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La naissance du ministère d’Etat des Affaires Culturelles

Dans le document La géographie de l'art contemporain en France (Page 102-105)

Première partie : L’art contemporain en France depuis

Document 7: Lettre manuscrite de Niki de Saint-Phalle (1990)

II. L’art contemporain dans les politiques culturelles (1959-2004)

1. La naissance du ministère d’Etat des Affaires Culturelles

Avant les années 60, les politiques culturelles des gouvernements de la IIIème et de la IVème République, à part les quelques initiatives qui ont marqué les débuts du Front Populaire, sont restées relativement modestes. Pourtant, le préambule de la Constitution de 1946, repris par celle de 1958, précise que « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ». Cette modestie ne s’explique pas seulement par une grande indigence budgétaire, mais aussi par « une organisation à la fois rigide et bancale pour cause de lourdeur bureaucratique, une incapacité coupable à promouvoir la création contemporaine pour cause de mainmise académique… » 123.

Il est toutefois nécessaire de nuancer ces propos, afin de montrer que l’Etat n’a pas attendu André Malraux, pour commencer à s’intéresser aux artistes de cette époque124.

C’est la Direction Générale des Arts et Lettres (DGAL), créée le 20 novembre 1944 au sein du ministère de l’Education nationale, qui est à l’origine de décisions permettant une meilleure prise en compte des artistes. Le 3 novembre 1945, Georges Salles demande au Conseil artistique des musées nationaux, dont il est le directeur, d’« agir sans retard pour s’entendre avec les artistes tels que Matisse, Bonnard, Braque, Picasso, Rouault, pour effectuer avec leur aide un choix d’œuvres particulièrement significatives des différentes phases de leur carrières. »125. Il faut noter que ces artistes, absents des grands musées français, sont présents sur le marché national, puis international de l’art, depuis presque un demi siècle. Picasso a même fait l’objet de grandes expositions dans les plus prestigieux musées étrangers, et notamment au Museum of Modern Art de New-York, mais est toujours absent des collections publiques françaises. L’Etat a ignoré les avant-gardes artistiques depuis l’Impressionnisme, Georges Salles veut éviter de renouveler ces erreurs, et même tenter de les réparer, modestement, en ce qui concerne l’art moderne.

L’année 1947 marque l’ouverture du Musée national d’art moderne, à Paris, ce qui facilite l’entrée des artistes de la première moitié du XXème siècle dans les

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DUBOIS V., La politique culturelle, genèse d’une catégorie d’intervention publique, Paris, Belin, 1999, p. 20.

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collections de l’Etat. C’est ainsi que Matisse, Léger, Picasso, Juan Gris126… jusqu’alors écartés des musées, obtiennent, tardivement, une certaine reconnaissance officielle. Lors de l’inauguration, le 9 juin 1947, Georges Salles, qui est devenu directeur des Musées Nationaux proclame : « Aujourd’hui cesse le divorce entre l’Etat et le génie. ». Cette déclaration est sûrement prématurée, mais la voie vers une meilleure prise en compte des créateurs contemporains par les institutions, semble ouverte. Gérard Monnier127 note cependant que cette reconnaissance se limite à des achats d’œuvres pour les musées. En effet, ces artistes modernes n’ont pas pu rentrer à l’Académie des beaux-arts ni intégrer le corps professoral des écoles des beaux-arts.

La Direction Générale des Arts et Lettres est également à l’origine de mesures sociales à destination des artistes. La Maison des artistes, regroupant des services sociaux et d’aides spécifiques est créée en 1951, rue Berryer, à Paris. En 1954, une maison de retraite pour artistes est mise en place à Nogent-sur-Marne.

La IVème République a aussi permis la mise en place, en 1951, du décret instituant le « 1 % »128, qui a contribué à fournir des commandes aux plasticiens, correspondant à 1% du montant de la construction des bâtiments scolaires et universitaires. Cette mesure a certes présenté, dans un premier temps, plus d’intérêts sociaux ou économiques, qu’artistiques. Ces réalisations, qui n’ont pas concerné les plus grands artistes de cette époque, n’ont pas permis de constituer un patrimoine de grande valeur. Le « 1% » a été poursuivi sous la Vème République, avec parfois une meilleure prise en compte des artistes représentatifs de « l’art en train de se faire ».

Le bilan129 de la IVème République, en ce qui concerne l’art moderne et surtout contemporain, apparaît ici certes modeste, mais n’est pas totalement insignifiant. 1959 ne doit donc pas être considéré comme l’an zéro des politiques culturelles en France, mais plutôt comme une année marquant une rupture assez nette, sinon définitive.

Pourtant, le constat effectué par André Malraux et sa collaboratrice Jeanne Laurent, qui parle de la « ladrerie » de la IVème République dans le domaine culturel, est très sévère. Il a provoqué, en 1960, la première rupture fondamentale dans l’histoire contemporaine des politiques culturelles en France. Cette année marque en effet à la fois le début de l’art contemporain (en tout cas pour la plupart des spécialistes…) et celui du

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Ces artistes ont dû cependant consentir des baisses des prix de leurs œuvres, facilitant ainsi la constitution des collections. Picasso a même offert dix tableaux au Musée national d’art moderne.

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Des beaux-arts aux arts plastiques, une histoire sociale de l’art, Paris, La Manufacture, 1991, p. 246.

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Cette mesure avait été expérimentée par le Ministère Jean Zay avant la guerre.

129 Ici très incomplet. Cette période est bien analysée par Gérard Monnier dans « L’art et ses institutions en France,

ministère des Affaires culturelles. En effet, c’est par un décret du 22 juillet 1959 que Malraux est nommé ministre d’Etat chargé des Affaires culturelles : « Le ministère chargé des Affaires culturelles a pour mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre de Français ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres d’art et de l’esprit qui l’enrichissent ».

Nous montrerons que le passage du « secrétariat d’Etat aux Beaux-Arts rattaché au ministère de l’Education nationale » à ce « ministère d’Etat » ne constitue pas un simple changement d’étiquette, mais provoque une vraie mutation sur le plan de la politique culturelle, qui a eu des conséquences importantes pour l’art contemporain.

Ce ministère a été conçu spécialement pour Malraux. Il avait été nommé ministre (délégué à la présidence du Conseil) chargé de l’information le 1er juin 1958, puis ministre d’Etat sans portefeuille le 8 janvier 1959 afin qu’il puisse se bâtir un ministère à sa mesure. Sa présence, dans le premier gouvernement de la Vème République, doit beaucoup aux recommandations de Charles de Gaulle à son premier ministre Michel Debré : « Il vous sera utile de garder Malraux. Taillez pour lui un ministère, par exemple, un regroupement de services que vous pourrez appeler « Affaires culturelles ». Malraux donnera du relief à votre gouvernement »130.

La volonté de démocratisation de la culture, qui apparaît clairement dans le texte du décret du 22 juillet 1959, prolonge l’œuvre inachevée du Front Populaire. Elle s’inscrit aussi dans le prolongement d’une démarche plus ancienne, rappelant celle de la politique scolaire de la IIIème République. En 1967, Malraux affirmait : « il faut bien admettre qu’un jour on aura fait pour la culture ce que Jules Ferry a fait pour l'instruction : la culture sera gratuite. »131

C’est donc Malraux qui est à l’origine de la naissance d’une véritable politique publique de la culture, soutenu par de nombreux intellectuels, puis par le Président de la République. Claude Mollard revient sur les motivations de la création de ce ministère et critique la thèse de Marc Fumaroli132 qui accuse :

« …ce groupe d’avoir voulu instaurer comme en URSS un « ministère de la propagande », la préoccupation dominante était d’aider la création artistique, de réconcilier l’Etat avec les artistes et les écrivains contemporains, de mettre fin au règne de l’Académie des

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Michel DEBRE, Gouverner. Mémoires, Paris, Albin Michel, 1988, p. 13.

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Beaux-Arts, refuge de l’académisme le plus rétrograde.(…). Sous les IIIème et IVème Républiques, les interventions culturelles de l’Etat restent comme honteuses. Malraux, aidé par de Gaulle, les transforme en politique et leur ajoute la légitimité. » 133

La culture est en effet un des éléments permettant la promotion d’une « certaine idée de la France dans le monde ». La rencontre et la complicité de Charles de Gaulle et de Malraux ont permis de concrétiser ce qui jusqu’alors, restait trop modeste pour être qualifié de véritable politique culturelle.

Malraux a réussi à utiliser, pour parvenir à ses fins, un outil apparemment non conçu pour favoriser le développement culturel, le Plan quinquennal de modernisation économique et social. En 1959, il déclare à l’Assemblée nationale : « C’est dans le plan de modernisation nationale et dans ce plan seulement, qu’on peut concevoir un développement véritable et durable des affaires culturelles ». Cela débouche sur un grand débat de dix-huit mois (articulé sur une prospective à vingt ans) auquel ont participé des militants syndicaux et associatifs, des professionnels et des administratifs réunis dans une commission, afin de définir les principes de cette nouvelle politique culturelle. Elle repose sur des finalités à long terme, des objectifs quantifiés à moyen terme et à court terme. Ces principes ont été approuvés par le Parlement après avis du Conseil Economique et Social et intégrés dans la Loi du Plan, devenant ainsi une « ardente obligation » pour tous les partenaires et acteurs. Malraux a pu ainsi inscrire sa politique dans la durée en utilisant les cadres du IVème et du Vème Plan.

Dans le document La géographie de l'art contemporain en France (Page 102-105)