• Aucun résultat trouvé

De 1964 à 1971 : République Démocratique du Congo De 1971 à 1997 : République du Zaïre

1.3 Apolo Kivebulaya, un apôtre africain pour le Congo

1.3.1. L'arrivée à Boga

La première graine de l'évangélisation anglicane pour le Congo tomba en 1896 à Boga. "Apolo vit s'étendre dans le lointain une grande forêt, et la voix de Dieu se fit entendre dans son coeur pour qu'il entreprenne une tâche d'évangélisation au sein de ces forêts du Congo".4 C'est donc des monts Ruwenzori qu'Apolo repéra le village de Boga à cause des fumées qui s'y dégageaient au loin et il commença à songer à apporter la Bonne Nouvelle à cette lointaine contrée.

Apolo était un jeune homme, converti de l'Islam, baptisé depuis seulement une année, mais trouvé sincère et fidèle par les autorités ecclésiastiques. Il suivit une formation biblique de courte durée à Namirembe, Kampala. Il fut engagé comme catéchiste l'année même de son baptême et envoyé à Toro (Ouganda). Entre-temps, en 1896, Tabaro, le chef coutumier de Boga, vint à Toro, pour solliciter le protectorat5 anglais pour son entité administrative. C'est à cette occasion qu'il apprit les nouvelles de l'Évangile par son homologue de Toro.

Il apprit en même temps que les gens étaient en train d'apprendre à lire et à écrire. Le chef Tabaro ne tarda pas à formuler sa demande pour avoir des catéchistes ougandais à Boga. Peu de temps après, deux catéchistes, Sedulaka et Petero, le rejoignirent à Boga. Mais ces derniers eurent un

3 LUCK, A .,African Saint, the Story of Apolo Kivebulaya, Great Britain, S CM Press, 1963, p. 68. H n'existe pratiquement pas d'écrits substantiels sur l'histoire de l'Église anglicane du Congo, à l'exception de ce livre dont nous nous servirons abondamment dans notre premier chapitre.

4 BRAECKMAN, E. M., Histoire du protestantisme au Congo, Bruxelles, Librairie des Éclaireurs

Unionistes, 1961, p. 253.

5 II convient de noter que pendant cette période, Boga fait l'objet de contestation entre le Congo Belge et la colonie britannique de l'Ouganda. La région de Boga ne deviendra définitivement partie du Congo Belge qu'en 1911. Cependant l'Église anglicane du Congo continuera à dépendre de l'Église anglicane de l'Ouganda à tous points de vue, jusqu'à deux décennies après l'indépendance du Congo en 1960.

ministère difficile et regagnèrent l'Ouganda après un court moment de ministère à Boga. Apolo Kivebulaya fut alors envoyé à Boga, accompagné de Sedulaka, en remplacement des précédents catéchistes qui venaient de rentrer en Ouganda.

Le nom Kivebulaya veut dire littéralement "ce qui provient de l'Europe". C'est un sobriquet qui fut donné à Apolo par plaisanterie en raison de son habillement quelque peu différent de la pratique habituelle de son milieu à l'époque. Il portait en effet un veston de couleur rouge (tenue réservée aux militaires) sur une robe masculine de couleur blanche. "Je suis plein de gloire en tant que soldat de Jésus", disait-il fréquemment. Ce veston lui aurait été donné par le Major Roddy Owen de l'armée britannique. Il s'agissait donc de ce veston , lorsqu'il parlait de "ce qui provient d'Europe", un habillement qui lui donnait beaucoup de fierté dans son ministère.

1.3.2. Le travail d'un évangélisateur

À l'arrivée des premiers missionnaires anglicans à Boga, personne ne pouvait s'attendre à un ministère facile. Dans ce milieu, les autochtones n’avaient jamais été en contact avec l'Évangile. La plupart des pratiques traditionnelles étaient incompatibles avec la Parole de Dieu.

En effet, la consommation de boissons alcooliques était le principal loisir tant pour les hommes que pour les femmes. Le fétichisme ainsi que la sorcellerie avaient une influence prépondérante sur la population. Le culte rendu aux Ancêtres et aux esprits dits bienveillants était l'unique moyen de se concilier le monde des puissances invisibles. Certaines personnes étaient possédées par des esprits mauvais. La polygamie battait son plein. Il y avait aussi à Boga, la pratique de l'esclavage.6 Les gens, surtout les enfants, étaient échangés contre divers produits. Les esclaves étaient souvent les habitants de la forêt que les Banyamboga mettaient à leur service après les avoir achetés en échange de nourriture ou de terre à cultiver. Ces esclaves étaient utilisés comme monnaie courante dans toute transaction. Un peu plus loin de Boga, chez le peuple Nyali, se pratiquait le cannibalisme.7 C'est à ce genre de problèmes que Apolo Kivebulaya et ses collaborateurs allaient être confrontés.

Connaissant certains motifs d'échec de ses prédécesseurs, Apolo , au cours de son voyage de l'Ouganda à Boga, a voulu résoudre d'abord le problème vital de la subsistance alimentaire. Poursuivant son chemin pour Boga, comme il passait à travers la forêt, il s'est muni de sticks de bois qu'il entrevoyait utiliser comme manches de houes pour cultiver le champ. Par cet acte, Apolo

avait résolu l'un des problèmes qui avaient suscité la méfiance des autochtones à l'égard de ses prédécesseurs. Il réussit dès son arrivée à gagner l'estime du chef qui a vu en lui un homme qui ne cherche pas à vivre aux dépens des autres. Dans la suite de sa vie à Boga, il restera un homme attaché aux travaux de la terre afin de répondre aux besoins alimentaires de ses visiteurs et aux siens propres à l'exemple de l'Apôtre Paul (Ac 20: 33-34).

Concernant l'évangélisation à Boga, les habitants de cette contrée s'étaient d'abord montrés insensibles au message évangélique apporté par Apolo. L'évangélisation superficielle de ses prédécesseurs n'avait pas laissé de traces remarquables. Par son oeuvre d'évangélisation intense, Apolo réussit en décembre 1896 à inscrire 13 personnes au catéchuménat. Les premiers chrétiens furent ainsi baptisés le 4 avril 1897 par le Rév. J. S. Callis.

1.3.3. L'Église naissante dans les épreuves

Le moment de joie de la première récolte sera aussitôt suivi par celui d'épreuves. B y ala mutinerie de l'armée belge dirigée par le baron Dhanis. Ces hommes armés étaient impitoyables. Boga ne fut pas épargné par ce désastre. Les maisons ainsi que l'église furent incendiées, de nombreux biens pillés y compris des femmes et des enfants. Ce malheur fut immédiatement suivi de la mort prématurée du fils du chef Tabaro. Découragé, ce dernier ordonna qu'il fallait revenir aux pratiques de la religion traditionnelle, celle de rendre un culte aux mânes des Ancêtres. Il avoua publiquement que Dieu n'existait pas.

Ayant été consultés pour connaître l'origine de ces malheurs, les féticheurs et les voyants préten- dirent que cela était dû à la présence des catéchistes dans le village. Ceci suscita davantage la haine du chef à l'égard des chrétiens et de cette jeune Église. Ainsi de nombreux chrétiens furent chassés de la cour royale. D'autres se plièrent tout simplement aux ordres du chef et quittèrent l'Église. L'épreuve la plus dure eut lieu en 1898, lorsque le petit noyau de fidèles, conduit par le chef spirituel Apolo, décida de construire une église. Pendant qu'ils préparaient le terrain, une lance était déposée à côté du mur de la maison d'Apolo. Tout à coup, ils virent le feu de brousse surgir derrière la résidence du chef Tabaro. C'était pendant la période de la saison sèche et le feu de brousse n'était pas facile à maîtriser. Comme ce feu s'approchait de la maison d'Apolo, il fallait immédiatement commencer à faire sortir les effets de la maison pour les épargner d'un éventuel incendie. Devant ces mouvements incontrôlés, une jeune fille, Malyamu Tu guita, soeur du chef Tabaro, tomba en courant sur la lance déposée contre la maison d'Apolo. Elle fut grièvement blessée et mourut quelque temps après.

Ayant appris cette nouvelle, le chef mobilisa un groupe de personnes armées de lances et de machettes en vue d'éliminer Apolo. Ce dernier se retira dans sa maison. Croyant qu'il était armé d'une lance, personne n'osa le poursuivre à l'intérieur de sa maison. Leur action se limita à percer les murs à l'aide de lances. La mère du chef Tabaro intervint finalement en s'écriant: "Si vous tuez, sans raison, cet homme Apolo, qui est seul dans sa maison, vous serez à votre tour tués". Les gens redoutaient en effet !'intervention des Anglais présents en Ouganda qui viendraient démettre le chef Tabaro de son trône royal. Quelques chrétiens rencontrés au domicile d'Apolo furent sérieusement battus. D'autres se réfugièrent à Toro (Ouganda). Puis après avoir fait sortir Apolo de sa maison, cette dernière fut brûlée. Apolo, après avoir été battu, fut ensuite transféré à Mitego chez le chef Baligyangira qui était le fiancé de la regrettée Malyamu Tagüita. Mais celui-ci se garda de verser le sang de cet homme de Dieu. Π résolut de le transférer à Toro, chez un officier anglais, le capitaine Stewell afin qu'il répondît lui-même aux accusations de meurtre portées contre lui.

Le chef Tabaro refusa alors de donner un morceau de son territoire aux chrétiens pour bâtir une église. Il donna les ordres suivants aux chrétiens: a) vous ne bâtirez pas d'églises ici; b) il vous est interdit de vous visiter les uns les autres; quiconque transgressera cette loi sera battu; c) vous ne devez pas donner de nourriture aux catéchistes; laissez-les mourir ou ils s'en vont ailleurs.8 9

1.3.4. La vision en prison

Quand Apolo arriva en Ouganda, il fut mis en prison à Fort Gerry , en attendant son jugement. Là, il eut un rêve qui l'encouragea grandement et qu'il racontera plus tard:

Le Christ m'est apparu dans le songe pendant la nuit quand j'étais en train de me demander si je devais supporter d'être ligoté et poussé à coup de lances, et de voir ma maison brûlée, être battu tous les jours, invectivé et regardé avec mauvais yeux. Ce sont là des choses qui me tentaient à fuir du Congo. Pendant que j'étais en train de réfléchir sur ces choses , je vis Jésus Christ brillant comme le soleil et il me dit: Prends courage, je suis avec toi. Je répliquais en disant: "Qui est celui qui me parle?" Il répondit pour la seconde fois en disant: Je suis Jésus Christ. Prêche à mon peuple. N'aies pas peur P

Et Apolo d'ajouter: "depuis cette année( 1898), quand je prêchais aux gens, ils abandonnaient rapidement leurs coutumes et se repentaient".

Cette succession de dures épreuves n'a pu empêcher Apolo Kivebulaya de continuer son oeuvre sur le terrain de mission. Aussitôt relâché, et avec l'encouragement reçu durant le songe en prison, il s'empressa de regagner Boga afin de continuer l'oeuvre qu'il avait déjà entreprise.

H avait de nouveau à faire face à beaucoup d'oppositions et de mauvais traitements, mais il était patient et persévérant et surtout un homme d'une grande foi. C'était le début du ministère fructueux au milieu des autochtones. Π réussit à étendre l'évangélisation aux tribus environnantes.

Il avait même réussi à convertir au christianisme le chef Tabaro que personne ne croyait qu'il pouvait un jour accepter cette religion. Le chef commença à soutenir Apolo dans son ministère pour lequel il était tout dévoué. Mgr Alfred Tucker fit, le 28 novembre 1898, sa première visite pastorale à Boga. À cette occasion, treize autres personnes furent baptisées, et les sept parmi les premiers baptisés furent confirmés. La communauté chrétienne de Boga croissait ainsi petit à petit.

Apolo Kivebulaya fut ordonné diacre le 21 décembre 1900 à Kabarole, Toro. Son ordination à la prêtrise eut lieu en juin 1903 à Kampala. Après cette ordination, Apolo passa plusieurs années en Ouganda, travaillant en même temps pour l'Église de Toro et de Boga. Pendant ce temps, il visitera plusieurs fois l'Église de Boga, et prêchera et enseignera à différents endroits.

C'est en 1916 qu'il retournera définitivement à Boga, avec quelques séjours en Ouganda. Il oeuvra d'abord à 1 'affermissement de la communauté chrétienne, puis passa à la construction des églises (en pisé) à Boga et dans les villages environnants. Après les travaux de reconstruction de l'église de Boga, les parents commencèrent à amener leurs enfants, pour apprendre à lire et à écrire. Au bout de quelques mois, on trouvait la résidence d'Apolo pleine de jeunes, filles et garçons. C'était le début de l'école de formation des catéchistes. Entre-temps, en 1917, Apolo avait obtenu des autorités coloniales belges à Irumu, l'autorisation de continuer ses activités missionnaires à Boga, car jusqu'à présent, il semblait fonctionner dans la clandestinité.

L'effort d'évangélisation, concentré pendant ce temps dans la contrée de Boga et ses environs, avait fait de ce lieu un site viable. Boga prenait déjà l'aspect d'un centre missionnaire pour la formation et l'envoi des catéchistes. Jusque là, Apolo s'était penché sur l'évangélisation des habitants de la savane. Il lui restait alors à étendre son action aux peuples de la forêt au sud-est de Boga.