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5.5 Processus ontogéniques, plasticité phénotypique, origine et lieu de formation des drageons

5.5.2 Origine anatomique et lieu de formation des drageons

Poskin (1939) définit les Dr comme des « pousses se produisant sur les racines, d’habitude traçantes ». Leur développement étant « excité par la mutilation de la tige ou des organes souterrains, et parfois, le dépérissement de la partie aérienne. Ils se constituent un enracinement propre et deviennent indépendants ». L’origine des Dr est souvent imprécise et porte également à confusion : pour Cochet (1959), les Dr sont issus de « bourgeons préexistants sur les racines ». Raynal-Roques (1994) parle de « rameau issu d’un bourgeon apparu à un emplacement inhabituel pour un tel organe (sur une racine ou sur le tronc) ». Le CILF (1999) reprend cette classification en indiquant la nature adventive de la tige : « tige adventive naissant sur une racine traçante chez

159 certains végétaux ligneux ; ne pas confondre avec rejet (de souche) ». Plusieurs auteurs s’accordent à considérer les Dr comme étant issus de bourgeons adventifs racinaires (Guinier 1947 ; Bary-Lenger et al. 1974 ; Pagès 1985). Du Laurens et al. (2000) affirment que les Dr peuvent également être issus de bourgeons racinaires proventifs. Ils ajoutent que « les plantes formant des bourgeons racinaires proventifs ont une stratégie de développement par Dge, ou au moins, en partie, celles formant des bourgeons racinaires adventifs drageonnent plutôt par opportunisme ».

Pour la clarté de ce sous-chapitre, quelques lignes des chapitres 3.4 et 3.5 seront reprises ci-dessous. Sur une tige aérienne, sur un stolon et sur un rhizome (chapitre 3.8), les nœuds et entre-nœuds sont localisés. Sur une racine, il n’y a pas de marqueur morphologique. Contrairement à la BFB, la BSR ne porte pas de nœud, ni de bourgeon axillaire. De plus, si la distinction sur une tige ou sur une souche entre bourgeons adventifs et proventifs (chapitre 3.4.2) n’est pas simple, que dire de ces derniers dans le sol ? Cette différence semble pourtant essentielle. De nos jours, on parle peu des bourgeons proventifs. Poskin (1939) associe les bourgeons proventifs à une phase de latence (bourgeons dormants). Guinier et al. (1947) précisent à propos des bourgeons proventifs des tiges qu’« ils restent en apparence inertes », mais qu’ils « donnent naissance chaque année à quelques cellules formant un petit rameau, englobé par le bois et l’écorce du rameau. Le bourgeon se trouve donc repoussé vers l’extérieur et peut se maintenir à la surface du rameau, malgré l’accroissement en diamètre ». Le bourgeon proventif, qui lui se distingue par sa capacité à un raccordement à la moelle (Poskin 1939), a toujours un avenir quand il est libéré des corrélations d’inhibition (Bellefontaine et al. 2003-a et b).

Divers chercheurs ont cependant observé l’anatomie des racines porteuses de Dr. Ainsi, selon Aumeeruddy (1984), « une levée d’inhibition des bourgeons ou la néoformation de méristèmes sont à l’origine du développement des rejets : a) les bourgeons inhibés, préformés (partiellement recouverts par l’écorce ; la connexion avec le cambium n’est pas toujours visible), ou proventifs se forment en position axillaire lors du développement de la plantule ; b) les bourgeons néoformés ou adventifs, s’individualisent à partir de tissus parenchymateux et ne sont pas directement associés aux méristèmes apicaux à des endroits dictés par la phyllotaxie de la plante » … « ils peuvent recréer le lien avec la vascularisation des anciens bourgeons ».

Pour du Laurens et al. (2000), « l’origine histologique des ‘bourgeons racinaires’ est connue (Hartmann et al. 1997)…Les plantes formant des bourgeons racinaires proventifs ont une ‘stratégie’ de développement par Dge ou au moins en partie. Par contre, les plantes formant des bourgeons racinaires adventifs drageonnent par opportunisme. Le Dge serait favorisé par des racines traçantes, par leur jeunesse, par le sol (bien éclairé, bien aéré et à bonne température), par des perturbations du système racinaire. Il semblerait cependant que des zones soient plus propices : les fourches, les coudes ou encore les boursouflures. Ces dernières seraient liées à un stockage de réserves dont le Dr pourrait profiter ».

Eliasson (1961) note qu’occasionnellement des bourgeons ou autres protubérances bien

visibles apparaissent sur les racines de Populus tremuloides, mais le plus souvent ces Dr prennent

naissance sur des parties superficielles de racines sans aucune différence observable avec les autres parties racinaires. Souvent, plusieurs pousses émergent ensemble, probablement depuis un cal. De même, des pousses peuvent occasionnellement se développer à partir de cals induits suite à une blessure, mais ce type de pousse est d’importance secondaire. Eliasson (1971-b) a mis en évidence que les Dr ne se développent pas sur des racines de peuplier nouvellement formées, mais sur des

racines ayant développé une couche corticale et entamé un développement secondaire (cité par du

160 Maini & Horton (1966), citant Sandberg (1951), affirment que P. tremuloides se régénère principalement par Dr issus adventivement du péricycle des racines latérales traçantes. Ils estiment comme Sandberg (1951) et Farmer (1961) que les Dr sont pour la plupart issus de bourgeons formés durant l’année plutôt que de bourgeons dormants.

Schier et al. (1985-a) se basant sur des articles de Brown (1935), Sandberg (1951), Schier (1973-c) affirment que les Dr de P. tremuloïdes se développent depuis les méristèmes situés dans le

phellogène à tout moment lors de la croissance secondaire et lorsque les tiges d’un clone sont

coupées, les Dr émergent de méristèmes néoformés ou de méristèmes racinaires existants (dormants). Lavertu et al. (1994) rappellent que Schier (1973) note l’existence de deux types de Dr : issus de méristèmes néoformés (qui peuvent induire la production de Dr suite à des blessures) ou issus de bourgeons dormants.

A l’aide de BSR placées en serre et observées après 21 jours, Schier & Campbell (1976) comparent l’aptitude au Dge de P. angustifolia, P. deltoides, P. balsamifera, P. tremuloides. Pour P. tremuloides les Dr sont produits à partir du périderme au niveau des primordiums dormants

préexistants qui proviennent de la région du phellogène (Dr de surface), alors que pour P.

angustifolia, P. deltoides, P. balsamifera, les Dr peuvent provenir du périderme, mais aussi du

cambium exposé à l’extrémité des boutures (Dr terminaux). Ces derniers n’apparaissent qu’à une

extrémité de la bouture, rarement aux deux. C’est seulement quand les racines subissent un stress exposant le cambium que les Dr pourraient apparaître à partir des bourgeons nouvellement formés, semblables à ceux qui apparaissent à l’extrémité des boutures. Les Dr les plus nombreux pour ces quatre espèces sont cependant issus de bourgeons dormants enfoncés dans le périderme (Schier & Campbell 1976).

Clair-Maczulajtys (1985) citant Schier & Campbell (1976) signale que le lieu d'initiation des

bourgeons diffère selon les espèces. En effet, des îlots méristématiques préexistent soit au niveau du péricycle, soit à proximité du périderme. Dans sa thèse relative à Ailanthus altissima (synonyme :

A. glandulosa), Clair-Maczulajtys (1985) précise qu’au niveau de l'hypocotyle 13 des bourgeons adventifs peuvent également être initiés. Cette zone constituera chez le jeune plant, et plus tard chez l'arbre, la région de transition entre les racines et le tronc (le « collet »). Ce collet apparaît comme une zone privilégiée d'accumulation de sucres solubles et possède des territoires méristématiques qui peuvent évoluer en bourgeons caulinaires à la suite d'un récépage. De même, des morceaux de racines, prélevés sur de jeunes ailanthes de deux mois, sont déjà capables de produire des bourgeons caulinaires. Clair-Maczulajtys (1985) observe plusieurs types de bourgeons. En plus des « bourgeons adventifs apparus sur la section de tige », cet auteur distingue « des bourgeons localisés dans le parenchyme cortical de la zone du collet, provenant du développement de territoires méristématiques préexistants » et des « bourgeons déjà en place dans l’écorce des racines latérales qui ne se développent que très exceptionnellement ».

Selon la littérature consultée par Pagès (1985), les bourgeons adventifs peuvent être issus de

méristèmes néoformés à partir « i) d’un tissu permanent : le parenchyme de l’écorce chez le tilleul ou

le péricycle chez le robinier, divers peupliers et Liquidambar styraciflua ; ii) de méristèmes très différenciés et spécialisés : cambium chez le frêne, les peupliers, le saule ou le phellogène sur divers peupliers; iii) de cals : bourgeons cicatriciels ».

Pour Lacey & Johnston (1990), de nombreux ligneux forment des Dr depuis des bourgeons adventifs racinaires. Ces bourgeons peuvent être associés à des tissus blessés (Büsgen & Münch 1929) ou peuvent se développer dans des tissus sains de l’axe racinaire principal, par exemple pour

161 beaucoup de plantes du désert (Kaasas 1966), chez Castanea sativa (observation personnelle de Lacey) ou dans les racines traçantes horizontales (Populus spp., Eucalyptus tetrodonta).

Dans le nord du Dakota, Sassafras albidum est tolérant aux sols xériques et est capable de grandir rapidement après diverses perturbations infligées au milieu. Après avoir prélevé des BSR sur treize clones (Bosela 1995) et les avoir stockés en sachet plastique en milieu ambiant pendant plusieurs mois, Bosela & Ewers (1997) sectionnent transversalement avec un microtome coulissant (40 µm) toutes les BSR qui ont rejeté. Les observations microscopiques de diverses parties des racines (dont des protubérances coniques) ont révélé la présence de 117 bourgeons additionnels sur les échantillons de racines tous clones confondus ; ces bourgeons sont visibles en général à la surface des racines. 67 bourgeons réparateurs ont également été trouvés sur sept des treize clones. Les bourgeons additionnels se forment uniquement durant la première phase de croissance de la racine. Durant la seconde phase de croissance racinaire, des bourgeons réparateurs peuvent se former de novo dans le péricycle.

Selon Hartmann et al. (1997), les bourgeons adventifs apparaissent sur de jeunes racines au niveau du péricycle près du cambium vasculaire. Cette origine varie cependant en fonction de l’âge de la racine et de la blessure qui lui a été infligée : « The developping buds first appear as groups of thin-walled cells having a prominent nucleus and a dense cytoplasm. In old roots, buds may arise in a callus-like growth from the phellogen, or they may appear in a callus-like proliferation from vascular ray tissue. Bud primordia may also develop from wound callus tissue that proliferates from the cut ends of injured surfaces of the roots, or they may arise at random from cortex parenchyma » (Hartmann et al. 1997).

Pour observer le lieu et mode de formation des bourgeons responsables du Dge, Hayashi & Appezzato-da-Gloria (2009) ont utilisé des BSR pour cinq espèces ligneuses : Bauhinia forficata, Centrolobium tomentosum, Inga laurina, Esenbeckia febrifuga, Hymenaea courbaril. Pour la première, C. tomentosum, l’origine du bourgeon se situe dans le cambium vasculaire et dans les cals pour B. forficata et E. febrifuga, et pour I. laurina dans la prolifération du parenchyme du phloème. H. courbaril ne répond pas aux tests d’induction, sans doute à cause de l’âge de l’arbre et E. febrifuga émet des Dr quand le tronc est coupé ou quand les racines sont sectionnées et isolées de l’arbre-mère.

Sur les racines des Monocotylédones commes celles des Dicotylédones, les chercheurs ont observé des bourgeons racinaires endogènes, qui à la suite d’un traumatisme vont produire, par dédifférenciation de cellules, un cal néoformé, duquel va émerger en surface une pousse feuillée ou Dr. « Les primordia des bourgeons racinaires…proviennent de l’intérieur des tissus racinaires…parfois très près de l’apex racinaire » (Bell 1993).

Charles-Dominique et al. (2015) ont essayé de relier le type et la position du bourgeon (sur l’arbre et sous terre) à la résilience aux feux de 63 espèces ligneuses en Afrique du sud. Ils ont décrit quatre types de position et protection des bourgeons : a) bourgeon couvert totalement par l’écorce (sans dépression), b) bourgeon à peine visible au fond d’une dépression dans l’écorce, c) bourgeon dont une faible partie émerge à la surface de l’écorce (sans dépression), d) bourgeon situé à la surface de l’écorce. Une de leurs conclusions est que les espèces qui développent une faible

protection de leurs bourgeons ne peuvent survivre dans les zones régulièrement parcourues par les feux que si elles émettent des Dr ; les autres peuvent survivre parce que leurs bourgeons sont très bien protégés.

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162 Figure n° 94. Quatre types de position et de protection des bourgeons (Charles-Dominique et al. (2015).