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L’entre-deux-Mai 158 : la culture rentre dans le « domaine réservé » du Président

Dans le document La géographie de l'art contemporain en France (Page 113-117)

Première partie : L’art contemporain en France depuis

Document 7: Lettre manuscrite de Niki de Saint-Phalle (1990)

II. L’art contemporain dans les politiques culturelles (1959-2004)

3. L’entre-deux-Mai 158 : la culture rentre dans le « domaine réservé » du Président

Nous ne nous attarderons pas à évoquer les réalisations respectives des dix successeurs de Malraux, de 1969 à 1981. En effet Georges Pompidou, à son arrivée au pouvoir en 1969, a décidé de prendre en main ce qui, par la suite, a constitué un des « domaines réservés » des Présidents de la République.

Après le départ de de Gaulle, l’Elysée accueille un Président passionné par tout ce qui a trait à la culture, et plus particulièrement à l’art moderne et contemporain. Un Saint-cyrien laisse la place à un Normalien, agrégé de lettres… profil plutôt atypique dans le monde politique français. Le Président Pompidou n’est pas seulement amateur et spécialiste de poésie française159, il est également, avec sa femme, collectionneur d’art contemporain. Le 17 octobre 1972, Le Monde publie ses « Déclarations sur l’art et l’architecture », l’extrait cité par Philippe Poirrier160, et repris ici, montre bien, à la fois l’intérêt porté par Pompidou à la politique culturelle et sa volonté d’imposer une modernisation dans ce domaine :

« Nous avons un ministère des Affaires culturelles, et il est normal que je suive son action comme celle des autres, mais pour moi c’est tout autre chose, l’art n’est pas une catégorie administrative. Il est le cadre de vie, ou devrait l’être. (…)

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Groupe d’artiste français constitué à l’initiative du critique d’art Pierre Restany en 1960 et s’appuyant sur de « nouvelles approches du réel » au moyen de l’appropriation et du maniement d’objet de consommation ou de rebut. Le « geste d’appropriation » exclut le geste pictural : Arman accumule et brise des objets, César compresse et expanse, Christo cache….etc…

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Titre de l’ouvrage de l’historien Pascal Ory, paru en 1983 (Seuil), et retraçant l’histoire culturelle de la France de Mai 1968 à Mai 1981.

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Il a publié une anthologie de la poésie française, considérée comme une référence, ce qui est apparu comme assez surprenant de la part d’un homme politique.

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Quant à parler de ligne politique, il n’y a, croyez-le, aucune arrière-pensée de cet ordre dans mon esprit, au sens où l’on entend couramment le mot politique. Je ne cherche pas à créer un style majoritaire! Mais c’est vrai, la France se transforme, la modernisation, le développement dans tous les domaines sont éclatants. Pourquoi n’y aurait-il pas un lien avec les arts? Toutes les grandes époques artistiques sont des époques de prospérité économiques et souvent de puissance politique(…) . »

Il ne se contente pas d’accrocher des tableaux contemporains sur les murs de l’Elysée, ou de faire intervenir des artistes comme Yaacov Agam qui réalise, en 1972, un audacieux Environnement pictural total161 dans un de ses salons, rompant ainsi avec le classicisme des« ors de la République ». En effet, dès son entrée en fonction, il lance le projet du Centre Beaubourg, qui ne s’appelle pas encore Pompidou…, mais qui est resté sous contrôle direct du Président jusqu’à sa mort en 1974. L’année 1972 a véritablement marqué le début d’une réelle prise en compte par l’Etat, des avant-gardes. L’exposition «1960-1972, 12 ans d’art contemporain en France », initiée par le Président Pompidou, a pourtant marqué l’histoire des rapports difficiles entre la puissance publique et les artistes contemporains. Les choix du jury, présidé par François Mathey162, ont été contesté à la fois par les artistes, le public et une grande partie du monde politique. Les critiques les plus violentes ont été formulées par les membres du Front des Artistes Plasticiens (FAP), qui prétendaient que cette exposition était « une manipulation du pouvoir bourgeois ». A leurs yeux, le fait que l’Etat organise une exposition, constitue une forme de récupération, atténuant le caractère subversif de leur travail. Le FAP a donc organisé une manifestation, la veille du vernissage officiel. Celle-ci ayant été violemment dispersée par les CRS, certains artistes qui avaient été sélectionnés, décident de réagir en retirant leurs tableaux, ou en les retournant le long des cimaises.

En dehors de cette tumultueuse tentative de prise en compte des avant-gardes, Pompidou a marqué l’histoire par son projet parisien du Centre Beaubourg. Tant sur le plan quantitatif, que qualitatif, celui-ci a constitué (avec la création des FRAC163 en 1982, dans le cadre de la Décentralisation) un élément essentiel de la géographie de l’art contemporain.

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Catherine Millet, L’art contemporain en France, Paris, Flammarion, 1994, p.36.

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L’immensité du projet, et son coût, ont eu pour conséquence de bloquer toute autre initiative de grande ampleur à Paris ou en province. Il y a donc eu, durant cette période, une accentuation de la centralisation culturelle, notamment sur le plan de l’art contemporain. On note toutefois quelques exceptions, mais l’essentiel du financement provenait des municipalités : le CAPC (Centre d’Arts Plastiques Contemporains), à Bordeaux et le Musée de l’Abbaye de Sainte-Croix, aux Sables-d’Olonne, tous deux créés en 1973.

L’idée de la création d’un grand musée pour l’art du XXème siècle avait déjà été évoquée par Malraux, mais il a fallu que le Président Pompidou s’empare personnellement de ce vaste projet, constituant de ce fait ce que l’on a appelé plus tard le « domaine réservé », pour qu’il puisse aboutir. Il faut dire qu’il a été l’objet de grandes polémiques, liées à la fois à sa localisation au cœur de Paris et à son architecture audacieuse.

La mort de Pompidou en Avril 1974 aurait pu remettre en cause le projet qui n’aurait probablement pas abouti sans l’intervention de Jacques Chirac, Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing. Le nouveau Président de la République, ancien ministre des Finances qui avait été chargé du financement de la construction du Centre Beaubourg, a toujours été plutôt réticent face à ce projet, jugé trop coûteux et audacieux. Il use désormais de son pouvoir pour en modifier l’ampleur et l’esthétique.

Giscard allait alors dans le sens de la majorité des Parisiens, qui étaient horrifiés par cette architecture, jugée par certains trop proche de celle d’une raffinerie de pétrole. Pourtant, le plateau Beaubourg où tout un îlot de logements avait été détruit en 1936 pour insalubrité, relevait à cette époque du terrain vague à l’allure plutôt sinistre

Le Président pouvait aussi justifier ses choix en s’appuyant sur les prises de positions d’une association d’architectes, créée pour la défense des grands sites, et qui, en juillet 1974, dépose un recours devant le tribunal administratif de Paris. Ils obtiennent alors gain de cause et le tribunal impose un sursis à l’exécution des travaux.

A l’époque de son entrée en fonction, les sous-sols étaient achevés et la charpente était en cours de montage, ce qui fait dire à Claude Mollard, un des responsables du suivi du projet, qu’« extérieurement, on pouvait penser que le bâtiment n’était pas encore construit. Directement branché pendant quatre ans sur l’Elysée, l’établissement constructeur se trouve brutalement privé de tout soutien politique. »164

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Si rien ne semble construit, le chantier était déjà bien avancé (sous-sol, charpente métallique fabriquée sur mesure par Krupp en Allemagne…) ce qui fait qu’en cas d’arrêt des travaux « …l’Etat aurait payé 500 millions de francs, compte tenu des marchés signés, pour construire un parking de 500 places, à ciel ouvert, soit un million de francs par place de parking, le parking le plus cher du monde ! »165.

Finalement, c’est Jacques Chirac qui parvient à faire entendre raison au Président, qui finit par accepter ce projet gaulliste, et le 12 décembre 1974, le projet de loi portant création du Centre national d’Art et de Culture Georges Pompidou est adopté par l’Assemblée nationale (malgré l’abstention des communistes et des socialistes).

Alors que tous les problèmes semblaient réglés, éclate la « révolte des donateurs ». Les héritiers de certains maîtres de l’art moderne et notamment de Picasso, Matisse, Chagall, Braque… refusent de laisser partir les œuvres exposées aux Palais de Tokyo (Musée National d’Art Moderne devenu Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris après son transfert à Beaubourg).

Le public, lui, n’a pas cessé, depuis 1977, de montrer son intérêt, mêlé de curiosité, autant pour le bâtiment, que pour les expositions. La fréquentation oscille entre 6 et 8 millions de visiteurs par an166.

Photo 40 : Le Centre Pompidou tant décrié, avant de devenir un des hauts lieux du tourisme culturel parisien

Cliché : Teodoro Gilabert (2002)

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L’hommage rendu par Valery Giscard d’Estaing à Georges Pompidou le 31 janvier 1977, lors de l’inauguration du Centre, tente de faire oublier ces querelles :

« … un homme épris d’art contemporain… et qui s’inquiétait du risque de voir s’éloigner vers l’extérieur, au-delà des mers, l’extraordinaire foyer de création qu’avait abrité Paris et qu’il voulait y maintenir. »

Ces conflits politiques autour de ce que l’on a appelé « les grands projets » ou « grands travaux » ont été une constante par la suite, dans les années 80 (1981 : Orsay et la Villette, 1986 : l’Opéra Bastille et l’Arche de la Défense…), montrant ainsi les enjeux des politiques culturelles, notamment sur le plan de leur inscription dans l’espace.

4. Les années Lang : deuxième rupture (mai 1981 - mars 1986 et mai 1988

Dans le document La géographie de l'art contemporain en France (Page 113-117)