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Les cours dans la généralité de Limoges

C HAPITRE II. L ES DEBUTS DE LA FORMATION

B) Les cours dans la généralité de Limoges

1759 : Angélique du Coudray reçoit son brevet. 1763 : Elle fait cours dans la généralité de Limoges.

Le rapprochement des deux dates est intéressant. La généralité de Limoges est en effet l’une des premières provinces à bénéficier de l’enseignement de la dame du Coudray. Cette présence s’inscrit d’une part dans la logique des déplacements de la première partie de sa carrière de démonstratrice qui privilégie les provinces du centre du royaume. D’autre part, elle est profondément liée à l’œuvre de Turgot en Limousin pendant son séjour à la tête de l’intendance14.

1) L’intervention de l’intendant.

À l’arrivée d’Angélique du Coudray à Limoges, Turgot est à la tête de la généralité depuis deux ans. Il tente de mettre en place toute une série de réformes inspirées des principes physiocratiques. Ses interventions principales se situent dans le domaine de l’agriculture où il tente l’introduction de la pomme de terre et encourage l’activité de l’académie locale, mais aussi dans celui des communications et des transports puisqu’il fait ouvrir de nouvelles routes, creuser des canaux. Il se montre aussi sensible à la sauvegarde des peuples, que les philosophes, à qui il est lié, appellent de leurs vœux. En 1786, soit cinq ans après sa mort, paraît à Londres une Vie de M. Turgot rédigée par Condorcet. Ce dernier présente de la manière suivante l’œuvre de Turgot en Limousin :

M. Turgot profita de ces dispositions pour donner de l’activité à la Société d’agriculture de Limoges, et pour en diriger les travaux vers un but utile, pour faire instruire dans des cours publics les sages-femmes répandues dans les campagnes, pour assurer au peuple dans les épidémies les soins de médecins éclairés [...]15.

On voit dans ces quelques lignes le prestige dont bénéficie l’intendant grâce à l’institution de ces cours d’accouchement. Faire appel à Angélique du Coudray est le moyen de manifester son souci du bien-être des habitants de sa généralité et de prouver son empressement à mettre en œuvre les souhaits royaux, c’est-à-dire donner à la porteuse du brevet royal la possibilité d’exercer son ministère. C’est dans la capitale de la généralité que

14 Turgot est intendant de la généralité de Limoges de 1761 à 1774.

se déroule le premier cours. Deux autres suivent : à Tulle la même année et à Angoulême en 1764.

De ce passage d’Angélique du Coudray en Limousin, il reste peu de choses. Les archives départementales de la Corrèze conservent une lettre adressée par Turgot aux subdélégués de sa généralité16. Le 1er août 1763 l’intendant envoie à ses subordonnés17 un courrier assez peu affable où il leur reproche l’échec du premier cours de la maîtresse sage-femme.

[...] il n’y a qu’une nonchalance blâmable qui ait pu faire négliger à vos paroissiens cette occasion de se procurer une ressource aussi nécessaire pour la conservation de leurs femmes et de leurs enfants.

Cet argument a pour but de faire vibrer la corde sensible des communautés, en excitant leur sens de l’humanité. Il s’inscrit naturellement dans les préoccupations natalistes du gouvernement, fortement relayées dans les provinces. Par ailleurs, l’intendant doit composer avec le caractère assez difficile d’Angélique du Coudray, et il sait que la désorganisation qui s’est manifestée lors de la mise en place du cours peut porter atteinte à l’image qu’il souhaite donner de son œuvre. Il exprime sa déception et en parallèle sa volonté de rattraper ce dérapage en remettant l’ouvrage sur le métier et en prévoyant un second cours dans le même courrier :

Je ne vous dissimule pas que je suis affligé, de ce qu’ils n’ont point profité du service important que je désirois leur rendre, je veux cependant les mettre encore une fois à portée de réparer leur négligence, en engageant Mde du Coudray, à ouvrir un second cours d’accouchement. Un second cours est ainsi professé à Limoges en septembre suivant, avant que la sage-femme ne se rende à Tulle pour y débuter son enseignement le 15 novembre18.

2) L’organisation des cours en Limousin.

Malgré la pauvreté des sources dont on dispose sur ces cours, on peut éclairer une partie des conditions qui ont marqué leur mise en place. La lettre de Turgot du 1er août 1763 indique que des avis ont été imprimés pour la circonstance, en l’occurrence le cours de « rattrapage » à Limoges au mois de septembre. Or, la certitude est acquise que l’annonce du premier cours qui a dû se tenir au printemps s’est faite de la même manière puisque

16 Arch. dép. Corrèze, C 1.

17 Aucun élément explicite n’identifie le destinataire de cette missive. Il semble plus sûrement qu’il s’agit d’une lettre collective envoyée aux subdélégués mais aussi aux syndics de communautés et peut-être aux prêtres des différentes paroisses.

l’intendant évoque une réimpression. Ces avis dont il ne reste aucun exemplaire devaient être placardés dans chaque paroisse. L’écrit n’est cependant pas le seul moyen de diffusion de l’information, surtout si l’on considère le très faible taux d’alphabétisation de la province dans cette seconde moitié du XVIIIe siècle. Les annonces sont sans doute lues en chaire le dimanche par le prêtre pendant la messe.

Les cours ont une durée de deux mois, ce qui correspond aux habitudes de la sage-femme19. Quand on établit une chronologie précise des leçons dispensées par la dame du Coudray pendant son séjour dans la généralité, cette durée apparaît assez clairement : en effet, lorsque Turgot écrit à ses subdélégués au début du mois d’août, le premier cours limougeaud a pris fin. Le second commence au début du mois de septembre et s’étend jusqu’à la fin d’octobre. Le cours tulliste quant à lui couvre la fin de l’année à partir du 15 novembre. Dans l’intervalle, la maîtresse sage-femme prend le temps de s’installer dans cette nouvelle ville20.

Un deuxième point tient dans la lettre de Turgot une place très importante : c’est le financement du séjour des élèves dans la ville où les cours sont organisés. La dépense pour une élève s’élève à 13 ou 14 livres par mois, soit 26 à 28 livres pour la durée totale du cours. Or, cette somme ne semble représenter que la nourriture de la jeune femme. Ni le logement, ni le coût du voyage jusqu’à Limoges ou Tulle ne sont évoqués par l’intendant :

Je ne doute pas que votre zèle vous porte à engager vos paroissiens à envoyer une élève à Mde du Coudray, capable de profiter de ses leçons et à sacrifier à un art qui leur sera si utile une dépense de 26 à 28 livres pour la nourriture de cette élève pendant deux mois que durera le cours.21

On peut légitimement penser que la prise en charge supplémentaire de ces deux postes de dépenses ait paru particulièrement pesante à des communautés peu fortunées. Or, l’intendance n’apporte aucune aide pour le paiement des frais engendrés pour les élèves par le cours. Turgot propose néanmoins quelques solutions pour rassembler l’argent nécessaire. La première possibilité développée par l’intendant est le recours à la philanthropie des plus riches paroissiens, présumés plus éclairés, et de ce fait plus enclins à apporter leur obole pour la formation des futures sages-femmes : « Je suis persuadé que toutes les personnes un peu aisées de votre paroisse contribueront avec plaisir à une aussi bonne œuvre ». La seconde s’appuie sur la participation de toute la communauté. Le paiement pourrait prendre la forme d’une taxe répartie proportionnellement aux richesses des paroissiens. Il est évident que les deux solutions peuvent se combiner dans le cas où la première ne produirait pas les résultats

19 GELIS (Jacques), La sage-femme ou le médecin..., p. 118.

20 Id., p. 122.

souhaités. L’intendant semble fortement envisager cette éventualité car il s’appesantit plus longuement sur l’idée de la répartition :

Mais si vos paroissiens préféroient une répartition de cette dépense proportionnée à leurs facultés, vous pourriés leur faire prendre une délibération en papier non timbré, il me suffiroit qu’elle fut signée des principaux, et j’ordonnerois volontiers la répartition de la somme qu’ils demanderoient à employer pour l’instruction de la personne qu’ils auroient choisie pour assister au cours d’accouchement de Mde du Coudray.

Il informe d’ailleurs ses correspondants qu’il envoie, en sus des avis imprimés, un modèle de délibération dans ce but. Les arguments utilisés par Turgot pour s’assurer des efforts des différentes paroisses sont de deux natures. L’intendant laisse planer une sourde menace dans le cas où les bonnes volontés ne se manifesteraient pas avec plus de vigueur. Il prévient ainsi les syndics des communautés ou les prêtres à qui il s’adresse qu’une liste des paroisses ayant envoyé des élèves au cours d’accouchement sera établie, désignant par défaut toutes celles qui n’auraient pas fait le sacrifice attendu par l’administration royale.

D’autre part, il insiste de manière positive sur la qualité des cours dispensés par Angélique du Coudray. En mettant l’accent sur les compétences acquises par les élèves sages-femmes, il souhaite prouver leur nécessité et signifie que désormais les connaissances de ces femmes vont bien au-delà de celles ordinairement possédées par les matrones.

[...] les élèves qui le composaient y ont fait des progrès très satisfaisants, et il y a lieu d’espérer que les connaissances qu’elles y ont acquises les mettront en état de se tirer avec succès des cas les plus difficiles.

L’organisation concrète de ces cours, c’est-à-dire le lieu où ils se déroulaient, celui où logeaient les élèves, la répartition des leçons, la durée de celles-ci, est inconnue. Aucun compte n’a été conservé qui pourrait fournir ces indications. Sur le nombre d’élèves et leur âge il n’y a que les renseignements donnés vingt-trois ans plus tard par l’enquête sur les sages-femmes du royaume. Ce document présente vingt-deux élèves d’Angélique du Coudray. Or, plusieurs questions se posent : ce nombre est-il proche du nombre réel de femmes formées par la maîtresse sage-femme ? Renvoie-il au seul effectif du cours tulliste, ou est-il composé de femmes ayant suivi pour certaines un des cours à Limoges ? Il paraît difficile d’y répondre. En effet, il ne subsiste aucun élément permettant d’évaluer le taux d’abandon de cette fonction après le cours, même s’il est probable qu’il devait être relativement faible, car la contribution de toute la communauté imposait des devoirs à la nouvelle sage-femme. Certaines élèves sont peut-être décédées. Le nombre connu constitue donc un plancher. Cependant, il semble impossible d’extrapoler l’effectif des cours en Limousin en partant d’autres exemples. Angélique du Coudray a professé devant des

assemblées pléthoriques, dépassant régulièrement la centaine de participants22 mais elle a aussi fait cours à des audiences très réduites comme à Issoudun en 1768 avec quatorze élèves. Les cours limousins se rapprochent sans doute de ces faibles audiences car le chiffre de vingt-deux, seule information fiable, est très réduit. La lettre de Turgot indique que le premier cours à Limoges a rassemblé trop peu de femmes, au point que l’intendant se sente forcé de battre le rappel pour les cours suivants. Quoi qu’il en soit, les effectifs n’ont jamais dû atteindre des niveaux considérables car des traces persisteraient deux décennies plus tard.

Comme dans la plupart des régions où elle est passée, Angélique du Coudray a initié un mouvement qui s’est plus ou moins poursuivi après son départ. Il n’a jamais été dans son ambition, et cela ne relevait pas plus de ses attributions, d’instaurer des cours permanents. Elle est restée, pendant plus de vingt ans, la maîtresse sage-femme du royaume tout en ayant conscience que son action s’apparentait plus à la diffusion d’un minimum irréductible qu’à la formation consciencieuse de bonnes sages-femmes.