• Aucun résultat trouvé

La fin des ateliers d’artistes ?

Première partie : L’art contemporain en France depuis

LE MANIFESTE DES ARTISTES POUR FAIRE LA VILLE (2002)

8. La fin des ateliers d’artistes ?

Nous avons montré dans quelle mesure les nouvelles pratiques artistiques ont fait évoluer la géographie des lieux d’exposition. L’art contemporain déborde désormais du cadre spatial du musée et de la galerie classiques. Nous montrerons en quoi la géographie des lieux de création a également été bouleversée par ces évolutions.

Le cahier des charges de la conception de l’atelier classique correspondait aux exigences des artistes du XIXème siècle : situation à Paris et éventuellement dans les grandes villes (centre ou péri-centre), grande hauteur sous plafond, surface importante, verrières exposées au Nord, laissant passer la lumière naturelle… Certains de ces ateliers subsistent aujourd’hui, occupés par des peintres ou sculpteurs qui, le plus souvent, pratiquent aujourd’hui un art prolongeant le travail des artistes de la fin du XIXème ou du début du XXème siècle, que nous ne qualifierons pas d’art contemporain. Cependant, ces lieux ont souvent connu des mutations importantes, résultant en partie de la pression immobilière dans les grandes villes. Celle-ci a provoqué l’exclusion des populations aux revenus modestes et instables, dont font partie la plupart des plasticiens. De nombreux ateliers d’artistes ont ainsi changé de fonction, et d’occupants, notamment depuis les années 1970. La mode du loft99, importée des

Etats-Unis, a accru la demande pour des ateliers de tous types , chez les non-artistes aux

99

hauts revenus, capables de faire face à la spéculation immobilière des années 1980. La crise du marché de l’art, du début des années 1990, a également poussé certains artistes à quitter leurs ateliers, devenus trop onéreux.

C’est pour cette raison que certaines municipalités, dont celle de Paris, et le ministère de la Culture et de la communication (par l’intermédiaire des DRAC) sont réservataires d'un parc d'ateliers-logements gérés par des organismes d'HLM ou d'autres partenaires. Les candidatures pour les ateliers, dont le ministère de la Culture (DRAC) est réservataire, sont examinées par une commission régionale placée sous l’autorité du Préfet de région.

La ville de Paris gérait, en 2002, environ 1 200 ateliers, et la Délégation aux Arts Plastiques, un peu moins de 500. Même si les loyers sont jugés trop élevés par les jeunes artistes, tous les ateliers sont occupés. Il faut parfois attendre une dizaine d’années pour obtenir une place.

« Seuls les artistes auteurs d’œuvres graphiques et plastiques affiliés à la Maison des artistes ou à l’Agessa peuvent déposer un dossier. Les candidatures retenues sur avis de la commission sont adressées aux organismes d’HLM gestionnaires et propriétaires des ateliers, qui vérifient leur recevabilité (respect des plafonds de ressources HLM) et établissent le contrat de location. »100. Ce système permet, pour un nombre limité de plasticiens, de payer un loyer « modéré », notion qui, notamment dans le cas parisien, est très relative face à la faiblesse et l’irrégularité des revenus de la plupart des artistes. On assiste actuellement à un « détournement d’ateliers » estimé entre 10 et 20 % du parc. Il s’agit essentiellement de sous-locations au noir, répondant aux difficultés financières de certains plasticiens. L’essentiel de ce parc d’ateliers HLM est situé à Paris, ce qui correspond à une volonté municipale d’éviter la fuite des artistes vers la périphérie et la province. La présence de ces artistes à Paris constitue en effet un des éléments clé de la toute puissance culturelle de la capitale, aujourd’hui remise en cause par les villes de province et surtout les grandes métropoles étrangères101.

David Cascaro estime que « …la politique des ateliers cherche avant tout à répondre à une demande beaucoup plus qu’elle n’essaie d’amener ou de maintenir des artistes en région. »102. L’essentiel du parc d’ateliers gérés par la DAP est effectivement

100

Source : site www.culture.gouv.fr

101

Voir, à ce sujet, les conclusions alarmistes du rapport du sociologue Alain Quemin, publié en 2001 : « Le rôle des pays prescripteurs sur le marché et dans le monde de l’art contemporain », Ministère des Affaires Etrangères.

localisé à Paris. Les nouvelles constructions ne font que renforcer ce déséquilibre alors que le discours officiel, depuis le début des années 1980, est favorable au développement du parc d’ateliers « aussi bien à Paris que dans les métropoles régionales, autour des écoles et des centres d’art »103

En effet, la sociologue Raymonde Moulin affirme que « les effets de la décentralisation (...) n’ont pas encore modifié de manière décisive la répartition des effectifs artistiques, puisque la population des artistes plasticiens inscrits à la Sécurité Sociale dans la région parisienne qui représentait, en 1981, 67% de la population d’ensemble en représente encore 64% en 1986. »104. Mais elle note également que « cependant le taux d’augmentation a été nettement plus faible dans la région parisienne (9%) que dans les autres régions (24%) ».

Pourtant, certaines villes de la banlieue parisienne comme Ivry, Saint-Denis et Montreuil ont mis en place des programmes de création d’ateliers. Cette décentralisation relative, qui satisfait de nombreux artistes, attirés par des loyers moins élevés, est toutefois critiquée. David Cascaro105 cite Jean Clair, le directeur du Musée Picasso qui dénonce la « ghettoïsation de l’artiste » avec des ateliers « rejetés dans des lointaines banlieues. (…). Les artistes ont été virés, vidés de Paris. Il n’y a plus aucun artiste aujourd’hui qui peut s’offrir le luxe d’avoir un atelier à Paris. Ce n’est pas la même chose de vivre à Ivry, à Bobigny et de vivre à Montparnasse, au cœur de Paris. On a prolétarisé les artistes tout en prétendant les aider»106 .

Ces propos, un peu excessifs, traduisent le point de vue de tous ceux qui estiment que la décentralisation, en appauvrissant Paris, appauvrit également la France.

Qu’il s’agisse de la province, ou de la région parisienne, les aides sont insuffisantes pour faire face à la demande en ateliers et en logements. Cette pénurie, associée à l’instabilité ou la faiblesse des revenus a poussé certains artistes, regroupés ou non en collectifs, à s’installer dans des friches industrielles ou tertiaires, ou à squatter des immeubles inoccupés. C’est essentiellement dans ces années 1980 et 1990 que se sont développés ces lieux de vie, de travail et d’exposition, souvent qualifiés d’ « alternatifs ». Nous étudierons ces différents types de lieux dans notre typologie.

103

Dominique Bozo, délégué aux arts plastiques in Arts infos, n°47, mars 1989, p. 6-8.

104

Photo 38 : Ateliers - logements gérés par la ville de Paris ( Rue Darius Milhaud XIXème arrondissement)

Cliché : Teodoro Gilabert (2001)

La précarité de la condition d’artiste n’est pas spécifique à notre époque. Nous pouvons toutefois considérer qu’aujourd’hui, plus que dans les périodes précédentes, elle a favorisé le nomadisme des plasticiens, notamment des plus jeunes107. Ce nomadisme est aussi généré par l’évolution des pratiques artistiques. Ainsi, le développement des installations et autres travaux in situ a imposé le travail des artistes sur les lieux d’exposition.

Ce nomadisme ne concerne pas que les jeunes artistes connaissant des débuts de carrières difficiles. Certains artistes reconnus, par le marché et par les institutions, ont fait le choix de la mobilité. Catherine Lawless108 a analysé les différents rapports entre les plasticiens et l’atelier. Il y a certes, des artistes comme le sculpteur moderne Brancusi109, qui ont transformé leur lieu de travail en œuvre, car leur production est intimement liée à l’espace de l’atelier. L’auteur insiste cependant sur le fait que de nombreux plasticiens ont des rapports très différents avec leurs lieux de création.

Pierre Buraglio parle d’ « atelier éclaté »110. Il affirme travailler, de préférence, directement sur les lieux d’exposition ou à leur proximité. Il s’est ainsi installé dans des

107

Nous analyserons plus précisément les déplacements des artistes dans le cas de notre étude sur la région Pays de la Loire.

108

Artistes et ateliers, Editions Jacqueline Chambon, 1990.

109 On a reconstitué son atelier, ouvert aux visiteurs, devant le Centre Pompidou. 110

maisons d’un petit village du Gard et à Montpezat, en Ardèche, dans le cadre de « Peintures aux champs », à l’initiative de Claude Viallat. Il a également travaillé dans l’ancien musée des Gobelins, pour préparer, en 1987, de grands dessins pour l’Ecole de danse de l’Opéra, à Nanterre.

Jean-Pierre Raynaud a eu, en guise d’atelier, pour réaliser ses pots de fleurs bétonnés et peints, jusqu’à dix box de voitures dans la région parisienne. Ce qui pourrait, a priori, apparaître comme une contrainte, semble au contraire satisfaire l’artiste :

« Pour moi, c’étaient les plus beaux lieux du monde. Il n’y avait jamais d’eau, d’électricité et j’étais toujours obligé de m’organiser pour faire exister les choses (…). C’est dans ces lieux que se trouve l’autobiographie de la maison »111. Celle-ci a, par la suite, cumulé les fonctions de lieu de vie, d’atelier et d’espace d’exposition-installation.

Daniel Buren qui réalise des œuvres in situ, travaille essentiellement sur les lieux concernés par son intervention :

« Ne recevant toujours pas d’invitation et n’ayant pas non plus de lieu spécifique pour travailler, j’ai commencé à travailler dans la rue parce que c’était la première chose qui s’offrait à moi. Travailler sur les panneaux d’affichage est gratuit… »112. Le cas de Buren est typique des artistes intervenant in situ, dans le mode entier. En fait, bien souvent, leurs ateliers sont sur les lieux d’intervention.

Niki de Saint-Phalle, dans une démarche à la fois rétrospective et introspective, analyse ses premiers rapports avec l’atelier :

« L'atelier ça peut être aussi un carnet de dessin, un mètre carré. Quand la nécessité est là tout espace est bon. Le monde alors devient l'atelier.

Mon premier atelier, c'était l'école. Mes cours m'ennuyaient et pour passer le temps je recouvrais mes cahiers avec des dessins abstraits assez élaborés, qui ressemblaient à des dessins indiens. L'atelier fut aussi le salon, au début, quand je vivais avec Harry Mathews. À l'hôpital psychiatrique, ma chambre fut aussi l'atelier. J'avais vingt-deux ans, c'est là où j'ai décidé de devenir peintre. Cette décision me donnait un espace qui serait désormais à moi pour faire ce que je voulais dedans, pour toujours.

J'ai eu toutes sortes d'ateliers dans ma vie, petits, grands, beaux, moches, des chambres d'hôtel, tout était bon, le train, l'avion.

D'abord, j'étais peintre. J'aimais beaucoup dessiner. Il s'agissait de tubes de peintures, de toiles, de crayons et de papier.

Eternellement insatisfaite de ce que je faisais, combien de toiles n'ai-je pas détruites ou repeintes ces premières années. »113.

Catherine Lawless publie une lettre manuscrite de Niki de Saint-Phalle avec un dessin mettant en évidence l’intimité de ses liens avec l’atelier « …un espace que j’ai conquis qui se transforme dans un espace visible. Un espace à moi. » 114