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3 STRATEGIES OU COMPORTEMENTS VEGETAUX ET DEFINITIONS

Les plantes adoptent des « stratégies » ou des comportements végétaux variables en fonction de divers facteurs. Dans n’importe quel écosystème, les pressions de sélection influencent très fortement les ligneux, forcément moins mobiles dans l’espace que les animaux. Divers stimuli stressants pour les ligneux peuvent être à l’origine de mutations (sécheresses, bactéries, ultra-violets, etc.). Les découvertes dans le domaine de l’épigénétique commencent à affluer et pour Arabidopsis thaliana, petite crucifère, il a été prouvé scientifiquement que le souvenir de facteurs perturbants et stressants est transmis à sa descendance afin qu’elle s’adapte à ces nouvelles conditions difficiles (Molinier et al. 2006).

Il est donc vital en ce début de XXIème siècle, synonyme de la prise de conscience généralisée du réchauffement climatique, de mieux étudier les caractères spécifiques de réaction des ligneux

face à ces pressions de sélection et ces contraintes climatiques, pédologiques, ontogéniques. Pour rappel, l'ontogenèse est la science qui décrit les transformations structurelles observées dans un être vivant (ici, un ligneux dans le cadre de cette synthèse) qui lui confèrent son développement progressivement et donnent son organisation depuis sa conception à sa forme finale.

Avant d’aborder ces points, nous souhaitons préciser quelques notions et essayer de leur attribuer une définition générale.

3.1 Conquêtes de nouveaux espaces, totipotence et population clonale

3.1.1 Conquêtes de nouveaux espaces

Pour se régénérer, les ligneux ont besoin de mécanismes performants de dissémination par graines et dans certains cas de diverses possibilités de MV naturelle « sur place » (RS, rejet basal, rejet de collet, gourmand, réitérat) ou à quelques distances de l’arbre-mère (Dr, MT, BFB : branche tombée sur le sol et/ou emportée par des crues et recouverte de sédiments frais). Fructifications

abondantes, potentiels de dispersion efficaces et modes de MV variés conditionnent la conquête de nouveaux territoires. Plus performante que la reproduction, la MV permet à un ligneux de

coloniser l’espace forestier à un rythme plus rapide que les graines. La MV se trouve ainsi avantagée dans la compétition (Raynal-Roques 1994).

Un exemple nous est apporté par la thèse de Charles-Dominique (2011) : Cornus sericea et Prunus virginiana possèdent une structure buissonnante à stolon : en fonction du manque de lumière dans un site fermé par une canopée dense, des ligneux peuvent coloniser par MV l’espace couvert jusqu’à une clairière, où ils peuvent se développer, puis fructifier.

En Ouganda, Meunier (2006) a observé un comportement similaire pour Harungana madagascariensis.

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Figures n° 7 à 9. En Ouganda, quand il est à l’ombre de la lumière directe, Harungana madagascariensis émet des drageons filiformes (photo n° 7), déterrés et sans racine (photo n° 8), qui tôt ou tard s’affaissent sur le sol (photo n° 9) et produisent

de nouveaux axes feuillés (et ultérieurement des racines) (Photos Q. Meunier).

Dans le cas de la reproduction dans un « espace forestier » ou une forêt, il est recommandé au fil du temps de réaliser des éclaircies afin de sélectionner les meilleurs parents. Ainsi, dans une plantation forestière, si les éclaircies successives n’ont pas été effectuées régulièrement ou si elles n’ont pas été marquées par le haut (favorisant surtout les tiges les plus prometteuses), toutes les strates de régénérations naturelles existantes au sol sont issues du croisement entre arbres d’avenir et arbres défectueux, courbés, malingres, tortueux. Dans un peuplement presqu’arrivé à maturité, on ne doit, en principe, conserver les semis naturels obtenus qu’après une éclaircie préparatoire à l’ensemencement, ce qui n’est presque jamais réalisé en Afrique notamment (à l’exception de quelques rares pays : Afrique du Sud, Maroc, etc. ?). Cette éclaircie a comme objectif principal de « favoriser le développement des arbres capables d’assurer en temps voulu le bon ensemencement d’un sol maintenu en bon état de réceptivité » (Métro 1975). Or, pour satisfaire aux besoins des industriels ou des populations rurales, ce sont souvent les plus beaux

phénotypes qui sont prélevés au cours de la vie d’un peuplement non-aménagé, laissant ainsi se

régénérer ensuite un ensemble de phénotypes de second choix. L’éclaircie furetée, fréquente dans les pays moins avancés, modifie les distributions spatiales des individus et la qualité de la régénération. Elle a en conséquence des effets sur la diversité génétique et sur la reproduction, paramètres essentiels de la conservation in situ des espèces.

Dans certains espaces forestiers, en fonction de l’environnement et des contraintes du milieu, certaines espèces se régénèrent préférentiellement par Dr (chapitres 3.5, 5 et 8) et d’autres par MT (chapitre 2.7 ; Bellefontaine et al. 2016). Un exemple parmi des centaines : la laurisylve aux îles Canaries montre un tempérament bien particulier (Fernandez-Palacios & Arévalo 1998) : « Les résultats suggèrent l’existence de trois groupes écologiques bien définis : le groupe des espèces pionnières (régénération préférentiellement par semis), le groupe des espèces non-pionnières (régénération par semis et Dr) et le groupe comprenant les autres espèces (régénération préférentiellement par Dr). Une caractéristique importante de cette forêt (la laurisilve) est son haut taux de régénération asexuée parmi les arbres (essentiellement par Dge) ».

La MV produit des plants génétiquement identiques à la plante-mère (Hartmann et al. 1997). Ainsi depuis des centaines d’années, sauf durant de rares années très exceptionnelles (graines abondantes, excellentes conditions de germination et de croissance), les chercheurs dans leur très grande majorité ont affirmé que Populus tremuloides se multipliait presqu’exclusivement par Dge (Schier & Zasada 1973 ; Snedden et al. 2010 ; et de très nombreux autres auteurs – voyez les

39 chapitres 5.3 et 8). Cette espèce, qui a la réputation de se multiplier végétativement et presqu’exclusivement par Dge depuis des centaines d’années, forme une population clonale composée d’un ou de plusieurs genets (Encadré n° 1) issus de la germination de graines lors d’années favorables. Elle forme donc un ensemble mixte composé de rarres semis et d’une majorité de Dr. Dans la région de Fish Lake (Utah), De Woody et al. (2008) ont analysé les gènes et ont trouvé 43,3 ha de P. tremuloides du même clone (chapitre 5.3.3). Ce peuplement comporte de très nombreux troncs qui sont en fait des ramets (Encadré n° 1) [ce sont les modules d’un genet qui peuvent être encore connectés, donc non-affranchis au genet par leurs racines ou être devenus indépendants par auto-sevrage]. Dans ce cas, l’éclaircie sélective pose de très sérieux problèmes aux sylviculteurs. 3.1.2 Totipotence et organes adventifs

La totipotence permet aux plantes de reconstituer un organisme entier à partir de cellules végétales (Encadré n° 4). Ces dernières, différenciées et sans aucun méristème, ont la faculté de se dédifférencier en cellules spécialisées et de reproduire une plante identique à la plante-mère (clone). Les processus de morphogenèse et d'organogenèse sont dévolus aux tissus méristématiques qui conservent, souvent tout au long de la vie de la plante, la capacité de se diviser, de se dédifférencier et d'établir une organogenèse permanente. En ce sens, ils sont les homologues des cellules souches des animaux. Cette propriété est exploitée depuis l’âge des temps par l’homme qui a mis au point diverses techniques de MV. Mais une population monoclonale naturelle est une population de ligneux génétiquement identiques, issue d’un seul plant par MV (qui ne fait pas appel aux organes de reproduction). La propagation de maladies est parfois l’inconvénient principal de la MV, entre autres au sein d’un cultivar (Encadré n° 1), mais les avantages principaux sont importants :

- l’appareil végétatif se reproduit uniquement par divisions cellulaires par mitoses ; ces dernières donnent naissance à une descendance rigoureusement identique à l’ «arbre plus» sélectionné ;

- les ramets et variétés clonales, produits par une technique de MV, installés dans le même milieu que l’«arbre plus», contenant le même microsymbionte, s’adaptent sans problème au site (sauf en cas de changement climatique trop rapide ?).

L’origine des organes adventifs se situe dans des tissus différenciés. Les cellules de leurs tissus ayant perdu toute activité prolifératrice, une dédifférenciation cellulaire par mitose permet de créer un organe adventif néoformé (Encadré n° 4). En laboratoire en conditions strictement contôlées, on peut utiliser des hormones de bouturage pour initier des néo-méristèmes.

ENCADRE N° 4 : DEDIFFERENCIATION ET ORGANES ADVENTIFS

Un organe végétatif est qualifié d'adventif quand, s'ajoutant secondairement à d'autres organes du même type, il est d'une autre origine et occupe une position différente.

Par exemple, les racines adventives peuvent apparaître le long de tiges en place : crampons du lierre, racines des rhizomes et des marcottes terrestres, etc. De même, les racines fasciculées des Graminées sont des racines adventives, car les racines séminales apparues lors de la germination avortent très tôt chez ces plantes.

40 bourgeons adventifs sur des racines, des tiges, des feuilles, des cotylédons et même des pièces florales (sépales et pétales). Ces bourgeons sont à l'origine des drageons portés par les racines et des rejets sur la section des troncs. Ils permettent le bouturage à partir de feuilles isolées chez certaines espèces (par exemple les bégonias). D'une manière générale, les organes adventifs concourent à la multiplication végétative naturelle et artificielle des plantes supérieures.

Les organes adventifs se mettent en place à partir de tissus bien différenciés, c'est-à-dire de tissus

dont les cellules ont perdu toute activité prolifératrice, parallèlement à l'acquisition des modifications structurales liées aux fonctions spécialisées qu'elles exercent. Une dédifférenciation

cellulaire aboutissant à la reprise d'une activité mitotique, donc de la multiplication cellulaire, est

alors nécessaire pour ébaucher l'organe adventif néoformé qui prend naissance.

Les organes adventifs, dont le rôle est si grand dans la vie du végétal, n'ont pas leur équivalent chez l'animal, et cela en rapport avec le fait que la dédifférenciation cellulaire est beaucoup plus intense et plus diversifiée dans le règne végétal que dans le règne animal.

Extrait de Gorenflot R., «Adventifs organes», Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 3 juillet 2014, URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/organes-adventifs/.

3.1.3 Stratégies ou comportements ?

Dans ce chapitre, nous aborderons quelques « comportements végétaux » liées à la MV des ligneux, dont les plus simples à appliquer sur le terrain pour les populations rurales africaines seront ensuite largement détaillés dans les chapitres suivants. C’est pourquoi dans ce chapitre-ci, nous nous limiterons à une courte définition et à quelques précisions afin de faciliter la compréhension du lecteur. Ces définitions sont toujours très imparfaites, car il existe un continuum dans la nature et les chercheurs n’ont pas toujours tous les éléments pour définir avec précision les divers processus de MV et les « stratégies » des ligneux.

Schnell (1994) distingue les stratégies de survie et celles d’expansion : « Bon nombre de stratégies contribuent à assurer la survie de la plante, et par conséquent le maintien de l’espèce dans le temps. Il en est d’autres qui assurent son expansion dans l’espace ».

Le dictionnaire, en l’occurrence « Le Nouveau Petit Robert de la langue française », donne du terme « stratège » et « stratégie » un premier sens très militaire. Le deuxième sens est « un ensemble d’actions coordonnées, de manœuvre en vue d’une victoire ». Quant au nouveau dictionnaire des synonymes (Larousse), il nous renvoie à « tactique ». Ces termes font penser à une intelligence humaine, tout comme Napoléon distinguait la stratégie et la tactique. Les plantes pensent-elles ? Nous ne répondrons pas à cette question, mais ce qui semble certain, c’est qu’elles se « comportent » différemment lorsqu’elles sont soumises à divers stress. C’est pourquoi, nous privilégierons tout au long de cette synthèse le terme « comportement » à celui de « stratégie ».

Le mot « tempérament » utilisé par Fernandez-Palacios & Arévalo (1998) pourrait être adopté, mais il fait trop songer à l’humain et pas assez au végétal. Selon le dictionnaire Larousse, c’est une « disposition générale de l'humeur et de la sensibilité d'un sujet dans sa relation avec lui-même et le milieu extérieur ».

Quant au comportement, selon le Larousse, c’est une « manière d'être, d'agir ou de réagir des êtres humains, d'un groupe, des animaux ». Les principaux comportements fondamentaux sont

41 les comportements alimentaire, sexuel, maternel, social, de défense ou d’inhibition de l’action lorsque la fuite est impossible, etc. Le comportement végétal ne peut être limité, à notre avis comme Wikipédia le fait, aux mouvements : fermetures de pétales de fleurs ou de folioles liés au mécanisme hydrodynamique de la turgescence ; fermeture des pièges des plantes carnivores ; mouvement des feuilles dû à des stimuli chimiques ou sonores rendant les feuilles moins appétissantes pour les herbivores.

Parmi ces « comportements végétaux », il est utile dans cette synthèse de rappeler les trois principaux mécanismes de la succession chez les végétaux proposés par Connell & Slatyer (1977) : le modèle de facilitation, le modèle de tolérance, le modèle d’inhibition.

« Qu'il s'agisse de revégétalisation de jachères ou de colonisation des friches et accrues 2, toute terre laissée à l'abandon est envahie par une végétation colonisatrice et à la longue par un accru (peuplements forestiers souvent clairs et désordonnés) » (Gauberville 1997). « Les colonisations sont classées selon trois modèles :

de facilitation : l'espèce pionnière prépare l'arrivée d'espèces non pionnières et cède ensuite le terrain ;

de tolérance : le terrain est partagé entre l'espèce pionnière et d'autres espèces non pionnières

qui demandent un léger couvert dans le jeune âge ;

d'inhibition : seule l'espèce pionnière s'installe, car elle a adopté des stratégies privilégiant à la fois la régénération sexuée et asexuée, notamment par drageonnage » (Connell & Slatyer, in Gauberville 1997).

Quezel & Médail (2003) précisent que le premier modèle repose sur le rôle favorable joué par certains végétaux pionniers. Pour le deuxième, « les espèces pionnières ont peu d’influence sur l’implantation des végétaux des stades ultérieurs qui peuvent exploiter plus efficacement les ressources du milieu ». Dans le modèle d’inhibition, certaines espèces empêchent l’installation d’autres par allélopathie ou encombrement spatial.

Ces modèles « négligent malgré tout des paramètres comme la dispersion, le rôle de la prédation et l’impact des perturbations » (Quezel & Médail 2003). Clair-Macjulatys (1985) souligne que les litières des Dr de l’ailanthe font intervenir l’allélopathie pour empêcher l’implantation d’autres espèces.

3.1.4 Bibliographie

- Charles-Dominique T., 2011. Analyse des relations entre plasticité architecturale des buissons et prolifération de leurs populations. Thèse en co-tutelle, Université Montpellier-2 (France) et Université de Montréal (Canada), 113 p. + ann. (7 p.). Thèse disponible sur HAL : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00663793

- Clair-Maczulajtys D., 1985. Quelques aspects de la biologie de l’Ailanthus altissima (Mill.) Swingle. Etude de la double stratégie de reproduction par graines et par drageonnement en relation avec les métabolites de réserve. Thèse, Université Paris VII (France), 441 p. + ann. ; https://books.google.fr /books/about/Quelques_Aspects_De_La_Biologie_De_L_ AIL.html?id=TrsUYAAACAAJ&redir_esc=y

2

L’accrue forestière est une extension d’un bois par des rejets naturels (les accrus ou rejetons produits par la racine [NDLR : drageons] ou un terrain gagné spontanément par la forêt par suite de l'abandon de son utilisation précédente (Gauberville 1997).

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- Connell J.H. & Slatyer R.O., 1977.Mechanisms of succession in natural communities and their role in community stability and organization. The American Naturalist 111 (982): 1119-1144.

- De Woody J., Rowe C.A., Hipkins V.D., Mock K.E. 2008. “Pando” lives: molecular genetic evidence of a giant aspen clone in central Utah. Western North American Naturalist 68 (4): 493–497. doi:10.3398/1527-0904-68.4.493

- Fernandez-Palacios J.M. & Arévalo J.R., 1998. Regeneration strategies of tree species in the laurel forest of Tenerife (The Canary Islands). Plant Ecology 137: 21-29.

- Gauberville C., 1997. Les accrus. Des boisements mélangés spontanés, à faible coût. Forêt-entreprise 118: 34-36.

- Gorenflot R., «Adventifs organes», Encyclopædia Universalis, URL : http://www.universalis.fr/ encyclopedie/organes-adventifs/.

- Hartmann H.T., Kester D.E., Davies F.T. Jr, Geneve R.L., 1997. Plant Propagation - Principles and Practices. Prentice Hall Int., INC., 6th ed., 770 p., http://www.eolss.net/sample-chapters/c10/E5-24-02-02.pdf

- Métro A., 1975. Dictionnaire forestier multilingue. Association française des Eaux et Forêts, Conseil international de la langue française, Imprimerie Boudin, Paris, 432 p.

- Molinier J., Ries G., Zipfel C., Hohn B., 2006. Transgeneration memory of stress in plants. Nature 31, 442 (7106): 1046-1049, https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16892047

- Schier G.A. & Zasada J.C., 1973. Role of carbohydrate reserves in the development of root suckers in Populus tremuloides. Canadian Journal of Forest Research 3: 243-250.

- Schnell R. (1994). Les stratégies végétales. Essai de morphologie évolutive. Masson , Paris, 128 p. - Snedden J., Landhäusser S.M., Lieffers V.J., Charleson L.R., 2010. Propagating trembling aspen from root cuttings: impact of storage length and phenological period of root donor plants. New forests 39: 169-182.