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1. LE MODÈLE DE PAIX

1.1 La nécessité de modèles

La genèse d’un être humain s’écrit dans son enfance et détermine son mode relationnel. Pour l’enfant, les premiers modèles sont généralement ses parents et, d’une manière plus large, le monde des adultes et des proches. À ses yeux, ses parents sont les plus forts, les plus beaux, les plus intelligents. L’enfant s’identifie très jeune à ses parents et à sa famille. Au cours de cette socialisation primaire, il va acquérir les notions du bien, du beau et du vrai, mais aussi de leurs contraires. Pour lui, le bien est ce que font et approuvent les parents et le mal est ce qu’ils désapprouvent et dont ils s’abstiennent. Ses parents deviennent son modèle de référence et il désire les imiter. Il veut acquérir les mêmes comportements, ressembler au modèle et devenir le modèle. À ce propos, la psychologue Alice Miller (1984), dans son livre C’est pour ton bien. Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant, affirme que les enfants battus battront à leur tour. Comme, l’être humain apprend d’abord en imitant, les adultes de notre enfance ont été nos modèles inconscients. D’ailleurs, Dias (2005) donne des exemples d’imitation chez les nouveau-nés et considère que l’imitation est une compétence innée.

Après l’enfance, la jeunesse constitue un autre temps de la vie où l’on aspire à un idéal, voire à un absolu susceptible de donner du sens à la vie et d’orienter l’avenir. La présence de modèles est alors nécessaire pour permettre à la nouvelle génération de s’identifier à ceux-ci et de progresser dans la vie. Margarete Mitscherlich (1983), psychanalyste allemande, considère d’ailleurs que « nous avons tous besoin d’idéaux, de modèles, de buts, d’après lesquels nous puissions nous déterminer, et à la réalisation desquels nous puissions tendre. En l’absence de tels idéaux, nous nous trouvons livrés à un sentiment de vide intérieur. » (p. 99) Le psychologue Jacques-Philippe Leyens (1968) souligne même que le prestige du modèle constitue un facteur important dans le domaine de l’identification et « ne pas s’identifier relève de la pathologie la plus profonde » (p. 263). Ces auteurs mettent en

évidence l’importance de la figure du modèle dans le processus d’identification: des manques dans le processus d’identification mènent à un déséquilibre de la personnalité. Ils relèvent que la personne peut se sentir déracinée et souffrir de nombreux malaises, en particulier des troubles de personnalité ou de narcissisme en raison de l’absence de figures modèles susceptibles d’être admirées et imitées.

L’insuffisance de modèles et le manque d’idéal entraînent des conséquences au plan moral: l’absence de repères affecte aussi bien la vie individuelle que la vie sociale de l’humain. Comme le souligne le philosophe Gabor Csepregi (1998) dans son article La personne et ses modèles, l’insuffisance de modèles et en particulier de modèles éthiques constitue actuellement un phénomène inquiétant qui occasionne de graves conséquences dans la vie des individus. Il rejoint le point de vue des auteurs que nous venons de présenter et va jusqu’à dire que « l’effondrement des modèles signifie que le dynamisme et la santé de notre être de personne se trouvent sérieusement menacés » (p. 67) et de surcroit, celle de la société tout entière. Dans le même sens, le prêtre catholique et psychothérapeute Tony Anatrella, dans son ouvrage publié en 1995 Non à la société dépressive relève qu’il manque de modèles éthiques dans nos sociétés, voire qu’il y a une carence de modèles. Il souligne que l’insuffisance de modèles d’identification peut produire chez l’être humain des sentiments de désespoir et de non-avenir et engendrer de nombreux problèmes comme du stress, de l’angoisse, de l’insécurité, de la toxicomanie, des addictions en tous genres, de la violence et des suicides.

Le processus d’identification à un modèle fait partie du développement de l’être humain (Leyens, 1968). Le rôle du modèle est de servir de guide pour avancer dans la vie. Cependant, de même qu’il existe de nombreux domaines de l’expression de l’être, il existe aussi différents types de modèles. Ils peuvent être inspirants à des degrés divers et constituer des modèles moraux. Le modèle moral idéal devrait apporter une solution au grand problème de la société des hommes: la violence. En

effet, la dignité humaine et le respect des droits de la personne ne se construisent jamais par la violence. La violence conduit à la loi du plus fort.

Pour notre part, nous nous intéressons à la nécessité d’avoir des modèles éthiques qui incarnent des valeurs universelles. Ces modèles offrent la possibilité de changer de regard sur la violence du monde en révélant des issues possibles. Les valeurs et références incarnées par ces modèles viennent faire contrepoids à la violence et proposent une autre perspective: celle du respect de la dignité humaine et des droits humains, ce que nous considérons essentiel à l’éducation à la paix. À ce moment, peut s’opérer un basculement de l’individu et, à terme, de la société vers une société de paix fondée sur la solidarité et le partage.

Les modèles éthiques qui mènent vers la possibilité d’un monde de paix sont ceux que nous nommons ici les modèles de paix. De même l’enfant a imité les modèles présents dans son milieu, de même le jeune ou l’adulte a la possibilité de choisir la vie des modèles de paix comme exemple à suivre. L’éducation à la paix, comme l’écrit Wivestad (2013), a besoin de modèles, car éduquer c’est élever l’être humain d’un état vers un autre état pour le rendre meilleur. Ainsi, l’éducation à la paix requiert des modèles de paix permettant à l’être humain de développer son potentiel pacifique et de s’élever.