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Les raisons de la création de l’école d’accouchement

C HAPITRE III. U NE INSTITUTION DEPARTEMENTALE :

A) Les raisons de la création de l’école d’accouchement

Pourquoi créer une école d’accouchement quand trois cours fonctionnent déjà avec un certain succès dans le département ? Pour le comprendre, il est nécessaire de préciser la chronologie de cette fondation.

Le conseil général de la Corrèze se réunit au printemps ou au mois d’août 1833 pour sa session annuelle. Au cours de celle-ci, il prend une délibération qu’il transmet au préfet. Cette délibération vote l’établissement d’un internat pour l’école d’accouchement qui doit être créée à Tulle, chef-lieu du département, en remplacement des trois cours préexistant à Tulle, Meymac et Brive2. Le texte n’a pas subsisté. Il est donc impossible de savoir avec certitude à qui revient, du préfet ou du conseil général, l’initiative de la création de l’école. Cependant, le déroulement même des sessions qui s’ouvrent par le rapport du préfet peut laisser imaginer que la proposition émane de lui. Toujours est-il que dans les mois qui suivent, un projet de règlement de l’école est rédigé dans les bureaux de la préfecture3. Le 21 septembre 1833, le préfet adresse au ministre de l’Intérieur une lettre à laquelle il joint la délibération déjà évoquée et le projet. Il demande l’approbation ministérielle. Celle-ci arrive quelques semaines plus tard, dans une lettre du 16 octobre 1833. Enfin, le 15 janvier 1834, les cours de Tulle, Meymac et Brive sont supprimés et l’école départementale d’accouchement de Tulle voit le jour4. Entre temps, la directrice a été nommée et une annonce pour la location d’une maison destinée à accueillir l’école a été publiée5. Il faut cependant noter que les cours débutent avec un peu de retard par rapport au calendrier souhaité par le préfet, puisqu’ils n’ouvrent que le 1er mars 18346. Tout a été vite, on serait tenté de reprendre les termes du préfet de Villeneuve lorsqu’il évoquait la création de l’hospice de la maternité de Bourges en 1818.

En ce qui concerne les raisons du changement de nature de la formation obstétricale, deux documents apportent des informations. Il s’agit d’écrits émanés de la préfecture : d’une part la lettre accompagnant l’envoi de la délibération du conseil général et du projet de règlement au ministre et d’autre part l’avis informant les maires du département du début des cours de l’école. 2 Arch. dép. Corrèze, 1 X 164. 3 AN, F17 2458. 4 Arch. dép. Corrèze, 1 X 163. 5 Arch. dép. Corrèze, 1 X 164.

Ces deux textes ne s’étendent pas sur les motivations de la création de l’école. L’argumentation détaillée a été présentée au conseil général lors de sa session de 1833 et l’absence de procès-verbal constitue une lacune importante pour la compréhension de ce choix. Néanmoins, les éléments de réponse qu’offrent les documents qui viennent d’être cités ne sont pas négligeables. Deux raisons sont mises en avant : d’une part l’impérieuse nécessité d’un internat pour les élèves sages-femmes, et, de l’autre, l’absence de formation pratique caractérisant les cours existant jusqu’alors.

Ainsi, la grande nouveauté réside dans l’instauration du régime d’internat et non, ou moins, dans la matérialisation d’une école dans un bâtiment, au rayonnement départemental. Les propos du préfet sont très révélateurs du regard porté sur l’externat et les défauts qui lui sont imputés. Écoutons ses paroles :

Je n’ai pas besoin, Monsieur le ministre, de développer les avantages que présentera l’internat projeté, assurant la continuité des études, l’assiduité aux cours et l’absence de toute distraction et surtout en offrant les moyens de joindre la pratique des accouchements aux leçons. Je suis convaincu que vous accueillerez favorablement le vœu du conseil général7.

Il existait dans le département trois cours gratuits d’accouchement établis à Tulle, Brive et Meymac. Les élèves étaient externes et ne recevaient que de faibles leçons. Cet état de choses a paru vicieux au Conseil Général qui, dans sa dernière session, a exprimé le désir qu’un internat d’élèves sages-femmes fût établi au chef-lieu du département en remplacement des anciens cours. Ce changement, en éloignant des élèves sages-femmes mille sujets de distraction, leur permettra de se livrer avec plus d’assiduité à l’étude, qui ne consistera plus en quelques leçons théoriques, mais embrassera la théorie et la pratique dans un établissement favorisant ce double objet8. L’internat apparaît comme la solution miracle à plusieurs problèmes qui se sont posés pendant les années précédentes. L’administration préfectorale a la certitude que, en plaçant les élèves sous surveillance permanente, elle évitera les dispersions et les mauvaises influences. Les jeunes filles destinées à devenir sages-femmes doivent être au-dessus de tout soupçon, leur moralité inattaquable. Elles sont de plus détentrices d’un savoir aussi essentiel que dangereux aux yeux des autorités. La volonté d’éviter un « dérapage » de la nature de celui qui oblige Louise Lafon à rapatrier en catastrophe une de ses élèves chez elle est manifeste. L’externat est donc père de tous les vices. Il encourage, aux dires du préfet, à faire la classe buissonnière. Il est vrai que le suivi des cours d’accouchement entre 1827 et 1833 se révèle parfois chaotique : certaines élèves viennent suivre cinq mois de cours, puis trois, ou sept... Ces scolarités à trous, prolongées par à-coups, ne sont sans doute pas favorables à une assimilation régulière, solide et approfondie des connaissances.

La création d’un internat a donc l’avantage immense d’obliger les élèves à se consacrer tout entières à leurs études. Il règle le problème du logement des élèves et de leur

7 Arch. dép. Corrèze, Lettre du préfet au ministre de l’Intérieur, 21 septembre 1833.

nourriture. La nécessité pour certaines de loger dans des lieux jugés peu convenables par leurs enseignantes comme un cabaret, ou de travailler pour subsister, est annihilée par la nouvelle organisation de l’enseignement. Enfin, le rassemblement de toutes les élèves au sein de l’école, à temps plein, les place sur un pied d’égalité. Les élèves éloignées de leur famille ne sont plus défavorisées par rapport aux jeunes filles qui acquéraient leur instruction en rentrant chaque soir chez leurs parents ou qui suivaient les cours de leur propre sœur.

D’autres raisons ont sans doute eu leur part dans la décision de créer une école-internat, et parmi elles le modèle parisien. L’internat y est imposé aux élèves sans dérogation depuis 18109. Le préfet souligne d’ailleurs dans sa lettre au ministre que le projet de règlement de l’école qui lui est soumis est « calqué sur celui de l’Hospice de la Maternité, avec les différences que nécessitait celle des deux établissements sous le rapport des moyens et des localités »10.

La volonté de regrouper les élèves en un seul lieu répond sans doute aussi à d’autres préoccupations. Ceci est du domaine de la conjecture car les documents à disposition n’évoquent rien de plus que ce qui vient d’être signalé. Cependant, les hypothèses formulées s’appuient d’une part sur l’observation critique des cours d’accouchement par arrondissement et d’autre part sur le contexte national.

Les trois cours de Tulle, Meymac et Brive ont permis pendant quelques années de rapprocher la formation obstétricale des jeunes femmes souhaitant se consacrer à cette profession. Ils ont multiplié en peu de temps le nombre de sages-femmes formées, quand des décennies d’enseignement parisien n’avaient pas comblé les manques des campagnes. Mais ils présentaient plusieurs défauts qui ont dû, à long terme, devenir évidents aux yeux des administrateurs. Il faut rappeler l’attraction constante représentée par le cours tulliste sur des candidates de tout le département. Il est clair que dès le départ un préjugé favorable existe envers le cours situé au chef-lieu de préfecture. Cette préférence met en difficulté les cours de Meymac et de Brive qui comptent de ce fait moins d’élèves. La présence concomitante de trois enseignements amène à les comparer et il est fort possible que des différences se soient faites jour avec le temps entre les trois centres de formation. Les difficultés avec le matériel pédagogique, le changement de sage-femme à Brive, la longue maladie qui réduit presque à néant le cours de 1832 dans cette ville, tous ces faits ont tendu à dévaloriser un peu plus les cours des arrondissements nord et sud du département. De plus, la concurrence entre les trois

9 Arch. dép. Corrèze, 1 X 161, Règlement général pour l’école d’accouchement établie à l’Hospice de la Maternité, à Paris, titre I, article 5.

sages-femmes est réelle, de même que la crainte d’en voir une prendre le pas sur ses collègues. Un tel climat, propice à la multiplication des récriminations envers l’administration préfectorale, peut expliquer en partie aussi le choix de restreindre l’enseignement de l’art des accouchements à un seul centre et à une seule sage-femme.

Par ailleurs, si l’on s’intéresse à la situation de l’enseignement obstétrical en France à ce moment, on s’aperçoit que des écoles ont fleuri aux quatre coins du pays. Les années 1810 et 1820 ont été très fécondes et le mythe d’une école parisienne rayonnant à elle seule sur l’ensemble de l’hexagone a vécu. Il s’agit de la dernière phase du grand mouvement de création d’écoles départementales qui s’étend sur le premier tiers du XIXe siècle. Tulle arrive en bout de course. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie n’a relevé que deux fondations postérieures : celles de Digne et de Troyes en 1835. Comme la préfecture de la Corrèze, ce sont de petites villes, préfectures elles aussi, mais de taille moyenne. Ces créations sont le signe d’un essoufflement et marquent précisément l’extension maximale de l’élan qui porte la formation obstétricale pendant ces décennies. La sphère d’influence s’est restreinte jusqu’à l’échelle départementale, du moins dans un croissant qui englobe le quart sud-ouest, contourne le Massif Central par les pays de la Loire pour rejoindre la Champagne et l’est du pays11. Le début des années 1830 est donc le meilleur moment pour se doter d’une école de ce type, dans les petits départements aux moyens limités. Ils sont portés par toutes les créations qui ont précédé et le ministère de l’Instruction publique ne peut refuser son aval à un tel souhait :

Monsieur le préfet, j’ai reçu, avec votre lettre du 21 septembre, la délibération par laquelle le conseil général de votre département a approuvé le projet d’établir à Tulle une école d’accouchement pour les élèves sages-femmes, en remplacement des trois cours existant aujourd’hui à Tulle, à Brive et à Meymac.

Je pense, comme le conseil général, que ce changement tournera au profit de l’enseignement et je ne puis par conséquent qu’y donner mon approbation12.

Enfin un dernier point attire l’attention : celui de la personnalité du préfet en poste au moment de la délibération du conseil général. Pour déterminer l’identité du magistrat, il faudrait connaître précisément la période de la session de 1833 car un changement intervient en cours d’année à la tête de la préfecture. Il s’agit soit de François Taillepied de Bondy13, soit de Théodore Thomas14. Jusqu’à présent, l’étude avait fait apparaître l’influence déterminante

11 BEAUVALET-BOUTOUYRIE (Scarlett), Naître à l’hôpital..., p. 207.

12 Arch. dép. Corrèze, 1 X 164.

13 François Marie Taillepied de Bondy (1802-1890) est nommé préfet de la Corrèze en août 1830, après deux ans passés au Conseil d’État comme auditeur. Il reste en poste jusqu’en juillet 1833. Cent préfets pour la Corrèze..., p. 29.

14 Napoléon Théodore Frédéric Thomas (1803-1868) est en charge de la préfecture de la Corrèze entre août 1833 et octobre 1838, après avoir commencé sa carrière comme sous-préfet à Trévoux et Sedan. Après son

de la personnalité des préfets (Étienne Harmand d’Abancourt et Pons de Villeneuve) dans l’évolution de la politique départementale en matière de formation obstétricale. Or, les parcours des deux hommes qui viennent d’être évoqués ne révèlent pas d’intérêt préalable pour cette question. Quel que soit celui d’entre eux qui fut à l’origine du projet d’école, ce dernier est porté par le second, le préfet Thomas. Il agit dans une continuité, améliorant l’œuvre de Villeneuve, plus qu’en initiateur.

départ de Tulle, il est nommé successivement préfet de la Sarthe et du Jura. Cent préfets pour la Corrèze..., p. 29.