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C HAPITRE II. L ES DEBUTS DE LA FORMATION

B) L’audience de ces cours

La mise en place des cours corréziens est une tentative de répondre au manque cruel de sages-femmes correctement formées dans le département. Il est de ce fait intéressant d’essayer de mesurer l’audience de ces cours et de voir dans quelle mesure ces structures ont rempli la mission qui leur était assignée : pourvoir la Corrèze en accoucheuses dignes de ce nom.

L’arrêté de création du cours de Tulle en 1827, pas plus que ceux qui fondent les cours de Meymac et Brive en 1828 et 1829, ne contient aucune référence à un nombre fixe d’élèves. L’accès est largement ouvert à toute postulante. Les exigences sont réduites. L’âge minimum pour suivre les cours est de 18 ans comme à Paris et Bourges. Sur le plan administratif, elles ne diffèrent pas de celles auparavant en vigueur pour les candidatures aux places d’élèves boursières. Les demandes d’admission doivent être transmises par le maire de la commune de résidence et le sous-préfet de l’arrondissement, accompagnées de l’acte de naissance, d’un certificat de bonne vie et mœurs délivré par le maire comprenant l’état des parents et du mari, si besoin est, d’une déclaration constatant la maîtrise de la lecture et de l’écriture279. Au premier abord, le choix semble se faire sur les mêmes critères que pour l’envoi à Paris, mais l’article 3 de l’arrêté nuance la dernière condition posée :

Toutefois ce dernier certificat [de connaissance de la lecture et de l’écriture] pourra n’être pas exigé des personnes qui résident dans les communes rurales, lorsque d’après un examen préparatoire que Mademoiselle Fournial leur aura fait subir, il sera reconnu qu’elles possèdent déjà quelques connaissances pratiques280.

On retrouve ici le pragmatisme déjà signalé dans le préambule de l’arrêté. Le niveau d’alphabétisation des Corréziens est très bas, celui des Corréziennes encore plus. La difficulté à trouver des élèves lettrées se posait déjà lorsqu’il s’agissait d’envoyer deux élèves tous les deux ans à Paris, elle est encore plus présente dans un recrutement comme celui que se propose le nouveau cours tulliste. La concession faite dans cette exigence montre la volonté de rayonner sur des catégories sociales que leur niveau d’instruction quasi inexistant écartait des écoles extérieures au département. De plus, il faut souligner la compensation évoquée à l’illettrisme : une certaine expérience pratique. L’arrêté préfectoral n’hésite pas à révéler clairement un des objectifs du cours : le « recyclage » des matrones. En effet, l’observation d’une connaissance préalable de l’art des accouchements devrait normalement conduire à une poursuite pour exercice illégal de cet art. Le cours vise donc à offrir aux matrones qui le

279 Arch. dép. Corrèze, 1 X 163.

souhaitent la possibilité de continuer leur activité avec un bagage théorique et une approbation officielle. L’admission au cours d’accouchement vaut effacement du délit. Dans ce domaine, la formulation du texte de l’arrêté préfectoral prouve que nécessité fait loi.

La plupart des sources qui permettent d’évaluer l’audience des trois cours d’accouchement sont, mise à part la correspondance entretenue par les sages-femmes directrices et l’administration, produites par la préfecture. Il s’agit d’arrêtés de nomination des élèves aux différents cours, mais aussi des arrêtés de répartition de secours entre les élèves281. Dans les deux cas, l’identité des futures sages-femmes est détaillée, ce qui donne l’occasion de reconstituer les classes de Tulle, Meymac et Brive. On dispose heureusement de ce type de sources pour presque l’intégralité de la période 1827-1833. Quelques lacunes subsistent : ainsi pour le cours de 1831 à Brive, ce qui interdit de donner un chiffre total précis des femmes formées pendant ces six années sous la direction des trois sages-femmes. Cependant, il est possible de présenter les résultats tirés de ces sources. Ainsi, cinquante-six élèves passées par ces trois structures sont connues. Cet effectif est significatif de l’efficacité des mesures prises par l’administration départementale, surtout si on le compare à la petite quarantaine d’élèves formées en vingt-cinq ans à Paris et Bourges. Il se répartit de la manière suivante entre les cours : trente-trois élèves à Tulle, treize à Meymac et dix à Brive. La prééminence du cours tulliste est évidente. Néanmoins, le décalage de création des cours doit être pris en compte dans la comparaison du nombre d’élèves pour chacun d’entre eux. Tulle est fondé un an avant Meymac et deux ans avant Brive.

L’origine géographique des futures sages-femmes est intéressante car elle confirme le rayonnement large du cours de Tulle. Il draine des élèves originaires des deux autres arrondissements. On peut relever parmi elles des jeunes filles d’Ussel, Marguerite Queyriaux282 et Elise Ballet-Brouage283, ainsi qu’une élève de Meymac, Marguerite Saint-Germain. Mais l’arrondissement de Brive est aussi représenté avec des femmes venant de Beynat, Donzenac et Sérilhac. Cette attirance pour l’enseignement dispensé dans le chef-lieu de département s’explique difficilement. Les sages-femmes directrices ont toutes les trois la même formation, il paraît peu probable que ces choix naissent de l’incapacité d’une des enseignantes. De plus, ce phénomène perdure pendant toute la durée d’existence des cours. Il est possible que le cours tulliste, fondé avant les autres, bénéficie d’une certaine réputation, et

281 Arch. dép. Corrèze, 1 X 163 et 164.

282 Arch. dép. Corrèze, 1 X 163.

que les maires et sous-préfets encouragent leurs administrées à le choisir de préférence, pour agréer aux vues du préfet qui le supervise directement.

Les effectifs proposés ne sont pas au premier abord représentatifs de l’audience des cours. En effet, il n’y a pas de nombre précis d’élèves par cours et les chiffres évoqués sont la somme des individus repérés dans les sources. Ainsi, si l’on présente un tableau des cours tels qu’ils se déroulent à Tulle pendant la période 1827-1833 sans se référer à l’identité des élèves, les effectifs paraissent beaucoup plus importants qu’ils ne le sont en réalité :

Année 1827 1828 1829 1830 1831 1833 Total Nombre d’élèves 10 8 9 5 5 16 53

Tableau 12 : Répartition annuelle du nombre d’élèves au cours de Tulle.

Il en est de même pour les cours de Brive et de Meymac :

Année 1828 1829 1830 1833 Total Nombre d’élèves au cours de Meymac 5 4 4 8 21

Nombre d’élèves au cours de Brive - 3 6 4 13

Tableau 13 : Répartition annuelle du nombre d’élèves aux cours de Meymac et de Brive.

Ce phénomène trouve sa cause dans la pratique du redoublement déjà évoquée. Suivre plusieurs cours, deux au minimum, est très fréquent de la part des élèves des cours d’accouchement. Ainsi, six des dix premières élèves de Jeanne Fournial à Tulle suivent deux cours, et cinq d’entre elles prolongent leur scolarité par un troisième. Le tableau ci-dessous répartit les élèves selon le nombre de cours qu’elles ont suivi :

Nombre de cours 1 2 3 4 Nombre d’élèves à Tulle 11 12 8 2

Nombre d’élèves à Meymac 2 1 9 1

Nombre d’élèves à Brive - 10 - -

Tableau 14 : Répartition des élèves selon le nombre de cours suivis.

Ces résultats montrent que la décision de poursuivre la formation est presque systématique, ce qui peut tendre à prouver que les cours ont une ambition supérieure à une simple initiation à l’art des accouchements. La lacune concernant l’année 1831 à Brive ne peut remettre en cause ces résultats. De surcroît, les élèves « tullistes » de 1833 se retrouvent

pour un bon nombre d’entre elles parmi les effectifs de la première promotion de l’école d’accouchement de Tulle, continuant leur scolarité dans un autre cadre institutionnel. Il faut cependant préciser que si la plupart des élèves suivent plusieurs cours, elles ne les suivent pas toujours intégralement. En effet, si à Brive, aucune jeune fille ne passe moins de sept mois auprès de la maîtresse sage-femme, on peut en revanche citer à Tulle l’exemple de Julie Delmas qui étudie pendant cinq mois en 1831, puis sept mois en 1832 et enfin trois mois en 1833. Le cours tulliste est le seul à permettre un suivi aussi chaotique. La durée de présence des futures sages-femmes varie ainsi de trois à huit mois. Le détail du temps d’assiduité des élèves est connu à partir de 1831 à Tulle et de 1832 pour les deux autres cours, car il sert de base au calcul du secours accordé par la préfecture.

Durée des cours suivis à Tulle, en mois 3 5 6 7 8 Nombre d’élèves en 1832 3 - 2 5 3

Nombre d’élèves en 1833 7 2 3 1 4

Tableau 15 : Répartition des élèves selon la durée des cours suivis.

Un autre point apporte un éclairage sur le cas d’élèves qui ne suivent qu’un seul cours : il s’agit de l’attente d’une place à Paris. L’envoi d’élèves dans la capitale se maintient en parallèle des cours départementaux qui deviennent alors pour certaines jeunes femmes l’antichambre de l’institution parisienne. Ainsi, alors que Marie Sambat de Brive attend une place à Paris, elle se voit proposer de suivre le cours ouvert à Tulle en 1827284. La même promesse est faite à Jeanne Decoux qui suit en 1829 et 1830 le cours de Jeanne Fournial à Tulle285. Dans ces deux cas, le cours départemental qui devait être une étape provisoire ne débouche jamais sur l’envoi dans la capitale. Un troisième mérite d’être cité : celui de Marie Borderie. Cette jeune femme suit pendant deux ans les cours tullistes avant d’intégrer pour la même durée l’Hospice de la Maternité de Paris286. Sa première scolarité a donc constitué une propédeutique à l’approfondissement parisien, puisque lorsqu’elle dépose sa candidature en juillet 1827 pour le cours de Tulle, le maire d’Argentat la décrit de la manière suivante :

Marie Borderie est célibataire, elle lit passablement, elle ne sait presque pas écrire, mais ses père et mère dont la fortune est honnête et qui tiennent dans cette ville une auberge très achalandée, sont dans l’intention de lui donner un maître d’écriture287.

284 Arch. dép. Corrèze, 1 X 163.

285 Id.

286 Id.

Marie Borderie possède à peine les rudiments de la lecture et de l’écriture, critères essentiels à l’admission à l’Hospice de la Maternité. Elle a le temps de les acquérir pendant ces deux années passées à Tulle. Ce parcours illustre bien le rôle assigné à l’école parisienne lorsqu’existent déjà des cours départementaux, comme l’exprimaient au début du siècle les rapporteurs de l’École de médecine :

Ceux [les départements] qui auraient des cours pourraient y envoyer à titre de récompense, celles qui se seraient rendues les plus recommandables par leur zèle et leurs connaissances. [...] dans la suite, chaque département aurait dans son sein quelques sages-femmes très instruites que les autres pourraient au besoin consulter288.

Les éléments sur l’identité des élèves (âge, statut matrimonial) sont fragmentaires. Les dossiers de candidatures des élèves n’ont pas toujours été conservés. De plus, les notations les concernant varient beaucoup : les futures sages-femmes sont parfois désignées sous leurs nom et prénom, mais parfois sous leur seul nom ; leur lieu de résidence est quelquefois précisé, tout comme leur âge, sans que ces informations soient systématiquement présentes. On rencontre encore des élèves mariées : sur les dix premières élèves de Jeanne Fournial, trois sont mariées et une est veuve. Ces femmes sont chargées de famille comme Toinette Soustre. Le maire de Beynat la présente de la façon suivante :

Cette femme mariée le 18 septembre 1806, a toujours résidé depuis son mariage dans la commune de Beynat et a constamment donné des preuves d’une bonne conduite et de bonnes mœurs ; elle est mère de quatre enfants dont le plus jeune est âgé de dix mois289.

Il s’agit de ses quatre enfants vivants, car depuis son mariage, Antoinette Soustre en a mis au monde huit290. Elle a 42 ans lorsqu’elle postule pour suivre le cours d’accouchement et n’a pas d’autre enfant après celui évoqué ci-dessus par le maire. Elle correspond bien au modèle de la sage-femme qui se consacre aux autres, une fois libérée de ses grossesses. En 1829, Marie Borie-Vedrenne intègre la classe de Jeanne Fournial. Elle a dû retarder sa candidature en raison d’un enfant non sevré l’année précédente :

Cette femme, dont le mari est maréchal et le père vieux et infirme, a abandonné ses trois enfants à une servante pour suivre les cours de la demoiselle Fournial, dans l’espérance que ses sacrifices pécuniaires et la séparation de sa famille seraient de peu de durée291.

La figure de la jeune fille célibataire ne s’est pas encore tout à fait imposée même si elle correspond au plus fort contingent des élèves. En 1830, le cours de Brive, dirigé par Louise Lafon, compte six jeunes femmes, âgées de 17 à 25 ans. La reprise en mains des matrones, volonté affichée des cours départementaux, s’oppose à ce modèle qu’on vient de signaler. Or, la prédominance de ce dernier prouve que le souhait du préfet ne s’est

288 COULON-ARPIN (Madeleine), La Maternité et les sages-femmes..., cité p. 70.

289 Arch. dép. Corrèze, 1 X 163.

290 Arch. dép. Corrèze, 2NUMEC23/CD1 et 2.

manifestement pas réalisé. Les sources à disposition n’ont révélé que quatre cas de femmes exerçant déjà l’art des accouchements et se présentant pour être admises aux cours. Parmi ces matrones, deux sont acceptées à Tulle en 1827 : Mathurine Touron et Marie Leyrat. La première est âgée de 48 ans, mariée à un maçon tailleur de pierres, elle déclare au maire de sa commune posséder des connaissances sur le métier de sage-femme. La seconde est une veuve, mère de deux enfants et âgée de 50 ans. Elle pratique l’art des accouchements depuis de nombreuses années au point d’être l’accoucheuse la plus appelée de la commune de Naves d’après les dires du maire. Les profils des deux femmes refusées ne différent guère des matrones qui viennent d’être décrites. Elles semblent même apporter de plus sûres garanties de compétences. En effet, l’une d’elles, Catherine Féréol-Mouly, pratique à Saint-Hilaire-Peyroux depuis plusieurs années. Elle propose de fournir le certificat d’un chirurgien. L’autre postulante, Toinette Latour, est la sage-femme de la commune de Sioniac depuis près de douze ans, et le maire d’Astaillac, officier de santé, n’hésite pas à lui rendre hommage :

[Toinette Latour] a exercé pendant plus de douze ans, la pratique de l’art des accouchements, dans ma commune et presque toujours en notre présence, sans jamais nous être aperçu qu’elle ait mal procédé et avons reconnu en elle assez d’intelligence pour savoir juger des cas où elle devait faire appeler un accoucheur292.

La décision de l’administration laisse donc perplexe, à moins qu’elle ne puise ses raisons dans le pragmatisme déjà souligné. Si l’objectif est d’améliorer les pratiques des matrones, ne vaut-il mieux pas former les moins douées en priorité ? L’idée sous-jacente serait qu’au fond, les deux matrones dont les candidatures n’aboutissent pas ne représentent pas réellement de danger dans la mesure où des hommes de l’art acceptent de se porter garants de leurs capacités. Elles restent bien sûr hors-la-loi, mais à l’abri des poursuites, du moins le temps qu’aucune sage-femme diplômée ne vient leur faire concurrence.

292 Arch. dép. Corrèze, 1 X 163.