• Aucun résultat trouvé

L’objectif social : ramener les filles mères dans le droit chemin et maintenir le lien mère/enfant

C HAPITRE III. U NE INSTITUTION DEPARTEMENTALE :

C) L’objectif social : ramener les filles mères dans le droit chemin et maintenir le lien mère/enfant

L’hospice de la maternité, sous ce vocable, est second dans l’esprit des administrateurs en terme de mise en place. Néanmoins, la fonction de maternité s’individualise fortement au fil des années. Un discours sur la nature de la réception des femmes enceintes se structure : œuvre charitable, œuvre de bienfaisance sociale. L’hospice de la maternité de Tulle devient la panacée, le remède à la déchéance des jeunes filles déshonorées, le rempart contre l’abandon et l’infanticide et la consolation des mères pauvres. L’étude de ce discours ouvre une porte sur les motivations des administrateurs et des conseillers généraux dans l’entretien d’une telle institution. Il éclaire ainsi la progressive récupération d’une création à visée pragmatique.

La population accueillie à l’hospice de la maternité de Tulle compte en grande majorité des filles-mères et les femmes mariées ne représentent jamais plus d’un quart des admissions dans l’établissement. Il s’agit donc d’un public pauvre, marginalisé, qu’une naissance peut entraîner encore plus bas dans la misère. La figure de la fille-mère cristallise les inquiétudes de l’administration. Les termes qui la désignent reflètent par leur grandiloquence la nature anormale de sa situation. « Victimes de la séduction et de la débauche »40, ces femmes doivent être encadrées et surveillées. Deux problèmes reviennent régulièrement sous la plume du préfet ou des conseillers généraux : l’abandon et l’infanticide. On est bien loin de l’utilisation des femmes enceintes comme matériel pédagogique vivant. L’administration départementale fait passer au second plan le rôle originel de la maternité pour voir en elle le fer de lance de sa lutte contre l’exposition d’enfants et les crimes de mères désespérées. Il est d’ailleurs significatif que dans les rapports du préfet en introduction des sessions du conseil général, la vocation d’enseignement passe au second plan et qu’en 1851 la désignation de l’institution qui était auparavant « école d’accouchement et hospice de la maternité »41, devient « hospice de la maternité et école d’accouchement »42, avant de se réduire en 1867 à la dénomination « hospice de la maternité »43. Accueil et assistance deviennent officiellement les raisons d’être de l’établissement.

40 Arch. dép. Corrèze, Rapport du préfet et délibérations du conseil général, session de 1855, p. 112.

41 Arch. dép. Corrèze, Rapport du préfet et délibérations du conseil général, session de 1849, p. 66.

42 Arch. dép. Corrèze, Rapport du préfet et délibérations du conseil général, session de 1855, p. 30.

1) La lutte contre l’abandon.

Restreindre l’abandon est une des grandes préoccupations de l’administration. Pendant la décennie 1830, le préfet Taillepied de Bondy a peu à peu réduit les possibilités d’exposition dans le département. Il supprime entre 1833 et 1838 tous les hospices dépositaires d’enfants hormis celui de Tulle44. En 1833, le tour de l’hospice d’Uzerche est fermé, en 1835, il s’agit de celui de Brive et enfin de celui d’Ussel en 183845. La fermeture de tour de Tulle est beaucoup plus tardive puisqu’elle n’intervient qu’en 185746. L’hospice de la maternité est, pour les préfets qui succèdent à Taillepied de Bondy, la possibilité de s’attaquer, si l’on peut dire, à la racine du mal. Les procès-verbaux des sessions du conseil général constituent une source irremplaçable sur les volontés de l’administration. Ils ont cependant la particularité de présenter la situation sous un jour assez généralement favorable, dans la mesure où il s’agit d’obtenir le vote d’un budget suffisant pour l’établissement.

La première occurrence concernant ce problème de l’abandon intervient en 184947. Le préfet déclare dans son rapport : « plus il y aura d’accouchements dans cette maison, plus l’instruction des élèves y gagnera et plus aussi les expositions d’enfants diminueront »48. La formulation au futur indique qu’il s’agit encore d’un souhait. Dès l’année suivante cependant, le but semble atteint dans la bouche du magistrat :

Il a d’abord pour effet de soulager un plus grand nombre d’infortunes en prévenant beaucoup d’expositions d’enfants et les conséquences déplorables qui s’y rattachent sous une infinité de rapports49.

L’étude de Christophe Escuriol au sujet des enfants trouvés en Corrèze pendant cette période montre pourtant que le nombre d’abandons ne baisse pas significativement en 1849 et 1850. Les années 1846 à 1848 avaient vu une réduction du nombre d’enfants trouvés liée à une surveillance accrue du tour et à une baisse des naissances liée à la crise démographique. La remise en cause de cette mesure en 1849 relance jusqu’à sa suppression le mouvement des expositions50. Il semble donc que l’hospice de la maternité n’ait pas eu d’influence mesurable sur ce phénomène. Le discours préfectoral est en décalage avec la réalité. Or, on ne peut guère présumer une ignorance de la part du plus haut responsable de l’administration corrézienne,

44 ESCURIOL (Christophe), Les enfants trouvés en Corrèze (1831-1861), mémoire de maîtrise à l’université de Limoges, 1997, p. 41.

45 Id., p. 45.

46 Id., p. 42.

47 Il faut rappeler que les procès-verbaux des sessions du conseil général ne subsistent qu’à partir de 1846 et que des lacunes existent dans la série pour les décennies suivantes.

48 Arch. dép. Corrèze, Rapport du préfet et délibération du conseil général, session de 1849, p. 67.

49 Arch. dép. Corrèze, Rapport du préfet et délibération du conseil général, session de 1850, p. 83.

directement en charge des enfants trouvés. L’explication de ses déclarations face aux conseillers généraux serait sans doute à chercher dans la nécessité de maintenir la subvention pour l’institution. Pieux mensonge ? Pas forcément. Il est possible que les conditions d’accueil à la maternité aient joué sur la décision de certaines mères. En ce sens l’hospice aurait limité l’augmentation des abandons en les prévenant, plutôt qu’il n’aurait permis une baisse sensible de ce phénomène. C’est d’ailleurs sur cet aspect que les textes insistent le plus. La bonne influence de l’hospice encouragerait les mères à garder leurs nouveaux-nés :

Il est rare, en effet, Messieurs, que les filles-mères qui ont fait leurs couches à l’hospice de la maternité emportent avec elles, en sortant, l’intention de se séparer de leurs enfants. Les conseils et les exhortations qu’elles y reçoivent exercent sur leurs sentiments une influence très salutaire51.

Les malheureuses victimes de la séduction y trouvent un asile, des soins, des secours, des consolations et des exhortations salutaires. Presque toutes y prennent la résolution de remplir envers leurs enfants les devoirs de la maternité, et je suis heureux de pouvoir vous dire que cette résolution est très rarement ébranlée après leur sortie52.

La présence des sœurs de la Charité de Nevers à partir de 1849 est vue comme l’instrument d’une « remoralisation » de ces femmes :

Dans cette crise de la nature, qui est pour elle un châtiment, la science amoindrit ses douleurs, la religion élève son âme, la vierge chrétienne que la charité a placé à son chevet lui apprend la résignation, le repentir, la dignité de la femme. Cet entretien continuant pendant la convalescence, les conseils de la vertu arrivent facilement à un cœur éprouvé par l’expiation et attendri par les sentiments ineffables de la maternité53.

Le devenir des enfants est généralement mentionné dans les registres de l’hospice de la maternité. La formule la plus fréquente est : « elle est sortie et a emporté son enfant avec elle ». Cependant, il arrive parfois que l’enfant soit mis en nourrice ou envoyé à l’hospice de Tulle. Ces notations permettent de mesurer le taux d’abandon ou de mise en nourrice dans la semaine qui suit la naissance54. Ainsi, parmi les 1 913 enfants sortis vivants de la maternité55 entre 1849 et 1881, seuls 29 sont directement admis à l’hospice de Tulle, soit 1,5% du total. 14 de ses entrées à l’hospice de Tulle, soit près de la moitié, se font avant la fermeture du tour en 1857, c'est-à-dire sur une durée de 8 ans, quand les quinze autres admissions s’étalent sur 24 ans. Les femmes qui abandonnent leur enfant sont toutes célibataires à l’exception d’une dont le statut matrimonial reste cependant incertain. Si on compare ces résultats aux taux moyens de l’Hospice de la Maternité de Paris entre 1860 et 1880, on note une importante

51 Arch. dép. Corrèze, Rapport du préfet et délibération du conseil général, session de 1849, p. 67.

52 Arch. dép. Corrèze, Rapport du préfet et délibération du conseil général, session de 1850, p. 83.

53 Arch. dép. Corrèze, Rapport du préfet et délibération du conseil général, session de 1855, p. 113.

54 En revanche, il est impossible de savoir dans quelle mesure ces mères ont gardé leur enfant dans les mois suivants.

différence. Ainsi, pendant cet intervalle, environ 9% des célibataires et 5,4% des femmes mariées ne gardent pas leur enfant56.

Une autre destination peut attendre les enfants nés à la maternité : la nourrice. En effet, 61 enfants sont confiés à une nourrice lorsque leur mère quitte l’hospice, soit 3,2% du total des enfants vivants. Le geste est à l’initiative de la mère car rien ne signale que ces enfants sont placés à la demande de l’hospice de Tulle. Par ailleurs, 18 mères deviennent elles-mêmes nourrices à leur sortie, peut-être celle de leur propre enfant. Il s’agirait dans ce cas d’un détournement des aides départementales. Ce genre de fraude est par nature difficile à quantifier57. Deux cas plus particulièrement font soupçonner cette pratique : ceux d’Antoinette Chousenoux en 1850 et de Claire Cossac en 185658. Ces deux femmes, âgées respectivement de 28 et 22 ans, célibataires et déclarant la profession de domestiques, mettent leurs enfants en nourrice et déclarent le devenir elles-mêmes dans la foulée.

Ces chiffres, 1,5% d’abandon et 3,2% de mises en nourrice, sont relativement faibles. Il faut les replacer dans le contexte des données existantes. En effet, les informations sérielles à la base de cette étude existent à partir de 1849. Or, le phénomène de l’abandon subit, tant au plan local que national, un ralentissement assez fort à partir des années 185059. L’hospice de la maternité de Tulle connaît son activité la plus florissante à une période où l’exposition d’enfants est de moins en moins fréquente. La coïncidence entre l’existence de l’hospice de la maternité et la baisse du nombre d’enfants trouvés est largement chronologique. Pourtant, un aspect au moins de la maternité est à retenir : elle offre un état civil aux enfants qui y naissent. La maîtresse sage-femme – ou parfois une des élèves – va déclarer chaque naissance et précise l’identité de la mère. Même si ce geste n’équivaut pas à une reconnaissance par un des parents60, il fixe officiellement l’existence du nouveau-né et le lien avec sa mère. L’abandon d’un enfant déclaré est dès lors beaucoup plus difficile. De plus, chaque enfant né à la maternité est baptisé dans la chapelle de l’établissement par un prêtre de la paroisse

56 BEAUVALET-BOUTOUYRIE (Scarlett), Naître à l’hôpital..., p. 275.

57 ESCURIOL (Christophe), Les enfants trouvés..., p. 123.

58 Arch. dép. Corrèze, 1 X 202.

59 Alors qu’il reste encore en 1841 en France 202 hospices et 136 tours, vingt ans plus tard, on n’en compte plus que 168 et seulement 5 tours. JEORGER (Muriel), « L’évolution des courbes de l’abandon de la Restauration à la Première Guerre mondiale (1815-1913) », dans Enfances abandonnées et société en Europe, XIVe-XXe siècles, dir. Jean-Pierre Bardet, Rome, 1991, p. 722 sq. ; rappelons que l’hospice de Tulle ferme son tour en mars 1857.

60 On observe en compulsant les registres des naissances de la commune de Tulle que les reconnaissances par les mères quelques semaines ou quelques mois après la naissance de leur enfant se multiplient à partir de 1865. Elles viennent confirmer et doubler la déclaration de l’enfant par la maîtresse sage-femme faite immédiatement après la naissance.

Dame61. Ces deux pratiques ont pour effet de le protéger de l’exposition ou d’obliger la mère à l’abandonner en personne. À cet égard, la déclaration du préfet devant les conseillers généraux en 1864 est en partie vraie :

C’est [l’hospice de la maternité] également un précieux auxiliaire du service des enfants assistés, en ce sens qu’il sert de contrepoids à la suppression des tours d’exposition et qu’il prévient les infanticides62.

Il ne faut pas mésestimer le rôle de l’hospice de la maternité dans un domaine : il permet à l’administration départementale de connaître un certain nombre de filles-mères et donc d’orienter son aide vers elles. Le rassemblement, dans un établissement sous tutelle préfectorale, de femmes, dont la situation aurait pu les pousser à abandonner leur enfant, les place en première ligne de la politique d’assistance départementale. Dès 1851, on trouve mention dans le procès-verbal de la session du conseil général de ce secours accordé pendant les premières années de l’enfant. Cet argent est prélevé « sur les fonds affectés aux dépenses du service des enfants trouvés et abandonnés »63. La prévention de l’abandon se fait ainsi grâce au budget consacré cet objet. C’est aussi au cours de la décennie 1850 que l’Hospice de la Maternité de Paris organise un système de secours pour aider les mères à élever leur enfant64. L’assistance aux filles-mères pendant les premières années de la vie de leur enfant devient une constante puisque des allusions y sont régulièrement faites dans les procès-verbaux, ainsi en 1858 :

Hors de la maison, la misère et souvent la honte l’attendent. La misère est cependant encore éloignée pour quelque temps, grâce au secours que nous votons pour l’enfant ; mais, bientôt ce secours manquera ; et, à ce moment, et toujours, qui la soutiendra dans les épreuves de la honte et de la séduction ?

L’octroi de l’aide ne peut excéder les trois ans de l’enfant. L’étude de quelques arrêtés préfectoraux fixant les aides accordées aux filles fait apparaître des durées allant de six mois (mais ces cas sont relativement rares) à un an en général. On observe aussi des prolongations allant jusqu’à 14 mois65. Mais, si réduite qu’elle soit, cette aide limite sans doute aussi le recours à l’abandon.

2) Une peur des « mauvaises intentions », pas toujours infondée...

61 Arch. dép. Corrèze, 20 J272/56.

62 Arch. dép. Corrèze, Rapport du préfet et délibération du conseil général, session de 1864, p. 24.

63 Arch. dép. Corrèze, Rapport du préfet et délibération du conseil général, session de 1851, p. 144.

64 BEAUVALET-BOUTOUYRIE (Scarlett), Naître à l’hôpital..., p. 275.

L’autre crainte majeure contre laquelle l’hospice de la maternité doit lutter est celle de l’infanticide. Le département de la Corrèze n’est effectivement pas une référence en la matière puisqu’en 1866, Pierre Rateau rappelle qu’elle se situe au onzième rang des départements français66. Des recherches dans les archives de la prison de Tulle ont confirmé la multiplicité des présomptions d’infanticide et des condamnations pour ce crime67. La misère et surtout la honte mènent à ce crime :

Ailleurs, la fille qui arrive aux épreuves de la maternité a pour cortège de sa délivrance la misère, la honte, le désespoir. Après avoir passé le temps de sa grossesse à maudire sa fécondité, elle arrive au terme de cette triste période. Alors elle n’a qu’une préoccupation, qu’une pensée, faire disparaître le fruit de sa faute. [...] D’autres fois, les approches de l’accouchement produisent chez elle une espèce de frénésie. Elle recherche les endroits solitaires, elle se délivre seule comme l’animal des forêts, et fermant son cœur aux sentiments de la nature, oubliant Dieu, elle porte sur son enfant une main criminelle68.

Toutes les études qui ont évoqué ce problème, souvent en lien avec la maternité illégitime, ont souligné la place occupée par le déshonneur dans le geste meurtrier69. La grossesse illégitime est facteur de discrédit, d’opprobre jetée sur une femme, elle risque de lui fermer les portes des maisons où elle travaille et donc de la plonger un peu plus dans la misère. Mendicité puis vagabondage sont alors le lot de femmes qui fuient leur lieu d’origine70. Pour le département de la Corrèze, on peut citer parmi tant d’autres l’exemple de Gabrielle Tranquille, enfant trouvée de l’hospice de Brive :

Gabriéle Tranquille [...] s’avouant enceinte depuis près de neuf mois, se trouvant sans asile, sans ressource et repoussée de toute habitation se présente à l’école d’accouchement établie à Tulle pour y recevoir les soins et secours qu’exige sa double position de grossesse et d’indigence71.

Parmi les femmes qui sont admises à la maternité de Tulle, plusieurs y sont envoyées car leur comportement a fait craindre qu’elles ne commettent l’irréparable. C’est généralement le maire de la commune qui donne l’alarme et demande au préfet de faire recevoir la jeune femme dans l’établissement. Les inquiétudes naissent parfois de la mauvaise réputation de la future mère comme c’est le cas dans la lettre qu’adresse au préfet le maire de Meyssac le 14 février 1847 :

66 RATEAU (Pierre), Étude sur le département de la Corrèze, Tulle, 1866, p. 65, Le calcul est établi en fonction du nombre d’infanticides par rapport à la population départementale, il s’élève à 1 infanticide sur 23 202 habitants.

67 Arch. dép. Corrèze, série Y, non cotée. Entre mai 1859 et janvier 1880, 51 condamnations pour infanticides sont prononcées aux assises de la Corrèze. Registres d’écrou pour les accusés de la cour d’assises : 1859-1868 et 1869-1880.

68 Arch. dép. Corrèze, Rapport du préfet et délibération du conseil général, session de 1855, p. 113.

69 TILLIER (Annick), Des criminelles au village : femmes infanticides en Bretagne (1825-1865), Rennes, PUR, 2001, p. 257 ; PAUL (Daniel), « Illégitimité et abandon d’enfants en marge de la norme sociale dans le canton d’Ebreuil aux XVIIIe et XIXe siècles », dans Études bourbonnaises, n° 300, décembre 2004, p. 285-287.

70 NOUGARET (Christine), « Les filles mères du diocèse de Rennes au XVIIIe siècle et la prostitution », dans Congrès national des sociétés savantes, Brest, 1982, histoire moderne et contemporaine, t. 1, p. 111.

[...] je dois vous signaler cet individu comme n’offrant aucune garantie sous aucun rapport ; déjà avant cette aventure-ci, le bruit avoit couru qu’étant dans une maison bourgeoise du côté de Monteil (Lot), elle étoit devenue enceinte, mais que l’on n’avoit jamais sçu ce qu’elle avoit fait de son enfant. Cette circonstance, le caractère et les allures de cette fille exigent qu’il soit pris des précautions et qu’on la surveille. Si on lui doit protection humainement, elle doit aussi compte de sa conduite72.

La conscience de la profonde détresse matérielle et morale entraîne aussi l’intervention des maires pour faire admettre leurs administrées. La surveillance s’exerce dès avant l’entrée à la maternité. Annick Tillier a montré le contrôle social établi par le village et la paroisse sur les maternités illégitimes, surtout lorsque les femmes tentent de les garder secrètes73. Il faut d’abord faire avouer à la mère sa grossesse. L’obligation de la déclaration de grossesse a été abolie par le code pénal de 1791. Elle subsiste pourtant de manière ponctuelle et informelle : en Bretagne pendant une bonne partie du siècle74, en Corrèze aussi. Nombre de lettres de recommandation des maires pour l’admission à la maternité évoquent ces déclarations et les difficultés parfois rencontrées pour les obtenir :

Je la fis venir à la mairie et la questionnai sur cette affaire qu’elle me nia d’abord, mais lui ayant dit que j’en avois la conviction et que je la ferai surveiller, elle finit par avouer et me promis de garder son enfant à condition qu’on l’aiderait75.

L’administration se présente ainsi comme l’ultime recours de femmes rejetées par leur famille et qui de ce fait pourraient être portées à commettre un infanticide. Le maire prend le relais de parents furieux et s’en remet à la bienveillance du préfet, comme l’illustre cette lettre du maire Perpezac-le-Blanc le 20 mars 1843 :

Marie Veaux âgée de 30 ans et Rose Veaux âgée de 26 ans, sœurs, ont mérité par leur inconduite toute l’animadversion de leurs parents. Le père, quoique d’un caractère très violent,