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Première partie : L’art contemporain en France depuis

Document 7: Lettre manuscrite de Niki de Saint-Phalle (1990)

II. L’art contemporain dans les politiques culturelles (1959-2004)

6. L’Etat, l’art et les artistes : les aides à la constitution d’un patrimoine d’art contemporain et à la création

6.5. Les musées

Il s’agit des structures les plus anciennes. Nous montrerons que le rôle de l’Etat dans la gestion des musées, de leur naissance à nos jours, a toujours été essentiel.

Si la pratique des collections remonte à l’Antiquité grecque et s’est poursuivie au Moyen-Age, elle s’est surtout répandue à partir de la Renaissance. Les princes ont

l’Antiquité romaine et se livraient parfois à une véritable chasse aux statues. Ce butin était ensuite exposé à l’intérieur des palais et dans les jardins. François 1er, en 1528, a ainsi aménagé un pavillon de chasse, à Fontainebleau. Afin de le transformer en « Rome du Nord », il envoie des artistes italiens à Rome afin de ramener et de copier des statues antiques.

Dans la deuxième moitié du XVIème siècle, un nouveau modèle se répand chez les princes européens, François de Médicis à Florence, l’empereur Rodolphe II à Prague… , le cabinet de curiosités. Celui-ci était sensé montrer tous les centres d’intérêts, notamment scientifiques, de son propriétaire, marqué par l’humanisme. Ce n’est qu’au cours du XVIIème siècle que l’art prend une place capitale dans les collections. Les premiers musées239, ou cabinets, ouverts réellement au public datent du début du XVIIIème siècle. En France, il a fallu attendre 1750 pour que le roi Louis XV accepte d’ouvrir au public une galerie du palais du Luxembourg, le mercredi et le samedi. Ce premier musée français a été fermé en 1779, car le Luxembourg avait été attribué par le gouvernement, au comte de Provence, frère du roi Louis XVI. C’est pourtant ce dernier qui est à l’origine, avec le comte d’Angeviller, qu’il avait nommé à la direction des Bâtiments du roi, du projet d’aménagement du Louvre en musée public. En 1787, le comte d’Angeviller publie un rapport sur l’aménagement du Louvre, qui constitue le premier traité de technique muséographique. On y explique notamment les avantages240 de l’éclairage zénithal qui est utilisé dans presque tous les lieux d’exposition de nos jours.

La Révolution a perturbé ce projet royal. Le 2 novembre 1789, l’Assemblée nationale décrète que « tous les biens ecclésiastiques sont à disposition de la Nation ». Dans un premier temps, ces « biens nationaux » sont mis en vente pour redresser le budget de l’Etat. Puis, à partir de 1790, la crainte d’une dispersion de ce qui apparaît comme un patrimoine national, fait naître l’idée d’un décret qui impose un inventaire et la conservation de ces biens. En avril 1792, avant même la chute de la monarchie, les biens de la Couronne, puis des émigrés, sont devenus biens nationaux. Après l’instauration de la République, le pouvoir avait, dans un premier temps, poussé le peuple à détruire tout ce qui symbolisait l’Ancien Régime. Puis, le 19 septembre 1792, le ministre de l’Intérieur, Roland, fait voter un décret qui ordonne « le transport dans le

239 En 1719, un cabinet public est ouvert à Saint-Pétersbourg. 240

dépôt du Louvre des tableaux et autres monuments relatifs aux beaux-arts se trouvant dans les maisons royales ».

Le Muséum des arts, situé dans la Grande Galerie du Louvre, a ouvert le 10 août 1793. Le fait que l’on ait choisi la date de l’anniversaire de la fin de la monarchie, montre bien la valeur symbolique et l’importance que l’on accorde à cette ouverture.

Les conquêtes de Bonaparte ont encore enrichi les collections nationales. Suite à une proposition du ministre de l’Intérieur Chaptal, un décret du 14 fructidor an IX (31 août 1801) « impose aux villes de préparer à leurs frais, une « galerie convenable » pour recevoir les œuvres déposées. Près de 600 tableaux seront envoyés, en 1802, puis en 1805. (…) Administrativement, l’arrêté Chaptal est l’acte de naissance des musées de province : un réseau de musées placés sous la tutelle de l’Etat, s’établit sur le territoire français. »241

Ces villes, choisies par le pouvoir, sont : Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Bruxelles, Marseille, Rouen, Nantes, Dijon, Toulouse, Genève, Caen, Lille, Mayence, Rennes et Nancy. Dans l’urgence, les collections sont installées dans des bâtiments publics reconvertis en lieux d’expositions. Il a fallu attendre la fin du XIXème siècle pour que l’on procède à des constructions spécifiques. Le musée des beaux-arts de Nantes, par exemple, créé par l’arrêté consulaire du 14 fructidor an IX (31 août 1801), n’a été installé dans son bâtiment actuel qu’en 1900. Ces édifices construits en province, ressemblant à des palais, relèvent généralement d’un style très éclectique, empruntant des éléments à différents bâtiments classiques parisiens.

Les musées sont alors essentiellement des lieux de travail pour les artistes et les étudiants, qui s’y installaient durant la semaine pour copier des œuvres. Ils n’étaient ouverts au grand public, dans la plupart des cas, que le dimanche.

Tous ces musées construits à la fin du XIXème siècle, rassemblent des œuvres très académiques. Ils ont presque tous ignoré les avant-gardes artistiques de l’époque. Ni Manet, ni les Impressionnistes ne sont alors entrés dans les collections. Nous avons d’ailleurs précédemment évoqué le fait que, c’est justement pour éviter la répétition de ce phénomène, que Malraux et ses successeurs ont tenté d’être plus attentifs à l’art contemporain.

Paris disposait bien d’un lieu, depuis 1818, pour exposer les artistes vivants, au palais du Luxembourg ; mais il s’agissait essentiellement d’œuvres académiques. Ce

problème de définition et de vocabulaire, déjà évoqué dans l’introduction, reste encore d’actualité. Un artiste vivant n’est pas toujours un artiste contemporain.

Le premier musée à s’ouvrir réellement à l’art moderne est celui de Grenoble, dirigé, à partir de 1919 par Pierre-André Farcy. Il exposa ainsi une œuvre de Matisse242 dès 1919 et de Picasso, en 1920. A Nantes, la Société d’initiatives et de documentation artistique moderne, est née en 1919, elle a été ensuite remplacée par la Société des amis du musée. Ces associations d’amateurs d’art, après avoir permis une ouverture vers l’art moderne ont acheté des œuvres contemporaines, essentiellement abstraites, dans les années 1950-1960. Ces initiatives privées marquant une ouverture des mentalités ont ensuite ouvert la voie à plusieurs dons et legs. Cette orientation a par la suite été soutenue à la fois par la municipalité et les différents conservateurs. Ces deux musées243 de Province font toutefois figure d’exception, dans un paysage muséal français très conservateur.

A Paris, il a fallu attendre l’Exposition Universelle de 1937, pour que l’on construise les Palais de Tokyo, à l’initiative de l’Etat et de la municipalité. Ils étaient prévus pour accueillir le Musée National d’Art Moderne et le Musée de la Ville de Paris. Le MNAM, rassemblant les collections du palais du Luxembourg et du Jeu de Paume, n’a été ouvert qu’en juin 1947. Ce n’est que trente ans plus tard, en 1977, que ce musée a été transféré à Beaubourg, dans le bâtiment construit par Renzo Piano et Richard Rogers. Entre ces deux dates, aucun autre musée consacré à l’art contemporain n’a été construit en France.

A partir de 1981, on a vu voir émerger des projets et des constructions244 de musées d’art contemporain, à Strasbourg, Nîmes, Bordeaux, Nice, Marseille, Grenoble, Saint-Etienne, Lyon et Toulouse, tous subventionnés par l’Etat.

Nous avons déjà évoqué cette vague muséale, qui n’a pas concerné que l’art contemporain, et qui s’est traduite par la construction ou la rénovation de plus de 200 musées en une vingtaine d’années. Nous en étudierons ultérieurement les implications sur le plan de l’aménagement du territoire.

Depuis la création des musées, le processus de constitution des collections a considérablement évolué. Leur profil ne dépend plus de celui du legs privé, de la

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Offerte par l’artiste. Les dons aux musées, par les artistes, ont parfois permis à certains d’entre eux d’y rentrer de leur vivant.

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Dans une moindre mesure, les musées de Saint-Etienne et de Lille se sont également ouverts à l’art contemporain.

244 Il s’agit de constructions neuves, comme à Nice ou Lyon, mais aussi parfois de rénovations ou réhabilitation de

dotation de l’Etat ou de l’achat d’une collection complète245. Le nouveau modèle qui semble s’imposer est celui du « « musée-Kunsthalle », grand organisateur d’expositions confiées à des commissaires charismatiques »246. Les conservateurs sont plus autonomes dans leurs choix, même si les contraintes budgétaires sont toujours existantes. Paradoxalement, cette liberté se traduit parfois par une certaine uniformisation des collections qui répondent à des normes internationales tacites, mais bien réelles.

Pour enrichir leurs collections, les musées nationaux ou municipaux disposent de fonds spécifiques. Certains artistes contemporains ont donc la possibilité de vendre, directement ou plus fréquemment, par l’intermédiaire d’une galerie, des œuvres à des musées. Cela constitue même parfois une consécration, un espoir de passer à la postérité et une possibilité de toucher un public souvent plus large que celui des FRAC.

Les crédits d’acquisition des musées nationaux sont constitués de différentes subventions et ressources :

Tableau 7 : Crédits d’acquisition des musées nationaux en 1999 Crédits d’acquisition des musées nationaux en 1999

(Millions de francs)

Etat 11.9 Fonds du patrimoine 59.4

Autres 0.8 Contribution Réunion des

Musées Nationaux

48.0

Dons et legs affectés 30.6

Mécénat 24.3

Total 175.0 Source : Ministère de la Culture et de la Communication, 2000

Les autres musées, régionaux, départementaux et municipaux, peuvent bénéficier des FRAM (Fonds Régionaux d’Acquisition des Musées) créés en 1982, dans le cadre des mesures budgétaires d’accompagnement des lois de décentralisation. Leur

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Comme la collection Cacault, composée de 11 555 tableaux, 64 sculptures et plus de 10 500 estampes, qui a été achetée par la Ville de Nantes pour son musée, en 1810. Son ampleur était très disproportionnée par rapport à la dotation de l’Etat, constituée de 43 tableaux provenant des réserves du Muséum central. Ceci explique que cette collection détermine encore aujourd’hui le profil du musée.

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montant était de 19.3 millions de francs en 1999. Ces fonds ont pour objet de subventionner des achats d’œuvres qui dépassent les capacités financières habituelles des musées gérés par les collectivités locales.

Dans le document La géographie de l'art contemporain en France (Page 166-171)