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PARTIE 2 : L’ORTHOGRAPHE ET SON ENSEIGNEMENT

2. Quelle didactique de l’orthographe pour enseigner la morphographie ?

2.3 Outils didactiques et activités pour enseigner la morphographie

procédures de balisage, des phrases dictées du jour, etc. Comme Ducard et al. (1995), Brissaud et Cogis (2011) ne visent pas l’exhaustivité, mais ciblent les « notions de base » (p. 7) dont la maitrise s’avère problématique pour les élèves.

2.3 Outils didactiques et activités pour enseigner la morphographie

S’agissant de l’orthographe grammaticale, les didacticien·ne·s soutiennent que l’apprentissage doit être centré sur la réflexion et la résolution de problèmes. Apprendre des règles et les appliquer ne suffit pas. D’après Cogis (2005), ce sont les activités mettant en jeu la réflexion des élèves qui doivent être privilégiées. Nous allons voir également que le développement du métalangage chez les élèves peut devenir un levier d’apprentissage très intéressant (Fisher & Nadeau, 2014), même si toutes les recherches sur le sujet ne concluent pas à un lien entre métalangage et amélioration des capacités orthographiques (Boivin, 2014). Le métalangage peut recouvrir des mots désignant une classe grammaticale, des mots indiquant des relations et fonctions syntaxiques, des mots désignant les terminaisons des verbes, des mots en lien avec les finales dans l’accord du GN et ceux indiquant des manipulations syntaxiques.

Nous avons fait le choix de présenter aux enseignantes du groupe expérimental des outils didactiques et des activités pouvant être utiles pour travailler les objets orthographiques décrits précédemment comme étant complexes. Les balles d’accord seront intégrées aux séquences, tandis que les phrases données et les dictées innovantes seront proposées comme activités à pratiquer régulièrement entre les deux séquences pour entretenir et renforcer les apprentissages. Leur intérêt et leur efficacité ont été montrés dans des

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recherches récentes. Les balles d’accord et les phrases données ont été expérimentées par Geoffre (2014, 2015) ; les dictées innovantes ont été au cœur de différentes recherches, notamment celles de Brissaud, Cogis et Péret (2013), de Nadeau et Fisher (2014), de Sautot (2015), de Goigoux (2016), ainsi que de Sévely et Élalouf (2019). Si l’enseignant·e introduit un nouvel outil dans sa pratique régulière de l’orthographe, cela peut avoir un impact durable sur son enseignement et sur les capacités des élèves.

Geoffre (2014) a évalué l’appropriation par des élèves de cycle 3 et l’efficience de l’utilisation de deux outils didactiques utilisés dans l’enseignement des chaines d’accord : les balles d’accord et l’analyse en termes d’apport et support d’information. Cette recherche montre que les outils visant à développer une réflexion métalinguistique chez l’élève ne sont exploitables qu’accompagnés d’une méthodologie et transposés par l’enseignant·e. Les balles d’accord ont été développées par Jaffré et Ducard dans Le Moniteur d’orthographe L.E.O. (Sandon, Dury & Michel, 1994), puis décrites par Cogis (2005) ainsi que par Brissaud et Cogis (2011). L’élève matérialise par des ronds blancs ou noirs et des traits les relations morphosyntaxiques dans le groupe nominal et entre le sujet et le verbe. Dans le manuel conçu par Jaffré et Ducard, l’accent est mis sur l’oral : l’élève est invité·e à se fier à son oreille pour entendre la marque du pluriel qui va déclencher l’accord au pluriel (exemples de consignes : J’entends et je vois la différence.

Je mets… ou encore Il y a des choses qui changent pour ton oreille et d’autres qui ne changent pas pour ton oreille). Pour Geoffre (2014) qui en a testé l’efficacité dans des classes, cet outil permet de montrer les liens entre les mots en les rendant concrets et il peut aussi aider les élèves à dépasser les difficultés posées par les rupteurs, car la balle ne rebondit pas sur le rupteur, mais passe par-dessus. Les balles d’accord sont très utiles en situation de relecture car grâce à elles les élèves « peuvent vraiment entrer dans le fonctionnement de la phrase en le matérialisant. Les élèves peuvent visualiser les phénomènes morphosyntaxiques sans avoir à recourir à une terminologie ou des critères linguistiques trop complexes » (Cogis, 2005, p. 196).

Dans une autre recherche, Geoffre (2015) s’est inspiré de la didactique des sciences pour expérimenter un protocole visant à développer la capacité métalinguistique de l’élève. En intégrant la phrase dictée/donnée à des séquences d’enseignement, on peut « favoriser la compétence réflexive des élèves, la maitrise du métalangage et le traitement des accords dans la chaine syntagmatique ». Le principe de la phrase donnée est le suivant : une phrase comportant une difficulté ciblée par l’enseignant·e et qui est correctement orthographiée est proposée aux élèves par l’enseignant·e (Brissaud & Cogis, 2011 ; Cogis, 2005 ; Geoffre & Brissaud, 2010). Les élèves doivent en justifier l’orthographe soit collectivement, soit individuellement à l’écrit. L’objectif est de faire passer les élèves de justifications sémantiques (« on met e parce que c’est la petite fille qui est jolie ») à des procédures morphosyntaxiques (« on accorde au féminin »). Le métalangage des élèves s’enrichit et se précise au fil des séances. Avec cette activité, « on travaille indirectement les conceptions des élèves par la confrontation directe aux régularités qui régissent la norme » (Cogis, 2005, p. 268). Dans le cas de la phrase dictée, une phrase est dictée par

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l’enseignant·e et écrite par chaque élève (Brissaud & Cogis, 2011 ; Cogis, 2005). Après une phase de relecture individuelle, l’enseignant·e copie au tableau la phrase telle qu’elle a été écrite par un·e des élèves. Pour chaque mot, l’enseignant·e recense ensuite toutes les graphies proposées par les élèves. Les graphies erronées sont ensuite éliminées au cours de discussions guidées par l’enseignant·e.

Les élèves sont ensuite interrogé·e·s sur les difficultés rencontrées et la phrase est ensuite copiée sur une fiche ou dans un répertoire. Partant des graphies proposées par les élèves, ce dispositif permet de faire émerger leurs représentations. Les élèves discutent de ces graphies et confrontent leur point de vue. Ils et elles construisent ainsi de nouveaux savoirs orthographiques. Ce dispositif en faisant émerger les représentations des élèves donne la possibilité à l’enseignant·e d’agir sur elles et de les faire évoluer.

Différentes recherches ont montré l’efficacité des dictées réflexives ou innovantes dans des contextes contrastés (Brissaud, Cogis & Péret, 2013 ; Goigoux, 2016 ; Nadeau &

Fisher, 2014 ; Sautot, 2015 ; Sévely & Élalouf, 2019). Ces formes de dictée ont en commun de développer la réflexion des élèves et de développer leurs compétences métalinguistiques.

Lors de la phrase dictée du jour (Cogis, 2005 ; Cogis & Ros, 2003 ; Nadeau & Fisher, 2006 ; Nadeau & Fisher, 2011 ; Nadeau & Fisher, 2013), une phrase est dictée aux élèves par l’enseignant·e qui recense alors toutes les graphies proposées au tableau. Grâce à une discussion, les graphies erronées sont écartées pour ne garder que celles qui sont conformes à la norme. D’après Cogis (2005, p. 280) :

La phrase dictée du jour ne s’intéresse pas aux erreurs en tant que telles, mais à ce qui en est la cause, c’est-à-dire aux idées plus ou moins pertinentes que les élèves se forgent relativement au fonctionnement de l’orthographe. Le progrès de l’élève repose en grande partie sur l’évolution de ses conceptions, de sa manière de traiter les problèmes d’orthographe.

Dans le cas de la dictée sans faute, le texte est lu, puis dicté par l’enseignant·e phrase par phrase (Angoujard, 1994 ; Nadeau & Fisher, 2006 ; Nadeau & Fisher, 2011 ; Nadeau

& Fisher, 2013 ; Simard, 1996). Quand les élèves ont une difficulté, ils ou elles la soulignent. À la fin de chaque phrase, des solutions sont cherchées collectivement et la discussion est menée par l’enseignant·e. Une fois les difficultés résolues, les élèves écrivent au dos de leur feuille la phrase qui est à nouveau dictée par l’enseignant·e.

Pour finir, la dictée négociée, d’abord décrite par Arabayan (1990), repose sur certains principes qui seront développés par Haas (1999) dans les recherches sur les ateliers de négociation. Le texte est lu, puis dicté par l’enseignant·e (Brissaud & Bessonnat, 2001).

Les élèves écrivent l’ensemble de la dictée sans échanger. Ils et elles se relisent, puis par petits groupes ils et elles comparent leurs textes et s’arrêtent sur chaque difficulté.

Les élèves justifient et se mettent d’accord sur une version commune qu’ils et elles

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écrivent sur une nouvelle feuille. Il y a ensuite une correction collective pendant laquelle l’enseignant·e insiste sur les règles à maitriser pour dépasser les difficultés.

Dans le cadre d’une recherche-action menée auprès d’élèves du primaire et du secondaire au Québec, Nadeau et Fisher (2014) ont évalué l’impact de la phrase dictée du jour et de la dictée zéro faute sur les compétences orthographiques des élèves. Il apparait qu’en favorisant les échanges entre élèves, mais aussi, entre élèves et enseignant·e, ces dictées peuvent aider à développer le métalangage des élèves et à améliorer leurs compétences orthographiques. Les auteures ont conclu que les élèves progressent en orthographe grammaticale à la fois en dictée et en production écrite lorsque les deux formes de dictée sont pratiquées régulièrement. Dans une autre publication qui porte sur la même recherche, El Hilali, Nadeau et Fisher (2019, p. 60) décrivent ainsi l’enjeu de ces dictées innovantes :

Lors des dictées métacognitives-interactives, les connaissances et procédures grammaticales qui mettent l’accent sur les régularités de la langue sont mobilisées et utilisées tout en laissant l’espace nécessaire à l’expression des conceptions des élèves dans des discussions qui suscitent les interactions entre pairs ainsi que l’étayage de l’enseignant. Ces dispositifs permettent non seulement de résoudre des problèmes orthographiques en séance, mais aussi de faire en sorte que l’élève acquière des connaissances et procédures explicites en grammaire et se les approprie de manière à pouvoir mieux les utiliser seul en production et révision de texte.

Ces dispositifs sont donc très prometteurs, car, d’après les auteures, ils ont un effet au-delà de l’exercice de la dictée et rendent l’élève capable de transférer ses connaissances en situation de production écrite.

Une autre étude, en France cette fois-ci, a mis au rang des pratiques efficaces les dictées qui mettent en jeu la réflexion des élèves. En effet, Goigoux, dans la recherche Lire et écrire au CP (2016) qu’il a coordonnée, a démontré que « passer du temps à écrire sous la dictée est bénéfique en écriture surtout pour les élèves les plus faibles et les intermédiaires » (p. 53), et ce, particulièrement lorsqu’une réflexion sur la langue est menée dans le cadre de la dictée.

Outre les différents principes évoqués supra permettant de développer la réflexion des élèves et de pratiquer un enseignement raisonné de la langue, nous retiendrons également pour notre dispositif expérimental les outils didactiques que nous venons de décrire, à savoir les balles d’accord, les phrases données, les phrases dictées et les formes de dictée innovante. Toutefois, l’enjeu majeur de ces séquences résidera dans la capacité à réduire le fossé entre les activités pour enseigner l’orthographe et celles pour enseigner la production écrite.

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3. Place de l’orthographe dans les autres sous-domaines du français