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L’enquête de 1786 sur les sages-femmes du royaume

En plus des sources qui viennent d’être évoquées et qui sont de production locale, état civil et sources judiciaires, il existe une source d’ampleur nationale qui donne une image, lacunaire certes, mais cependant appréciable, de la couverture du Bas-Limousin en sages-femmes à la fin du XVIIIe siècle : il s’agit de l’enquête générale sur les sages-femmes du royaume de 1786. Ce document a été étudié par Jacques Gélis en 198019.

1) Contexte de mise en place de l’enquête.

L’enquête sur les sages-femmes de 1786 intervient dans un mouvement plus large. Elle est l’un des instruments auxquels l’État royal a recours pour avoir une vision plus juste de la situation sanitaire du royaume. Il faut rappeler en premier lieu qu’il ne s’agit pas d’une enquête portant uniquement sur les sages-femmes. Sa finalité première concerne les médecins et chirurgiens du royaume. Soixante ans plus tôt, le contrôle général des finances avait organisé deux enquêtes. Celles-ci avaient porté de manière partielle sur les sages-femmes, mais leurs résultats ne recouvrent pas l’intégralité du territoire. Des enquêtes régionales ont pu être utilisées pour certaines régions, comme c’est le cas du Languedoc, étudié par Mireille Laget20. En ce qui concerne le Limousin, on ne possède aucune trace d’une enquête de cette nature.

L’année 1786 correspond donc à une première pour la région étudiée. La décision d’inclure les sages-femmes dans l’enquête prévue sur le personnel médical en France n’est pas prise immédiatement. Elles ne sont pas concernées dans un premier temps par cette mesure. Cependant l’importance accordée à leur formation depuis une vingtaine d’années, le poids du discours sur l’incapacité des matrones, impliquent la nécessité de posséder un tableau le plus juste possible des accoucheuses en exercice et d’avoir de ce fait une idée de leurs compétences.

C’est dans le Nord de la France que germe l’idée d’ajouter aux informations concernant, médecins et chirurgiens, celles portant sur les sages-femmes. Le subdélégué de

19 GÉLIS (Jacques). « L’enquête de 1786 sur les sages-femmes du royaume », dans Annales de démographie historique, 1980, p. 299-343.

20 LAGET (Mireille). Naissances : l’accouchement avant l’âge de la clinique, Paris, 1982, p. 202. L’enquête réalisée par les états du Languedoc date de 1737.

Hesdin écrit à son intendant à Lille pour lui soumettre cette proposition. Dans les jours qui suivent, ce dernier transmet l’idée à Calonne. Approuvée en conseil, l’idée donne naissance à des questionnaires qui sont envoyés dès le mois d’avril 1786 dans toutes les généralités. L’individualisation des résultats de ces questionnaires naît donc uniquement du décalage temporel qui les caractérisent par rapport à la première partie de l’enquête.

Si l’on examine les délais de réponse des intendants à cette enquête, on s’aperçoit qu’ils sont très variables, de quelques mois à plus d’un an. Le Limousin se situe à cet égard dans une fourchette moyenne. Les questionnaires ont été envoyés à la fin du mois d’avril. L’intendant de la généralité de Limoges, Meulan d’Ablois, répond à du Terrage le 30 septembre 178621.

J’ai l’honneur de vous envoyer l’état général que vous m’avez fait celui de me demander des sages-femmes qui existent actuellement dans la généralité de Limoges ; je n’ai pas cru devoir vous envoyer successivement les feuilles, comme vous le prescriviez, attendu la trop grande quantité, et le peu de clarté de celles qui me sont parvenues, j’ai préféré de rassembler toutes ces feuilles et d’en former un seul état général, ce qui a un peu tardé les éclaircissements que vous désiriez, mais ils sont beaucoup plus clairs et plus sûrs.

La vitesse d’exécution dépend en effet largement de la rapidité des subdélégués qui rassemblent les informations au plan local. On apprend au sujet de la généralité de Limoges que les documents envoyés au contrôle général de finances ne sont pas les feuilles remplies par ces subdélégués, mais que les renseignements obtenus ont été remis en forme au sein des services de l’intendance. Ils se présentent aujourd’hui sous la forme d’un cahier in-folio cousu.

Que reste-t-il de cette enquête ? C’est la seule à être parvenue à peu près complète jusqu’à nos jours. Lors de sa réalisation le contrôle général des finances avait demandé la rédaction des réponses en trois exemplaires, dont l’un devait rester dans les archives de l’intendance qui l’avait produit, le second revenir au contrôle général des finances et le troisième être conservé à la Société royale de médecine. Aujourd’hui, l’exemplaire du contrôle général des finances a intégralement disparu. Les dépôts des archives départementales possèdent encore quelques épaves des feuillets qui leur étaient destinés, et seuls les résultats transmis à la Société royale de médecine sont parvenus intacts, conservés aujourd’hui à la bibliothèque de l’Académie de Médecine22. Ce sont ces documents qui ont été consultés pour retrouver les informations concernant la généralité de Limoges.

21 Bibl. Acad. de Méd., SRM, carton 85.

2) Le contenu de l’enquête.

Cette enquête apporte ainsi une vision relativement complète de la couverture du royaume en sages-femmes en 1786. Encore faut-il nuancer l’ampleur géographique des résultats qui ont été récoltés. Les deux tiers du pays sont représentés, ce qui laisse de vastes zones dans l’ombre. Ces lacunes ne sont d’ailleurs pas homogènes dans la mesure où elles s’inscrivent dans les ressorts des intendances. Il est arrivé bien souvent qu’un certain nombre de subdélégations n’ait pas répondu aux questionnaires envoyés par les intendants et de ce fait, une partie de l’espace reste non renseigné.

Cette enquête se rattache à un questionnement préalable sur le personnel des médecins et chirurgiens dans le royaume. Elle se présente sous forme de formulaires pré-imprimés envoyés aux intendants qui les diffusent auprès de leurs subdélégués. L’enquête porte sur quatre éléments : le domicile, l’identité (nom et prénom), l’école où la sage-femme a été reçue et les observations sur la manière dont ces femmes exercent l’art des accouchements. Au premier abord, les différents renseignements demandés par l’enquête semblent permettre un recensement correct des sages-femmes du royaume. Pourtant, la formulation des questions pose d’emblée de nombreux problèmes, eu égard à la diversité des situations régionales.

En premier lieu, la dénomination de sage-femme est relativement floue car elle peut présenter une dimension large, incluant toutes les femmes s’occupant d’accouchements, ou réductrice, restreignant la définition aux femmes reconnues par une autorité. Le terme employé dès l’en-tête de l’enquête est donc susceptible d’orienter les réponses des administrateurs. En effet, la tendance qui se dessine le plus nettement dans les résultats nationaux de cette enquête est l’exclusion des matrones du recensement, c’est-à-dire des femmes sans qualification particulière, qui devaient constituer pourtant la majorité des accoucheuses et dont l’expérience suppléait parfois au défaut de connaissances théoriques. De la même manière, la question sur l’école où ont été reçues les sages-femmes recensées pousse un peu plus dans la direction d’une définition réduite du terme sage-femme, puisqu’il s’agit d’une personne ayant reçu une formation. Jacques Gélis a souligné l’ambiguïté du terme « école » dans un contexte où c’est la réception par la communauté de chirurgiens qui fait la sage-femme, tout autant que le suivi d’un cours, ou la possession d’un brevet. La période suivante laisse perdurer cet état de fait, car le diplôme de la sage-femme ne lui sert de rien tant qu’il n’est pas présenté à un jury médical départemental et enregistré à la préfecture. Ainsi, les réponses ont montré à quel point cet élément avait été renseigné de manière variée, chaque

subdélégué ou chaque intendant s’appuyant sur une situation locale spécifique et sur la définition de l’expression qui lui était propre.

Il faut rappeler en quelques mots l’image générale qui se dégage de l’étude de ce document. Sur le plan régional, les régions les plus favorisées tant du point de vue du nombre que de la qualité des sages-femmes se situent dans la moitié nord du royaume. Normandie, Picardie, Champagne, Flandre, Hainaut ou Alsace sont des lieux où, par suite d’une forte tradition locale (comme c’est le cas pour l’Alsace) ou dans la lignée du passage d’Angélique du Coudray, les cours sont solidement implantés et largement soutenus par les intendants. En revanche, la moitié sud du royaume apparaît comme nettement moins bien pourvue en accoucheuses reçues ou diplômées. Le Limousin, l’Auvergne, le Languedoc se placent ainsi parmi les régions les plus défavorisées dans ce domaine.

3) Les limites de l’enquête.

Cependant, l’analyse de cette enquête et l’étude des résultats qu’elle présente invite à nuancer toute conclusion qui pourrait en être tirée. Les imprécisions du questionnaire invitent à rechercher l’optique qui a présidé à l’élaboration des résultats concernant la généralité. L’identité de ceux qui ont répondu au questionnaire, le soin et la rapidité qu’ils ont mis à le faire, tous ces détails deviennent essentiels lorsqu’il s’agit de décider de la fiabilité d’une source.

Le cas du Limousin est éclairant sur le plan du soin mis à répondre à l’enquête. En effet, le contrôle général des finances avait réclamé un envoi des formulaires au fur et à mesure de leur remplissage par les intendances. Or, la méthode même utilisée pour obtenir des réponses à ces questionnaires implique une certaine lenteur dans la réalisation. L’intendant de Limoges n’est pas à même de fournir des renseignements sur la situation de toute la généralité. Il délègue à ses subdélégués, citons celui de Brive, de Tulle, ou encore d’Uzerche ou de Lubersac, le travail de rechercher les informations et de les lui transmettre. Rien ne permet de définir l’identité du troisième niveau sollicité pour éclairer les subdélégués sur ces matières. Pour des régions comme la Lorraine, il s’agit des syndics des communautés urbaines ou villageoises, tandis que la Bretagne ou la Franche-Comté confient plus volontiers cette mission aux curés ou aux vicaires. Dans sa lettre au contrôleur général des finances, l’intendant de la généralité de Limoges n’y fait pas allusion. Il est possible cependant que des médecins ou des chirurgiens aient joué un rôle dans le recensement des sages-femmes. Le

projet d’institution de cours d’accouchement adressé par un chirurgien de Meymac, Desfarges, à la société royale de médecine au début de l’été 178623 a peut-être été suscité par l’enquête menée parallèlement sur les sages-femmes. Sur le plan formel, l’intendant souligne qu’il a dû reprendre l’ensemble des informations qu’il a reçues, pour les rendre intelligibles. Il s’agit donc d’une deuxième étape, une enquête remaniée. Les modifications et l’uniformisation, que l’administration de l’intendance a faites subir aux feuillets envoyés par les subdélégués, ont pour défaut majeur d’effacer les difficultés rencontrées dans les réponses à donner, et d’aplatir des approches qui pouvaient être très variées.

La généralité de Limoges a transmis au contrôle général les réponses d’une vingtaine de subdélégations aux états souvent incomplets. Cette vision est donc faussée par les absences d’informations et la tendance à privilégier les femmes exerçant en milieu urbain, dans les chefs-lieux des subdélégations ou dans les bourgs, sans tenir compte des nombreuses accoucheuses présentes dans les villages dispersés sur le terroir des paroisses. Il est donc impossible, tout comme ça l’est à un niveau national, d’établir un ratio entre sages-femmes et population. Il faut se contenter de ce qu’offre cette enquête, à savoir l’identité d’un certain nombre de sages-femmes, le type de formation qu’elles ont reçue et le regard porté sur elle par la population ou par d’autres membres du personnel médical.

III. L’état des sages-femmes en Bas-Limousin en 1786.

L’état civil et les archives judiciaires permettent une approche ponctuelle des sages-femmes de la province, mais seule l’enquête de 1786 donne une vision plus générale de leur présence dans l’espace du Bas-Limousin. La cartographie des accoucheuses, de la sage-femme formée à la matrone « sans principe », laisse évidemment apparaître un certain nombre de zones non pourvues ou non renseignées, mais les résultats envoyés au contrôle général des finances restent une source exceptionnelle pour dresser un portrait de ces femmes. Les différentes informations apportées par l’enquête proposent un profil spécifique de la sage-femme ou de la matrone corrézienne à l’orée du dernier quart du XVIIIe siècle, en découvrant leur âge, leur statut matrimonial ou le regard porté sur leurs compétences.