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Le cahier in-folio conservé à la bibliothèque de l’Académie de Médecine apporte un éclairage sur différentes zones du Bas-Limousin. Les élections de Tulle et Brive sont représentées ainsi que les subdélégations d’Uzerche, Lubersac et Treignac. En tout, treize subdélégations ont répondu pour cette partie de la généralité, ce qui constitue plus de la moitié du nombre total pour le Limousin et offre le profil de 43 paroisses. Le chiffre est faible, surtout lorsqu’on pense aux 337 communes créées dans le département de la Corrèze à partir du réseau paroissial en 179024. De plus, dans certaines subdélégations, seul le chef-lieu a été renseigné, ce qui apparaît à huit reprises.

Subdélégation Nombre de paroisses renseignées

Uzerche 10 Lubersac 4 Treignac 1 Tulle 1 Meymac 1 Ussel 1 Bort 1 Neuvic 1 Argentat 8 Brive 9 Turenne 1 Beaulieu 4 Juillac 1

Tableau 1 : Liste des subdélégations ayant répondu à l’enquête et des paroisses renseignées.

Les subdélégués qui ont fait un réel effort pour rassembler des renseignements sur la présence des sages-femmes dans leur ressort sont ceux d’Uzerche, d’Argentat et de Brive, cela fournit une image un peu plus nette de l’ouest et du sud du Bas-Limousin. Expliquer ces disparités semble assez difficile, elles peuvent relever de différents facteurs : le plus simple serait d’incriminer le sérieux du subdélégué ou de ses propres délégués, mais il paraît plus probable qu’ils aient rencontré une certaine réticence face à la forme même de l’enquête qui,

24 QUINCY (Guy), Modification de la géographie administrative de la Corrèze depuis 1790, dactylographié.

en mettant en valeur la formation savante des sages-femmes, désigne en contrepoint toutes les femmes dont la pratique est le seul titre de confiance et qui commencent à subir les effets de la condamnation unanime de leurs méfaits et de leur maladresse. Dans une région rurale et assez renfermée sur elle-même, où, dans un passé finalement pas si lointain, l’annonce, même infondée, de mesures royales en matière d’impôt ou de recensement a provoqué soulèvements et émotions25, la méfiance vis-à-vis d’une enquête diligentée par le contrôle général des finances influe peut-être sur la bonne volonté à répondre.

Malgré toutes les précautions nécessaires à l’utilisation d’un tel chiffre, il faut examiner le nombre des sages-femmes tel que le fournissent les résultats de cette enquête. Pour 43 paroisses, ont été recensées 56 sages-femmes, ce qui correspond à un peu plus d’une sage-femme par paroisse. Mais proposer une moyenne dans un contexte de ce type ne renvoie à aucune espèce de réalité, dans la mesure où il est impossible de placer sur le même plan, une matrone intronisée par la confiance de la communauté et une femme formée par Angélique du Coudray ou par les cours d’un chirurgien. On remarque d’ailleurs que la subdélégation de Turenne qui a rempli le formulaire signale l’absence de sage-femme dans son ressort. Les réponses des différentes subdélégations, même si l’on tient compte d’une mise en forme par l’intendant, indiquent des manières dissemblables d’aborder la question. Ainsi, le subdélégué de Lubersac, inscrit la mention « néant » dans la colonne concernant l’école fréquentée pour toutes les sages-femmes qu’il répertorie. Il paraît dès lors évident qu’il s’agit de matrones et que le terme sage-femme est entendu au sens d’accoucheuse. En revanche, les subdélégués de Treignac, Neuvic ou Juillac ne recensent que d’anciennes élèves de la dame du Coudray. Or, l’inexistence de matrones dans ces trois subdélégations est difficile à admettre.

25 BERCE (Yves-Marie), Histoire des croquants, étude des soulèvements populaires au XVIIe siècle dans le Sud-Ouest de la France, Paris-Genève, 1974.

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Carte 1 : Répartition des sages-femmes en Bas-Limousin d’après l’enquête de 1786.

Si la cartographie des renseignements fournis par l’enquête met plus en valeur les lacunes de cette dernière qu’une réelle répartition du personnel obstétrical, un autre élément mérite d’être commenté : l’origine rurale ou urbaine des sages-femmes qui ont été répertoriées. En effet, sur les 56 femmes dont les réponses signalent l’existence, 23 appartiennent à un environnement urbain, soit environ 41%. Or, le niveau d’urbanisation du Bas-Limousin en ce dernier quart de XVIIIe siècle est loin de s’établir à un tel pourcentage. L’étude d’Alain Corbin qui porte sur le siècle suivant présente pour le département de la Corrèze un taux d’urbanisation de 15,3% en 183626. La disproportion est frappante. Elle s’explique de deux façons. D’une part, les campagnes ont dû faire l’objet d’une attention moins grande des subdélégués, et ce phénomène est caractéristique de l’ensemble des résultats portant sur la généralité de Limoges à l’exception de la subdélégation de Montmoreau27. D’autre part, si l’on observe plus attentivement les qualifications de ces 23 sages-femmes urbaines, on s’aperçoit que 14 d’entre elles sont d’anciennes élèves d’Angélique du Coudray et que seulement six reçoivent la mention « néant » pour ce qui concerne leur type de formation28. C’est bien la confirmation de la manière dont le recensement a été orienté par le sens accordé au mot « sage-femme ». Par ailleurs, ce dernier trait a l’intérêt de souligner la

26 CORBIN (Alain), Archaïsme et modernité..., p. 14.

27 Montmoreau Saint-Cybard, chef-lieu de canton, dép. Charente.

28 Les trois sages-femmes qui restent ont acquis leurs compétences par un autre type de formation : l’une a été reçue par la communauté des maîtres chirurgiens d’Ussel, après un cours d’étude auprès d’eux, et les deux autres ont bénéficié d’une transmission du savoir dans le contexte familial, l’une ayant été instruite par sa tante, et l’autre par sa mère.

prédilection des accoucheuses diplômées pour l’espace urbain, soit que leurs compétences y soient reconnues et appréciées à leur juste valeur, soit que les formations aient principalement profité à des urbaines d’origine.

Il est nécessaire de s’intéresser au type de formation reçue par les femmes exerçant dans les villes pour donner un tableau complet des informations récoltées.

Type de formation Nombre de sages-femmes

Néant 30

Instruction dans le cadre familial 2

Élève d’Angélique du Coudray 22

Réception par une communauté de chirurgiens 1

Instruction par un chirurgien 1

Total 56

Tableau 2 : Répartition des sages-femmes selon leur type de formation.

Les chiffres qui apparaissent ci-dessus montrent la place écrasante du cours donné par Angélique du Coudray en 1763 à Tulle. Par comparaison, la place de la formation dispensée par les démonstrateurs semble bien faible : un seul cas de réception par une communauté de chirurgien après un cours d’étude. En effet, l’autre cas d’instruction par un chirurgien aurait pu être rattaché à l’instruction dans le cadre familial puisqu’il s’agit d’une femme ayant reçu sa formation de son époux. Le cours qui est ainsi signalé à Ussel remonte à une vingtaine d’années en arrière, sans doute peu après le passage de la célèbre sage-femme. Par ailleurs, rien ne permet de connaître la nature de ce cours : public ou privé. La présence d’une seule sage-femme reçue dans ces conditions dans la subdélégation d’Ussel peut laisser penser qu’il s’agit d’un cours dispensé par un chirurgien à une seule élève. Si plusieurs femmes avaient été brevetées à l’occasion d’un cours public, il est probable qu’elles auraient été recensées par le subdélégué en 1786.

Si l’on oppose aux 30 matrones les 26 femmes ayant bénéficié de leçons plus spécifiques, le rapport entre les deux catégories, sans être favorable aux sages-femmes formées, semble finalement assez équilibré. Près d’une sage-femme sur deux a reçu un enseignement et se trouve donc mieux armée pour faire face aux accidents qu’elle est susceptible de rencontrer dans l’exercice de son art. Mais la place des matrones est à l’évidence largement sous-estimée dans ces résultats. Si le recensement des sages-femmes diplômées se rapproche peut-être de la réalité, l’importance des matrones n’est en aucune façon rendue par cette enquête. Pour trouver confirmation de cette analyse, il faut s’éloigner

de l’arithmétique trompeuse de l’enquête, pour se référer à la présentation littéraire que l’intendant fait de la situation de sa généralité dans la lettre au contrôleur général des finances qui accompagne les formulaires remplis.

Si plusieurs pays sont exposés aux maux résultant de la trop grande facilité avec laquelle on admet les sages-femmes à leur état et de l’ignorance de la plupart d’entre elles, la généralité de Limoges est exposée à de bien plus grands maux encore puisque la plupart des sages-femmes qui s’y mêlent d’accouchement, non seulement n’ont point été reçues, mais même n’ont fait aucune espèce d’étude ni subi aucun examen, à l’exception des quelques femmes instruites anciennement par la dame Du Coudray que M. Turgot avait fait venir dans cette généralité29.

Cette appréciation laisse l’impression d’une région abandonnée, livrée à elle-même, où le passage d’Angélique du Coudray constitue une lueur bien vite éteinte. Certes les élèves de la maîtresse sage-femme sont encore vivantes en 1786, mais on peut légitimement penser qu’au bout de vingt-trois ans de pratique, elles n’exercent plus leur art avec autant d’efficacité qu’au lendemain du cours, et qu’elles sont de toute manière bien peu nombreuses face au foisonnement des accoucheuses sans qualification, seul recours des zones rurales.