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5.6.1 Quelques distances relevées entre l’arbre-mère et les drageons

Il existerait un gradient de vigueur des Dr tout au long de la racine-mère qui les porte. Les

plus vigoureux étant situés dans la zone proximale, proche du tronc et du collet (qui a

vraisemblablement des réserves importantes en glucides) et les plus petits dans la partie distale, la plus éloignée du collet. « Le Dge est surtout abondant à l’aplomb des cimes des pieds-mères, et, plus on s’éloigne du tronc, plus les Dr sont de petite taille » (du Laurens et al. 2000).

Figure n° 97. Au Togo, les drageons d’Isoberlinia doka apparaissent souvent dans les 3 à 5 mètres autour de l’arbre-mère (Photo M. Dourma).

Les Dr peuvent émerger à plusieurs dizaines de mètres par rapport au pied de l’arbre-mère ou de la souche (si l’arbre a été coupé), ou dans d’autres cas, à quelques centimètres de la souche de l’arbre-mère. Dans ce dernier cas, il faudrait à notre avis vérifier s’ils ne sont pas issus de RB, RC ou d’une tubérisation de la racine pivotante ou d’un TL, qui couvre parfois sous la surface du sol des superficies de plusieurs m² (chapitre 3.8). « Chez Isoberlinia, les Dr se remarquent sur les racines

165 proches de la surface au niveau de boursouflures et de renflements. Ils sont très fréquents autour du pied-mère : de 8 à 22 Dr de tailles diverses s’insèrent à des distances variables de l’arbre-mère. Les Dr se répartissent autour de ce dernier, principalement sur un rayon situé entre 1 et 2,5 m et jusqu’à plus de 10 m sur sols bien drainés et profonds. Leur nombre semble augmenter considérablement sous l’effet du brûlis, après l’abattage de l’arbre-mère…Le Dge respectivement pour I. doka et I. tomentosa assure 56,2 et 83,4 % de la régénération dans les champs et les jachères, alors qu’en forêt, il ne représente que 35,3 et 39,1 % » (Dourma et al. 2006).

Dans les peuplements âgés de P. tremula, les Dr émergent le plus souvent dans les vingt premiers mètres (Bärring 1988). L’éloignement maximal entre peuplier-mère et Dr distal est de 31,7 et 33,5 mètres [Buell & Buell (1959) et Petrov (1967), cités par Bärring 1988]. Selon Drapier (1993-b), le Dge s'observe couramment à plus de 20 mètres du pied-mère chez l’alisier torminal (Sorbus torminalis) et même jusqu’à 82 m (Alignon 1999). Le merisier (Prunus avium) est en France une espèce disséminée par pieds isolés, par taches ou bouquets, et par peuplements. Dans le cas des taches, « les peuplements de bouquets généralement espacés les uns des autres regroupent quelques tiges à plusieurs dizaines...souvent par drageonnage sur un rayon de 15 mètres environ. Ces taches de drageonnage...peuvent atteindre une surface de l’ordre de 700 m²...La distance la plus grande entre deux arbres de même génotype est de 80 mètres » (Fernandez et al. 1994). Dans le cas d’un peuplement, on rencontre, soit des peuplements “normaux” où le merisier représente plus de 20 % des tiges régulièrement réparties sur une superficie supérieure à 0,5 ha, soit des peuplements de lisière, où sur une largeur de 10 à 50 mètres, les merisiers représentent plus de 10 % des tiges (Bellefontaine et al. 2003-a, 2003-b).

Les Dr s’étendent souvent à proximité du tronc du ligneux porteur (arbre-mère), mais pour certaines espèces, les distances sont considérables, d’autant que parfois les Dr sont entre-temps devenus autonomes. Dans ce dernier cas, ce sont des études génétiques qui ont permis d’attester la clonalité. Les distances qui figurent ci-dessous sont extraites du chapitre 8 et les plus grandes sont signalées en caractères gras.

Acacia dealbata : 2 à 5 m. Ailanthus altissima : 30 m. Albizia adianthifolia : 5,2 m. Albizia zygia : 10,5 m. Allophylus africana : 3 m. Capparis decidua : 4 à 5 m. Colubrina glandulosa : 14 m. Crossopteryx febrifuga : 0,5 m. Diospyros melanoxylon : 30-40 m. Fagus grandifolia : 15 m. Fagus sylvatica : 6 m. Faidherbia albida : 22, 20-30, 100 m. Nothofagus pullei : 7 m. Populus euphratica : 12 ; 40 m. Populus nigra : 100 m.

Prunus avium : 15, 25, 80 m. Prunus insitia : 25 m. Pteleopsis suberosa : 1,5 m.

Rhus javanica : 53 m. Robinia pseudacacia : 3 m. Salix exigua : 325 m² pour un clone. Sorbus torminalis : 15 ; 18 ;

25 ; 74, 77, 79, 81 m.

Toona sinensis : à des distances

considérables.

Xerodermis stuhlmannii : 1,5 m.

Dans certains écosystèmes, la MV de certaines espèces peut être très rapide au cours d’un siècle (Jacq 2001 ; Bellefontaine et al. 2003-a, 2003-b ; Jacq et al. 2005). Ce dynamisme se répercute au sein de générations successives. Beaucoup de ligneux émettent des Dr entre 1 à 20 mètres. Ces Dr peuvent former alors des taches de Dge (Schier 1973-a ; Clair-Maczulajtys 1985 ; Pagès 1985 ; Hasnaoui 1991 ; Coates-Palgrave 1998). Il est facile d’imaginer que ces taches de Dr peuvent à la

longue poser des problèmes aux sylviculteurs et aménagistes chargés de réaliser des éclaircies,

spécialement dans un peuplement semencier d’origine clonale : ils pourraient conserver, sans s’en rendre compte, les plus beaux individus ayant tous le même génotype et ainsi, en supprimant les sujets les moins performants, favoriser une dépression de consanguinité (Baskin & Baskin 2015).

166 5.6.2 Affranchissement des drageons

Qu'il s'agisse sur une racine-mère de l'abscission naturelle d'un Dr, de l'élagage des branches ou d'une infection causée par une blessure, un ligneux blessé réagit de trois façons, selon Shigo (2000). « Tout d'abord, il renforce les limites des compartiments déjà existants pour éviter la propagation de l'infection. Ce renforcement est de nature chimique. L'activité métabolique des cellules entourant le site de la blessure se modifie et les glucides sont oxydés. Certaines de ces molécules oxydées sont des phénols aux propriétés anti-microbiennes. La deuxième réponse est la création de nouvelles parois par des procédés anatomiques et chimiques. Le cambium produit plus de cellules parenchymateuses résistantes aux micro-organismes. Les cellules de parenchyme autour des vaisseaux (feuillus) ou trachéides (conifères) gonflent et l'obturent, ce qui empêche la propagation de l'infection. Les arbres ont une troisième façon de se défendre : en produisant des tissus neufs qui entourent la zone d'infection. La capacité qu'ont les ligneux de se séparer de certaines parties d'eux-mêmes ressemble beaucoup à la défense contre les infections : l'abscission correspond en effet à une sorte de compartimentage. Des branches et de grosses racines peuvent se séparer de l'arbre à la suite d'une blessure ou d'une infection ou une fois que l'organe a atteint un stade de sénescence particulier ». Bationo et al. (2002) signalent le cas de blessures de racines de Detarium microcarpum par des rongeurs et la présence d’une régénération par graines et par Dr. Cette troisième façon de se défendre pourrait expliquer que certains de ces Dr peuvent vraisemblablement devenir autonomes.

Dans les savanes africaines, Menaut (1983) a observé que les parties aériennes semi-ligneuses de certains arbres, émergeant de structures plagiotropiques et souterrainnes, peuvent constituer des touffes (« clumps ») denses semblables à des Dr issus de racines après un stress. Ainsi, les pousses latérales [NDLR : St ? Rh ?] de Piliostigma thonningii qui s’étendent sous la surface du sol ne forment pas de racines et ne peuvent s’affranchir de l’arbre-mère. Par contre, pour Landolphia tholloni, Ochna arenaria et Parinari pumila, des racines néoformées permettent à ces espèces de devenir autonomes et de s’individualiser (Menaut 1983).

Les Dr peuvent être produits à n’importe quel stade du cycle de vie de l’arbre, mais ils ne deviendront des arbres adultes qu’uniquement sous certaines circonstances (Koop 1987). Ainsi les facteurs de la nutrition, et plus particulièrement les substances carbonées, éléments essentiels à la croissance des bourgeons et des tiges, sont alors indispensables à la croissance des Dr et des bourgeons axillaires, une fois la dominance apicale levée (du Laurens et al. 2000).

Cassagnaud & Facon (1999) ont étudié dans la garrigue calcaire du sud de la France, le sumac des corroyeurs (Rhus coriaria) qui est un arbuste drageonnant de 3 à 4 mètres de hauteur. Un clone en bordure d’un chemin a été excavé afin de mettre à jour le système racinaire et de mieux comprendre les relations entre les ramets, le clone et le milieu. A première vue, on constate un gradient des hauteurs : les plus grands sont en bordure du chemin et « plus on s’éloigne de cette zone, plus leur taille diminue » (Cassagnaud & Facon 1999). L’infrastructure racinaire « est constituée par un réseau de racines ligneuses de fort diamètre reliant tous les Dr entre eux, qui dérivent les unes des autres en faisant des fourches (par réitération partielle) qui permettent l’extension du clone ».

167 Figure n° 98. Vue cavalière du réseau de racines et de drageons de Rhus coriaria (Cassagnaud & Facon).

Ce réseau de racines est apparemment l’élément le plus pérenne, car les parties aériennes

des pousses feuillées des Dr peuvent disparaître (feu). Mais ces auteurs signalent que certaines

portions de racines peuvent mourir et conduire à l’affranchissement de certains ramets : « dans la

zone la plus ancienne du clone, certaines parties racinaires sont mortes, ce qui a permis une fragmentation du clone en plusieurs éléments autonomes ». Ce système racinaire clonal est varié, car certaines d’entre elles « portent latéralement des racines grêles (1 cm maximum de diamètre) à durée de vie plus courte qui assurent les prélèvements d’eau et de nutriments dans le sol…En plus de cette occupation traçante et en surface du sol, certaines s’enfoncent de manière quasi-verticale dans le sol…A proximité, d’autres racines remontent en surface…De plus, dans la zone de courbure de ces racines plongeantes peut démarrer une (ou plusieurs) racine ligneuse horizontale qui prend le relais dans l’expansion du clone…Après un Dr, une grosse racine se résout parfois en un système de racines de faible diamètre. Elles forment alors un chevelu de racines qui, à une exception près dans le clone étudié, semble dans l’incapacité de porter des Dr » (Cassagnaud & Facon 1999).

Ces Dr n’apparaissent pas n’importe comment, ni n’importe où et certains peuvent devenir

autonomes et s’affranchir de l’arbre-mère en développant leur propre système racinaire (Cassagnaud & Facon 1999) : « Une étude précise des Dr donne des indications quant à leur

structure dans le temps et dans l’espace. Ainsi, une zonation par classes d’âges révèle une diminution progressive de l’âge des Dr (avec un âge maximum de 21 ans) au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la partie la plus ancienne du clone. Ceci correspond à la mise en place de drageons de manière séquentielle au cours du développement des racines ligneuses. On peut noter un accroissement en diamètre préférentiel de la partie racinaire en aval du Dr séquentiel, à mesure qu’il grandit. De plus, ces Dr (que l’on nommera Dr primaires) vont être renforcés par l’apparition (par réitération) de plusieurs Dr (appelés Dr secondaires) d’âges différents, soit à la base du Dr primaire, soit dans la zone

168 racinaire proche. Il y a donc régénération du Dr primaire par mise en place de Dr secondaires successifs. On peut remarquer que ces derniers sont constitués d’unités de croissance beaucoup plus grandes que celles des Dr séquentiels. Enfin, dans la partie la plus ancienne, des jeunes Dr se sont développés et ont alors mis en place leur propre système racinaire » (Cassagnaud & Facon 1999).

En ce qui concerne l'ailante (Ailanthus altissima ou A. glandulosa), l’individualisation du Dr se produit par un phénomène d’auto-amputation résultant de l’apparition de nodules de suber dans le

parenchyme cortical de la racine-mère qui prolifèrent jusqu’à constituer la zone de scission

(Clair-Maczulajtys 1985, in Bellefontaine & Monteuis 2002).

Figures n° 99 et 100. En France, le drageon d’ailanthe âgé de trois ans est autonome à la suite du dépérissement de la racine-mère (Clair-Macjulajtys 1985).

De plus, « l'examen d'axes de Dr florifères récoltés à Puget-Theniers (France) montre que la floraison n'est pas un phénomène exceptionnel ou d'alternance, mais se produit chaque année et mis à part l'existence d'un "moignon de recépage" situé au ras du sol, le système racinaire propre au Dr florifère n'est pratiquement pas développé (ce qui empêche tout affranchissement du Dr). La présence de tiges florifères n'entraîne pas la formation d'un système racinaire nouveau. Alors que pour les Dr stériles (non florifères), un système racinaire propre au Dr se développe et parallèlement, on assiste à une auto-amputation. Celle-ci se produit en amont du Dr sur la racine-mère, ce qui permet à ce type de Dr plus vigoureux de s'affranchir » (Clair-Maczulajtys 1985).

169 Figure n° 101. Un drageon florifère d’ailanthe a une surface foliaire quatre fois moins importante et ne devient pas autonome, alors qu’un drageon stérile acquiert son autonomie et développe son propre enracinement (Dessin de

Clair-Macjulajtys 1985).

A Mayotte, selon Jacq (2001, 2002) et Jacq et al. (2004), les Dr d’une espèce envahissante (Litsea glutinosa) ont une aptitude à s’affranchir de la plante-mère dès le jeune âge. Dans la 2ème moitié du XXème siècle, alors que les nuisances sur l’écosystème de certains produits chimiques n’étaient pas encore connues, divers chercheurs ont tenté de contrôler chimiquement les taches de

Dr (chapitre 5.7.3.7). Le Dge était jugé intempestif, notamment dans les ranches et les parcours

bovins (César 1977), car l’embroussaillement causait la disparition complète des graminées. Certains ligneux se sont montrés très résistants à la gamme de produits utilisés, avec apparition de RS et/ou de nombreux Dr émis à quelques mètres de l’arbre traité. César (1977) conseille de traiter chaque Dr,

car les Dr de Daniellia oliveri, situés parfois dans un rayon de 40 mètres et plus, peuvent acquérir très rapidement leur indépendance vis-à-vis du pied-mère.

Figures 102 et 103. En Polynésie, les drageons (excavés pour les besoins de la photo) de Litsea glutinosa forment précocement des racines en vue d’acquérir une autonomie complète, en moins de deux ans généralement (Photos F. Jacq).

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Nos connaissances relatives à l’affranchissement des Dr ne sont encore qu’excessivement partielles. Ceci est du au fait que les forestiers et divers scientifiques sous-estiment ou

méconnaissent l’existence de cette forme de régénération, peu apparente, puisque souterraine. A ce stade, remarquons que deux ligneux forment rarement des Dr autonomes selon Ouedraogo (2006) : Bombax costatum et Dalbergia melanoxylon, alors que pour une vingtaine d’espèces ligneuses, l’autonomie des Dr est due à une nécrose naturelle de la racine-mère ou à des rongeurs :

Acacia sp. « Dandaragan » Ailanthus altissima Albizia procera

Corylus colurna Corylus maxima Daniellia oliveri

Detarium microcarpum Diospyros melanoxylon Faidherbia albida Liquidambar styraciflua Litsea glutinosa Lophira lanceolata Miconia calvescens Pericopsis angolensis Pericopsis laxiflora Populus tremuloides Pteleopsis suberosa Quercus ilex

Rhus coriaria Rollinia sylvatica Rubus sp.

Pour ces vingt et un ligneux, les références des chercheurs qui mentionnent la prise d’autonomie conduisant à un système racinaire indépendant de celui de l’arbre-mère figurent dans la quatrième colonne du très grand tableau (chapitre 8) et dans la bibliographie (chapitre 9).

En régions méditerranéennes, le chêne vert (Quercus ilex) est connu pour sa capacité à drageonner ; au début du XXème siècle, alors que l’exploitation forestière n’était pas encore mécanisée et se faisait à la hache, l’affranchissement des Dr de Q. ilex était généré par la technique du « saut de piquet » qui consistait à fendre la souche en quatre parties qui étaient ensuite détachées (Guinier 1947 ; Boudy 1950-a ; Alexandrian 1992).