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De la nature des conventions de coopération signée entre les acteurs infra-étatiques

SECTION I : DE LA PLACE DES CONVENTIONS DE COOPÉRATION DÉCENTRALISÉE DANS L ’ORDRE JURIDIQUE INTERNE

Paragraphe 1 De la nature des conventions de coopération signée entre les acteurs infra-étatiques

Elle est une question très sensible pour les spécialistes puisqu’elle les partage. Pour certains, les conventions de coopération décentralisée sont des actes administratifs (A) et pour d’autres, elles sont des actes internationaux(B).

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A- De la nature administrative des conventions de coopération décentralisée

Les collectivités territoriales maliennes ont toujours développé des initiatives vers l’étranger. Dès la moitié du siècle, un auteur a pu associer municipalisme et internationalisme598.Il faut donc admettre qu’en ce domaine comme en d’autres, il n’y a pas un avant et un après 1982, mais une continuité599.Mais depuis une dizaine d’années, les accords passés par les collectivités territoriales maliennes avec l’étranger ont été conclus, au-delà des communes, par l’ensemble des collectivités territoriales. Ils se sont, en outre, multipliés et surtout ont changé de nature. Pour bien approfondir cet aspect, nous allons tenter de démontrer son caractère juridique(1) et les critères déterminant son caractère administratif(2).

1. Du caractère juridique

Toutes les analyses menées sur les accords de jumelages entre villes concluaient à l’absence de caractère juridique de ce type d’accords600.Selon Jean Christophe Lubac601, l’une des principales reproches adressées aux premiers contrats de jumelage des années 1950 et ce, jusqu’aux années 1980, résidait dans leur manque d’efficacité juridique. Selon Xavier Barella, la pratique s’est développée en l’absence totale de texte602.

En effet, ces conventions avaient souvent plus une valeur déclarative que juridique. Ils avaient pour objet de constater un rapprochement, une amitié, mais il n’en découlait pas de véritables obligations. Mais aujourd’hui, des instruments d’un type nouveau sont apparus. Plus ambitieux dans leurs objectifs, plus précis dans leur contenu, ils engageraient les communes, les cercles et les régions dans des relations plus contraignantes que les jumelages

598 BORSI (Umberto) « Municipalisme et internationalisme » in Mélanges Hauriou, P.81-93. Réflexions sur les d ats u’a o us la so i t des Natio s su la u i ipalit i te atio ale. Cité Par Yves Claisse, op, cit, p.15.

599 Voir en ce sens AUTEXIER (Christian) , « le ad e ju idi ue de l’a tio e t ieu e des gio s »RFDA, 1986, P.568-576.

600 GANDREAU (D) « Les ju elages de olle ti it s lo ales et leu s d eloppe e ts e ote d’O » mémoire DES Dijon, 1968,P.123 et cité par G.Burdeau, op. cit. note 30,.11 ;J.C. Bouzely, « l’a tio i te atio ale des collectivités territoriales » in La revue administrative , 1987,p.251-252.Cité par Yves Claisse, op , cit , p.16.

601 LUBAC(Jean-Christophe), « La efo te des p i ipes de l’a tio internationale des collectivités territoriales », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités Territoriales, 2007, n°10-11, 2064.

602 BARELLA(Xavier), « La oop atio d e t alis e à la e he he d’u e s u it ju idi ue e fo e », AJDA, 2008, p.1580.

156 traditionnels .En d’autres termes, ces accords seraient de véritables actes créateurs de droit, des actes juridiques au sens où on l’entend traditionnellement, c'est-à-dire des manifestations de volontés destinées à produire des effets de droit603 .

Ainsi, avant les réformes de 1993 sur la décentralisation, les collectivités territoriales ne pouvaient intervenir à l’international que par la création de jumelages. Très nombreux et universellement répandus, ces accords de jumelage n’en sont pas moins juridiquement pauvres604.Il avance alors que les partenaires évitent d’y formuler des obligations précises et se contentent de proclamer leur volonté indéfectible de coopérer605.

Le juge, en présence d’un engagement d’une collectivité locale avec l’étranger manifestement dépourvu de l’intention de produire des effets de droit n’hésiterait sans doute pas à lui attribuer une valeur juridique s’il s’agissait de le sanctionner606.De toute façon, sans même procéder à une requalification de l’acte en acte juridique ce qui est toujours difficile en principe et délicat en pratique, il pourrait sans doute s’estimer valablement saisi607. Les richesses du contentieux administratif sont à cet égard sans limite que ce soit sur le terrain de l’acte détachable 608ou des règles applicables aux délibérations non décisoires des assemblées délibérantes des collectivités locales609.

Le débat n’est jamais totalement achevé sur le plan théorique puisque certains auteurs pensent que les accords conclus entre les collectivités sont des accords internes pour d’autres, ce sont des accords internationaux.

2. Des critères déterminant son caractère administratif

603J.L. Sourioux « Introduction au droit », Puf ,2è édition, No 27, P.33, Lexique des termes juridiques, Dalloz , 6è ed , P ;8.Yves Claisse, op ,cit , p.16.

604

VILLE (Franck .Petite) , La coopération décentralisée, les collectivités locales dans la coopération Nord- sud ,, l’Ha atta , Pa is, , P.

605

AUDIT (Mathias), op .cit , p.137

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La uestio ’est pas sa s i po ta e. O pe se, pa e e ple, à u e olle ti it te ito iale ui o lu ait u p oto ole d’a o d sa s aleu ju idi ue a e u e pe so e pu li ue d pe da te d’u Etat a e le uel la F a e a o pu ses elatio s diplo ati ues. O o p e d ais e t u’u tel a te doit t e a ul , sa seule existence mettant en cause les intérêts nationaux.Yves Claisse, op ,cit , p.20.

607CLAISSE(Yves), op ,cit , p.21.

608O sait ue le juge peut s’esti e saisi d’u e d isio de passe u a te ju idi ue ou de pou sui e u e activité, Voir conclusion J.Massot sur CE, 12 mars 1986 ? Ministre de la culture, Mme Cisenier et autres, AJDA,1986, P.258-263.Note de Yves Claisse, op ,cit , p.21.

609Ces d li atio s peu e t fai e l’o jet d’u e ou s pou e s de pou oi pou leu s i es p op es ; ce qui e glo e l’i o p te e ; pour une illustration postérieure à la loi du 2mars 1982, CE ;10 novembre 1989, Moutardier et autres, Rec., P.229. Note de Yves Claisse, op ,cit , p.16.

157 Il convient tout d’abord de se demander si un accord relevant de la coopération décentralisée peut être un acte juridique de droit international610.Il ne nous semble pas faire doute, en premier lieu, que les conventions signées entre les acteurs infra-étatiques ne sont pas des traités internationaux .Les sujets de droit international ont la capacité juridique pour conclure un traité puisque par définition celui-ci est un accord conclu entre sujets de droit international611.Et cette hypothèse nous rappelle de la fameuse règle posée par la cour permanente de justice internationale dans l’affaire dite des « Emprunts serbes »612. En fait,« tout contrat qui n’est pas un contrat entre Etats en tant que sujets de droit international a son fondement dans une loi nationale ».Selon une grande partie de doctrine , ce considérant signifie que tout accord de volontés est efficace, obligatoire en droit, parce que soit le droit interne, soit un droit international en est l’ordre juridique de base. Les juridictions nationales emboitèrent le pas et c’est ainsi qu’en 1950, la Cour de cassation française finit par affirmer que « tout contrat est nécessairement rattaché à la loi d’un Etat » dans l’affaire dite des messageries Maritimes613.

Nous ne saurions toutefois nous contenter de la tendance ancienne consistant à considérer les accords passés par les collectivités territoriales avec l’étranger comme dépourvus de valeur juridique ou comme relevant par nature du droit privé614. A l’heure actuelle la validité de la convention conditionnera la recevabilité du déféré préfectoral qu’à récemment institué le législateur615.

Au Mali, toutes les délibérations faites par les collectivités territoriales portant signature des conventions de coopération décentralisée doivent être approuvées par l’autorité de

610E e tu du p i ipe de su sidia it du d oit i te atio al et du a a t e a essoi e de l’o d e ju idi ue i te atio al pa appo t à l’o d e ju idi ue i te e, u a te ui e el e pas du droit international est un acte de droit interne.Note de Yves Claisse, op ,cit , p.23.

611 Pour un rappel de la définition coutumière et écrite (convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités art 2 , section 1.Cf Nguyen Quoc Dinh, P Daillier, A Pellet, Droit international public, 1987 n° 64 et 65, p.109 à 111. Ch.Rousseau, « Principes géneraux de droit international public », Pédone , Paris, T I, p.143.Note de Yves Claisse, op , cit , p.16.

612

CPJI, Série A, numéro 14, p.41, sur cet arrêt ,J.P.Jacque, « El e ts pou u e th o ie de l’a te ju idi ue e droit international public »LGDJ, 1972, p.258-266.Cité Par Yves Claisse, op, cit. p.27.

613

CE, ja ie , Co pag ie des essage ies a iti es. Note de F de i Coli , L’esse tiel des g a ds arrêts du droit administratif, 7e éd Lextenso, 2015-2016, p.114.

614Pour un rappel de cette tendance chez le ministère des affaires étrangères. J.P.Benoit, « Rapport de synthèse »in Coopération décentralisée et coopération multilatérale Francophone, economica, 1989, p.301.Cité par Yves Claisse , op, cit , p.30.

615 Les observations de J .P. Benoit, op.cit., Sont à cet égard particulièrement éclairantes. Note de Yves Claisse , op, cit , p.30.

158 tutelle616. Par exemple, les délibérations prises par le conseil du District sont approuvées par le ministre chargé des collectivités territoriales. En partant de cette hypothèse, nous pouvons dire que tout contrat conclu entre des personnes morales de droit public revêt en principe un caractère administratif, sauf dans le cas où, eu égard à son objet, il n’a fait naitre entre les parties que des rapports de droit privé.

Au terme de cette analyse sur la nature des actes conclus entre les acteurs infra-étatiques, l’acquis est donc clair. Ils sont sans conteste des contrats de droit interne, administratif le plus souvent, de droit privé parfois. Mais cette thèse est fortement critiquée par certains spécialistes du droit international privé.

B- De la nature internationale des conventions de coopération décentralisée

L’Etat souverain s’accommode mal du contrôle par un juge, singulièrement dans l’ordre externe où son action se conjugue avec celle d’autres Etats investis du même imperium617.Non seulement « l’Etat ne peut être attrait devant un juge que s’il a préalablement consenti »618.

A l’évidence, le principe de légalité qui est au cœur de notre droit administratif classique est directement affecté par le caractère moins juridiciséde l’ordre international, mais il plie aussi dans l’ordre interne, sous l’effet de l’extranéité attachée à certains actes administratifs bilatéraux. C’est la protection juridictionnelle des administrés qui en pâtit. C’est ce qu’exprimait Réné Chapus en constatant que les actes touchant aux relations internationales donnent souvent lieu à « des solutions en marge de la ligne générale du droit administratif »619.Car le juge, tantôt ne veut pas connaitre de certaines, tantôt répugne à les qualifier ou à les nommer, particulièrement à propos de la conduite des relations internationales. L’explication théorique se révélant défaillant ou délicate dans le cas des actes de gouvernement, force est de constater très prosaïquement, qu’il existe « des matières trop sensibles pour qu’un juge puisse sans risque…s’y immiscer, il ne s’estime pas assez fort pour affronter sur ce terrain de l’exécutif620 ».

616 Article 48 du décret numéro 2015-0848/P-RM du 22 septembre 2015 déterminant les modalités de la coopération entre les collectivités territoriales

617 CHAPUS (René) , Droit administratif » Mélanges, Montchrestien, 2014, LGDJ, p 266

618 WEIL (Prosper) ,Droit Public international et droit administratif , Mélanges Trotabats, L .G .D.J 1970, p.516

619CHAPUS (Réné), op .cit, p. 5

159 En analysant ce raisonnement, on pourrait dire que, les conventions de coopération décentralisée relèvent du droit international privé. D’ailleurs l'application des règles du droit international privé est défendue avec vigueur par une partie de la doctrine tant pour les conventions transnationales621 dont relèvent les conventions de coopération décentralisée que, plus largement, pour les contrats internationaux de l'Administration622. Cette application se fera au prix d'une adaptation des méthodes du droit international privé aux contrats administratifs et plus fondamentalement aux exigences et aux particularités du droit administratif ; c'est à cette opportunité que l'on peut évoquer la notion de droit administratif international.

Mais nous pensons que, dans l'hypothèse où les parties à la convention de coopération ont choisi le droit malien, elle sera qualifiée de contrat administratif. Et si les parties choisissent un droit étranger, ces accords pourraient être qualifiés d’actes internationaux relevant du droit international privé. Il nous revient maintenant de classer ces accords dans l’ordonnancement juridique interne.

Paragraphe 2 : Des conditions de légalité des conventions de coopération décentralisée

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