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Installations, environnement et travail in situ

Première partie : L’art contemporain en France depuis

I. Art contemporain : de nouvelles formes d’inscriptions spatiales

3. Installations, environnement et travail in situ

Il ne s’agit pas véritablement de courants ou de mouvements artistiques, mais de nouvelles formes d’interventions qui ont eu pour conséquences de modifier le rapport de l’artiste et du spectateur avec les lieux d’exposition.

Environnement :

L'œuvre est conçue non pas comme un objet autonome et mobile, mais comme un ensemble aux dimensions souvent architecturales, qui propose d'immerger le spectateur dans une situation. Le fonctionnement du musée a ici un rôle clef: on construit volontiers des environnements dans ses salles, comme des décors, des tableaux en trois dimensions. Mais le principe peut aussi se retrouver dans un espace non spécifique.

Installation :

Forme souvent provisoire et éphémère qui emprunte à l'assemblage, au décor, à la pratique de l'objet et du ready-made, de l'architecture. C'est une pratique qui met en cause l'œuvre d'art comme objet unique et sacralisé. Elle est le fruit de la tentation moderne de décloisonner les champs d'activité. Elle peut aussi devenir une forme très calculée de mise en forme de l'œuvre, avec la vidéo par exemple.

In situ :

En français, en situation. Expression que reprend Buren, mais qui ne concerne pas que son travail. Au contraire de l'œuvre autonome, l'œuvre in situ s'appuie

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sur ses relations et ses interactions avec l'environnement, mais aussi avec son contexte intellectuel.

Performance :

Le mot est emprunté à l'anglais, où il n'a pas le sens sportif que lui accorde le français. La performance est une forme de l'œuvre qui emprunte à plusieurs langages, artistiques ou non: musique, peinture, art de l'acteur et du danseur. Elle est pratiquée du mouvement Fluxus à l'art corporel des années 70, en passant par la poésie sonore et le happening. Entre spectacle et environnement, l'art de la performance et sa dimension collective interactive, mais sans machine, trouve moins de situations propices aujourd'hui.

Extrait de Christophe Domino, L’art contemporain, Paris, SCALA, 1994, p.122.

Dans l’installation ou l’environnement, le spectateur a souvent un rôle actif. Il ne se contente pas de regarder de l’extérieur, il rentre dans l’œuvre et en devient une partie intégrante. Les artistes réalisant des installations, comme les land artists, ont donc induit une modification du rapport entre le corps, l’œuvre et le lieu :

« D’une part, l’artiste construit le rapport de l’œuvre au lieu en engageant son corps dans une « performance ». D’autre part, le corps engagé du « spectateur », occupe une succession de positions intermédiaires dans un système de places coordonné par l’installation, et, à la faveur de chacune de ces positions, il passe du dedans au dehors, du dessous au dessus, du devant au derrière, du ici au là-bas. L’éprouvé corporel (tactile, kinesthésique, scopique, etc…) du placement et du déplacement, du contact et de l’écartement, sur et par rapport à l’installation, révèlent au « spectateur » les conditions et les formes archaïques de son être-au- monde spatial, c’est à dire le trajet de son individuation à travers l’expérience et l’élaboration symbolique de la séparation et la relation à un environnement-support. »56

Cette démarche, de la part de l’artiste et du spectateur, nous amène à faire le rapprochement avec les happenings et performances.

Les happenings et performances se sont multipliés, aux Etats-Unis, mais aussi en Europe, au début des années 50. La formation de l’Internationale situationniste, en 1957 a permis, avec Guy Debord, d’apporter de nouvelles bases théoriques pour ces interventions artistiques qui «… envisagent l’art dans le contexte de la vie quotidienne

56 Anne VOLVEY, « Land Art », p. 541, in : Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin,

plutôt qu’opérant dans un domaine distinct »57. Pour Guy Debord, la « situation » est « un moment de vie concrètement et délibérément construit par l’organisation collective d’un climat unitaire et d’un jeu d’événements »58. Dans le cadre de ces « situations », le spectateur est actif, mais subit également l’influence du milieu, en l’occurrence, de l’installation. Les Situationnistes appellent « psychogéographie » « l’étude des effets spécifiques de l’environnement géographique, consciemment organisé ou non, sur les émotions et le comportement des individus »59.

Photo 16: Installation de Team Zoo, au lieu unique à Nantes, pendant l’été 2001. Les visiteurs sont invités à parcourir l’installation, pieds nus et yeux bandés

Cliché : Teodoro Gilabert (2001)

Le Musée d’Art Contemporain de Marseille a présenté, durant l’été 2001, « Habiter l’exposition ». Cela faisait référence aux travaux réalisés dans les années 60- 70 par des artistes tels que Joseph Beuys, Ben, Dennis Oppenheim… Ils investissaient l’espace d’exposition comme un lieu de vie et (ou) comme un espace de production artistique. Ils tendaient ainsi à réduire les distances entre l’art et la vie. Cette démarche se rapproche, par certains aspects, de celle des Pénétrables conçus par Jesus Rafael Soto à partir des années 1960. Il s’agissait d’environnements se rapprochant de l’idée

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d’une forêt composée de tiges de plastique ou de métal peint suspendues, et dans laquelle le spectateur pénètre.

A Marseille, le public est invité, non pas uniquement à pénétrer dans les œuvres, mais à « habiter l’exposition », pendant quelques instants. Contrairement aux expériences de Beuys, ici ce sont les spectateurs, et non l’artiste qui habitent et participent à une performance permanente. Cette exposition-habitation du musée de Marseille ne s’intéresse qu’aux aspects ludiques de la vie. Elle permet de mettre en évidence de nouveaux rapports interactifs entre l’espace muséal, les œuvres et le public.

Photo 17 : Cinéma liberté et bar lounge, une installation de Douglas Gordon et Rikrit Tiravanija au Musée d’Art Contemporain de Marseille

Cliché : Teodoro Gilabert (2001)

Photo 18 : The billiard table de Gabriel Orozco, au fond, Art action de fortifier le

corps de Frédéric Coupet au Musée d’Art Contemporain de Marseille

Ces nouvelles formes d’interventions artistiques ont nécessité une adaptation des lieux utilisés par les plasticiens. En théorie ce sont les artistes qui s’adaptent aux espaces qu’ils investissent (cf « in situ »), mais dans la pratique, nous montrerons que les lieux ont dû aussi s’adapter afin de pouvoir accueillir ces œuvres qui remettent en question les méthodes classiques d’exposition.

Avant les évolutions liées à l’art contemporain les lieux d’exposition se limitaient aux musées et aux galeries (privées ou publiques, accueillant aussi les salons). Dans les deux cas, on retrouvait les mêmes principes d’exposition : sur les cimaises (accrochage sur les murs à l’aide de tringles) et sur le sol, pour les sculptures (reposant le plus souvent sur un socle).

Un espace d’exposition classique peut accueillir des installations ou des environnements, sans modification majeure de son architecture intérieure, s’ils sont conçus in situ. En effet, dans ce cas, c’est l’artiste qui s’adapte au lieu. La contrainte réside alors dans l’exiguïté, mais aussi dans le caractère souvent uniforme des lieux classiques, composés essentiellement de salles en forme de couloirs, destinées à l’accrochage de tableaux. Les espaces conçus spécifiquement pour l’art contemporain sont souvent pourvus de cloisons mobiles ce qui permet de s’adapter pour exposer des œuvres de taille importante. C’est notamment le cas du Centre Pompidou, dont la structure porteuse métallique se trouve à l’extérieur du bâtiment, ce qui libère totalement l’espace intérieur.

Pour l’exposition « Le musée qui n’existait pas » de Daniel Buren au Centre Pompidou, durant l’été 2002, l’ensemble du bâtiment, du sous-sol aux chenilles escalators, a été investi par l’artiste de façon plus ou moins diffuse. Le sixième étage lui était entièrement consacré, il a pu ainsi construire 61 cellules, sans être perturbé par un seul mur porteur. Depuis les coursives, le public était invité, à l’aide de trois longues vues, à observer les quinze drapeaux installés sur des édifices parisiens. L’installation déborde donc ici largement de l’espace muséal classique.

Figure 2 : Plan de l’exposition « Le musée qui n’existait pas » au Centre Pompidou, Paris

Figure 3 :Le sixième étage du Centre Pompidou était entièrement investi par l’artiste qui a bâti 61 cellules en collaboration avec l’architecte Patrick Bouchain (Brochure du Centre Pompidou,2002)

Photo 19 : Le sous-sol du Centre Pompidou, transformé en parking, avec un marquage au sol réalisé par Daniel Buren, en utilisant son « outil visuel » habituel (bandes de 8.7 cm de large).

Cliché : Teodoro Gilabert (2002)

Photo 20 : Les structures métalliques du toit du Centre Pompidou ont également été investies par l’artiste

Photo 21 : Photographie panoramique permettant d’observer, à l’aide des longues vues, les différents drapeaux installés dans Paris depuis le Centre Pompidou

Cliché : Teodoro Gilabert (2002)

Photo 22 : Drapeau de Daniel Buren installé sur le toit du BHV, Paris Cliché : Teodoro Gilabert (2002)

Dans la grande salle du lieu unique, à Nantes, il n’y a pas de cloison, ce qui permet de grandes possibilités d’adaptations. La contrainte liée à la présence des poteaux dans cette ancienne usine est détournée par les artistes qui incluent cette donnée dans la prise en compte de l’espace .

Photo 23 : Installation de Team Zoo au lieu unique de Nantes pendant l’été 2001 Cliché : Teodoro Gilabert (2001)

Des plasticiens peuvent également investir des bâtiments non conçus pour exposer des œuvres d’art. L’intérêt, pour l’artiste, réside dans le fait qu’il peut aussi s’inspirer de l’histoire de ces lieux, liée à leurs fonctions, et ainsi ne pas se contenter de prendre en compte leurs architectures. Le cas des friches est particulièrement intéressant car la liberté des artistes y est presque totale. Si ces constructions sont destinées à être détruites, les plasticiens peuvent alors être libérés de la contrainte qui consiste à les rendre dans l’état où ils les ont trouvées.

Cependant, certains n’hésitent pas à intervenir de façon lourde dans des espaces pourtant prévus pour être réutilisés. C’est le cas de Hans Haacke qui avait investi le

pavillon allemand lors de la Biennale de Venise en 1993. L’intérieur du pavillon était vide, à part une inscription « Germania » avec des lettres de plomb. L’artiste, faisant référence aux conséquences du nazisme, avait descellé puis cassé les dalles de pierre qui recouvraient le sol.

Les lieux d’exposition ont donc dû s’adapter pour offrir un espace à géométrie variable aux artistes réalisant des installations et des environnements. L’organisation de l’espace des lieux de l’art contemporain est beaucoup moins figée que celle des musées classiques, où l’on se contente de modifier de temps en temps les accrochages, en fonction des expositions temporaires ou des prêts de tableaux. Les installations nécessitent souvent une mise en scène spécifique et des travaux parfois assez lourds.

Photo 24 : Pour l’exposition Pharaon Noir, au Palais des Arts de Toulon, Jean- Paul Marcheschi a transformé une salle en bassin rempli d’eau. Son œuvre, réalisée à partir de feuilles de classeur 21 x 29.7, noircies à la bougie, collées aux murs, se reflète dans l’eau

Cliché : Teodoro Gilabert (2001)

Si le lieu a été bien conçu dès sa construction, cette mobilité est facilitée par des dispositifs rendant l’espace muséal évolutif. Les responsables des lieux dédiés à l’art contemporain laissent généralement une très large marge de manœuvre aux artistes. Ils interviennent par exemple de plus en plus souvent directement sur les murs, qu’il faut ensuite repeindre pour retrouver l’esthétique initiale du white cube qui a été analysée

par Brian O’Doherty60 dès 1976. Les murs et les sols gardent ainsi en mémoire les interventions des artistes qui se sont succédés.

Photo 25 : Le plafond du FRAC des Pays de la Loire à Carquefou est équipé de système permettant d’accrocher des cloisons mobiles.

Cliché : Teodoro Gilabert (2002)

Photo 26 : Sol en béton verni (qui a gardé les traces de la précédente exposition) et murs peints en blanc semblent être la nouvelle norme pour les lieux de l’art contemporain souvent présentés comme des white cubes ( FRAC des Pays de la Loire à Carquefou, exposition de photographies de Philippe Gronon en 2001) Cliché : Teodoro Gilabert (2001)

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In Inside the White Cube. The Ideology of the Gallery Space, Santa Monica & San Francisco, Lapis Press, 1976/1986, 100 p.. Notons ici que l’on est passé progressivement, au cours du XXème siècle des murs foncés (souvent rouges comme dans les salons du XIXème siècle) et recouverts de tableaux (avec des cadres larges pour pouvoir distinguer les tableaux les uns des autres), au cube blanc (white cube, le modèle vient des Etats-Unis et a été étudié et critiqué dans l’ouvrage cité) aux murs immaculés mettant en valeur un nombre minimal de tableaux (le plus souvent sans cadres).

L’artiste néerlandais Krijn de Koning, réalise des constructions in situ, en utilisant des matériaux issus du bâtiment (plaques de plâtre). Le personnel du Grand Café, à Saint-Nazaire a mis plus de dix jours pour construire cette œuvre à partir des plans du plasticien :

Photo 27 : Œuvre in situ achevée de Krijn de Koning au Grand Café à Saint- Nazaire

Photo 28: … œuvre détruite (Grand Café à Saint-Nazaire) Clichés : Teodoro Gilabert (2002)

Ceci montre que, bien souvent, l’installation ne peut pas être conservée en l’état, seule une trace photographique subsiste.

L’artiste Jean-Pierre Raynaud est allé jusqu’au bout de cette démarche car il a conçu sa maison à La Celle Saint-Cloud, dans la banlieue parisienne, comme une installation. Toutes les surfaces, du sol au plafond, mais aussi les meubles, étaient recouverts de carrelage blanc, ou noir de 15x15 cm avec des joints noirs. Le visiteur se trouvait alors placé dans un état de lévitation ou de flottement. Cette maison était en perpétuelle évolution. Les travaux, prévus et effectués en partie par l’artiste étaient parfois très lourds, nécessitant de casser des murs, de percer des fenêtres… Sa maison- installation était finalement difficile à vivre et il a décidé de la détruire et de la vendre par morceaux rassemblés dans des cuvettes d’infirmerie.

Photo 29 : Maison de Jean-Pierre Raynaud, percement d’une porte (La Celle Saint-Cloud)

Cliché : archives Denyse Durand-Ruel, extrait de Denyse DURAND-RUEL, Yves TISSIER et Bernard WAUTHIER-WURMSER, Jean-Pierre Raynaud : la maison, Editions du Regard, 1988, p. 209

Photo 30 : La maison de Jean-Pierre Raynaud vue du jardin (La Celle Saint- Cloud)

Cliché : archives Denyse Durand-Ruel, extrait de Denyse DURAND-RUEL, Yves TISSIER et Bernard WAUTHIER-WURMSER, Jean-Pierre Raynaud : la maison, Editions du Regard, 1988, p. 209

Les conséquences spatiales de la multiplication des installations et des environnements ne sont pas spectaculaires. Elles relèvent plus souvent de l’architecture que de l’urbanisme. Toutefois, nous avons pu voir que ce type d’interventions plastiques n’était pas cantonné à l’espace du musée ou de la galerie classique. Les artistes installationnistes ont effectivement investi des lieux non prévus pour une fonction muséale, ce qui a souvent permis d’enrichir et de diversifier leur travail. L’installation peut même parfois s’effectuer à l’échelle d’une ville, comme dans le cas de Daniel Buren, lors de l’exposition « le musée qui n’existait pas ».

Ces installations ou interventions in situ rendent difficile le regroupement de plusieurs artistes dans un même lieu comme pour une exposition conventionnelle. C’est ainsi qu’est apparue la nécessité de réaliser des parcours, qui constituent de nouvelles formes de monstration de l’art contemporain. Ils orientent le public sur un circuit composé d’interventions de plusieurs plasticiens, dans des lieux de différents types, dans l’espace urbain et (ou) rural. Il s’agit donc bien d’une prise en compte des nouvelles pratiques artistiques qui entraîne de facto une nouvelle forme de monstration

que ces parcours ne nécessitent pas d’infrastructures particulières, ils prennent en compte les potentialités des différents lieux, à l’échelle d’une ville (le Parcours contemporain, à Fontenay-le-Comte, en Vendée) ou d’un département (Extraits, en Maine-et-Loire). Nous présenterons ultérieurement, dans notre typologie, plusieurs parcours, à plusieurs échelles.