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La réorganisation de la formation au plan national

C HAPITRE II. L ES DEBUTS DE LA FORMATION

A) La réorganisation de la formation au plan national

1) Le projet de Chaptal.

La remise en ordre des études médicales en France intervient en l’an XI avec la loi du 19 ventôse. L’année précédente, l’école de l’Hospice de la Maternité de Paris a été créée par l’arrêté du 11 messidor an X114. Si le premier texte est l’aboutissement de la réorganisation éminemment nécessaire du monde médical, l’événement montre que la loi s’inscrit dans une restructuration des établissements d’enseignement.

La question de la formation à l’art des accouchements s’est posée très tôt. En 1790, Alphonse Leroy propose à l’Assemblée nationale le projet suivant : Motifs et plan

d’établissement dans l’hôpital de la Salpêtrière d’un séminaire de médecine pour l’enseignement des maladies des femmes, des accouchements et de la conservation des enfants115. Il s’agit de permettre aux étudiants en médecine, en chirurgie et aux sages-femmes d’ajouter à leur formation théorique l’observation clinique. Mais la présence d’étudiants dans un hôpital de femmes pose problème et le projet est mis de côté. Un peu plus tard, le décret du 14 frimaire an III crée les écoles de santé de Paris, Montpellier et Strasbourg. À Paris, deux chaires d’accouchement sont instituées, l’une destinée aux étudiants et la seconde, sous la direction de Baudelocque116, aux élèves sages-femmes117. Le lien entre théorie et pratique n’est toujours pas établi, mais ces mesures témoignent de la volonté de mettre en place une vraie formation destinée aux sages-femmes. La concrétisation de cette volonté est cependant lente. En l’an IX, répondant à une lettre du préfet de la Corrèze, le ministre de l’intérieur écrit : [Sachez que] le gouvernement s’occupe des moyens de régulariser toutes les parties de l’art de guérir, et que, dans les mesures qu’il doit prescrire, est compris l’art des accouchements118. La reprise en mains de l’enseignement obstétrical s’intègre à une réorganisation générale de l’instruction publique119. Ce travail est confié par Napoléon à Chaptal, ministre de l’Intérieur. Jean-Antoine Chaptal, médecin, a la confiance du premier consul, il est à la tête du ministère depuis 1799 où il a remplacé Lucien Bonaparte. Il se trouve en charge du ministère

114 BEAUVALET-BOUTOUYRIE (Scarlett), Naître à l’hôpital..., p. 107.

115 Id., p. 68.

116 COULON-ARPIN (Madeleine), La maternité..., p. 65. Baudelocque est titulaire de la chaire des accouchements à l’Académie de chirurgie, et il est nommé, le 1er germinal an X, professeur et chirurgien chef de l’Hospice de la Maternité.

117 Id., p. 70.

118 Arch. dép. Corrèze, 1 X 161.

de l’Intérieur jusqu’à la proclamation de l’Empire, date à laquelle il quitte le gouvernement pour se consacrer à ses recherches120. Chaptal travaille dans une optique précise : celle de la centralisation de l’enseignement obstétrical. La formation des sages-femmes est située dans le champ des études spéciales, c'est-à-dire le troisième degré d’enseignement de la réforme. Le 11 messidor de l’an X, l’école de l’Hospice de la Maternité est donc créée par arrêté ministériel121. L’objectif est de faire de cet établissement une école à rayonnement national composée d’élèves triées sur le volet et recevant une instruction très poussée. Le projet est soumis au chirurgien Baudelocque qui exprime un avis particulièrement favorable à ce resserrement de l’enseignement en un seul pôle :

Il falloit changer quelque chose à l’organisation des nouvelles écoles et en restreindre le nombre au lieu de les multiplier comme on faisoit, plutôt pour la commodité des élèves sages-femmes que pour les avantages de la société122.

Le champ d’observation et d’expérimentation qu’offre l’Hospice de la Maternité est unique et Chaptal souligne longuement les avantages présentés par le cadre de la nouvelle école dans la circulaire qu’il envoie aux préfets le 9 thermidor de l’an XI123 :

Je crois avoir trouvé, dans l’organisation des hôpitaux de la ville de Paris, les moyens de seconder les désirs que vous m’avez souvent manifestés, de procurer aux sages-femmes une instruction plus complète et moins dispendieuse. [...] La mesure que je vous indique est préférable à l’ouverture de cours d’accouchement dans chaque arrondissement, puisque, indépendamment d’une instruction plus étendue, plus conforme aux principes, elle vous donne aussi par l’économie dans la dépense le moyen de former un plus grand nombre d’élèves124. Mais l’orientation choisie par le ministre ne fait pas l’unanimité. Elle est rapidement contestée, dans les départements, mais aussi parmi les députés. En effet, lorsque quelques mois plus tard, la loi du 19 ventôse an XI impose aux sages-femmes un minimum de formation, elle prévoit la mise en place de cours d’accouchement départementaux. Le jour du vote de la loi au Corps législatif, le député des Deux-Sèvres au Tribunat, Jard-Panvilliers, tient le discours suivant :

Mais il [le projet de loi] eut été incomplet s’il n’eut contenu des dispositions sollicitées par les vœux de tous les amis de l’humanité pour l’instruction et la réception des sages-femmes. [...] Il ordonne qu’il sera établi dans l’hospice le plus fréquenté de chaque département un cours annuel et gratuit d’accouchement théorique et pratique, destiné particulièrement à l’instruction des sages-femmes, qui ne pourront se livrer à l’exercice de leur art qu’après avoir suivi au moins

120 BOUDON (Jacques-Olivier), Histoire du Consulat et de l’Empire, Paris, 2000, p. 109 et 151.

121 BEAUVALET-BOUTOUYRIE (Scarlett), Naître à l’hôpital..., ibidem.

122 COULON-ARPIN (Madeleine), La Maternité et les sages-femmes de la Préhistoire au XXème siècle, Paris, R. Dacosta, 1981, t. 2, p. 69.

123 28 juillet 1802.

deux de ces cours, et vu pratiquer pendant neuf mois, ou pratiqué elles-mêmes des accouchements pendant six mois...125

Le texte ouvre donc la voie à l’instauration d’une multitude de centres de formation et va à l’encontre de l’option prise par le ministre de l’Intérieur. Il est désormais difficile à long terme d’empêcher l’existence de ces cours au profit de l’école parisienne puisque la multiplicité des écoles est présentée comme un progrès lors du vote de la loi :

Cent huit établissements, créés par la loi qui vous est proposée, vont porter les vrais principes et répandre les bons exemples dans toutes les parties de la France à la fois. Vous aurez rendu, en les adoptant, le plus grand des services, puisqu’il doit influer sur la population de l’Empire126. Pourtant, l’école de l’Hospice de la Maternité reste la référence pendant le premier tiers du XIXe siècle. Elle est le modèle de tous les cours et de toutes les écoles qui naissent par la suite, car elle fixe le contenu de l’enseignement des sages-femmes jusqu’aux lois de 1892 et 1893 : art des accouchements, saignée et botanique, auxquels vient s’adjoindre la vaccination, signe d’un rôle plus large de la sage-femme.

Le projet de Chaptal s’inscrit dans une institution préexistante : l’Hospice de la Maternité de Royal. Depuis 1795, il occupe deux bâtiments : l’ancien couvent de Port-Royal, rue de la Bourbe, et l’institut de l’Oratoire, rue d’Enfer. Cette seconde maison est dévolue à l’accueil des femmes enceintes127. En 1814, lors de la séparation administrative entre Maternité et Hospice des enfants trouvés, les deux établissements échangent leurs locaux128. Des travaux sont effectués pour faire en sorte que les bâtiments correspondent au mieux à leur fonction. Le logement des élèves sages-femmes évolue donc au gré des déménagements et réparations que connaît la Maternité. Les élèves corréziennes présentes dans l’école connaissent donc les réorganisations successives. Après avoir été installé dans les différents recoins de l’Hospice rue d’Enfer, puis dans l’hôtel Lautrec129, leur pensionnat est finalement transféré dans l’aile sud du cloître à Port-Royal130, comme le signale une lettre de l’administration générale des hôpitaux et hospices civils de Paris en date du 6 juin 1815131.

125 MAVIDAL (J.), LAURENT (E.), Archives parlementaires. Recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises de 1800 à 1860, t. IV, Consulat du 2 ventôse an XI au 20 floréal an XI, Paris, 1865, p. 144-145.

126 Id., p. 146.

127 BEAUVALET-BOUTOUYRIE (Scarlett), Naître à l’hôpital..., p. 63.

128 Id., p. 66.

129 Id., p. 120.

130 Id., p. 71.

2) La « résistance » corrézienne ou l’obstination d’un préfet.

La volonté parisienne de centralisation, malgré toutes les justifications qui la supportent, n’est pas facilement acceptée dans les départements. L’exemple de la Corrèze est signifiant à cet égard puisqu’il semble qu’aucun cours d’accouchement ne s’y soit tenu depuis 1789. Or, le besoin en sages-femmes est toujours pressant, et l’intérêt pour la question s’exprime de nouveau à partir de l’an IX.

Le premier préfet de la Corrèze, Joseph de Verneilh-Puyraseau, est en poste depuis le 7 germinal an VIII132. À son arrivée dans le département, il a dû faire face à des difficultés, et en particulier à une lettre de dénonciation envoyée au Premier Consul et l’accusant de laisser prospérer l’opposition au régime133. Quelques mois lui sont donc nécessaires pour assurer son autorité et commencer à se préoccuper de réformes. Un peu plus d’un an après son entrée en fonction, Verneilh-Puyraseau décide de prendre en mains le problème de la formation des accoucheuses du département. À cet effet, il écrit au préfet du Puy-de-Dôme où un cours d’accouchement existe déjà pour lui demander des renseignements sur les Corréziens formés à la démonstration à Clermont-Ferrand. Il souhaite en effet nommer un professeur et instaurer un cours de même type en Corrèze. Le 20 prairial134, une réponse lui parvient porteuse d’une recommandation pour un nommé Sully, officier de santé. Ce dernier a suivi les deux cours professés en l’an IX à Clermont par le démonstrateur Jean-Marie Bertrand et s’est distingué au point de le suppléer à l’occasion135.

Cette recherche d’un démonstrateur s’insère donc dans un mouvement plus général puisque des cours existent dans un département voisin. La méthode adoptée est celle de l’Ancien Régime. Tout comme l’intendant quelques années plus tôt, le préfet envisage de nommer un démonstrateur, non plus royal mais départemental. Les ressemblances ne sont pas à négliger, elles montrent la persistance de pratiques. La véritable révolution se joue à Paris, où s’est exprimé le souhait de rompre avec ces cours itinérants et irréguliers, pour les remplacer par une structure fixe et bien dotée, donc plus efficace.

La démarche du préfet auprès de son collègue auvergnat se double d’un courrier au ministre de l’Intérieur. En effet, les fonds de l’administration départementale sont loin d’être suffisants pour supporter la dépense nécessaire à l’organisation d’un cours d’accouchement.

132 28 mars 1800.

133 Cent préfets pour la Corrèze, dir. Hélène Say, Archives départementales de la Corrèze, Tulle, 2000, p. 11-13.

134 9 juin 1801.

Verneilh-Puyraseau fait donc appel au gouvernement pour obtenir une subvention de 1200 francs dans une lettre du 28 floréal an IX136. La réponse se fait peu attendre. Le ministre se trouve dans l’impossibilité d’autoriser l’établissement d’un cours d’accouchement à Tulle. Son principal argument a déjà été évoqué : la réorganisation de l’enseignement médical est en cours, et elle ne passe pas par la remise en place de cours sur l’ancien modèle137. Le refus est catégorique. Le cours de l’an IX n’a pas lieu.

Mais Verneilh-Puyraseau ne se le tient pas pour dit. Conscient du manque flagrant de sages-femmes compétentes dans le département, déjà important en 1789, encore aggravé par la décennie de vide dans la formation, il reprend son projet l’année suivante. L’attitude de l’administration préfectorale se place alors totalement à contre-courant de la politique gouvernementale. Déterminer les raisons de cette décision n’est pas simple. Il est possible que le préfet ait considéré que les besoins de la situation locale primaient sur les choix du ministère. De surcroît, la date de mise en application des réformes envisagées ne lui était peut-être pas connue. Enfin, quelle part a pu jouer un amour-propre froissé de voir que certains départements, comme le Puy-de-Dôme, avaient la possibilité de faire ce qu’on lui interdisait ? Toujours est-il que le 7 germinal an X138, date anniversaire de son arrivée en Corrèze, il arrête la création d’un cours d’accouchement à Tulle. En parallèle, il envoie au ministère de l’Intérieur une lettre demandant l’autorisation de créer ce cours. La chronologie est intéressante car elle montre que le préfet n’a pas attendu la bénédiction parisienne pour annoncer l’ouverture du cours. Ainsi, quelle que soit la réponse ministérielle, le cours a lieu.

L’arrêté règle tous les détails de l’organisation. Le cours est prévu pour une durée de deux mois, du 5 floréal au 4 messidor139. La durée du cours est donc doublée si on la compare avec celle des années 1787 à 1789. Le préfet fixe l’effectif des élèves à vingt-neuf, âgées de 25 à 35 ans, une par nouveau canton ou arrondissement de justice de paix. Les élèves doivent être désignées par les maires ou leurs adjoints, il est prévu qu’elles reçoivent une indemnité de 25 francs par mois. Le préfet décide le remboursement des frais de voyage des plus pauvres au tarif de 2,50 francs « par journée de six lieues du pays ». Le démonstrateur choisi n’est pas l’officier de santé Sully qui avait été recommandé par Jean-Marie Bertrand de Clermont-Ferrand en l’an IX. On retrouve à l’occasion de ce cours le citoyen Antoine Rigolle, désormais officier de santé. Son traitement est fixé à 50 francs par mois, il doit fournir les mannequins et les instruments de démonstration et faire deux leçons par jour. Un jour de repos par décade est

136 18 mai 1801.

137 Arch. dép. Corrèze, 1 X 161.

138 28 mars 1802.

octroyé. Sur le plan de la pédagogie, le choix d’un homme ayant auparavant exercé la fonction de démonstrateur, accentue l’impression de continuité entre l’Ancien Régime et le Consulat.

L’arrêté est immédiatement diffusé dans les différents cantons du département. La lettre du ministre de l’Intérieur n’est pas encore parvenue au préfet au matin du 5 floréal, le cours s’ouvre donc. La réponse ministérielle arrive en effet près d’un mois plus tard140. Elle est datée du 30 floréal an X141. Ce courrier informe le préfet du nouveau refus de l’administration centrale de lui accorder une autorisation pour mettre en place un cours départemental. À l’appui de sa décision, le ministre explique qu’il a déjà dû opposer plusieurs refus à des préfets dans les mêmes circonstances. À quelques jours de l’ouverture de l’école de l’Hospice de la maternité, la solution proposée au préfet est l’envoi d’élèves corréziennes à Paris pour un séjour de quelques mois. Il ajoute que le paiement des frais de voyage et de la pension des élèves peut se faire sur les fonds laissés à disposition par l’arrêté des consuls du 25 vendémiaire an X142. Le cours se poursuit pourtant, financé sur les fonds départementaux.

Les tableaux des élèves de ce cours originaires des arrondissements de Brive et d’Ussel ont été conservés143. Pour la région d’Ussel, six jeunes femmes ont été choisies par les maires. Elles viennent de six communes différentes, toutes chefs-lieux de canton : Bort-les-Orgues, Bugeat, Meymac, Neuvic, Sornac et Ussel. Le choix est fait entre le 20 et le 29 germinal144. L’élève venant de Bort-les-Orgues a déjà étudié avec le citoyen Rigolle, élément qui a dû peser en faveur du choix de la communauté. La première élève pressentie pour Meymac, Marguerite Chauffour, est fille d’officier de santé. Elle se désiste car, dit le maire, elle « ne pourrait se résoudre à travailler et exercer son état à venir pour de médiocres honoraires ». Une telle réflexion éclaire doublement sur la place de la sage-femme dans la société rurale du XIXe siècle : d’une part, elle gagne mal sa vie et d’autre part, son état est considéré comme peu enviable par les membres du corps médical, opinion qui peut limiter l’accès à la profession de jeunes filles naturellement portées vers celle-ci par leur milieu familial. À sa place est choisie Antoinette Mazetier, fille majeure et orpheline145. La sous-préfecture de Brive, quant à elle, fait parvenir un tableau regroupant huit femmes, elles aussi

140 Arch. dép. Corrèze, 1 X 161. 141 20 mai 1802. 142 17 octobre 1801. 143 Arch. dép. Corrèze, 1 X 161. 144 10 et 19 avril 1802.

145 Cette dernière est en outre nommée élève à l’école de l’Hospice de la Maternité de Paris du 1er

viennent de huit communes différentes : Vigeois, Saillac, Sadroc, Beynat, Larche, Saint-Aulaire, Billac et Brive.

Parmi ces quatorze élèves, on peut repérer deux veuves et quatre femmes mariées, ce qui donne une vision très limitée du statut matrimonial de ces femmes. L’une des élèves est une enfant trouvée comme l’indique son prénom unique : Marie. Les tableaux remplis par les sous-préfets ne donnent aucun autre renseignement, il est impossible de connaître l’âge de ces femmes, leur niveau d’alphabétisation, ni de savoir si elles exerçaient déjà la fonction d’accoucheuse dans leur commune. Comme pour les élèves d’Angélique du Coudray, il est probable que ce soit le cas des femmes mariées ou veuves qui assistent à ce cours. À partir de ces chiffres, on peut envisager que l’effectif total du cours ait atteint voire un peu dépassé les vingt élèves, ce qui ne remplirait pas complètement les espérances du préfet, mais marquerait un intérêt réel des maires pour ce problème.

Ce cours de l’an X clôt cependant l’ère des cours de démonstrateurs en Corrèze pour 25 ans. Cette tentative d’enseignement local est abandonnée lors du changement de préfet. Les Corréziennes se forment désormais à Paris. L’organisation, contre l’avis du ministre, d’un cours d’accouchement, est le dernier geste de préfet de Joseph de Verneilh-Puyraseau. Il est nommé dans le département du Mont-Blanc le 8 floréal, trois jours après l’ouverture du cours. Son successeur, Antoine Destouff-Milet-Mureau, prend ses fonctions le 29 messidor, plus de trois semaines après la fin des leçons du démonstrateur Rigolle146. Il est intéressant de noter que le contournement de la volonté gouvernementale constitué par la décision de Verneilh-Puyraseau s’accomplit pendant une période de passation de pouvoir dans l’administration départementale.