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C HAPITRE III. U NE INSTITUTION DEPARTEMENTALE :

B) L’hospice de la maternité

1) Une création lente.

Il est difficile de donner une date précise de création de l’hospice de la maternité de Tulle. Avant de détailler les différentes étapes qui ont abouti à le constituer en institution à part entière, cohabitant avec l’école d’accouchement, il semble indispensable de revenir sur les capacités d’accueil corréziennes et plus spécifiquement tullistes pour les femmes en couches avant 1834.

L’accueil de femmes enceintes fait généralement partie du rôle des hôpitaux à l’Époque moderne. Dans la plupart des cas, une pièce leur est en théorie réservée au sein même de l’établissement. L’exemple le plus célèbre est l’Office des accouchées à l’intérieur de l’Hôtel-Dieu de Paris. La première mention d’une section pour les accouchées dans cette institution date de 1348. À la fin du XVIIIe siècle, cette maternité reçoit près de 1700 femmes en couches par an, drainant ainsi environ 7% des naissances parisiennes15. L’hôpital général de Tulle, réuni à l’ancien hôtel-Dieu de la ville par lettres patentes du mois de décembre 1675, précise dans ses statuts la destination de ses bâtiments16 :

D’une chapelle et de trois corps de logis qui contiennent plusieurs salles, chambres, et cinq infirmeries dont deux sont pour les femmes malades, une troisième pour celles qui sont en couches, et deux pour les hommes.

Un tiers de l’espace consacré aux femmes est lui-même réservé aux parturientes. Cependant, cette donnée ne doit pas faire surestimer la place accordée à l’accouchement dans le cadre hospitalier. L’habitude de mettre son enfant au monde à l’hôpital n’existe pas, par conséquent on peut penser que la pièce dont c’est l’utilité initialement définie sert plus probablement comme troisième infirmerie pour les femmes malades. Plusieurs éléments viennent confirmer cette hypothèse. On ne rencontre dans le personnel médical de l’hôpital général aucune sage-femme. Lorsqu’un accouchement se présentait, on devait vraisemblablement faire appel à un chirurgien extérieur à l’établissement. D’autre part, si l’on examine les admissions des années 1699 et 1725, seules trois femmes enceintes sont citées sur

15 BEAUVALET-BOUTOUYRIE (Scarlett), Naître à l’hôpital au XIXe siècle..., p. 15.

16 QUEYRIE (Geneviève), L’hôpital général de Tulle aux XVIIe et XVIIIe siècle. Étude administrative et sociale. Mémoire de maîtrise à l’université de Limoges, 1981, p. 33.

les 287 entrées féminines17. Même si l’on tient compte d’un enregistrement assez mauvais des pathologies qui entraînent l’admission à l’hôpital, ce chiffre nous montre à quel point les accouchements sont rares, puisqu’ils représentent à peine 1,05% des cas. On se trouve donc en présence d’un cas diamétralement opposé à l’exemple parisien.

Les dernières décennies du XVIIIe siècle voient la mise en place de quelques structures qui ont pour seule finalité la réception de femmes enceintes. C’est le cas de la maternité de Bordeaux, fondée en 1783 par les époux Coutanceau, héritiers d’Angélique du Coudray18. En 1804, le ministère de l’Intérieur décide de lancer une enquête pour répertorier les centres d’accueil des femmes en couches dans le pays et mesurer leur capacité à se muer en centres d’enseignement pour les sages-femmes. Le questionnaire, en date du 18 vendémiaire an IV, comporte douze questions dont les cinq premières portent sur la pratique des accouchements en milieu hospitalier19. Si l’on étudie les résultats de cette enquête au plan national, il faut prendre en compte l’absence de réponse de vingt-deux départements20. Parmi les soixante-cinq questionnaires retournés au ministère, vingt-trois répondent ne posséder aucune structure spécifiquement destinée aux femmes enceintes. Que penser du silence de si nombreuses préfectures ? L’idée la plus plausible, même si elle peut paraître un peu rapide, est que l’absence de réponse équivaut à une réponse négative. L’administration départementale ne prend pas la peine de renvoyer un questionnaire lorsqu’il ne s’agit que de constater la faiblesse de son encadrement médical. Dans cette optique, plus de la moitié des départements français seraient dépourvus de structures pour les femmes en couches. Si l’on va au-delà des chiffres et qu’on s’intéresse à la répartition géographique des absences de réponse et des réponses négatives, quelques blocs se dessinent : on observe ainsi un arc de cercle partant des Ardennes, se prolongeant en Champagne, puis englobant le nord de la Bourgogne, le Berry et une partie du Poitou, avant de se poursuivre vers la Marche, le Bas-Limousin et la Basse-Auvergne, de rejoindre le Sud-Est par la Lozère et les Cévennes et de s’étendre sur le littoral méditerranéen de l’Hérault aux Alpes-Maritimes, à l’exception du Var et du Vaucluse. À l’opposé, l’Ouest de la France constitue un autre espace vide centré sur la Bretagne, hors le Finistère et se développant vers la Normandie en incluant la Manche, le Calvados et l’Eure21. L’homogénéité de ces blocs incline à valider l’hypothèse énoncée.

17 QUEYRIE (Geneviève), L’hôpital général de Tulle…, p. 39. En 1699 sont admises 211 femmes ou filles, et 1725, on en comptabilise 76.

18BEAUVALET-BOUTOUYRIE (Scarlett), Naître à l’hôpital..., p. 204.

19 Arch. dép. Corrèze, 1 X 161.

20 BEAUVALET-BOUTOUYRIE (Scarlett), Naître à l’hôpital..., p. 200.

La Corrèze fait partie des départements dépourvus de structure d’accueil hospitalière. À la première interrogation portant sur l’hospice du département le plus fréquenté quant aux accouchements, l’administration corrézienne répond qu’aucun établissement n’est spécialisé dans cette activité. En revanche, elle précise qu’au besoin les hospices de Brive et de Tulle accueillent des femmes enceintes. Les réponses suivantes découlent de la première : il n’existe pas de pièce réservée aux accouchées, pas plus de lit, et c’est le chirurgien de l’hospice qui officie lorsque le cas se présente22. Première remarque : les statuts de l’hôpital tulliste prévoyaient en 1675 une infirmerie séparée ; en 1804, il n’en est pas question, preuve sans doute de sa réaffectation précoce à d’autres soins. Seconde remarque : le principal argument de l’administration qui revient tel un leitmotiv est la rareté des accouchements dans les hospices. L’absence de tradition d’accueil hospitalier semble donc évidente. On pourrait même envisager que la réaffectation de l’espace réservé aux femmes enceintes n’ait jamais eu à se produire dans la mesure où les statuts de l’hôpital ne se plaçaient que sur un plan théorique, se calquant sur ceux d’institutions plus prestigieuses, sans pourtant prévoir de mettre ces dispositions en application.

Ainsi, lorsqu’en 1834 est fondée l’école départementale d’accouchement de Tulle, le niveau de la réception des femmes en couches dans le cadre hospitalier en Corrèze est nul. Signalons cependant l’existence de maisons d’accouchement ou plus précisément d’une maison de ce type ouverte à Brive au début de 1806. Elle est tenue par une sage-femme formée à l’Hospice de la Maternité de Paris entre l’an XI et l’an XII23. Mais une telle pension ne peut que recevoir un nombre limité de femmes. La mise en place d’une structure appropriée passe par plusieurs étapes dont la première est définie par l’article 24 du règlement de l’école d’accouchement approuvé en octobre 183324 :

À cet effet, un local sera disposé dans l’établissement pour recevoir les femmes ou filles qui désireront y faire leurs couches. Une indemnité de 10 francs sera accordée à la sage-femme en chef pour chaque personne reçue à ce titre, en vertu d’une décision du préfet. La sage-femme en chef pourra recevoir aussi, mais à sa charge, les personnes non indigentes qui demanderaient à faire leurs couches dans l’établissement.

La possibilité d’accoucher à l’école d’accouchement est ouverte aux femmes qui le souhaitent, de préférence aux indigentes, puisque leur séjour sera remboursé à la sage-femme en chef, mais aussi aux femmes qui auraient les moyens de couvrir les frais occasionnés. L’accueil des femmes enceintes n’est pas présenté comme la vocation de l’établissement mais comme une annexe à son fonctionnement. Cependant, la porte est ouverte dès ce moment au

22 Arch. dép. Corrèze, 1 X 161.

23 Arch. dép. Corrèze, Prospectus, Maison d’accouchement établie à Brive suivant l’usage de Paris.

développement de cette activité. En 1839, trois avis préfectoraux se succèdent pour renforcer la pratique de la réception des femmes enceintes au sein de l’école25. Deux ans plus tard, le 15 mai 1841, le préfet fait publier un autre avis26, reprenant les termes de celui de novembre 1839. Entre temps un autre texte avait été communiqué aux sous-préfets et aux maires le 15 juillet 1840 pour informer de la poursuite de la réception des femmes pendant les vacances de l’école27. On observe du reste le renouvellement de cette décision l’année suivante28. Dans ces années-là, on continue d’ailleurs de parler de l’école d’accouchement et à aucun moment le terme d’hospice de la maternité n’est employé. La première occurrence date de 184629. Le terme est employé dans le cadre d’un rapport préfectoral devant le conseil général de la Corrèze. Le décalage entre la date de la session et l’année concernée par le rapport invite à renvoyer à 1845 au plus tard la fondation nominale de l’hospice.

Une dernière étape vient s’inscrire dans ce processus, il s’agit de l’appel aux sœurs de la Charité de Nevers. L’arrêté préfectoral du 29 juin 1848 confie à ces dernières la direction de l’hospice de la maternité et de l’école d’accouchement30. Or, l’aspect médical et pédagogique restant à la charge de la maîtresse sage-femme, c’est bien pour les questions de gestion qu’entraîne l’accroissement du nombre d’admissions à la maternité que l’on estime nécessaire de faire appel à ces religieuses. Leur arrivée, qui coïncide avec le départ à la retraite de Jeanne Bondet et l’accession de Céleste Uminska au titre de sage-femme en chef, marque le début d’une nouvelle période où les deux facettes de l’établissement, accueil hospitalier et école, marchent de concert.

25 Le 5 juillet aux sous-préfets et aux maires du département, le 7 septembre et le 19 novembre, Arch. dép. Corrèze, Recueil des actes administratifs de la préfecture, 1839 et Arch. dép. Corrèze, 1 X 168.

26 Arch. dép. Corrèze, 1 X 168.

27 Arch. dép. Corrèze, Recueil des actes administratifs de la préfecture, 1840.

28 Arch. dép. Corrèze, Recueil des actes administratifs de la préfecture, 1841. Avis aux maires du 5 juillet.

29 Arch. dép. Corrèze, Rapport du préfet et délibérations du Conseil Général, session de 1846.

2) Une volonté pédagogique primordiale.

À la suite de la chronologie de l’apparition et de l’institutionnalisation de l’hospice de la maternité, il faut revenir sur la volonté qui a présidé à son établissement. En effet, le souci d’assistance et de soin apparaît largement secondaire dans le souhait de voir des femmes venir mettre au monde leur enfant à l’école d’accouchement. La présence de femmes enceintes dans les murs de l’école répond à un besoin strictement pédagogique.

L’éducation des élèves ne sera réellement complète que lorsque la pratique marchera de paire avec la théorie et pour cela il est nécessaire que des femmes viennent faire leurs couches dans l’établissement31.

L’application des apprentissages, la mise en pratique de la théorie sont des aspects essentiels de la formation obstétricale. La conscience en apparaît très tôt. Partout en Europe les chirurgiens mettent leur science et leur imagination au service de l’amélioration des démonstrations pratiques.

L’Hôtel-Dieu de Paris avec son Office des accouchées est non seulement la maternité la plus importante du royaume et la plus ancienne connue, mais il s’agit aussi d’une école très renommée. L’hospice de la maternité de Paris, fondé en 1802, et ses structures d’enseignement suivent les traces de leur illustre devancière. Il faut d’ailleurs observer que, à partir de la fin du XVIIIe siècle, le souci primordial va à la mise en place d’un cours ou d’une école, l’accueil des parturientes étant un des instruments indispensables à la qualité du savoir dispensé. L’exemple de la maternité de Bordeaux est particulièrement représentatif de ce mouvement. Créée par le couple Coutanceau, dont l’épouse est la nièce d’Angélique du Coudray, elle a pour but premier de former des sages-femmes, en leur permettant d’avoir accès à la dimension clinique de la profession32. Michel Foucault a magistralement mis en lumière la redéfinition du regard médical en fonction de cette nouvelle perception du malade et de la maladie. L’hôpital devient au début du XIXe siècle le lieu privilégié d’enseignement de la médecine33. Dans la désorganisation qui suit l’abolition de certaines facultés, des

31 Arch. dép. Corrèze, 1 X 164.

32 BEAUVALET-BOUTOUYRIE (Scarlett). Naître à l’hôpital..., p. 204.

33 FOUCAULT (Michel), Naissance de la clinique, Paris, 2003 (1ère édition : 1963), p. 68 : « Dans ce mouvement autonome et la quasi-clandestinité qui l’a suscité et le protège, ce retour à la clinique est en fait la première organisation d’un champ médical à la fois mixte et fondamental : mixte puisque l’expérience hospitalière dans sa pratique quotidienne y rejoint la forme générale d’une pédagogie ; mais fondamentale aussi parce qu’à la différence de la clinique du XVIIIe siècle, il ne s’agit pas de la rencontre, après coup, d’une expérience déjà formée et d’une ignorance à informer ; il s’agit d’une nouvelle disposition des objets du savoir : un domaine où la vérité s’enseigne d’elle-même et de la même façon au regard de l’observateur expérimenté et à celui de l’apprenti encore naïf ; pour l’un et pour l’autre, il n’y a qu’un seul langage : l’hôpital, où la série des malades examinés est, en elle-même, école. »

professeurs poursuivent la transmission de leur savoir « au lit des malades »34. C’est une médecine nouvelle qui se construit en se redéfinissant à travers l’étude clinique.

C’est dans cette optique que l’administration préfectorale envisage l’accueil de femmes enceintes. En 1786, Desfarges évoquait l’idée de faire appel à des femmes qui accepteraient d’accoucher en public pour le plus grand bienfait des élèves « maussades et peu intelligentes »35, mais le chirurgien a parfaitement conscience de l’impossibilité que son ambition constitue, en particulier dans un contexte provincial. Un démonstrateur professant un ou deux cours par an ne se trouve pas à la tête d’une structure qui lui permette de recevoir des femmes pendant la fin de leur grossesse et pour leur accouchement. En Corrèze, les cours de la fin des années 1820 et du début des années 1830 connaissent le même manque, en lien avec la baisse de la clientèle des sages-femmes qui prenaient en charge les cours d’accouchement. Ce phénomène réduit donc les leçons aux aspects surtout théoriques. Une proposition est faite en 1829 par le sous-préfet d’Ussel au préfet visant à rendre possible ce que préconisait le chirurgien un demi-siècle plus tôt :

Mais si les cours étaient entièrement bornés à la théorie, ils ne produiraient pas tout l’effet qu’on doit en attendre ; il est donc nécessaire d’y joindre, autant que possible la pratique. Une légère indemnité accordée aux femmes en couches qui souffriraient la présence des élèves permettrait d’atteindre ce but ; j’ai donc l’honneur de vous proposer de mettre à la disposition de Mademoiselle Chamboux une somme quelconque applicable à cet objet36.

Cependant, le sous-préfet a lui aussi conscience de la difficulté que représente le cadre provincial pour développer ce type d’enseignement, car il poursuit :

Dans les villes populeuses, un grand nombre de femmes en couches se rendent dans les hospices mais dans ce pays-ci, c’est à domicile que sont appelés les gens de l’art ; il faudrait ou que l’accouchement soit gratuit, ou que la femme reçoive une indemnité.

En revanche, dès sa fondation, l’école départementale d’accouchement de Tulle s’avère être un établissement capable d’exercer cette fonction tout simplement car il s’agit d’une structure permanente, avec un bâtiment à sa disposition et un personnel. Pour ces raisons, la vocation d’accueil pédagogique est présente dès le départ dans les articles 23 à 25 du règlement de l’école37. L’article 23 rappelle ainsi la seconde facette de la formation de sage-femme : le « manuel des accouchements ». Cet aspect de l’enseignement est lui aussi attribué à la maîtresse sage-femme qui doit faire en sorte que ses élèves puissent assister à des naissances au cours de leur scolarité. L’article 24, cité plus haut, découle directement de ce rappel puisqu’il propose une solution qui rassemblerait en un même lieu apprentissage théorique et application pratique. Cependant, l’accueil à l’école n’est qu’une proposition

34 Id., p. 67.

35 Bibl. Acad. de Méd., SRM, carton 85.

36 Arch. dép. Corrèze, 1 X 164.

parmi d’autres possibilités qui sont quant à elles exprimées dans l’article 25. Les élèves, si la sage-femme en chef leur en reconnaît les capacités, peuvent être appelées aux accouchements qui ont lieu à l’hospice de Tulle, successeur de l’hôpital général, et à la prison. La conscience de la difficulté à faire accoucher les femmes hors de leur foyer implique la recherche de multiples moyens pour réussir à fournir aux futures sages-femmes la plus grande expérience possible. Renchérissant sur les mesures prévues par le règlement, Jeanne Bondet fait bénéficier ses élèves de l’observation de sa clientèle lorsque les accouchées l’acceptent, de la même manière que le docteur Ventéjoul, secrétaire de la commission de surveillance, qui déplore de son côté les réticences de ses patientes devant la présence des élèves de l’école, celles-ci craignant que le recours à ces jeunes filles entraîne le désintérêt et le départ du médecin38.

L’inscription de la volonté pédagogique dans le règlement ne semble pas suffire et le préfet ressent le besoin de le rappeler dans les avis qu’il publie pour informer de la réception de toute femme ou fille qui le souhaiterait à l’école d’accouchement. Le 7 septembre 1839, il s’exprime de la façon suivante :

Le Préfet de la Corrèze annonce que, dans le but de donner un plus grand développement à l’instruction pratique dans l’école d’accouchement de Tulle, les femmes ou filles enceintes du département seront admises dans cet établissement sur leur simple demande, et y recevront gratuitement tous les soins qu’exigera leur position39.

Le texte de cet avis est repris en novembre suivant, puis de nouveau le 15 mai 1841.

38 Arch. dép. Corrèze, 1 X 168.

C) L’objectif social : ramener les filles mères dans le droit chemin et maintenir le lien