocation100. Ces développements n’ont visiblement pas suffi et le Tribunal fédéral a privilégié une solution plus stricte.

Il reste encore à examiner pendant combien de temps les héritiers sont en droit d’exercer l’action en exécution des charges liées à la donation.

93 ATF 80 II 260 consid. 4.

94 Pour un état de la controverse : Baddeley, CR CO-I, art. 246, N 1 (plutôt réfractaire à de tels dommages-intérêts) et Vogt, BSK OR-I, art. 246, N 6 (qui admet une telle prétention).

95 « Par conséquent, les héritiers peuvent peut-être prétendre à des dommages-intérêts » (ATF 133 III 421 consid. 4.2).

96 Contrairement au donateur lui-même, les héritiers n’ont en particulier pas la faculté de révoquer la donation pour non respect des charges (cf. supra A.b). Dans cette mesure, le principal argu-ment de Maissen (n. 507) pour écarter la prétention de dommages-intérêts tombe à faux.

97 Maissen, n. 518 relève déjà à juste titre que le non respect des charges n’entraîne pas de dimi- nution du patrimoine du donateur. Il en va a fortiori pour l’héritier du donateur.

98 ATF 133 III 421 consid. 4.2. Sur cette construction : ACJC/38/2007 du 19 janvier 2007 consid. 6.1.

99 ATF 133 III 421 consid. 4.2.

La donation entre époux et par les époux

c. Prescription

Aucune disposition légale ne prévoit la prescription ou la péremption de l’action en exécution d’une charge. Selon le Tribunal fédéral, en rapport avec l’art. 482 al. 1 CC, il est « douteux » que « l’action en exécution des charges puisse, en principe, se prescrire »101. Plus récemment, le Tribunal fédéral a laissé la ques-tion indécise, tout en menques-tionnant l’existence de l’art. 601 CC qui prévoit un délai de 10 ans pour la prescription de l’action du légataire102. La question se pose lorsque la donation ne prévoit pas de durée maximale pour le respect des charges, ce qui était le cas dans la présente affaire où l’acte authentique énonçait que la donation était faite pour assurer l’intégrité et la pérennité de la collection qui devait demeurer inaliénable.

La sécurité du droit plaide assurément en faveur d’une limitation dans le temps de l’action en exécution d’une charge. Certains auteurs proposent le délai maximal prévu en matière contractuelle (art. 127 CO), soit 10 ans dès le décès du donateur103. D’autres auteurs soutiennent que l’action en elle-même n’est pas soumise à prescription, mais qu’elle n’est possible que tant que la charge peut être exécutée ; comme cette question n’est pas non plus réglée dans la loi, il convient de fixer la durée d’existence d’une charge104. Par analo-gie avec les art. 482 al. 1 et 488 CC, la durée maximale pendant laquelle la charge peut être exigée est de deux générations, soit 50 à 70 ans dès le décès du donateur105, voir 100 ans106. Quant à Spiro, il propose des délais différents selon le type de charge convenue : 30 ans pour les obligations sous forme de paiement ou de prestations ; 100 ans pour les limitations dans l’usage ou la disposition de choses107. Enfin, le Tribunal fédéral a fait référence à un délai de 100 ans pour une charge liée à un contrat de vente immobilière ; à ce pro-pos, il a mentionné les art. 749 et 779l CC qui prévoient de tels délais108. Par conséquent, pour des charges liées à une donation, il paraît raisonnable de retenir un délai de 100 ans dès le décès du (dernier) donateur : par rapport au délai « mobile » de 50 à 70 ans, un délai fixe a le mérite de la précision ; il trouve également son fondement dans d’autres dispositions de la loi ; enfin, il est à même de préserver dans le long terme la volonté du donateur. Il s’agit là certainement d’un objectif que doit promouvoir le droit des obligations,

101 ATF 76 II 202 consid. 5, JdT 1951 I 162.

102 ATF 108 II 278 consid. 5a.

103 Baddeley, CR CO-I, art. 246, N 8 ; Cavin p. 189.

104 Steinauer, Successions, n. 595.

105 Vogt, BSK OR-I, art. 246, N 3a ; Staehelin, BSK ZGB-II, art. 482, N 32.

106 Steinauer, Successions, n. 595.

107 Spiro, p. 1285.

108 ATF 4C.346/2000, 16.3.01, consid. 3a.

gouverné qu’il est par le principe de la force obligatoire des conventions (pacta sunt servanda).

La question de savoir pendant combien de temps les héritiers des dona-teurs pourront agir en exécution des charges n’a pas été abordée par le Tribu-nal fédéral dans l’arrêt arenne contre la ille de Genève. Les juges fédéraux ont cependant évoqué cette problématique comme une sorte de consolation pour les héritiers entièrement déboutés de leur action : « Si l’avenir confirmait les appréhensions des héritiers, ceux-ci pourraient encore agir contre la de-manderesse sur la base de l’art. 246 al. 1 CO »109. Si l’on suit notre proposition d’un délai de 100 ans, les héritiers pourront ainsi agir contre la ille de Ge-nève jusqu’en 2102…

V. Conclusion

Au terme de cette contribution, qu’il me soit permis d’en résumer ici les trois thèses principales.

1o La portée de l’adage selon lequel la donation ne se présume point doit être relativisée lorsqu’il s’agit de dispositions entre époux (ci-dessus III.A.b).

2o Malgré la suppression du divorce pour faute, un comportement contraire aux devoirs du mariage – tel l’adultère – peut encore fonder la révocation d’une donation entre époux lorsque les circonstances particulières du cas le justifient (ci-dessus III.B.c).

3o Il est nécessaire de fixer un délai pendant lequel les héritiers d’un do-nateur peuvent agir contre le donataire en exécution des charges dont est grevée la donation. Un délai d’une durée de 100 ans dès le décès du donateur est adéquat (ci-dessus I.C.c).

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