• Aucun résultat trouvé

L’Etat et les collectivités territoriales commanditaires 1 La commande publique

Dans le document La géographie de l'art contemporain en France (Page 153-159)

Première partie : L’art contemporain en France depuis

Document 7: Lettre manuscrite de Niki de Saint-Phalle (1990)

II. L’art contemporain dans les politiques culturelles (1959-2004)

6. L’Etat, l’art et les artistes : les aides à la constitution d’un patrimoine d’art contemporain et à la création

6.1. L’Etat et les collectivités territoriales commanditaires 1 La commande publique

La commande publique a pour principal objectif d’inscrire l’art dans l’espace public tout en soutenant financièrement des artistes. Elle correspond à « l’expression d’une volonté politique d’embellissement des espaces publics et d’enrichissement du patrimoine, la commande publique est aussi la manifestation d’une volonté de l’Etat de mettre à la disposition des artistes un outil leur permettant de réaliser des projets dont l’ampleur, l’originalité et le caractère parfois utopique ou expérimental nécessitent un soutien de la part de la collectivité. En outre, elle permet d'engager un dialogue fructueux avec les partenaires locaux, avec lesquels se prolonge et s'enrichit l'action de sensibilisation à l'art contemporain. »215

Cette intervention de l’Etat a donc de multiples fonctions: économique, patrimoniale, esthétique et pédagogique.

Elle est économique, car elle permet de soutenir financièrement des artistes. Il est vrai que les grands projets (aux gros budgets…) reviennent souvent à des artistes réputés, aux revenus déjà assurés par ailleurs, mais de jeunes plasticiens sont parfois concernés, ce qui leur permet d’assurer des revenus et une notoriété.

Elle est patrimoniale car elle permet de constituer une collection d’art contemporain hors des musées.

215

Elle est esthétique, car elle embellit les espaces publics, anciennement aménagés ou nouvellement créés.

Elle est pédagogique, car elle facilite la diffusion de l’art contemporain dans des lieux parfois éloignés des espaces habituels d’exposition et contribue à l’ouverture des élus locaux à cette forme d’art. Elle a été permise par la création, en 1983, du Centre National des Arts Plastiques, comprenant un fonds de la commande publique destiné à « contribuer, par la présence d’œuvres d’art en dehors des seules institutions spécialisées dans le domaine de l’art contemporain, à l’enrichissement du cadre de vie et au développement du patrimoine national. »216

La commande publique a connu un développement spectaculaire après l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand et de Jack Lang, elle constituait alors la priorité pour Claude Mollard, Délégué aux arts plastiques. Pour favoriser la diffusion de l’art contemporain, la DAP a lancé en 1984, par l’intermédiaire des FRAC, un programme de « formation pour les médiateurs ». Il s’agissait de contribuer à la « ….formation des élus aux domaines de la création et de la diffusion de l’art contemporain. Ces sessions de formation ont consisté le plus souvent en l’organisation de colloques et en voyages d’étude à travers les régions françaises ou étrangères. »217. Si certains élus ont pu être formés, sans pour cela être forcément convaincus, le public, a le plus souvent été confronté brutalement à l’art contemporain sans aucune préparation intellectuelle.

Cela explique en partie le fait que ces commandes publiques ont parfois suscité de vifs débats. Certaines œuvres, installées il y a plus de quinze ans, sont aujourd’hui encore l’objet de critiques souvent acerbes. Le fait d’inscrire l’art contemporain dans l’espace public force les passants, dont certains n’auraient peut-être jamais ouvert la porte d’une exposition d’un FRAC ou d’un musée, à une confrontation avec un art, il est vrai rarement consensuel.

Cette volonté d’aller à la rencontre d’un large public, hors des lieux traditionnellement dédiés à l’art contemporain, se retrouve aussi dans la politique concertée de la Délégation aux Arts Plastiques et de la Direction de l’architecture et du patrimoine, visant à confronter l’art et l’architecture des siècles passés et l’art actuel. C’est le cas, par exemple, dans le jardin des Tuileries, où l’on a installé des sculptures du XXème siècle depuis 1998. De nombreuses églises anciennes ont été également dotées de vitraux réalisés par des artistes contemporains (Gérard Garouste à Talant

(Côte-d'Or), Jean-Pierre Bertrand à Bourg-Saint-Andéol (Ardèche), Pierre Soulages à Conques (Aveyron), David Rabinowitch à Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute- Provence)...).

Dans la plupart des cas, il s’agit donc d’œuvres pérennes ; depuis quelques années, des installations éphémères ont toutefois été commandées. On a ainsi fait appel à Hans Peter Cloos et à Christian Boltanski pour la création du Voyage d'hiver de Franz Schubert à l'Opéra Comique en mars 1994, à Liam Gillick et Philippe Parreno à l’occasion du procès de Pol Pot au Magasin de Grenoble…

Notons que dans ce cas, la commande publique sort de son objectif initial qui consistait à constituer un patrimoine du XXème siècle, mais le Ministère a bien pris en compte l’importance croissante des œuvres éphémères dans la création contemporaine.

La commande publique a dû aussi s’adapter aux nouveaux médias, en effectuant des commandes de vidéos auprès de Dominique Gonzales-Foerster (1989), Pierre Huyghe (1995), etc…

En mars 1999, le Ministère a commandé des œuvres spécifiquement conçues pour Internet, regroupées sous l’appellation Entrée libre218 , à une dizaine d’artistes dont Daniel Buren, Alain Bublex, François Morellet, Ange Leccia…

Dans le même esprit, des commandes publiques d’économiseurs d’écrans pour ordinateurs ont été réalisées en 2000 par de jeunes artistes et sont téléchargeables gratuitement sur le site du ministère de la Culture :

http://www.culture.gouv.fr/reposoirs2000/219

La notion d’espace public s’étend donc au réseau Internet, ce qui correspond à une prise en compte des nouveaux moyens de communication, de plus en plus utilisés.

Dans tous les cas évoqués ci-dessus, les aides ministérielles dans le cadre des commandes publiques, en partenariat avec les collectivités territoriales, ne sont accordées qu’après un avis favorable du Délégué aux Arts Plastiques de la DRAC ou de la DAP. Il n’y a pas de commission chargée de l’instruction des dossiers, ce qui fait dire à Raymonde Moulin que « la commande publique relève du pouvoir régalien de l’Etat. Elle est plus volontaire que démocratique et ses choix sont, dans une période dénuée de consensus artistique, inévitablement objet de controverses »220. Cela revient à affirmer

218

http://www.culture.fr/entreelibre/ (lien valide en 2004)

219 Lien valide en mai 2004 220

que la commande publique, aujourd’hui, ne peut concerner que des artistes reconnus par les DRAC et le Ministère comme « artistes contemporains », ce qui exclut de facto de nombreux artistes221. Ce système permet au Ministère d’imposer des artistes ou des courants artistiques. Certains222 parlent même dans ce cas d’un art officiel imposé par un Etat culturel. Cela signifie que si un élu veut choisir un artiste non reconnu par la DRAC, il est libre… de financer seul ce projet. Nathalie Heinich a également montré les effets pernicieux de l’accroissement de l’intervention de l’Etat sur le plan de la création artistique :

« Le soutien de l’Etat à l’art contemporain a privé l’avant-garde de sa dimension anti- institutionnelle, permettant de cumuler le rejet traditionaliste de l’avant-gardisme avec le rejet progressiste des pouvoirs. En voulant servir la cause de l’art contemporain et en privilégiant l’international sur le régional, le professionnalisme sur le militantisme, la centralité sur la décentralisation, les initiatives des pouvoirs publics ont contribué à fourbir les armes de ses adversaires.» 223

Aujourd’hui, l’Etat a tendance à se désengager des grands projets urbanistiques. Les commandes liées aux opérations d’aménagement sont de plus en plus contrôlées par des élus, dont le rôle devient plus important. Gilbert Smadja affirme que :

« …les dernières opérations apparaissent peut-être moins liées que dans les années 1980 à des politiques d’image, et de plus en plus conçues par les élus eux-mêmes comme des programmes dans lesquels l’art se voit assigner une fonction urbaine, voire social-urbaine. (…). [les élus] souhaitent être des acteurs à part entière de la définition de la commande, quitte à se rendre, comme lors des dialogues les plus réussis, au bien-fondé d’une redéfinition de cette commande ou à la pertinence d’une réponse décalée. » 224

En 1991, le Ministère a publié le bilan de dix années de commandes publiques225. 468 œuvres ont été réalisées, par 440 artistes, pour un budget total de 168 millions de francs (MF). Le budget, en 1983, était de 1 MF et en 1990, de 33,5 MF. Cette évolution budgétaire spectaculaire est le résultat d’une politique très volontaire de la part du Ministère et des Collectivités Territoriales. Depuis cette période particulièrement faste, les commandes se sont poursuivies. La participation plus modeste de l’Etat en 2001 (21,2 MF) a été compensée par une intervention plus importante des collectivités locales.

221

cf définition de l’art contemporain dans l’introduction générale

222

Marc Fumaroli, par exemple, op. cit.

223

Le triple jeu de l’art contemporain, Paris, Editions de Minuit, 1998, p. 348.

224

Nous étudierons ultérieurement la répartition géographique des commandes publiques réalisées entre 1983 et 2001.

Ces chiffres évoqués précédemment ne prennent pas en compte les œuvres réalisées grâce à des dispositifs financiers particuliers, indépendants de la commande publique telle qu’elle est définie officiellement par le Ministère. Il s’agit notamment des conventions du ministère de la Culture mises en place au début des années 1990. François Barré, Délégué aux arts plastiques, a signé les premières Conventions de ville en 1992 avec les municipalités d’Amiens, Nîmes, Niort et Strasbourg. Elles ont été suivies par les Conventions ville-architecture, signées également par François Barré, devenu Directeur de l’Architecture et du Patrimoine, avec Grenoble, Athis-Mons, Lorient, Port-Saint-Louis-du-Rhône, Annecy et Chambéry. Ces dispositifs s’inspirent de ceux qui ont été mis en place dans les années 1970 pour les Villes Nouvelles, notamment sur le plan de l’accompagnement méthodologique et de l’installation de comités de pilotage. En ce qui concerne la Défense, l’Etablissement Public pour l’Aménagement de la région de la Défense (EPAD), doté de moyens financiers importants, a pu financer les installations de sculptures monumentales sur ses fonds propres.

Aujourd’hui, de nombreuses œuvres sont commandées directement par les municipalités, hors du contrôle des DRAC et du ministère de la Culture. Cela montre l’efficacité pédagogique du dispositif de la commande publique auprès des élus qui s’intéressent de plus en plus à l’art contemporain.

6.1.2. Le 1%

Les projets de Loi de 1936, déposés par Mario Roustan et Jean Zay, prévoyant la réalisation de décorations dans les constructions publiques, en instaurant le « 1% de la décoration monumentale », ne se concrétisent qu’en 1951. C’est l’arrêté interministériel du 18 mai 1951 qui stipule que : « 1% des sommes consacrées par l’Etat pour chaque construction d’établissement scolaire ou universitaire devra financer la réalisation d’une œuvre d’art contemporain intégrée au projet architectural ». Entre 1972 et 1981, d’autres ministères ont été concernés par cette mesure : l’Agriculture, la Coopération, la Culture, la Défense, l’Economie et les Finances, l’Environnement, l’Industrie, l’Intérieur, la Jeunesse et Sports, la Justice, les Postes et Télécommunications, les Transports, le Travail et les Affaires Etrangères.

A partir de 1983226, dans le cadre des lois sur la décentralisation ces mesures sont étendues aux collectivités territoriales. Tout bâtiment dont la fonction est de recevoir du public, à condition que sa construction soit en partie ou en totalité financée par un des ministères susnommés, est désormais concerné par « le 1% ». Cependant, comme aucun texte ne précise les modalités de mise en place de la loi avant le décret du 29 avril 2002, les élus n’ont pas toujours appliqué cette nouvelle mesure. Une étude menée en 1991 a montré que seulement 40% des collectivités locales appliquaient le 1%.

Il est désormais prévu de concevoir l’œuvre d’art lors de l’avant-projet sommaire de la construction. Les architectes et artistes devraient ainsi être mieux associés dans leurs interventions. Le choix des artistes est effectué par l’architecte ou le maître d’ouvrage, qui doit ensuite obtenir l’aval d’une commission contrôlée par le ministère dont relève la construction. Si le budget est supérieur à 100 000 francs, c’est le ministre concerné, le préfet de région ou le préfet de département qui prend la décision d’agrément.

Une fois l’œuvre achevée, le problème de son entretien reste posé car un budget spécifique est rarement prévu. La décentralisation favorise donc une inégale application du 1%, contrairement aux principes qui avaient prévalu lors de sa création. La décentralisation n’empêche pas que les conseillers pour les arts plastiques de la DRAC ont toujours un rôle essentiel dans les comités de pilotage des projets. Il est probable que, sans ce contrôle exercé par les services de l’Etat, l’art contemporain ne se serait jamais imposé dans les espaces publics et les nouvelles constructions. Le 1%, comme la commande publique, a donc une fonction pédagogique, certains élus et des artistes non reconnus par les DRAC ont néanmoins jugé cette pédagogie quelque peu autoritaire227.

Si le 1% a été inégalement appliqué par les Collectivités Territoriales, l’Etat, à partir de 1981, dans le cadre de la politique des Grands Travaux du président Mitterrand, a pourtant montré l’exemple. C’est notamment le cas du ministère des Finances, réalisé à Bercy par les architectes Paul Chemetov et Borja Huidodro. Une trentaine d’artistes, souvent de réputations internationales228, ont été employés. Le budget décoration de ce ministère a atteint le record de 16 millions de francs.

226

Loi du 22 juillet 1983 instituant le 1% décentralisé.

227

Le 1% a par ailleurs modifié le fonctionnement du marché de l’art à l’échelle du territoire national. David Cascaro229 estime que « Le 1% peut-être considéré en dépit de son apparence modeste, comme le seul véritable instrument d’aménagement esthétique à l’échelle nationale, relevant d’une obligation légale alors que la commande publique reste soumise à la volonté d’élus ou de fonctionnaires. » Il cite également une étude230 datant de 1991 qui montre que 78% des artistes concernés par le 1% dans les municipalités sont locaux. Ce sont effectivement les artistes provinciaux qui ont le plus profité du 1%. Pourtant, une circulaire de Jack Lang du 9 novembre 1981 mettait en garde les différents intervenants dans les procédures du 1% contre le risque d’une trop forte représentation des artistes régionaux :

« S’il est nécessaire de favoriser l’accès des artistes régionaux aux commandes du 1%, ils ne doivent cependant pas en être les seuls bénéficiaires. En effet, outre les inconvénients qui résulteraient d’une insuffisance de confrontation entre des talents représentatifs de toutes les tendances de l’art contemporain, on ne peut ignorer que près des trois quarts des artistes travaillant en France habitent la région parisienne. »231

Le 1% peut donc être perçu à la fois comme une forme de soutien aux artistes, notamment régionaux, comme un facteur de diffusion de l’art contemporain, et donc comme un outil de l’aménagement culturel du territoire.

Dans le document La géographie de l'art contemporain en France (Page 153-159)