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5.7 Facteurs favorisant l’aptitude au drageonnage

5.7.1 Généralités

5.7.1.1 Pénurie d’observations relatives aux ligneux

Depuis la fin des années 1980, les chercheurs se sont progressivement penchés de manière plus assidue sur les aspects démographiques, physiologiques, génétiques et environnementaux de la MV et principalement pour les plantes herbacées (Eckert 1999), alors que proportionnellement les ligneux sont peu étudiés (Bellefontaine 2005 ; Bellefontaine et al. 2015). Eckert (1197) propose en six pages une remarquable synthèse des hypothèses émises dans le compendium d’articles réunis dans « The ecology and evolution of clonal plants » édité par de Kroon & van Groenendael (1997). Certains auteurs de ce compendium mettent au même niveau, en termes de transmission de gènes sur de très longues durées (« over evolutionary time »), la « propagation clonale » et la reproduction sexuée.

Pour de nombreuses plantes, les différents ramets d’un même clone gardent un réseau de connexions physiques entre eux, expliquant notamment une intégration physiologique dans les environnements pauvres en ressources : « Reduced growth of individual ramets and whole genets

171 whole could benefit from different ramets acquiring different locally abundant resources and then sharing them with each other» (Eckert 1999). Cet auteur affirme que la conservation de ressources dans les parties pérennes d’une plante peut réduire l’autonomie de ramets au sein d’une population clonale. De plus, il souligne les « trous noirs » de nos connaissances en matière de génétique

évolutive au sujet des plantes clonales. La prolifération de ramets génétiquement identiques est

souvent associée à un faible taux de recrutement par voie sexuée. Il nous manque des données relatives à la question : comment le développement clonal affecte la distribution spatiale de

génotypes et d’allèles à l’intérieur d’une population ? Entre ramets, de hauts niveaux

d’auto-pollinisation sous forme de geitonogamie 14 peuvent avoir un impact majeur sur l’évolution du système reproducteur. Au fil des siècles, le développement clonal peut accumuler des mutations, ce qui pourrait expliquer l’absence ou la rareté de la reproduction sexuée dans les populations de plantes réputées clonales (Eckert 1999). Dans des écosystèmes particuliers (fragmentation importante des forêts, limites géographiques altitudinales ou latitudinales extrêmes, zones régulièrement inondées, etc.), certains ligneux ne parviennent plus à se reproduire par la voie sexuée, mais uniquement par MV, par Dr (chapitre 4.1) et par MT (Bellefontaine et al. 2016).

Quelques-unes des nombreuses voies par lesquelles les ligneux peuvent se cloner seront rappelées ci-après, ce qui pourrait expliquer que certaines voies sont plus communes dans certains types d’habitats que dans d’autres (Bellefontaine 2005). de Kroon & van Groenendael (1997) et

Eckert (1999) présentent diverses hypothèses intéressantes pour la recherche future dans le domaine des ligneux qui se multiplient végétativement et pour lesquels, le niveau de connaissances est encore bien réduit !

Eckert et al. (1992), Eckert & Barrett (1992, 1993), Dorken & Eckert (2001) et Dorken et al. (2004) ont étudié un petit arbuste implanté dans les zones marécageuses du nord-est de l’Amérique, Decodon verticillatus. Au-delà de la limite nord de son aire de répartition géographique, dans des conditions hostiles, la fleur tri-stylée n’a plus qu’un style et à la suite d’événements climatiques

sévères, l’espèce passe radicalement d’un état sexué à totalement asexué. Le mode de régénération devient une forme de clonage générant un individu identique par bourgeonnement

pour mieux résister aux rigueurs du climat. Ce changement de comportement serait génétique :

certains gènes renforcent la survie au détriment de la fonction sexuelle. La survie de génotypes

stériles est 53 % plus grande que celle des génotypes fertiles. Ce pourrait être un espoir pour

certains ligneux dans le contexte du changement climatique en cours, notamment au Canada où

beaucoup de ligneux se trouvent dans des conditions géographiques limites. Eckert et al. (1992) émettent l’hypothèse que des populations dans lesquelles le recrutement sexué est très réduit

(chapitre 4.1) peuvent perdre leur aptitude à se reproduire par voie sexuée (infertilité) en fixant des mutations (par exemple le trait « aptitude au Dge ») qui défavorisent un ou plusieurs processus impliqué dans l’investissement dans la reproduction sexuée.

Pour une même espèce ligneuse, l’apparition ou non de Dr varie en fonction des conditions environnementales locales et des provenances (Searle 2000 ; Bellingham et al. 2000 ; Chevallier 2003 ; Belem et al. 2008, 2012). Les connaissances et observations relatives à la clonalité des ligneux sont encore bien trop peu fréquentes. Selon Aarssen (2008), la clonalité est rare chez les espèces

ligneuses : “ Clonality (like selfing) is rare in trees, therefore, at least partially because, even with just

a single rooted unit, they can already live for a long time and grow to a large size, with a high success

14

On parle de geitonogamie lorsque la fécondation d’un ovaire est réalisé par le pollen de deux fleurs différentes, mais appartenant à un même individu. C’est une « allogamie sexuée » et non une autogamie.

172 rate in out-crossed sexual offspring production. Three hypotheses in particular may guide future interpretations of life history trade-offs involving clonal plants : (i) Some plants may sacrifice the size of a rooted unit (or ‘ramet’) in order to produce more of them (through clonality), and some tall plants may ‘trade-off’ clonality in order to be tall - but more importantly, clonality is an acquired adaptation in angiosperms that already had relatively small plant size. (ii) Sexual reproduction may ‘trade-off’ to some extent with asexual reproduction (clonality) - but more importantly, clonality is an adaptation acquired by angiosperms that already had relatively limited success with sexual reproduction. (iii) Sex may have been lost or become limited in some clonal plants - but more importantly, clonality was promoted as an adaptation in angiosperms that already had relatively limited/impaired sex, because of the ’problem of the small ’ “.

Le Dge naturel ou l’I°D artificiel ont été peu étudiés dans le monde, sauf pour quelques peupliers principalement (avant tout Populus tremuloides, P. tremula, P. euphratica, et beaucoup moins pour P. trichocarpa, P. balsamifera), quelques Quercus et Fagus (Q. suber, Q. havardii, F. grandifolia). Il en va de même pour Ailanthus altissima (A. glandulosa), Liquidambar styraciflua, Prunus avium, Robinia pseudoacacia et quelques arbres fruitiers des régions tempérées (chapitre 8).

Dans les régions plus chaudes, les espèces suivantes ont fait l’objet de plusieurs recherches, mais dans une mesure infiniment moindre que les peupliers des régions boréales et tempérées : Albizia procera, Balanites aegyptiaca, Detarium microcarpum, Diospyros mespiliformis, Faidherbia albida, Guiera senegalensis, Isoberlinia doka, I. tomentosa, quelques santals (Santalum insulare), Sclerocarya birrea, Spathodea campanulata, Vitex doniana (chapitre 8).

A la lecture des très nombreuses références bibliographiques (chapitre 9) recensées dans cette synthèse, il est évident que divers facteurs favorisent ou annihilent le Dge et qu’il est encore

difficile de dire avec précision quel facteur (ou quel faisceau de facteurs) est (sont) déterminant(s), sauf partiellement pour Populus tremuloides, P. tremula.

5.7.1.2 Multiplicité des facteurs et interaction(s) entre eux

Bates et al. (1990) affirment que de nombreuses recherches ont identifié beaucoup de

facteurs importants qui peuvent affecter la réponse du Dge chez le peuplier (Populus tremuloides).

Ces derniers incluent les caractéristiques du peuplement et du site, les concentrations en régulateurs de croissance présents dans les racines de peuplier, les réserves racinaires en glucides, la densité du peuplement, les conditions parentales dans le peuplement, la variation clonale et la température du sol, son humidité et son aération.

Au Burkina Faso, Alexandre & Ouedraogo (1992) ont analysé la morphologie racinaire de Faidherbia albida dans deux sites différents (à Watinoma à 100 km au nord d’Ouagadougou et dans quatre villages autour de la forêt du Nazinon). Les jeunes pousses sont coupées chaque année, sauf pour quelques rares semenciers. Dans le second site, à Rakaye Yarse, sur sol sableux devenant

rapidement argileux et compact en profondeur, les F. albida se présentent sous la forme de fourrés,

constamment recépés par les villageois. En excavant l’un de ces fourrés, les auteurs ont remarqué que les axes aériens émergent de racines horizontales de gros diamètre. Sur ces dernières, des petites « souches » portent des suppléants (rejets qui prennent naissance sur ces « souches » au niveau du sol). En fait, il semblerait que ces « souches » soient de jeunes plateaux souterrains (NDLR : tubercules ligneux ?) provenant d’anciens Dr recépés il y a quelques années au niveau ou sous sous le niveau de la terre.

173

Figures n° 104 à 106. Faidherbia albida au Burkina Faso : à gauche, drageons et rares semis au pied d’un arbre coupé ; au centre, un drageon non autonome ; à droite, une « souche souterraine » [tubercule ligneux ?] produite par des coupes

annuelles des drageons gênant les agriculteurs (Photos D. Depommier).

Pour Lavertu et al. (1994), une ouverture dans la canopée modifie divers facteurs comme la lumière et la température qui peuvent induire la production de Dr. L’ouverture de la canopée permet au sol de capter plus de lumière, ce qui a pour conséquence d’augmenter la température de la surface du sol et de promouvoir l’initialisation de Dr (Ahlgren & Ahlgren 1961 ; Maini & Horton 1966-b ; Peterson 1975 ; Hungerforg 1988). De plus, durant le processus de scarification des sols, la

suppression de la litière protégeant le système racinaire conduit également à une augmentation de

la production de Dr (Kemperman 1978). Le Dge peut aussi être engendré par des blessures infligées au système racinaire lors de la mise à blanc. L’importance du Dge dépend souvent du degré de perturbation (Lavertu et al. 1994).

Hoffmann (1998) évoque que la formation de « bourgeons racinaires » peut être stimulée par une réduction d’auxine issue d’une perte de biomasse aérienne après un feu (Peterson 1975), ou par des dommages physiques à la racine (Rizzini & Heringer 1962).

« Dans les conditions de milieu naturel, il est nécessaire de prendre en compte les microclimats (…), l’état des conditions de concurrence entre les Dr (…). Ainsi, plus les arbres sont vigoureux, plus ils sont susceptibles de drageonner » (Amiot 1997, cité par du Laurens et al. (2000).

En étudiant le comportement de diverses espèces ligneuses, Bellefontaine & Montuis (2002) insistent sur « la pluralité des modes de Dge, en fonction de facteurs propres à l’individu ou facteurs endogènes, des conditions de milieu ou facteurs exogènes, et de l’inévitable interaction entre ces deux types de paramètres ». Selon Meunier et al. (2008-a), l’aptitude au Dge peut varier « selon les espèces au cours de l’année, en fonction de leur mode de croissance, éventuellement rythmique, et des conditions pédoclimatiques. Tout cela demanderait à être précisé par des observations poussées pour chacune des espèces concernées ».

Ce mode de MV peut être une aptitude partiellement liée à la famille, comme il semblerait que ce soit le cas pour la famille des Fabaceae, une aptitude liée au genre, comme pour les Populus, ou encore liée à l’espèce, à la variété ou au clone. Tous les ligneux n’ont pas cependant cette aptitude à se régénérer naturellement par Dge. Pour Radicati et al. (1994), le Dge est une caractéristique intrinsèque de nombreuses espèces ligneuses.

A la lecture de ces six exemples cités ci-dessus, on voit que cette aptitude au Dge repose sur une multitude de facteurs à analyser.

174 Les citations qui suivent dans les chapitres 5.7.2 et 5.7.3 relatives au Populus tremuloides sont parfois remises en question depuis moins de dix ans. Avec une analyse plus soutenue de la reproduction sexuée de l’« aspen » et de l’impact des feux dus notamment au changement climatique en cours, les chercheurs américains et canadiens (St Clair et al. 2010 ; Landhäusser et al. 2010 ; Long & Mock 2012 ; Fairweather et al. 2014 ; Wachowski et al. 2014 ; Krasnow & Stephens 2015) ont mis en évidence que son aire naturelle se modifie (chapitre 5.3.2).