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2. VERS UN IDÉAL DE PAIX

2.2 L’idéal de paix d’après les philosophes

À l’adage de la Rome antique Si vis pacem, para bellum, traduit par « Si tu veux la paix, prépare la guerre », le polémologue Bouthoul (1969) ajoute: « Si tu veux la paix, connais la guerre. » (p. 11) Mais, Jacques Sémelin (2004), chercheur au Centre d’études et de recherches internationales, propose: « Si tu veux la paix, construis la paix. » (p. 84)

À travers l’histoire, l’idéal de paix a été promu par de nombreux philosophes, mais de manière parfois controversée. Dans la Grèce antique, le philosophe Héraclite a prôné l’harmonie des contraires, mais il a dit que, d’après Guibert-Lassalle et Lemaitre (2009), « la guerre est la mère de toutes choses. » (p. 23) Vers le IVe siècle,

selon Fux (2012), Saint Augustin d’Hippone, philosophe et théologien d’origine berbère, considère que la paix est l’unique but recherché par la guerre, « elle est la tranquillité de l’ordre, comme une doctrine structurée et complète. » (p. 168) Par ailleurs, Saint-Thomas-d’Aquin réfléchit sur la théorie de la guerre et de la révolte juste au sens humain. D’après Fromm (1978), Saint-Thomas-d’Aquin considère que

consacrer sa vie à la paix et à la connaissance spirituelle, dite la vita contemplativa, est l’activité la plus honorable de l’humain.

À la Renaissance, Érasme, l’un des plus grands écrivains, propose une vision cosmopolite de l’humanité en concevant le monde entier comme une patrie pour tous d’après David (2006). En affirmant que le seul moyen d’éliminer la guerre est de renoncer à toute forme de violence, on pourrait dire qu’il est le premier pacifiste européen. Par contre, à cette même période, Miguelez (1997) rapporte que le philosophe italien Machiavel déclare que « la paix ne peut être que le résultat d’un affrontement de forces, donc l’imposition violente d’un pouvoir. L’art de la lutte devient l’art par excellence, une technique fondamentale du pouvoir. » (p. 102) Au XVIIe siècle, l’Anglais Thomas Hobbes traite du conflit, comme étant inhérent à la

nature humaine. Guibert-Lassalle et Lemaitre (2009) écrivent qu’il définit l’état de nature comme un état de « la guerre de tous contre tous, par son postulat l’homme est un loup pour l’homme. » (p. 33) Hobbes met en doute les capacités de l’être humain à vivre en paix et voit l’autorité d’un monarque ou d’un État, comme indispensable à l’établissement de la paix et à sa préservation d’après Harris (2004).

En revanche, en 1713, dans son ouvrage, intitulé Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, l’abbé Charles-Irénée Castel de Saint-Pierre « propose des moyens de rendre la paix perpétuelle entre tous les États chrétiens en instaurant sans délai une “Union européenne” » (dans Frey, 2012, p. 459), à l’image d’une « Société des Nations » avant son temps. Jean-Jacques Rousseau ajoute, dans son Contrat social de 1762, l’idée de l’aspect relationnel rappelant que « la guerre n’est pas une relation d’homme à homme, mais une relation d’État à État, dans laquelle les ennemis ne sont ennemis qu’accidentellement. » (Rousseau, 1826, p. 325) Par ailleurs, en 1791, dans ces Cinq mémoires sur l’instruction publique, Nicolas de Condorcet, philosophe des Lumières, écrit qu’il est possible d’instituer la paix sans recourir à une institution supra-nationale (Condorcet, 1994). En effet, en se tournant vers le peuple

tout entier et en instruisant les enfants, l’exigence démocratique d’instruction et de transmission est atteinte.

Toutefois, c’est Emmanuel Kant qui développe en 1795, dans son livre Projet de paix perpétuelle, la pensée d’une culture et d’une organisation juridique pour une paix authentique instituée au plan mondial. Selon Reboul (1971), Kant espère lui aussi qu’un jour, une « Société des Nations » puisse être mise en place par les États pour une paix universelle. Pour Kant, l’état de guerre est assimilé à un état de nature dans lequel l’homme oppose la violence à la violence. Pour que la réalité historique des peuples n’entre pas dans cet état de barbarie, il est essentiel d’instituer un idéal dans l’esprit de l’homme (Darbellay, 1958). La paix, pour Kant, est un état d’esprit dans lequel les relations entre les hommes sont régies par le droit, principe unique de la politique et de la justice sociale. Elle implique l’établissement d’un idéal républicain unissant les hommes, autour d’une même constitution, et pouvant garantir la coexistence des libertés pour tous. Kant insiste non seulement sur la nécessité de conditions juridiques permettant la fin de la culture de la guerre, mais aussi sur le perfectionnement humain essentiellement moral (Miguelez, 1997). La pensée kantienne a eu une grande influence dans le monde pour la promotion de la paix et demeure toujours vivante. Selon David (2006), c’est avec Kant que la paix a été élevée au rang d’idéal suprême et ainsi, l’éducation à la paix est devenue réellement envisageable. Par contre pour Hegel, Philonenko (2003) rapporte que la moralité kantienne est immorale. Hegel applique le principe d’individualité à l’État. Le fondement de sa philosophe de la guerre repose sur la critique de l’individualisme moral qu’il considère comme une pure illusion. « Hegel voit en la guerre le lieu de l’authentique moralité et il n’y a pas pour lui de philosophie de la paix. » (p. 78)

Mais c’est avec Léon Tolstoï, inspiré des ouvrages de Rousseau, qu’une vision innovante de la paix prend forme. Il est connu pour son chef d’œuvre littéraire, La Guerre et la Paix, paru en 1869. Pour lui, la guerre constitue une accumulation de crimes. Écrivain russe, il dénonce la violence de l’État et considère qu’il n’y a qu’un

seul moyen en faveur de la paix: s’abstenir soi-même de participer à la violence: « La violence engendre la violence, c’est pourquoi la seule méthode pour s’en débarrasser est de ne pas en commettre. » (dans Refalo, 1997, p. 45) En 1894, à travers son ouvrage Le royaume de Dieu est en vous, Tolstoï pose les bases de l’esprit de la non- violence. Seul le perfectionnement intérieur permet d’avoir réellement prise sur les structures de la société. En effet, Tolstoï (1902) recommande de « ne pas résister au mal par la force. » (p. 88) Cette méthode de la non-résistance au mal par la violence, Gandhi la nommera « la non-violence » quelques années plus tard. D’ailleurs, ces deux hommes ont correspondu et Tolstoï a été pour Gandhi une référence, une source d’inspiration (dans Refalo, 1997). Au même siècle, le philosophe américain Henry David Thoreau développe, lui aussi, les bases de la non-violence notamment dans son essai La Désobéissance civile où il écrit que « la paix est cette lutte contre les oppressions et les iniquités, une méthode de combat où le cœur de l’homme bat et se bat pour plus de justice, pour plus de liberté, refusant la loi du plus retors. » (dans Paquereau, 2006, p. 8) Cet essai aura un grand impact sur Gandhi et Martin Luther King.

Par ailleurs, le philosophe Alain (1934) constate que « ce sont les mêmes hommes qui font la guerre et qui aiment la paix » (p. 44), si bien que pour nos sociétés, la pensée dominante affirme que la guerre est nécessaire pour établir la paix. De même, après la Seconde Guerre mondiale, le sociologue Raymond Aron (1962) conçoit la guerre comme une voie vers la paix. Pour lui, la fin justifie les moyens et le but de la politique serait de faire régner la paix à tout prix. Au moment où il écrit ce livre, la paix de l’après-guerre repose sur l’équilibre atomique et la dissuasion nucléaire. C’est encore le cas aujourd’hui.

Au regard de ces philosophes, l’idéal de paix prédomine et le rôle de l’être humain y est souligné. Maintenant, nous allons tenter de comprendre comment, au sein des organisations internationales, la paix est discutée et éventuellement envisagée comme un idéal.