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3.6 Le bouturage

3.6.1 Le bouturage de fragments de tige et/ou de branche (BgeFB)

Cette technique de MV ne sera que survolée ici, car l’objectif de cette synthèse est principalement focalisé sur les Dr et les BSR. Elle consiste à récolter un fragment de tige et/ou un segment de racine, voire une feuille vivante [par exemple pour les plantes d’ombre incapables, par manque d’énergie solaire, de produire de grossses graines : Henckelea platypus, herbacée en forêt dense tropicale en Malaisie (Hallé 2014)], et de les repositionner dans un substrat filtrant. Les bourgeons axillaires, libérés de la dominance apicale, présents sur la BFB vont donner des feuilles qui par photosynthèse produiront de novo des racines. « Cette reconstitution implique le fonctionnement de méristèmes nouveaux, qui ne préexistaient pas dans le fragment initial…Ces méristèmes nouveaux résultent d’une dédifférenciation cellulaire…Ils apparaissent en des endroits précis…Le cal cicatriciel est généralement un site privilégié de régénération de nouveaux méristèmes » (Raynal-Roques 1994).

Figure n° 36. Bouture de fragment de branche âgée de huit mois en pépinière à Dakar (Photo P. Danthu).

Certains clones ou variétés ont une aptitude supérieure à s’enraciner par rapport à d’autres de la même espèce. La néoformation d’un réseau de racines et l’émergence de bourgeons foliaires apparaissent en quelques jours ou semaines, en fonction de la saison de végétation, de la température, de la lumière du jour et de la technique utilisée. L’arbre-mère sélectionné est reproduit à l’identique. Par rapport aux semis, la floraison à un jeune âge est suivie d’une production précoce de fruits, ce qui est souvent un avantage décisif.

Le BgeFB peut être naturel lorsqu’il est causé par exemple par une tornade ou un animal. Ce

sont alors des fragments de rameaux ou de branches qui tombent sur le sol et si les conditions le permettent, ces fragments s’enracinent (Salomon 2008 ; Fonty 2011 ; Charles-Dominique 2011). Le cas est assez fréquent en forêt tropicale humide (Blanc 2003 ; Hallé 2005), même pour des feuilles de certaines espèces tombées au sol ou pour de jeunes plants effilés et grêles (Meunier et al. 2006).

Au Niger à Banizoumbou, village qui ne reçoit annuellement que 500 à 550 mm de pluies réparties entre les mois de juin et septembre, des branches oubliées par des bûcherons (Bellefontaine 2005-a, 2005-b) se sont enracinées (Figures n° 37 et 38).

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Figures n° 37 et 38. A gauche, une branche de Guiera senegalensis (arrachée, avec à son extrémité proximale un lambeau d'écorce) s’est enracinée durant la saison des pluies (Photo S. Karim). A droite, une grosse branche coupée (assimilée à une

macro-bouture horizontale) de Combretum, s’est enracinée à Banizoumbou (Photo S. Karim).

Le BgeFB est encore naturel et fréquent lorsqu’à la suite d’un coup de vent, un volis (une cime, un ensemble de branches) tombe dans une rivière et est arrêté plus en aval, au point de rupture de pente, sur des sédiments (Rood et al. 2003-a, 2003-b ; Rundel et al. 2003 ; Chong et al. 2013). Dans une forêt ripicole ou une forêt-galerie, les troncs emportés par un fleuve en crue et qui se déposent en aval peuvent être assimilés à des MB, puisque déracinés (Rood et al. 2003-a ; Labrada & Díaz Medina 2009 ; Meyer et al. 2011). Le cas des chablis, lorsque l’arbre est couché au sol, mais toujours partiellement enraciné, est différent du volis ; il est dès lors assimilé à une MT (Bellefontaine et al. 2016) et présenté au chapitre 3.7.

Figures n° 39 et 40. Réitération sur un tronc de Terminalia ivorensis en Côte d’Ivoire (Photo R. Peltier) et sur Hyeronima laxiflora (lors d’un cyclone, baliveau tombé, qui a produit des racines et un tronc) en Guadelouppe (Photo F. Jacq).

Le BgeFB artificiel, réalisé par l’homme, est la technique la plus courante citée dans la

bibliographie internationale relative à la MV. Beaucoup d’essais de BgeFB ont été réalisés en Afrique avec des succès très variables. Exception faite du Congo, du Maroc, de l’Afrique du Sud et de rares autres pays africains, peu de pays d’Afrique peuvent se targuer d’avoir produit de façon industrielle des boutures ligneuses ou semi-ligneuses. Au contraire, le constat de nombreux essais africains fait remonter généralement un pourcentage de réussite souvent peu élevé, dû à des techniques mal dominées ou des tissus végétaux inappropriés (BFB prélevées sur de vieux arbres, BFB mises en place en dehors de la saison la plus propice, emploi peu orthodoxe d’hormones, etc.).

90 En général, un matériel végétal ontogéniquement jeune se bouturera bien mieux que des BFB prélevées sur des arbres mûrs (Hartmann et al. 1997). Ainsi, on privilégiera les boutures récoltées sur des très jeunes plants sélectionnés pour un caractère recherché (Bellefontaine et al. 2010, 2013) ou sur des RS après abattage de l’arbre-mère, sur des RC ou des RB si l’arbre âgé en possède, sur des Dr si l’espèce est drageonnante, donc sur des parties de l’arbre reconnues juvéniles en fonction de l’analyse architecturale.

L’âge et le lieu de prélèvement des BFB, sur la branche ou sur la tige, influencent l’enracinement de la BFB, tant quantitativement que qualitativement. « On évitera d’effectuer des prélèvements sur des plantes en floraison, et a fortiori sur des plantes sénescentes… L’idée générale, c’est que plus un matériel végétal est juvénile, plus la formation de racines est facile et la reprise bonne. Il est reconnu que la partie basale des plantes est chronologiquement la plus âgée, mais physiologiquement la plus jeune à cause de sa proximité avec le système racinaire. Il est avéré également que le niveau de réserves dans la partie basale est plus élevée, ce qui est en principe plus favorable à la formation de racines » (Urban & Urban 2010). Le cas du Pterocarpus indicus est particulier, car cette espèce aurait la particularité de pouvoir être bouturée (BFB) même âgée : « The species is unique in the sense that the capacity for rooting of stem cuttings is not lost with age » (Danida Forest Seed Centre 2000).

Lorsque l’on bouture un ligneux, « les méristèmes vont produire un tissu cicatriciel, ce que l’on appelle un cal, constitué de cellules indifférenciées. Après un certain temps, ces cellules indifférenciées vont générer des cellules de racines ; il est essentiel de prélever des boutures comportant au moins un œil (c’est-à-dire un bourgeon), car ce dernier est requis pour produire une nouvelle tige» (Urban & Urban 2010). Le cal est un amas de cellules parenchymateuses qui se développent autour de tissus blessés afin de réduire l’évaporation et initier la guérison (Schmidt 1997).

Toutes les espèces ligneuses ne vieillissent pas de la même façon ; diverses étapes la font

passer de l’état juvénile à l’état adulte et enfin à la sénescence. La durée de ces trois étapes varie d’une espèce à l’autre, d’une région à l’autre, parfois d’un clone à l’autre. Au vieillissement

chronologique sont interconnectés le vieillissement ontogénétique et le vieillissement physiologique (pour ce dernier, des causes nutritionnelles réduisent la vigueur de la BFB). Il existe

des zones qui retiennent préférentiellement la juvénilité telles que le collet, la souche, les RB, RC et RS, qui sont proches des racines, et les Dr. Les conséquences de la maturation des ligneux sont nombreuses et doivent être étudiées cas par cas : baisse de l’aptitude à la rhizogenèse, qualité du système racinaire réduite, plagiotropie, floraison précoce, perte de vigueur de croissance, ce qui peut induire des différences significatives dans les tests de descendances.

Il est préférable de prélever les BFB à proximité du pôle racinaire sur un ligneux pas trop âgé ou sur des gourmands qui naissent à la suite d’une mise en lumière du tronc. Parmi les RS ou sur

des pieds-mères élevés dans le but de produire des BFB, on évitera de récolter les BFB sur des RS dominés.

Parmi les ligneux qui en Afrique sont assez couramment bouturés par BgeFB avec un certain succès, on peut citer en premier lieu au vu des résultats industriels les hybrides d’Eucalyptus spp. créés par le Centre Technique Forestier Tropical (C.T.F.T., devenu CIRAD) en République Populaire du Congo, où des dizaines de chercheurs français et congolais ont publié depuis 1960 d’innombrables rapports et publications, qui sont disponibles à Montpellier ou la plupart sur la base AGRITROP du CIRAD -https://agritrop.cirad.fr/.

91 D’autres espèces peuvent être bouturées ; on n’en citera que quelques unes qui sont importantes : Allanblackia floribunda (Atangana et al. 2006, 2008), Balanites aegyptica (Mbah & Retallick 1992), Dacryodes edulis (Asaah et al. 2010, 2012-a, 2012-b ; Asaah 2012), Dalbergia melanoxylon (Amri et al. 2009) ; Irvingia gabonensis (Shiembo et al. 1996), Pausinystalia johimbe (Tchoundjeu et al. 2004), Prunus africana (Tchoundjeu et al. 2004), Pterocarpus santalinoides (Ky Dembele et al. 2016), Sclerocarya birrea (Mapongmetsem et al. 2016-c), Tectona grandis (Nair & Souvannavong 2000), Triplochiton scleroxylon (Verhaegen et al. 1992), Vitellaria paradoxa (Okao et al. 2012), Vitex doniana (Mapongmetsem et al. 2012 ; Dako et al. 2014).

En Ouganda, Meunier a effectué de nombreux essais : Beilschmiedia ugandensis, Bridelia micrantha, Carapa grandiflora, Celtis africana, Cola gigantea, Erythrina abyssinica, Hallea stipulosa, Khaya anthotheca, Khaya senegalensis, Kigelia africana, Markhamia lutea, Milicia excelsa, Podocarpus latifolius, Rauvolfia caffra, Spathodea campanulata, Strombosia scheffleri, Vernonia amygdalina, Vitex doniana, Vitex keniensis, Warburghia ugandensis, Zanthoxylum gilletii (Meunier 2005, 2006, 2007, 2008 ; Meunier et al. 2006-a, 2006-c, 2007, 2008-a, 2008-b, 2010).

Ces succès ci-dessus ont toujours été réalisés soit en utilisant des serres rustiques ou simples chassis (Meunier et al. 2006-a, 2008-a, 2010 ; Mapongmetsem et al. 2012-a) (figures n° 41 et 42) ou propagateurs sans brouillard artificiel (que les anglophones nomment « non mist propagator »), soit sous serre classique.

Figures n° 41 et 42. A gauche, une serre rustique réalisée en Ouganda avec les matériaux locaux, si ce n’est la feuille en plastique. A droite, un propagateur plus coûteux destiné notamment aux essais de BSR (il convient de disposer un horizon

filtrant et un substrat adéquat pour installer les BSR horizontalement) (Photos Q. Meunier).

Avec des moyens plus sophistiqués et coûteux, le BgeFB d’Argania spinosa hors sol et sous tunnels avec pulvérisation de micro-goutelettes d’eau (Figures n° 43 à 46) a été réalisé avec succès à Agadir au Maroc. Ces dernières forment un brouillard artificiel, qui est diffusé selon une durée et une périodicité réglables à volonté en fonction des stades de croissance des BFB semi-ligneuses ou herbacées (Bellefontaine 2010 ; Bellefontaine et al. 2013, 2015).

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Figures n° 43 à 46. A gauche, pulvérisation de fines goutelettes d’eau sur les BFB herbacées d’Argania spinosa élevées en hors sol [mais cet étage est placé sur un grillage en acier (à déconseiller, car il rouille au fil du temps et se désagrège)] dans des portoirs de 54 alvéoles rainurées. Au centre, portoir de 54 alvéoles rainurées (avec fond grillagé permettant aux racines

de descendre suivant les rainures intérieures, puis de percer et se nécroser à l’air, sans faire de chignon) posé « hors sol » sur des fers à béton plus solides. A droite, l’enracinement de deux boutures d’Argania spinosa âgées de 3 et de 6 mois

(Photos R. Bellefontaine).

Pour la très grande majorité des ligneux africains, de nombreux paramètres restent encore à

étudier avec plus de précisions avant d’opter pour le Bge industriel de telles ou telles espèces. Divers

facteurs ont été étudiés (substrat, surface foliaire optimale à conserver, position sur la branche de la BFB prélevée, longueur et diamètre de la BFB, âge et vitalité de l’arbre-mère, etc.). Ainsi par exemple : « A la lumière des indications obtenues, il apparaît que la propagation de Vitex doniana est possible par bouturage de tige. Les boutures de tige de V. doniana s’enracinent aisément sous châssis. Le substrat, la surface foliaire et la position du nœud sur le rejet ont eu une influence significative sur l’aptitude d’enracinement des boutures. Le substrat terre noire+sable et terre noire+sciure ont montré une meilleure performance aussi bien au niveau de l’enracinement, du nombre de racines que de la longueur de racine. Chez les boutures effeuillées, 100 % de mortalité ont été enregistrés au contraire des boutures feuillées. Les activités photosynthétiques sous châssis de propagation ont un effet positif sur l’enracinement des boutures. La surface foliaire de 234 cm² s’est avérée plus performante en termes de taux d’enracinement, du nombre de racines par bouture et de longueur de la racine par bouture. Les nœuds de second et troisième rangs ont présenté une tendance favorable à l’enracinement. Le plus grand nombre de racines par bouture s’obtient avec les nœuds 2 et la plus longue racine avec le nœud de premier rang. Plusieurs paramètres sont plus ou moins liés : enracinement - nombre de racines par bouture, enracinement-longueur de la plus longue racine tandis que d’autres sont inversement liés : enracinement-mortalité. Pour maîtriser davantage le clonage de cette essence de nouvelles investigations méritent d’être entreprises pour évaluer l’influence de l’âge du rejet, de la hauteur de la souche, de la provenance des rejets sur l’enracinement des boutures de V. doniana. Le drageonnage de la plante ainsi que l’enracinement des segments de racines doivent être évalués » (Mapongmetsem et al. 2012).