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2. VERS UN IDÉAL DE PAIX

2.1 De la guerre à la paix

2.1.3 La paix

Sous l’angle étymologique, le mot paix vient du latin pax, de pangere: fixer, enfoncer, établir solidement; s’engager et promettre. Pax est un mot lui-même issu du verbe paciscor qui signifie établir un pacte, mais également passer un ordre militaire (Rens, 2002). Le principe même de ce pacte est que chacun s’engage à reconnaitre et à respecter les droits de l’autre. De plus, pour le philosophe Muller (2005), « la paix renvoie spécifiquement au principe de pacte, à un bien que l’on conquiert. » (p. 269) Puis, il approfondit sa pensée et écrit: « La paix est un combat, en ce sens que la paix n’est pas un bien que l’on possède, mais un bien que l’on obtient en luttant. » (Ibid., p. 270)

Pour Guibert-Lassalle et Lemaitre (2009), l’origine du mot paix s’appréhende sous trois angles. Dans son sens premier, il exprime l’idée de stabilité et, de là, fait correspondre la paix à une constante, qui l’enracine solidement dans le temps. C’est sa dimension temporelle. En second lieu, le mot paix fait appel au sens de l’honneur et de la parole donnée, c’est un bien qui exige un engagement, une promesse. Ce sens est corroboré par l’étymologie grecque eiréné de eiro: s’engager, promettre, tenir parole, d’où viendra plus tard irénisme, doctrine qui place la paix au rang de valeur suprême. C’est sa dimension juridique. Enfin, la paix désigne une action et induit qu’il faut agir pour faire la paix. On considère alors qu’elle se construit par un acte de

la volonté, voire une décision prise en toute conscience avant l’action. C’est sa dimension éthique.

Par ailleurs, le mot salaam en langue arabe désigne au sens large la préservation de l’intégrité et renvoie à une forme de paix basée sur un état d’être en dehors de toute crainte et de tout péril, un état d’être indépendant de la notion de guerre. Quant à shalom, l’équivalent hébraïque du mot paix, renvoie à une rencontre réussie entre deux entités qui présente une notion d’harmonie dans les relations. De même, le mot shanti en sanskrit, utilisé par les Indiens, exprime la paix conviviale obtenue par l’amitié; ce terme est employé aussi bien dans la religion bouddhiste que dans l’hindouisme. À ces diverses définitions du mot paix, le bulgare Aïvanhov (1982) ajoute que la paix est un processus continu, au quotidien, demandant une attention constante et la participation de tout un chacun, car elle n’est ni permanente, ni automatique:

Même si on arrivait un jour à supprimer les armées et les canons, le lendemain les humains inventeraient d’autres moyens de se faire la guerre. Ce n’est pas en supprimant quelqu’un ou quelque chose à l’extérieur qu’on peut rétablir la paix. La paix est d’abord un état intérieur, et c’est en lui-même que l’être humain doit commencer par supprimer les causes de guerre. Aussi longtemps qu’il sera habité par le mécontentement, la révolte, l’envie, le désir de posséder toujours plus, quoi qu’il fasse, non seulement il entretiendra dans son for intérieur les germes du désordre, mais il sèmera ces germes partout autour de lui [...]. La paix ne peut s’installer que chez celui qui s’efforce de se nourrir avec des pensées justes, des sentiments généreux. Seul cet être-là peut apporter la paix autour de lui: de toutes les cellules de son corps, de toutes les particules de son être physique et psychique émane une harmonie qui imprègne les moindres actes de sa vie quotidienne. (p. 22)

Cela se rapproche de la conception que véhicule le psychanalyste humaniste Erich Fromm (1978): « La paix doit être un état de relations harmonieuses et durables, à la fois intrinsèques et extrinsèques à l’humain. » (p. 189) Mais, Rens (2002) remarque que cette connotation du mot paix lui donne une orientation qui favorise la recherche et le développement de la « paix intérieure », sans trop se

soucier de la nécessité d’agir pour la paix en prenant part aux conflits et en s’engageant dans des luttes pour la justice. Pourtant, rappelons que le mot paix ne désigne pas « la situation “d’être en paix”, “d’avoir la paix”, ou “de vivre en paix”, mais bien plutôt une action, “agir pour la paix”, “construire la paix”. » (Muller, 2005, p. 269) Il faut reconnaitre qu’en raison de ses dimensions variées et de son utilisation dans des expressions très diverses, la notion de paix est polysémique.

Aussi, la paix est souvent définie par son contraire si bien que la plupart du temps la paix est perçue comme synonyme d’absence de violence (Mellon et Sémelin, 1994). En effet, les spécialistes formulent souvent une définition selon cette opposition. À ce stade, il nous est nécessaire de revenir sur le modèle analytique développé par Galtung (1969). Sa typologie de la paix distingue la paix négative et la paix positive, mais les deux font référence au concept de violence. D’une part, Galtung (Ibid.) définit la paix négative comme l’absence de violence physique et directe, soit l’absence de guerre. Cette définition, purement négative, est du point de vue ontologique entièrement neutre, car elle ne préjuge pas de la nature profonde de la paix (Battistella, 2011). D’autre part, Galtung (1969) caractérise la paix positive par l’absence de toutes violences directes ou indirectes et d’injustices systémiques. Galtung (Ibid.) ajoute que la paix positive implique non seulement la justice sociale, mais aussi le développement de facteurs de coopération et d’intégration afin d’instaurer une paix durable. Muller (2005) remarque par ailleurs que « l’homme de paix est celui qui, à l’instar de l’homme de guerre, sait prendre des risques pour faire advenir la justice et défendre la liberté. » (p. 270)

D’un autre côté, l’Institut Supérieur Maria Montessori (2004) propose que la paix réunisse différents fragments et forme une unité dans une diversité interagissante, et en un tout. À ce propos, dans les écrits de l’Institut, il est recommandé aux humains d’arrêter de se considérer comme des individus isolés en concurrence les uns avec les autres pour la satisfaction de leurs besoins immédiats. La paix, selon Maria Montessori, est une condition propre sans laquelle la construction

de l’homme et de la société ne peut être envisagée (Montessori, 2001). C’est pourquoi la paix demande l’investissement de l’entièreté de l’être humain pour aboutir à un changement profond et durable de chacun à l’échelle de l’humanité.

Plusieurs moralistes et philosophes considèrent que nous portons en nous depuis notre petite enfance ce désir d’être en paix et en sécurité, en plus de rêver au bonheur et à l’harmonie dans nos relations avec autrui et avec le monde qui nous entoure. Nous avons tous fait à plusieurs reprises de notre vie, de façon plus ou moins significative, l’expérience de cette paix, qu’elle ait été vécue de manière éphémère ou sur de longues périodes. Ainsi, de tout temps, la paix a suscité des réflexions, des débats, des écrits, notamment de la part des philosophes.