• Aucun résultat trouvé

Une nouvelle politique culturelle

Dans le document La géographie de l'art contemporain en France (Page 117-123)

Première partie : L’art contemporain en France depuis

Document 7: Lettre manuscrite de Niki de Saint-Phalle (1990)

II. L’art contemporain dans les politiques culturelles (1959-2004)

4. Les années Lang : deuxième rupture (mai 1981 mars 1986 et mai 1988 – mars 1993)

4.1. Une nouvelle politique culturelle

Après celle de Charles de Gaulle et d’André Malraux, la rencontre de François Mitterrand et de Jack Lang a provoqué une deuxième rupture dans l’histoire des politiques culturelles depuis la Seconde Guerre mondiale. Claude Mollard, qui a vécu cette histoire de l’intérieur des ministères, affirme que « la politique culturelle (…) a toujours supposé la complicité du Président et de son ministre. Jamais elle n’aura été aussi grande. C’est une des sources de sa puissance. »167.

L’arrivée de la gauche au pouvoir a suscité de grands espoirs (ou de grandes craintes…) de changements économiques radicaux. Ceux-ci ne se réalisèrent pas, car le socialisme s’est vite trouvé confronté aux lois du marché, imposées par la mondialisation, et à une conjoncture peu favorable. Si la rupture avec le capitalisme n’a pas été effective, celle qui concerne les politiques culturelles a été beaucoup plus concrète.

Dès l’arrivée au pouvoir de la gauche, le plan quinquennal (1981-1985), conçu par Raymond Barre, est mis entre parenthèses, et remplacé par un plan intérimaire (1982-1983). Il se caractérise par une évolution des objectifs assignés à la politique culturelle. Alors que Malraux voulait tendre vers une démocratisation de la culture, visant à diffuser une culture unique, Lang souhaitait aboutir à une démocratie culturelle, reconnaissant différentes cultures.

167

Le décret du 10 mai 1982 annonce clairement les ambitions du nouveau gouvernement en matière de politique culturelle :

« Le ministère de la Culture a pour mission : de permettre à tous les Français de cultiver leur capacité d’inventer et de créer, d’examiner librement leurs talents et de recevoir la formation artistique de leur choix ; de préserver le patrimoine culturel national, régional, ou des divers groupes sociaux pour le profit commun de la collectivité toute entière ; de favoriser la création des œuvres d’art et de l’esprit et de leur donner la plus vaste audience; de contribuer au rayonnement de la culture et de l’art français dans le libre dialogue des cultures du monde. »

On met donc l’accent sur la multiplicité des cultures, qu’elles soient régionales ou appartenant à « divers groupes sociaux ». Lang a en effet marqué l’histoire culturelle de la France en favorisant la prise en compte des cultures et des pratiques culturelles jusqu’alors en marge comme celles des jeunes des banlieues (tag, hip-hop, techno, bande-dessinée…).

La démocratisation de la culture est l’autre priorité du ministre. Le constat effectué par P. Bourdieu et A. Darbel168 à la fin des années 1960 est encore d’actualité : « l’amour de l’art » n’est pas partagé par tous les Français et reste l’apanage de ceux qui sont issus des catégories sociales privilégiées. Il faut donc relancer la politique de l’offre culturelle sensée permettre une démocratisation fondée sur la proximité physique avec les œuvres d’art.

Le neuvième plan (1984-1988) confirme les orientations formulées dans le plan intérimaire et insiste sur la pluralité des cultures. Il met aussi en évidence le rapport entre le développement culturel et le développement économique. Cet aspect n’avait, jusqu’alors, jamais été mis en avant, et permet de justifier une augmentation budgétaire, qui est donc ainsi présentée comme un facteur de relance. Keynes aurait probablement approuvé la quête du 1% (du budget de l’Etat pour la Culture). Il est cependant certain, qu’en cette période de morosité économique et d’aggravation du chômage, ce dynamisme culturel a stimulé de nombreux secteurs de l’économie (édition, disque, cinéma, galeries d’art, design, cinéma…).

« La culture est désormais considérée comme une véritable activité économique et l'aide aux entreprises culturelles est bien l'une des priorités des politiques menées depuis 1981 : les aides directes sont nombreuses et permettent de soutenir plus de deux cent trente entreprises culturelles. »169.

Jack Lang, ministre d’un gouvernement voulant, au moins à ses débuts, rompre avec le capitalisme, a donc paradoxalement engagé la réconciliation entre économie et culture.

Cette politique n’a pu se mettre en place qu’avec la contribution des autres ministères, et principalement, celui des Finances. L’exclusion des œuvres d’art de l’assiette de l’impôt sur les grandes fortunes, ainsi que la baisse de 7% à 2% du droit d’enregistrement sur les ventes publiques en 1989, ont permis de relancer le marché de l’art. Le mécanisme de la dation en acquittement des droits de succession (étendu en 1982 au recouvrement de l’Impôt Sur la Fortune) favorise l’enrichissement des collections des musées français et évite ainsi le départ des œuvres vers l’étranger.

4.2. La quête du 1%

La réussite de Jack Lang (perçu par 41% des Français comme le meilleur ministre de la Culture de la Cinquième République170) repose en grande partie sur le fait qu’il a su convaincre ses collègues du gouvernement de la nécessité de faire des efforts en faveur de son ministère. Ce n’est que grâce à son obstination, chaque année, lors de la préparation du budget, qu’il a pu maintenir, voire faire progresser la part qui lui était réservée. Un extrait de lettre destinée au Premier ministre Laurent Fabius, citée par Claude Mollard, datant de décembre 1984, reflète bien cette obstination, mais aussi tout son sens de la persuasion, adapté à la vie politique :

« Le plus jeune et le plus brillant Premier ministre de France ne peut pas ne pas accorder une petite place dans son cœur au ministère des créateurs et des jeunes ! (…) Nous représentons le prix de la construction de 30 kilomètres d’autoroute urbaine ! A l’échelle du budget de l’Etat une réduction ou une stagnation de notre budget représenterait un gain financier faible. En revanche le prix politique serait lourd : atteinte au prestige de la gauche ; protestation des artistes – ils ont la voix forte ! Ne les décevons pas ! (…) Dans ton combat personnel, ils seront avec toi et pour toi, si tu deviens leur protecteur et leur ami. Il ne faut pas que tu sois seulement le Premier ministre de l’industrie et de l’économie, il faut que tu deviennes aussi le Premier ministre des Arts . » 171

Laurent Fabius, par conviction ou par stratégie politicienne finit par suivre son ministre de la Culture, et même par donner l’exemple, en organisant une exposition

170

Sondage effectué par BVA en novembre 2000 pour Beaux-Arts magazine (n°200 janvier 2001) auprès d’un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus composé de 1017 personnes.

171

d’œuvres provenant de différents FRAC, dans les jardins de l’Hôtel Matignon, lors de sa garden-party de juin 1985.

L’efficacité de son action peut donc d’abord se mesurer sur le plan quantitatif, à travers l’étude de l’évolution du budget consacré à la culture (en valeur absolue et relative). Certes, l’augmentation de ce budget n’était pas une préoccupation majeure pour Malraux qui avait, comme nous l’avons évoqué précédemment, une « conception monastique de l’action culturelle de l’Etat ». Pourtant, une augmentation significative du budget a été réclamée à partir de 1968. C’est en effet après les événements du mois de mai qu’est apparue la revendication du 1% du budget consacré à la Culture. La paternité de ce que la journaliste C. Guigon172 qualifie de « complainte du 1% » est attribuée à Jean Vilar, fondateur du Festival d’Avignon et à Jack Ralite responsable des questions culturelles au PCF. L'appellation « complainte » convient bien puisque, plus de trente ans plus tard, la barre du 1% n’a jamais été atteinte.

Il y a pourtant bien eu une rupture fondamentale lorsqu’en 1982, Jack Lang parvient à faire adopter le chiffre de 5 994 millions de francs (le double du budget précédent), ce qui représente 0.76% du budget de l’Etat (au lieu de 0.47%, précédemment). Par la suite, la conjoncture économique a rendu difficile la marche vers le 1% et il a fallu toute la force de persuasion de Jack Lang pour atteindre finalement 0.93% en 1986…en pleine période d’austérité. Si on est encore bien loin des 12%173, que Louis XIV consacrait aux beaux-arts et aux lettres, jamais la République n’a jusqu’alors consacré autant d’argent à la Culture. Gérard Monnier174 reprend la comparaison effectuée par un analyste du Ministère, Jean-François Chougnet, qui estime que la progression de la part de la Culture, depuis l’arrivée de Jack Lang, dans le budget de l’Etat, est équivalente à celle du budget consacré à l’Instruction publique lors de la mise en application des lois Ferry entre 1880 et 1890175. Si, entre 1981 et 1982, le budget de ministère de la Culture a été doublé, celui qui était consacré aux arts plastiques a été multiplié par cent.

Nous verrons que cette augmentation budgétaire a permis la réalisation d’investissements qui ont considérablement modifié la géographie de l’art contemporain.

172

Télérama n°2653, 15 novembre 2000, dossier « L’argent de la Culture »

173

Notons toutefois qu’il est difficile de comparer ces deux pourcentages, car les domaines d’interventions de l’Etat, du temps du Roi Soleil, étaient beaucoup plus réduits qu’en 1986.

Une fois lancé le processus d’augmentation budgétaire, il était difficile de revenir en arrière. En effet, chaque année les frais de fonctionnement s’alourdissaient, en raison de la progression des effectifs du ministère qui ont augmenté de 10% entre 1981 et 1991, mais aussi (et surtout) à cause de l’augmentation des frais de fonctionnement et d’investissement liée à la mise en route progressive des « grands travaux » du Président Mitterrand :

• Le Musée du Louvre et l'Etablissement Public du Grand Louvre • L'Opéra National de Paris

• La Bibliothèque Nationale de France • La Cité de la Musique

• L'Etablissement Public du Parc et de la Grande Halle de la Villette • La Cité des Sciences et de l'Industrie

• Le Musée d'Orsay

• Le Centre National du Costume de Scène (Moulins - Auvergne) • Le Musée d'Art Moderne et Contemporain (Strasbourg - Alsace) • Le Musée Saint-Pierre (Lyon - Rhône-Alpes)

• Le Musée de la Préhistoire (Eyzies de Tayac - Aquitaine)

• Le Mémorial de la Bataille de Normandie (Caen - Basse-Normandie) • Le Conservatoire du Machinisme et des Pratiques Agricoles (Chartres- Centre)

• Le Musée de Beaux Arts (Rouen - Haute-Normandie)

• L'Auditorium du Corum et Zénith (Montpellier - Languedoc-Roussillon) • Le Carré d'Art (Nîmes - Languedoc-Roussillon)

• La Maison de la Magie (Blois - Centre)

• La Restauration du Pont du Gard (Languedoc-Roussillon) • La Bibliothèque Francophone Multimédia (Limoges - Limousin) • Le Zénith (Nancy - Lorraine)

• Le Château des Nestes (Arreau - Midi-Pyrénées)

• Le Centre National de la Mer (Boulogne sur Mer - Nord-Pas-de-Calais) • Le Musée des Beaux Arts et Zenith (Lille - Nord-Pas-de-Calais)

• Le Centre d'Archives du Monde du Travail (Roubaix - Nord-Pas-de-Calais) • L'Ecole Supérieure d'Art du Fresnoy (Tourcoing - Nord-Pas-de-Calais)

• Le Centre Culturel Jean-Marie Tjibaou (Noumea - Nouvelle Calédonie) • Le Centre National de la Bande Dessinée et de l'Image (Angoulême – Poitou-Charente)

• La Valorisation et sauvegarde du Marais Poitevin (Poitou-Charentes) • La Corderie Royale et le Jardin des Retours (Rochefort - Poitou-Charentes) • L'Ecole Nationale de la Photographie et Musée de l'Arles Antique Arles- Provence-Alpes-Côte d'Azur)

• Le Zénith (Marseille - Provence-Alpes-Côte d'Azur) • Le Zénith (Toulon - Provence-Alpes-Côte d'Azur)

• Le Muséum Agricole et Industriel Stella Matutina (Saint Leu - Réunion) • La Mediathèque: vitrine technologique (Chambéry - Rhône-Alpes) • Le Centre National d'Art Contemporain et Musée d'Art Ancien et

Moderne (Grenoble - Rhône-Alpes)

• Le Musée Mémorial des Enfants d'Izieu (Izieu - Rhône-Alpes)

• Le Conservatoire National Supérieur de Musique et Palais Saint-Pierre (Lyon- Rhône-Alpes)

• Le Musée d'Art Moderne (Saint-Etienne - Rhône-Alpes)

• La Maison du Livre, de l'Image et du Son (Villeurbanne - Rhône-Alpes) • Le Musée de la civilisation celtique et centre de recherche ( MONT BEUVRAY)

(source : site http://www.culture.fr)

10% (en caractères gras) de ces grands travaux concernent le secteur de l’art contemporain, ce qui représente la moitié des réalisations destinées aux arts plastiques. Aucun n’a une véritable envergure nationale et nous pouvons noter que ce sont les gouvernements précédents qui ont conçu et financé le seul grand musée national consacré à l’art contemporain (sans le soutien de la gauche… alors dans l’opposition ). Cette liste des grands travaux mitterrandiens ne reflète donc pas totalement la priorité affichée par Jack Lang, concernant la création contemporaine, tout du moins en ce qui concerne les arts plastiques. Elle met donc bien en évidence l’implication personnelle du Président de la République, plus attaché au patrimoine et à l’art ancien que son ministre de la Culture.

4.3. Nouvelles structures au service d’une politique nouvelle

Dans le document La géographie de l'art contemporain en France (Page 117-123)