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De 1964 à 1971 : République Démocratique du Congo De 1971 à 1997 : République du Zaïre

2 LES FONDEMENTS DE L'ÉGLISE ANGLICANE DU CONGO: UN GAGE OU UN DÉF

2.1. Les origines de l'Église anglicane du Congo et sa dépendance extérieure

L'Église anglicane est entrée au Congo par deux voies différentes. La première entrée a eu lieu en 1896, par le biais des catéchistes ougandais, sous l'égide de la Church Missionary Society (CMS) de l'Angleterre, de tradition évangélique.

Cette première Église fut établie à Boga, dans le district de l'Ituri, la province orientale, dans le nord-est du Congo. La seconde entrée s'est effectuée à partir de la Zambie, sous l'égide d'une autre société missionnaire, la United Society for Propagating of the Gospel (USPG) de l'Angleterre, de tradition anglo-catholique. Elle a couvert le sud-est du Congo, notamment la Province du Katanga (cf. surtout Élisabethville, actuelle Lubumbashi). Comme l'écrit Tim Naish:

tradition de l'Église Haute (Anglo-catholique), et dans les années 1950 un prêtre venait de la Zambie une fois par mois pour célébrer la messe. Ils occupèrent ainsi le petit bâtiment abandonné par l'Église Réformée Allemande.17

Cette Église était restée confinée uniquement à la tribu Bemba et aux colons britanniques travaillant dans L'Union Minière du Haut Katanga. Elle n'a pas connu d'expansion, ni dans la ville de Lubumbashi, ni dans les autres parties du Katanga. Comme on peut bien le constater, les deux entrées, celle de Lubumbashi et de Boga étaient facilitées par l'affinité tribale et linguistique des évangélisés et de l'évangélisateur.

L'Église de Boga, malgré son affinité culturelle avec le Bunyoro, était consciente de son rôle missionnaire, et c'est elle qui s'est répandue partout au Congo, englobant même celle de Lubumbashi. Mais cette Église restera, pour une longue période (1896-1980), sous !'administration et le contrôle total de l'Église de l'Ouganda qui était elle-même sous le contrôle de l'Angleterre. Le destin de l'Église anglicane du Congo se jouait ainsi en Ouganda, même si à partir de 1976 un Conseil francophone ait été créé, ayant une certaine autonomie, pour l'Église anglicane du Burundi, du Rwanda et du Congo qui faisait partie de la Province ecclésiastique de l'Ouganda. Les missionnaires et les enseignants étaient, au départ, fournis par l'Ouganda.

Les synodes qui décidaient du sort de l'Église se tenaient en Ouganda sans associer les Congolais d'une façon substantielle aux décisions. L'administration centrale pour toutes les affaires de l'Église se trouvait en Ouganda. Dans cette situation, les Banyamboga étaient mieux indiqués pour représenter l'Église du Congo, d'autant plus qu'ils connaissaient bien les langues ougandaises. Les autres tribus adhérèrent à l'Église anglicane comme les païens adhéraient au judaïsme par la circoncision ou les barbares à l'hellénisme en apprenant la sagesse grecque. En effet, le catéchisme et le Livre de la Prière Commune en Kihema (Lunyoro) étaient imposés à toutes les tribus indistinctement, et celles-ci étaient obligées d'apprendre le kihema pour être baptisées. Ainsi, véhiculé par une langue étrangère, l'Évangile paraissait comme l'apanage du peuple Banyamboga, le seul qui maîtrisait la langue kihema. Ce défaut était transporté jusque dans !'administration de l'Église anglicane, ce qui donnait la coloration d'une colonisation culturelle des noirs par les noirs. Les Banyamboga avaient ainsi la part du lion dans cette Église, car sur le plan local, ils détenaient le pouvoir de décision sur tout, au point que les autres tribus iront jusqu'à qualifier l'Église anglicane comme étant "celle des Bahema" (Kanisa ya Bohema) et se considéraient comme dépendants d'eux.

17 NAISH, T., "An Experience of Francophone Anglicans", in A. WINGATE - K. WARD - C. PEMBERTON (ed .),Anglicanism: A Global Communion, London, Mowbray, 1998, p. 165..

Les Banyamboga considéraient en effet l'Église anglicane comme leur propriété, avec raison pour ainsi dire: c'est le chef Tabaro de Boga qui était allé chercher l'Église en Ouganda. "Cuius regio, illius religio = Telle la religion du prince, telle celle du pays". Georges Titre Ande écrit à ce sujet:

L'Église de l'Angleterre au Congo est installée surtout grâce au chef Paulo Tabaro Π (17e roi de la dynastie de Boga), parti voir le chef Kasagama de Toro, Ouganda, pour que cette région soit sous la juridiction britannique. Le contact avec les enseignements sur la nouvelle foi a permis à Tabaro de demander des évangélistes pour qu'ils viennent propager ces enseignements à Boga.18

2.2.1. Le caractère étranger de l'Église anglicane au Congo

L'Église anglicane resta étrangère pour les autres tribus du Congo. En effet, l'Église anglicane ayant commencé à Boga, les habitants de cette contrée n'ont plus pensé à faciliter aux autres tribus la réception de l'Évangile. Leur langue, le kinyoro, était considérée comme la seule véhiculaire de l'Évangile. Sur le plan administratif, par exemple, les termes kinyoro comme kihanda (prêtre ou curé), sabadikoni (archidiacre), obulisa (bergerie ou paroisse), endoboro (sacs où sont gardés les offrandes), etc. ont été imposés aux tribus voisines.

Quant au culte, il se déroulait en langue kinyoro même dans les autres tribus alors que la plupart des gens n'y comprenaient pas grand chose. Le Livre de la Prière Commune en Kinyoro n'a été traduit, du moins des extraits, en swahili qu'en 1973 pour permettre aux autres tribus d'avoir accès à la liturgie. Compte tenu du fait que chez les Anglicans la liturgie exprime la foi, l'on comprend que de 1896 à 1973 les tribus dont le kinyoro n'était pas la langue maternelle adoraient sans comprendre qui et pourquoi ils adoraient (situation qui d'ailleurs et soit dit en passant n'était pas tellement différente de la messe latine catholique d'avant Vatican Π). Cela avait été un frein à l'Évangélisation du Congo par les Anglicans19.Voilà une des raisons pour laquelle l'Église anglicane est restée longtemps confinée dans un petit coin de l'Ituri. Au cours de ces 80 ans, l'Église s'est auto- marginalisée et a rayonné dans une sphère de 80 km2 seulement, dans un grand Congo qui mesure 2.345.409 km2 de superficie.

18 TITRE ANDE, G., "L'Église anglicane du Congo: une province francophone", in A. WINGATE - K. WARD - C. PEMBERTON (ed.), Anglicanism: A Global Communion, op. cit., p. 98.

2.2.2. Le sens du sobriquet "Kivebulaya"

À cette situation, il faut encore ajouter le sobriquet d'Apolo, "Kivebulaya", qui signifiait quelque chose provenant de l'Europe. Ce sobriquet résumait à tort ou à raison l'idée même que se faisaient les gens de l'Évangélisation. Ce qu'il racontait, ce qu'il enseignait et la liturgie de l'Église anglicane elle-même était quelque chose de l'Europe qu'Apolo avait apporté au Congo. Apolo était ainsi devenu un héros mythique dans le milieu de Boga, de sorte qu'on trouve encore aujourd'hui des gens qui résistent à tout changement, la raison étant qu'Apolo n'avait pas enseigné cela, il n'avait pas dit ou fait cela.

Cette idée de faire d'Apolo un personnage mythique a conduit même à ignorer les mérites des autres missionnaires et serviteurs de Dieu qui à travers les âges ont oeuvré pour l'essor de l'Église anglicane du Congo. La diaconesse Lucy et son époux, Mgr Philip Ridsdale, le premier évêque de Boga, répondant à nos questionnaires sur le travail d'Apolo, en novembre 1998, nous ont écrit ce qui suit: "Le travail d'Apolo était la fondation de l'église au Congo, il était devenu un Munyamboga, mais l'Évangile vivant ne dépendait pas de lui mais avait sa racine dans le Christ, c'est pourquoi il se développait". Ainsi dans la pratique, cette tribu semblait parfois accorder plus d'importance à la personne d'Apolo qu'à l'action du Saint-Esprit dans l'Église.

Un autre exemple frappant est qu'en 1980, lors de notre préparation personnelle à l'ordre du diaconat, le vieux Joji s'approcha de nous et nous posa cette question: "Est-ce que votre papa a connu Apolo ou était-il anglican?" Nous avons répondu: "Non". Et il nous dit: "Vous n'êtes donc pas anglican et ne connaissez rien de l'Anglicanisme". Cela montre suffisamment que ce qui importait pour lui était la connaissance de la personne d'Apolo et moins la question d'avoir la véritable foi en Dieu.

En 1985, une discussion surgit encore entre les deux archidiacres de Kindu, Vénérable Isaya qui avait déjà visité Boga et Vénérable Kimbili qui n'avait pas été à Boga. Isaya dit à ce dernier qu'il ne méritait pas d'être archidiacre parce qu'il n’avait pas encore été à Boga pour voir la tombe d’Apolo. C'est dire toute l'importance d'Apolo Kivebulaya dans la vie de ces premiers anglicans.

Cela dit, Apolo reste un monument dans l'histoire de l'Église anglicane du Congo et en Ouganda, mais l'influence de Boga et du culte mythique d'Apolo diminuera avec la création des autres diocèses au Congo. Ceux-ci reconnaissent en lui les mérites de la sainteté de la vie et du zèle pour l'Évangile de Jésus-Christ ainsi que le modèle d'amour pour le peuple de Dieu. Ils trouvent son ministère exemplaire, inspirant et encourageant et voudraient l'imiter comme un serviteur fidèle de Dieu, mais non faire de lui un personnage mythique, au point de négliger l'essentiel de la foi.

2.2.3 Le qualificatif "anglican"

Une autre raison pour laquelle l'Église continue d'apparaître comme étrangère à beaucoup de chrétiens congolais, trouve sa justification dans la dénomination elle-même: le qualificatif "anglican", qui fait penser à quelque chose appartenant aux Anglais. Dans beaucoup de pays touchés par l'anglicanisme, ce qualificatif a été remplacé par celui de "épiscopal" en vue d'éviter justement cette connotation anglaise. C'est ainsi que ce que nous appelons l'Église anglicane au Congo, passe ailleurs sous la dénomination: "l'Église épiscopale" des États-Unis, du Soudan, du Burundi, du Brésil, etc. Et même en Angleterre, cette Église ne s'appelle pas l'Église anglicane mais bien "l'Église d'Angleterre" (Church of England).

Qu'il soit venu au Congo par l'Église catholique ou par l'Église protestante, le christianisme reste un produit d'importation qui n'est pas encore parvenu à mettre le Congolais à l'aise dans l'Église, en matière de foi. Le missionnaire Maddox, qui a exercé aussi son ministère à Boga, écrit ceci: "Toro a reçu le christianisme avec deux mains, beaucoup de gens viennent au baptême mais sans savoir s'ils ont besoin du Sauveur. Peu de gens comprennent plus tard, mais nombreux sont ceux qui ne comprennent pas du tout".20

Devant le caractère étranger du christianisme, la résistance se dessine, d'une manière tacite, car l'Africain ne peut se débarrasser de sa culture et de ses croyances, comme par un coup de baguette magique, en faveur d'une culture étrangère dont la présentation ne le convainc pas et qui ne présente pas de garantie suffisante pour sa survie morale et spirituelle. Seul un dialogue sincère et franc entre le christianisme et les cultures traditionnelles peut conduire à une situation de foi vivante et enracinée dans le vécu quotidien, car le baptisé aura compris en quoi il s'accroche et croit, sa culture traditionnelle n'étant plus perçue comme un amas de pratiques diaboliques, sans plus.