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Fin de la cohabitation avec Jean-Jacques Aillagon

Dans le document La géographie de l'art contemporain en France (Page 147-152)

Première partie : L’art contemporain en France depuis

Document 7: Lettre manuscrite de Niki de Saint-Phalle (1990)

II. L’art contemporain dans les politiques culturelles (1959-2004)

5. Art contemporain, culture et cohabitations

5.3. Fin de la cohabitation avec Jean-Jacques Aillagon

La victoire de la droite aux élections présidentielles et législatives du printemps 2002 a mis fin à la cohabitation. Le milieu de l’art contemporain était très inquiet de ce

changement de majorité envisagé assez tôt par les analystes politiques. Ces derniers avaient toutefois sous-estimé le candidat du Front National, Jean-Marie le Pen, qui a pu devancer le représentant du Parti Socialiste et participer au second tour. L’inquiétude a alors cédé la place à une véritable panique chez la plupart des acteurs de l’art contemporain. Il est vrai que Jean-Marie le Pen s’était exprimé très clairement dans son programme électoral. Il voulait lutter contre le « génocide culturel (…), cette entreprise de liquidation de nos racines spirituelles et naturelles qui vise à rendre amnésiques les Français sur leur propre sol»202. Il brocarde la « culture Lang (…) qui refuse toute idée de Beau »203. Il veut mettre en avant « le beau, le bien, le vrai »204 contre « l’art totalitaire »205 soutenu par la ministère de la Culture. Il s’agit donc pour lui de cesser le soutien à l’art contemporain et supprimer « les fonds inutiles »206, (FRAC et FNAC).

La victoire de Jacques Chirac, et surtout la nomination de Jean-Jacques Aillagon, comme ministre de la Culture et de la Communication, ont rassuré le milieu de l’art contemporain. L’ancien président du Centre Pompidou est effectivement connu pour son engagement en faveur de la création contemporaine, sous toutes ses formes. Il n’a d’ailleurs pas réellement changé la politique du Ministère pour l’art contemporain. Le délégué aux arts plastiques, Guy Amsellem, est même resté en place après le changement de majorité. Il n’a été remplacé, par Martin Bethenod, qu’au début 2003207. Si certains ont perçu Jean-Jacques Aillagon comme « le Jack Lang de la droite »208, il convient cependant de rappeler qu’il n’a pas eu le même soutien de la part du président de la République. Cela explique peut-être qu’il n’a pas pu maintenir le symbolique 1% du budget de l’Etat pour la Culture, obtenu par Catherine Tasca. En 2003, celui-ci a subi une baisse de 4,3% par rapport à 2002, alors que Jacques Chirac avait promis la sanctuarisation du 1%. Lors de la présentation du budget de son ministère, le 25 septembre 2002, Jean-Jacques Aillagon a relativisé cette baisse en montrant que les moyens d’action étaient en progression de 3,9%, et que les crédits des années précédentes n’étaient jamais totalement utilisés, ce qui fait que, d’après lui, le 1% ne correspondait pas à une réalité. Il présente ainsi les perspectives de son ministère:

202

Site Internet du Front National : http://frontnational.com

203 Idem 204 Idem 205 Idem 206 Idem 207

C’est d’ailleurs lui qui a mis en place la réforme du Centre national des arts plastiques, menée par son prédécesseur, et achevée juste avant son départ. Le Cnap devient un véritable établissement public, avec ses propres directeur et président. Les manufactures de Sèvres, des Gobelins, le Mobilier national, et les écoles d’art nationales

« La volonté de favoriser les activités et les projets, et non d'accroître le volume des crédits inemployés du ministère pour de pures raisons d'affichage. Il est une réalité peu connue de ce ministère : son incapacité, année après année, à consommer la totalité des crédits inscrits à son budget, et cela dans des proportions élevées et croissantes au cours des dernières années. Ainsi, en 1998, le taux de consommation des crédits était encore de 93 %, mais il n'a cessé de se dégrader, pour atteindre seulement 84 % en 2001! Il convient de préciser que ces ratios globaux recouvrent une grande disparité entre les crédits de fonctionnement et d'intervention, régulièrement consommés à 99%, et les crédits d'investissements, dont le taux de consommation est passé de 79 % en 1998 à 57 % en 2001. Le ministère dispose pour cette raison d'une réserve de crédits de paiement d'investissement non consommés d'un montant de l'ordre de 450 ME. » 209

Ce discours du ministre, qui tente de faire passer une baisse de budget pour une augmentation des moyens, n’a pas réellement convaincu les acteurs et les observateurs du monde de la culture. Catherine Tasca, l’ancienne ministre de la Culture et de la Communication affirme en effet :

« C’est un constat assez affligeant : depuis qu’il y alternance, le budget de la culture est comme la toile de Pénélope. La droite défait les crédits et la gauche rame pour remettre le bateau à flot. Ces coups d’accordéon sont une catastrophe pour ce ministère qui n’est pas riche. La technique bien connue qui consiste à faire passer des crédits d’équipements en crédits d’interventions est une politique à court terme. Les crédits d’équipements, même mal consommés, sont nécessaires. A terme il n’y aura plus d’argent ni pour les uns ni pour les autres. Enfin, je trouverais catastrophique que l’objectif de démocratisation que j’ai mis en place avec l’opération culture à l’école soit sacrifié. »210

Les titres III et IV du budget qui correspondent à la création et aux grands établissements ont connu une augmentation. Cela signifie que les arts plastiques (+5,71%) et les musées (+22,59%) ont échappé aux coupes budgétaires, même s’il faut bien prendre en compte, comme l’a précisé Catherine Tasca, le fait qu’il s’agit d’une vision à court terme.

L’action culturelle devrait être plus décentralisée et a bénéficié d’une augmentation budgétaire (+6,2%). Les régions Midi-Pyrénées et Lorraine ont servi de pilotes pour l’expérimentation de cette démarche.

209 Discours du 25-09-02 lors de la présentation du budget. 210

Les FRAC, qui avaient craint pour leur survie en cas de victoire du candidat du Front National, ont reçu une dotation supplémentaire de 1,05 million d’euros pour célébrer, en 2003, leur vingtième anniversaire.

Il apparaît donc que ces orientations budgétaires ne devraient pas réellement modifier la géographie de l’art contemporain.

Toutefois, le ministère de la Culture, suivant les directives du Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, a été prié de faire des propositions pour une nouvelle étape de la décentralisation. Nous avons déjà évoqué les politiques mises en œuvre à partir de 1982 et montré que le Ministère avait été particulièrement réticent, face au transfert de compétences aux collectivités locales. Si le résultat, notamment en ce qui concerne les FRAC, a été jugé positivement par les services ministériels, ils craignent de perdre encore une partie de leurs prérogatives. Ils craignent notamment de perdre le contrôle des FRAM (Fonds régionaux d’acquisition des musées), en estimant qu’il est nécessaire de garder une expertise incontestable sur les achats… donc forcément parisienne. Les Conseils régionaux, qui ont fait l’expérience des FRAC, sont pourtant prêts à s’impliquer davantage dans le domaine culturel. Les départements, qui ont montré leur compétence dans la gestion des archives et des bibliothèques départementales de prêt, sont souvent favorables à un élargissement de leurs attributions. Dans le domaine de l’art contemporain, l’absence de dotation spécifique explique la modestie de leurs interventions. La création du musée départemental d’art contemporain de la Haute- Vienne, dans le château de Rochechouart, constitue une remarquable exception. Les communes, qui se sont déjà largement investies, attendent aussi de nouveaux moyens.

L’année 2003 a été marquée par le conflit des intermittents du spectacle, qui a notamment entraîné l’annulation d’une grande partie des festivals de l’été. Les artistes plasticiens, qui ne disposent pas de régime indemnitaire n’ont pas été concernés. Leur situation est effectivement beaucoup plus précaire que celle de leurs collègues du spectacle ou de l’audiovisuel. Ils ont alors compris que l’heure n’était pas à la négociation d’un statut plus favorable. Les jeunes plasticiens semblent avoir admis un système de survie fondé sur le RMI, amélioré par quelques petits boulots ou ventes d’œuvres, en attendant la reconnaissance des institutions et du marché. Le sociologue Philippe Urfalino a bien analysé l’évolution des conditions de vie des artistes :

«…la vie d’un artiste est difficile et risquée, financièrement et humainement. L’artiste est protégé dans notre société, mais il risque aujourd’hui de l’être moins parce qu’il y a un

pays ne peut pas absorber ce fort désir d’activité artistique. Plus exactement, il semble que l’autre partie de la population ne désire pas l’absorber. » 211

Les mouvements sociaux de l’été 2003 ont certainement contribué à éviter que le budget 2004 du ministère de la Culture et de la Communication soit concerné par les restrictions budgétaires imposées à de nombreux autres ministères. Après avoir connu une baisse importante en 2003, le budget a à nouveau frôlé le mythique 1% en 2004.

Cela n’a pas empêché le départ de Jean-Jacques Aillagon, à l’occasion du remaniement ministériel imposé par le président de la République en mars 2004, suite à la défaite de la droite lors des élections régionales. Alors qu’il était arrivé avec un a

priori favorable des acteurs du monde culturel, du fait de son appartenance au sérail de

la culture, plutôt qu’au milieu politique traditionnel, sa popularité a rapidement décliné face à la montée du mécontentement des artistes. Jack Lang est le seul ministre, depuis 1981, a avoir su garder une opinion favorable de la part du monde culturel et du grand public. Il était effectivement aux commandes au moment où l’effort budgétaire consenti a permis des actions concrètes, mesurables par tous. Ses successeurs ont été confrontés au problème de l’augmentation des dépenses fixes, liées aux créations d’équipements effectués précédemment. Ceci est confirmé par l’axiome de l’économiste américain William Baumol qui affirme que « …dans le secteur culturel, les charges fixes augmentent toujours plus vite que les ressources. Les spectacles sont toujours plus onéreux ; une bibliothèque qui déménage est immanquablement plus grande et plus chère (…), un musée qui accroît sa surface réclame davantage de personnels… »212.

Le successeur de Jean-Jacques Aillagon, Renaud Donnedieu de Vabres, nommé le 31 mars 2004, ne possède pas d’a priori favorable du milieu culturel auquel il n’appartient pas, on ne pourra donc pas l’accuser de trahison. Pourtant, les difficultés structurelles, bien définies par l’axiome de Baumol, rendent sa tâche difficile, voire impossible, surtout dans le contexte budgétaire de rigueur imposée par le gouvernement. La poursuite de décentralisation devrait permettre à l’Etat de se désengager partiellement. Il reste toutefois à définir une politique culturelle plus cohérente, fondée sur le long terme et capable de constituer un cadre pour les actions décentralisées. Il faudrait pour cela que les ministres de la Culture puissent rester plus longtemps à leur poste, afin de réussir à imposer réellement un programme. Ce n’est pas un hasard si les deux ministres qui ont marqué l’histoire des politiques culturelles, André Malraux et

211 In Beaux-Arts magazine, n° 232, septembre 2003, p. 54. 212

Jack Lang, sont les seuls à avoir pu bénéficier de la durée pour inscrire leur action. La nouvelle « cohabitation », entre des régions de gauche et un gouvernement de droite risque de perturber la mise en place d’une politique culturelle impulsée par l’Etat. Les présidents de régions risquent effectivement de mettre en avant leurs prérogatives dans le domaine culturel et de définir chacun leur propre politique.

6. L’Etat, l’art et les artistes : les aides à la constitution d’un patrimoine d’art

Dans le document La géographie de l'art contemporain en France (Page 147-152)