• Aucun résultat trouvé

PARTIE 3 : LE TRAVAIL ENSEIGNANT ET LA TRANSFORMATION DES PRATIQUES

1. L’enseignement, un travail avec des outils

Pour définir en quoi consiste le travail de l’enseignant·e, nous nous référons au concept de « transposition didactique. » Ce concept apparait dans les travaux de sociologie de

79

Verret (1975) pour décrire comment la culture peut devenir un objet d’enseignement scolaire et d’apprentissage, puis il a été développé par Chevallard (1985/1991) dans le domaine de l’école. Selon Chevallard (1985/1991), « le “ travail ” qui d’un objet de savoir à enseigner fait un objet d’enseignement est appelé la transposition didactique » (p. 39).

L’objet de savoir au sein de la classe devient objet à enseigner, puis objet d’enseignement. Pour accomplir ce travail, l’enseignant·e a besoin d’un moyen

« pour agir sur l’objet de son travail » (Cordeiro & Schneuwly, 2007, p. 67), autrement dit d’un outil. Schneuwly (2000) estime que dans les recherches menées dans les années 1980 et 1990 sur le travail enseignant seules les interactions et donc les rapports enseignant·e-élève sont pris en compte pour définir le travail de l’enseignant·e, les objets enseignés ou contenus d’enseignement étant absents. La question de l’outil notamment n’est pas abordée et, pour investiguer ce champ, un numéro thématique de la revue Repères (2000, n°22) codirigé par Plane et Schneuwly a été consacré aux Outils d’enseignement du français. Nous allons nous appuyer en grande partie sur cette parution pour tenter de définir ce que travailler signifie pour un·e enseignant·e. A partir de quoi travaille-t-il ou elle, autrement dit que transforme-t-il ou elle ? Au moyen de quoi ou avec quel outil ? Et que produit-il ou elle ?

Selon Schneuwly (2000, p. 23), le travail de l’enseignant·e consiste à

transformer des modes de penser, de parler, de faire à l’aide d’outils sémiotiques. Il s’agit d’un travail qui a la même structure que tout travail. Il a un objet : des modes de penser, de parler, de faire ; il a un moyen ou outil : des signes ou systèmes sémiotiques ; il a un produit : des modes transformés.

Être enseignant·e, un travail comme un autre ? Comparons avec une autre profession.

Le travail d’un·e artisan·e peut se décrire ainsi : il ou elle utilise un outil (une scie) pour transformer une matière première (du bois) qui devient un produit (une table). Même si l’enseignant·e travaille « sur de l’humain », la décomposition du travail de l’artisan·e peut lui être appliquée : il ou elle utilise des outils sémiotiques (un manuel, son discours, une consigne) pour transformer les représentations de ses élèves (leurs savoirs) et ce qu’il ou elle produit, c’est un nouvel apprentissage (de nouveaux savoirs).

Nous avons établi que l’enseignant·e exerce un travail, et que cela se fait par la médiation d’un outil. Nous allons à présent définir cet outil, car dans cette recherche il aura un rôle essentiel : c’est par lui que nous tenterons de transformer la nature des tâches mobilisées en classe, et peut-être même la pratique de l’enseignant·e. Rabardel (1995) a bien souligné le rôle de l’outil dont on ne doit pas sous-estimer l’importance : les outils « ne doivent pas être analysés en tant que choses mais comme médiateurs de l’usage » (p. 34).

Mais de quel(s) outil(s) parle-t-on ? Plane et Schneuwly (2000, p. 8) établissent une distinction entre l’outil didactique pour l’enseignant·e et l’outil didactique pour l’élève.

80

Pour l’enseignant, les outils sont ceux qui lui permettent de créer - pour utiliser la terminologie de Brousseau (1988) - des milieux dans lesquels l’élève peut apprendre, ceux qui permettent d’agir sur les processus psychiques de l’élève pour les transformer - ces processus transformés étant l’objet créé, ayant une utilité. [ … ] Pour l’élève, il s’agit d’outils lui permettant de transformer ses propres processus psychiques et qu’il doit s’approprier pour ce faire.

Dans le même numéro de Repères, Schneuwly (2000) explique que, pour l’élève, il peut s’agir « des aides pour mieux gérer son propre comportement, pour mieux réussir une tâche, pour capitaliser des acquis » (p. 23) ou des « moyens techniques » ou matériels pour écrire et communiquer.

La construction de l’outil au sein de la collaboration avec les enseignant·e·s est centrale dans le dispositif que nous présenterons infra. Nous soutenons que ce type de démarche peut se révéler bénéfique en situation de formation continue, car, si on se réfère au concept d’« acte instrumental » développé par Vygotskij (1925/1994), l’outil peut avoir un effet sur l’activité de l’enseignant·e et le transformer.

Pour analyser et comprendre le travail enseignant, nous nous référons à l’outil comme élément structurant du travail. Dans une perspective marxienne (1867/1993), l’outil façonne le travail et transforme ceux et celles qui l’utilisent. Wirthner et Schneuwly (2004, p. 110) expliquent d’ailleurs que « puisque l’outil donne une forme à l’activité, la transformation de l’outil transforme l’activité, les manières de se comporter face à l’objet et aux autres. » Cette idée a pu être mise à l’épreuve dans une recherche menée par Wirthner auprès de quatre enseignant·e·s du secondaire I, au cours de laquelle elle a observé comment l’introduction d’un nouvel outil pour enseigner l’écriture du résumé informatif transforme les pratiques et comment, dans certains cas, les pratiques habituelles sont maintenues en dépit du changement proposé. La chercheure décrit comment

les outils de travail transforment non seulement « l’objet » sur lequel ils s’appliquent mais aussi leur utilisateur (…). L’outil est transformé à son tour par l’effet du style de l’enseignant·e, touchant à ses manières de faire comme à ses conceptions de l’objet à enseigner et enseigné.

(2006, p. 105)

Cet acte de transformation qui s’effectue par l’utilisateur ou l’utilisatrice sur l’outil, mais aussi, dans un mouvement de retour et simultanément, de l’outil sur ce·tte dernier·e nous intéresse particulièrement. En effet, cette façon d’envisager le rapport outil-utilisateur/utilisatrice semble prometteuse dans le contexte de la formation des enseignant·e·s, dans la mesure où, d’après Dolz, Moro et Pollo, « l’utilisation adaptée de l’outil suppose l’appropriation de nouvelles capacités humaines émergeant au cours des différentes activités que l’outil permet » (2000, p. 46).

L’une des pistes que nous avons voulu explorer est la relation outil-enseignant·e en situation de formation continue. Lorsque l’enseignant·e est associé·e à la conception d’un l’outil, il ou elle est alors considéré·e comme un « sujet capable, pragmatique et agissant »

81

(Rabardel & Pastré, 2005). Plutôt que de proposer un outil déjà finalisé à tester aux enseignant·e·s, il peut être pertinent de les impliquer dans le développement de l’outil si l’objectif est de transformer durablement les pratiques. La place accordée à l’outil dans notre recherche est centrale, car nous nous référons au concept d’« acte instrumental » développé par Vygotskij (1928-1930/2014), selon lequel l’outil peut avoir un effet sur l’activité de l’enseignant·e et le ou la transformer. C’est ce qu’affirme Wirthner lorsqu’elle écrit (2017, p. 4) que « les outils de l’enseignant, leur usage, peuvent également contribuer à transformer l’utilisateur lui-même et favoriser son propre développement. » 2. Concevoir des outils en adéquation avec les besoins des

enseignant·e·s

Lorsqu’un·e chercheur·e propose à un·e enseignant·e d’expérimenter un nouvel outil, il ou elle peut se heurter à une mise en œuvre très partielle de cet outil ou sur un temps trop court pour avoir un effet durable sur la pratique. Pour que l’outil soit utilisé en classe et contribue au développement professionnel de l’enseignant·e, il faut, si l’on en croit Goigoux et Cèbe (2009, p. 2), qu’il relève à la fois du « souhaitable » et « du raisonnable » : « du souhaitable » parce que cet outil doit être cohérent avec les résultats de la recherche et « du raisonnable » parce qu’il ne doit pas être trop éloigné des pratiques habituelles des enseignant·e·s.

L’intégration des enseignant·e·s aux dispositifs de recherche apparait comme une piste prometteuse pour répondre aux besoins exprimés par les enseignant·e·s et pour construire un outil « souhaitable » pour reprendre l’expression de Goigoux et Cèbe. Afin d’éviter les écueils habituels de recherches trop éloignées des habitus des enseignant·e·s et qui ne prennent pas suffisamment en compte les contextes professionnels, Goigoux (2017, p. 137) définit quatre principes pour mener des recherches « intégrées à la pratique » (ou Practice Embedded Educational dans la littérature anglo-saxonne) :

1. « reconnaitre l’organisation systémique de toute réforme scolaire » ;

2. « construire un partenariat structuré et soutenu entre les praticiens et les chercheurs » ;

3. « partir des préoccupations des praticiens pour déterminer les problématiques de recherche » ;

4. « étudier attentivement la façon dont les innovations sont conduites et traiter les variations de leur mise en œuvre comme une source majeure d’information ».

Il propose ainsi une collaboration entre chercheur·e·s et praticien·ne·s décomposée en trois étapes. Tout d’abord, le·a chercheur·e conçoit à partir de ses connaissances (processus d’apprentissage des élèves et habitudes de travail des enseignant·e·s) un prototype qui constitue « un premier compromis entre ce qui pourrait apparaitre souhaitable du point de vue des apprentissages des élèves et ce qui semble raisonnable

82

du point de vue de l’action pédagogique contextualisée » (p. 139). Le prototype créé doit valider les critères suivants : « l’utilité, l’utilisabilité et l’acceptabilité d’un nouvel artefact par ses futurs utilisateurs » (p. 139). C’est lors de la deuxième étape que les praticien·ne·s interviennent en tant que co-concepteurs ou conceptrices. Ces dernier·e·s utilisent le prototype en classe et le·a chercheur·e recueille leurs impressions et fait des observations en classe afin de produire une deuxième version du prototype qui sera expérimenté par de nouveaux ou nouvelles enseignant·e·s. Cette étape est essentielle, car elle permet

« d’explorer, dans un même cadre, les logiques et les positions hétérogènes des enseignants et des concepteurs pour faire œuvre commune » (p. 139). Vient ensuite la dernière étape : l’évaluation. C’est ainsi que le prototype de l’outil pédagogique est élaboré. Cette démarche est très proche de celle que nous adopterons, à ceci près que nous souhaitons associer l’enseignant·e au processus de construction dès la création de la séquence d’enseignement. Idéalement, celle-ci ne devrait pas être proposée aux enseignant·e·s sous forme d’un prototype, mais elle devrait être intégralement créée à partir d’une structure très synthétique, autrement dit un canevas.

3. Avec ou sans accompagnement ?

Les bénéfices de l’accompagnement des enseignant·e·s dans la prise en main de nouveaux outils ont été montrés lors de l’introduction en 2001 du moyen d’enseignement S’exprimer en français : séquences didactiques pour l’oral et pour l’écrit (de Pietro et al., 2009). Il ressort de l’analyse du questionnaire passé en 2007 pour évaluer la mise en œuvre de ces séquences que les enseignant·e·s interrogé·e·s sont 88% à déclarer utiliser ce moyen d’enseignement. 26% adhérent tout à fait à la démarche et 68% adhèrent plutôt à la démarche. Ces résultats sont qualifiés d’ « extrêmement positifs » (p. 50) par les auteurs du rapport (de Pietro et al., 2009). Comment expliquer cette adhésion ? A Genève, les enseignant·e·s du primaire ont bénéficié d’un accompagnement essentiellement sous forme de séances d’information, de cours reçus dans le cadre de la formation continue ou d’un appui au sein de l’établissement. Plus de la moitié des utilisateurs et utilisatrices des séquences didactiques affirment avoir besoin de compléter encore leur formation sur deux points en particulier : l’articulation des séquences aux autres domaines du français et l’analyse des productions des élèves pour mieux évaluer la progression de leurs apprentissages. Même après plusieurs années d’utilisation, ces enseignant·e·s déclarent avoir besoin d’une formation ou d’un accompagnement pour aller plus loin dans leur maitrise de cet outil, ce qui plaide en faveur d’une collaboration enseignant·e·s-chercheur·e·s sur le long terme si l’objectif est de changer les pratiques.

Un nombre conséquent de chercheur·e·s insistent sur l’importance de l’accompagnement des enseignant·e·s lorsqu’un nouveau dispositif est introduit en classe (Charlier & Biémar, 2012 ; Penneman, De Croix, Dellisse et al., 2016 ; Rowan & Miller, 2007). C’est également la conclusion de la méta-analyse de Yoshikawa, Weiland, Brooks-Gunn et al. (2013) qui montre que la réussite d’une innovation tient à deux facteurs : la qualité intrinsèque de

83

l’innovation et celle de l’accompagnement offert aux enseignant·e·s. Roux-Baron, Cèbe et Goigoux (2017) ont un tout autre avis sur la question. Dans un article portant sur une évaluation de Narramus, un outil pédagogique pour travailler la lecture à l’école maternelle, ces chercheur·e·s s’interrogent sur « le rôle de l’accompagnement dans l’innovation pédagogique » (p. 86). Afin d’évaluer les effets de l’accompagnement des enseignant·e·s sur les résultats des élèves, il et elles ont comparé les résultats obtenus à des tests de compréhension suite à l’utilisation en classe de Narramus en les répartissant dans deux groupes : dans le premier groupe, les élèves dont les enseignant·e·s ont bénéficié d’un accompagnement et dans le second groupe, les élèves dont les enseignant·e·s n’ont pas été accompagné·e·s dans la prise en main de cet outil.

La conclusion de Roux-Baron, Cèbe et Goigoux est que l’effet de l’accompagnement n’est pas vérifié et il et elles expliquent que « l’accompagnement n’est indispensable que si les outils sont élaborés sans prendre en compte leurs premiers destinataires : les enseignants » (p. 86). Autrement dit, la qualité de l’outil doit suffire à garantir sa mise en œuvre dans les classes. Il convient donc d’être vigilant sur la prise en compte des utilisateurs et utilisatrices de l’outil, ainsi que sur son adéquation avec les besoins des enseignant·e·s.

Dans la présente recherche, l’insertion de la collaboration avec les enseignant·e·s du groupe expérimental dans un dispositif de formation continue nous semble, au contraire, indispensable à la réussite de l’expérimentation. Même si l’outil à mettre en œuvre dans les classes est construit à partir de références linguistiques, psycholinguistiques et didactiques de qualité, nous ne pouvons faire l’impasse sur la formation, car, d’une part, les principes sur lesquels s’appuie la démarche proposée s’éloignent parfois des pratiques habituelles des enseignant·e·s, et, d’autre part, les connaissances des enseignant·e·s sur les processus d’acquisition des élèves et le système orthographique sont parfois de nature différente.

4. Un changement immédiat des pratiques ou un développement à long terme ?

Nous avons établi les conditions facilitant la mise en œuvre de nouveaux outils dans les classes. Il reste maintenant à aborder deux questions : l’outil co-construit remplace-t-il complètement et radicalement les outils habituels ou bien vient-il s’ajouter à ceux existant ? Et ce nouvel outil est-il toujours utilisé par l’enseignant·e comme le·a chercheur·e l’avait prévu ?

Il serait illusoire de croire qu’un nouvel outil présenté en formation ou dans le cadre d’une collaboration avec un·e chercheur·e viendrait remplacer intégralement les outils ou les approches jusqu’à présent mobilisés par l’enseignant·e. Le renouvellement des pratiques se fait au contraire dans la durée : le développement professionnel de l’enseignant·e est un processus lent. Des démarches, approches et outils aux logiques parfois contradictoires cohabitent ainsi le temps qu’un rééquilibrage se fasse.

84

Garcia-Debanc (2019) rappelle que Frank Marchand dans Le français tel qu’on l’enseigne paru en 1971, avant même que la didactique du français se constitue comme une discipline de recherche, avait déjà fait apparaitre que les instituteur·rice·s des années 1960 « n’enseignent pas strictement les contenus prévus par les programmes du moment mais des éléments hybrides empruntés aux programmes successifs depuis leur formation initiale » (p. 181). Dans une recherche portant sur les pratiques des enseignant·e·s débutant·e·s, Garcia-Debanc et Lordat (2007) ont développé un « modèle disciplinaire en actes » pour « problématiser les tensions qui peuvent exister entre les différentes configurations didactiques de la discipline (Halté, 1992), qui se manifestent en particulier dans la gestion des imprévus » (Garcia-Debanc, 2019, p. 187). Ce « modèle disciplinaire en actes » peut aider à comprendre ce qui se joue dans une recherche comme la nôtre, où un nouvel outil est introduit dans une classe. En effet, pour penser l’activité les enseignant·e·s doivent mobiliser des composantes de natures diverses :

Lorsqu’ils conçoivent et mettent en œuvre dans la classe une activité, les enseignants effectuent des choix en se fondant sur les programmes d’enseignement, les connaissances qu’ils ont des notions à enseigner, le matériel d’enseignement à leur disposition, mais aussi sur les prescriptions secondaires diffusées par les institutions de formation (Goigoux, 2006), les habitudes disciplinaires, la culture d’établissement, des routines professionnelles ou leurs propres souvenirs d’élèves. (Garcia-Debanc & Danz-Lecina , 2008, p. 187)

Une recherche contemporaine des travaux de Garcia-Debanc et Lordat (2007) a été menée à l’Université de Genève par le GRAFE pour comprendre comment la mise en œuvre des objets d’enseignement s’opère (Schneuwly & Dolz, 2009). A travers l’analyse de dix-sept séquences d’enseignement du texte d’opinion, Cordeiro et Schneuwly (2007, p. 78-79) ont mis au jour la coexistence d’une tendance classique de l’enseignement de la production écrite de textes argumentatifs et d’une perspective communicationnelle dans les pratiques habituelles des enseignant·e·s. Les chercheur·e·s ont pu observer des démarches traditionnelles, où l’enseignement se fait à travers la dissertation comme

« traduction en texte de la pensée de l’individu » (2009, p. 51) et d’autres plus récentes, appuyées sur une vision communicationnelle qui défend une pluralité de situations de communication impliquant des genres de textes qui leur sont spécifiques. Pour décrire cela, ils reprennent la métaphore vygotskienne de la « sédimentation » (1931/1992, p. 113) déjà mobilisée dans un article de Schneuwly, Cordeiro et Dolz (2005) et expliquent que : « chaque séquence semble révéler une forme particulière de composition des possibles historiquement constitués – des strates sédimentées, des manières anciennes et nouvelles, d’aborder l’objet à enseigner et enseigné » (Cordeiro & Schneuwly, 2007, p. 78-79). Ce constat est renforcé par Schneuwly et Dolz (2009, p. 63) dans l’ouvrage qui synthétise les résultats de l’analyse des trente séquences filmées ayant pour objet la rédaction d’un texte argumentatif et la maitrise de la subordonnée relative. Dans le premier cas, ils ont observé la cohabitation d’approches classiques et d’approches communicatives, et dans le second cas, la superposition de traditions grammaticales

85

différentes. Ils parlent de sédimentation des pratiques pour décrire cette coexistence d’outils nouveaux avec des outils plus anciens et issus de la tradition scolaire :

Les nouveautés dans l’enseignement sont généralement ancrées dans les pratiques plus anciennes et, a contrario, les pratiques anciennes ont tendance à revenir quand les nouvelles montrent leurs limites. Les objets qui arrivent à exister et qui sont mis en jeu dans le système didactique sont une cristallisation des pratiques disciplinaires ; ils perpétuent partiellement et incorporent des pratiques sociohistoriques précédentes. (p. 63)

La même équipe de recherche, le GRAFE, a fait des observations semblables concernant l’enseignement de la lecture de textes littéraires (Ronveaux & Schneuwly, 2018). En effet, dans le cas du texte réputé littéraire contemporain, le recours au résumé comme étape préparatoire avant la construction du sens atteste de la nécessité pour les enseignant·e·s d’introduire de nouveaux outils lorsqu’ils ou elles abordent avec leurs élèves des textes qui peuvent être déroutants et pour lesquels leur méthodologie habituelle semble ne pas suffire.

Les différents travaux portant sur l’analyse des objets enseignés menés par le GRAFE nous conduisent à conclure qu’il est nécessaire de prendre en compte l’histoire et l’évolution de l’enseignement pour comprendre et décrire les pratiques observées.

Ces dernières se forment en effet à travers la rencontre des enseignants, dans leur passé et leur présent, avec de nombreuses pratiques appartenant à des moments historiques différents : dans leur propre biographie d’élève à différents niveaux d’une scolarisation longue et avec une très grande variété de personnes, dans les discours de la profession, dans les prescriptions et recommandations. Pour analyser et comprendre ces pratiques, la connaissance de leur histoire et de leur grande variété de formes est un présupposé. L’analyse de l’enseignement présuppose donc toujours aussi une analyse et connaissance de l’histoire de l’enseignement afin de dégager des variations des pratiques en synchronie les traces de leurs transformations diachroniques. (Schneuwly & Ronveaux, sous presse)

La coexistence de pratiques innovantes et anciennes est donc à prendre en compte lorsqu’une nouvelle démarche est expérimentée : quelle place le nouvel outil trouvera-t-il au sein des pratiques habituelles ? Un autre facteur doit être considéré : l’utilisation de l’outil innovant se fera-t-elle dans sa forme initiale ou dans une version transformée ? Comme nous l’avons expliqué précédemment, nous comptons sur la fonction transformatrice de l’outil pour modifier les pratiques, mais nous devons aussi considérer la transformation que l’enseignant·e opère sur l’outil.

La coexistence de pratiques innovantes et anciennes est donc à prendre en compte lorsqu’une nouvelle démarche est expérimentée : quelle place le nouvel outil trouvera-t-il au sein des pratiques habituelles ? Un autre facteur doit être considéré : l’utilisation de l’outil innovant se fera-t-elle dans sa forme initiale ou dans une version transformée ? Comme nous l’avons expliqué précédemment, nous comptons sur la fonction transformatrice de l’outil pour modifier les pratiques, mais nous devons aussi considérer la transformation que l’enseignant·e opère sur l’outil.