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Lettre adressée par Yves Klein au Préfet de la Seine le 29 avril 1958 Collection Daniel Moquay, Cliché Laurent Lecat

Première partie : L’art contemporain en France depuis

Document 5 Lettre adressée par Yves Klein au Préfet de la Seine le 29 avril 1958 Collection Daniel Moquay, Cliché Laurent Lecat

(Extrait de Monument et modernité à Paris : art, espace public et enjeux de mémoire 1891-1996 / ouvrage collectif, Paris, Fondation Electricité de France / Paris musées, 1996, p.85.)

Photo 33 : Yves Klein, Illumination en bleu de l’obélisque de la Concorde , Paris, 1996

Cliché : Ch. Fouin, extrait de Monument et modernité à Paris : art, espace public et enjeux de mémoire 1891-1996 / ouvrage collectif, Paris, Fondation Electricité de France / Paris musées, 1996, p.83.

Ces freins à la mise en place d’œuvres contemporaines dans l’espace public s’expliquent, comme nous l’avons montré précédemment, par la frilosité des autorités de l’époque vis à vis des avant-gardes. Le 1% artistique, concernant la construction des bâtiments scolaires et universitaires en 1951 a été élargi à une quinzaine d’autres ministères en 1972. Cela a permis à des artistes contemporains d’intervenir dans l’espace public, mais ces interventions sont toujours liées à la construction d’un bâtiment, le texte initial parlait même du « 1% décoration ». On ne concevait donc l’œuvre de l’artiste que comme une partie intégrante d’un ensemble architectural,

reprenant ainsi l’idée de Walter Gropius, fondateur du Bauhaus, de « l’union de tous les arts sous l’aile de l’architecture ». De nombreux architectes ont cependant condamné, dès la mise en place du 1%, ces éléments de « décoration » imposés par la loi. Ils jugeaient inutile l’apport d’un quelconque ornement à leur architecture conçue comme une entité autonome. Les artistes appréciaient, le plus souvent, le confort matériel lié à ces commandes. Pourtant, le fait d’être considérés comme des « décorateurs », était mal perçu par ceux qui prétendaient relever des avant-gardes. Toutefois, l’historienne de l’art Sylvie Lagnier affirme que « faute de mieux, les artistes s’en contentèrent, sauvant ainsi leur statut, mais sans doute au détriment de la place sociale qu’ils auraient dû ou pu occuper »71. C’est probablement cette insatisfaction commune des architectes et des artistes qui a contribué à la médiocrité de nombreuses réalisations.

Le manque d’informations à destination du public a parfois provoqué un rejet de ces créations contemporaines ou leur ignorance. Certaines sont aujourd’hui extrêmement dégradées, du fait de l’absence d’entretien. Ceci pose d’ailleurs le problème du droit moral de l’artiste face à cette négligence, liée en partie à l’inexistence de budgets spécifiques. Ces interventions d’artistes, subordonnées aux architectes et aux maîtres d’ouvrages, sont trop souvent conçues et perçues comme des obligations liées à l’application systématique d’un texte réglementaire. Elles relèvent rarement d’un réel projet artistique, mais présentent fréquemment les caractères d’un art bureaucratique, qualifié parfois « d’art de fonctionnaire ». Sylvie Lagnier a dressé un bilan, assez négatif, du 1%. Elle reprend les propos du critique d’art Pierre Schneider, auteur d’un article intitulé Bienfaits et méfaits du 1%, et affirme que « si le 1% fut un échec, c’est (…) parce que la commission nationale du 1% et les conseillers artistiques régionaux n’ont pas su être sélectifs et ne sont pas parvenus à des critères de sélection suffisants »72. Les artistes, eux, reprochent leur manque d’autonomie et « … une lourdeur administrative et (un) manque de formation et d’information des architectes »73.

Le 1% a cependant donné lieu à quelques œuvres intéressantes d’artistes réputés. Hans Arp et Alexandre Calder, par exemple, ont ainsi réalisé deux sculptures monumentales, en 1970, pour la faculté de Jussieu. Certaines œuvres sont, plus rarement, situées à l’intérieur des bâtiments, c’est le cas notamment de l’installation

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photographique (portraits d’élèves accrochés sur un mur) de Christian Boltanski pour le CES des Lentillières à Dijon.

Il a fallu attendre74 le développement de la Commande publique dans les années 1980, indépendamment de la procédure du 1%, pour que les plasticiens contemporains puissent intervenir de façon autonome, et non plus seulement à des fins décoratives, dans l’espace public. Les artistes ne se contentent plus des espaces que leur attribuaient les architectes dans le cadre réglementaire du 1%. L’échelle de leur intervention a donc évolué, passant de celle d’un élément décoratif lié à un bâtiment à celle de l’espace urbain, dans toutes ses diversités.

Nous avons analysé précédemment le rôle joué par l’Etat, et ses représentants au sein des DRAC, dans la conduite des projets et particulièrement, sur le plan de la sélection des artistes. Certains ont évoqué la renaissance d’un nouvel académisme, voire d’un art officiel. Il est vrai que pour pouvoir bénéficier de la procédure de commande publique, les artistes doivent être reconnus par les services du Ministère. C’est pour cette raison que seuls les artistes contemporains, ou admis comme tels peuvent être retenus.

Les services de l’Etat ont, de cette manière, souvent devancé l’évolution des goûts de la population. Nathalie Heinich75 a étudié les réactions du public, peu préparé à la lecture de ces œuvres, souvent dubitatif, voire carrément hostile. Elle a notamment analysé l’opinion des passants face au Pont-Neuf emballé par Christo en 1985, aux

Colonnes de Buren en 1986 et à une fontaine76 réalisée en utilisant des bidons et du

béton par Bernard Pagès à la Roche-sur-Yon en 1986. Quelles que soient les critiques formulées à son encontre, il est certain que l’Etat a pleinement assumé la prise en compte des créateurs contemporains. Il est dommage que l’on se soit trop peu soucié de la pédagogie, souvent nécessaire pour éviter les rejets.

Certains artistes estiment que l’art public ne peut pas se résumer à l’exposition d’une œuvre commandée, dans l’espace public, et veulent ainsi se démarquer d’un art qui serait essentiellement commémoratif ou décoratif. Ils interviennent alors parfois de leur propre initiative, avec ou sans autorisation. Ces interventions prennent alors une dimension souvent politique, dans toutes les acceptions du terme. La démarche

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En dehors des villes, déjà évoquées précédemment, qui, à la suite de Grenoble, ont mis en place des programmes de commandes publiques de sculptures contemporaines, dès la fin des années 1960. Leurs politiques ont été étudiées par Sylvie Lagnier (op. cit. p. 79-104)

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L’art contemporain exposé aux rejets, Nîmes, Ed. J. Chambon, 1998.

76 Œuvre réalisée dans le cadre de l’opération Sept fontaines dans sept villes lancée par le ministère de la Culture en

polémique de l’artiste se trouve alors d’autant plus médiatisée qu’elle s’effectue dans un espace public.

Daniel Buren qui, dans ses débuts, était coutumier des « affichages sauvages » dans l’espace public, affirme que :

«L’œuvre d’art étant un objet montré à d’autres, dès qu’il est offert au public, son impact n’est pas seulement d’ordre esthétique, psychologique, sensible ou autre, il est aussi d’ordre politique. »77

L’art public ne se contente pas d’une fonction décorative, il a parfois un rôle majeur dans l’aménagement urbain. En fait, on allie alors fonction utilitaire et esthétique, ce qui peut se rapprocher de la conception du design, mais aussi de l’urbanisme. La participation des artistes à la réflexion urbanistique est assez rare. Au début des années 1970, des plasticiens, baptisés « artistes conseils » ont été associés à la conception des Villes Nouvelles. Le projet était ambitieux, il ne s’agissait plus seulement d’intégrer des œuvres d’art dans un programme architectural déjà établi, mais de mener une réflexion commune avec les architectes et les urbanistes sur la conception de ces villes. Cette collaboration s’est montrée difficile et les artistes ont eu des difficultés à faire valoir leurs points de vues et leurs compétences. Cette expérience constitue toutefois une évolution positive, en ce qui concerne la prise en compte de l’art public, par rapport aux conditions de l’application du 1% décoration. Sylvie Lagnier considère cependant que « L’échec de l’association des « artistes conseils » aux ateliers d’urbanisme a généré un manque de cohérence dans les interventions artistiques dans les Villes Nouvelles. Dans la plupart d’entre elles, les interventions d’artistes sont restées ponctuelles même si leur expérience a permis un développement de l’art contemporain au sein des espaces publics. »78 .

Le premier projet a été celui de Gérard Singer, pour Evry 1. L’artiste, depuis les années 1960, a constamment lutté pour se libérer de la subordination des plasticiens aux architectes, dans le cadre du 1%. Il a effectué un voyage aux Etats-Unis, où il a analysé l’inscription des sculptures monumentales dans l’espace urbain. Il a conclu qu’il s’agissait surtout de « plops », d’œuvres-objets destinées à valoriser l’image des firmes privées qui les ont commandées, sans souci d’intégration à l’architecture et, a fortiori, à l’urbanisme. Son projet de Déambulatoire en polyuréthane installé sur un espace de 1100 m², présenté en 1972, n’a finalement pu être terminé qu’en 1976. Celui-ci, de par

son ampleur, sortait du cadre de la sculpture classique, et constituait un véritable élément de l’aménagement urbain. L’artiste est alors sorti du cadre du décorateur, pour devenir aménageur. Il entre alors en concurrence, si la collaboration n’est pas réellement effective, avec les architectes et les urbanistes, qui veulent garder la maîtrise du projet.

Parallèlement aux projets liés aux Villes Nouvelles, l’Etablissement Public d’Aménagement de la Défense, créé en 1958, a mis en place un vaste programme d’implantation d’œuvres contemporaines79 sur la dalle piétonne de ce nouveau quartier d’affaires. Cette dalle de 22 hectares est libérée de l’automobile par la conception du réseau routier souterrain, ce qui explique une présence des espaces publics nettement plus importante (environ 60% de la surface totale) que dans les autres villes. Un vaste « musée » d’art contemporain en plein air a ainsi été créé progressivement à partir de 1970 jusqu’à ce que la crise immobilière de 1991 impose un arrêt des achats d’œuvres et la fermeture du service culturel de l’EPAD en 1993. La présence de ces œuvres, réalisées par des artistes de réputation internationale, outre son effet sur l’aménagement de l’espace, a également eu des conséquences sur le plan de l’image du quartier d’affaires. La construction de l’Arche a aussi contribué à véhiculer une image novatrice et de prestige susceptible d’attirer des entreprises internationales.

A Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), le projet de l’artiste plasticien Dani Karavan a été choisi avant celui de l’architecte Ricardo Bofill. Son Axe-Majeur a été inauguré en 1990, il fonctionne comme une épine dorsale de l’aménagement urbain, longue de trois kilomètres. Il constitue une réponse contemporaine au grand axe parisien qui part du Louvre jusqu’à l’Arc de Triomphe et qui a été prolongé jusqu’à l’Arche de la Défense. Il donne ainsi un sens à l’aménagement urbain, tout en marquant clairement une autonomie par rapport à l’axe parisien qu’il croise au loin. L’axe, financé en partie par des entreprises privées, est aujourd’hui inachevé. Son prolongement vers Paris dépend de l’obtention d’un budget suffisant.

Si les travaux effectués à la Défense ou à Cergy-Pontoise sont exceptionnels par leur ampleur, les exemples d’interventions d’artistes contemporains, débouchant sur un aménagement de l’espace public urbain sont nombreuses. Toutefois, dans la plupart des cas, les plasticiens interviennent à la demande des urbanistes et ne sont que très rarement associés à l’élaboration des projets d’aménagement urbain.

79 65 œuvres d’artistes contemporains de réputation internationale : Vassilakis Takis, Yaacov Agam, François

Photo 34 : L’Axe Majeur et la tour de D. Karavan et les bâtiments de R. Bofill, Cergy-Pontoise

Cliché : Teodoro Gilabert (2003)

Photo 35 : L’Axe Majeur relie la ville à la rase campagne, Cergy-Pontoise Cliché : Teodoro Gilabert (2003)

Les artistes, signataires du manifeste présenté ci-dessous, s’estiment « …rarement sollicités pour participer en amont aux opérations d’urbanisme ». Ils veulent « Que les maîtres d’ouvrage publics et privés comprennent qu’il s’agit, là aussi, de construire la ville. C’est à eux de favoriser l’intégration des artistes plasticiens au sein des équipes de maîtrise d’ouvrages urbains, pour que, dès l’amont, ils puissent devenir de véritables acteurs, maîtres d’œuvre artistiques, intervenant in situ dans le nécessaire remodelage de nos villes. »80