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I.3 Outils d’analyse pour le diagnostic structurel d’édifices maçonnés L’étude des MH en maçonnerie sous séisme est donc confrontée à de nombreuses incertitudes

I.3.2 Modélisations numériques des structures maçonnées

La maçonnerie, comme nous l’avons souligné, est un composant complexe dont le comporte-ment ne peut être décrit par des lois linéaires simples. L’éventail des approches de modélisation est donc très large. Les modèles de maçonnerie proposés dans la littérature prennent en compte à la fois la spécificité de la maçonnerie étudiée ainsi que le niveau d’information souhaité et les données expérimentales disponibles. Les modèles continus sont utilisés principalement dans le cas de maçonneries de blocage ou d’appareillages à base de blocs et joints de mortier importants (Stablon, 2011). Leur loi de comportement est décrite par une loi de type contrainte/déformation qui dérive d’un modèle à une ou deux phases (Beskos, 1993, 1994). Les modèles discrets sont parfaitement adaptés aux appareillages très réguliers ou à faible proportion de mortier (Acary, 2001). On distingue alors les éléments, blocs rigides ou déformables, et la surface de contact souvent régie par une loi de contact frottant unilatéral.

Nous présentons brièvement les avantages et les inconvénients des deux approches dispo-nibles, correspondant au choix de l’échelle d’étude, pour éclairer notre choix de modélisation :

- échelle microscopique, des éléments et des joints, où les micro-fissures sont nombreuses. - échelle macroscopique, de la structure, où la maçonnerie est considérée homogène.

a Modélisations micro-mécaniques de la maçonnerie

A cette échelle l’hétérogénéité du matériau est prise en compte en intégrant numérique-ment chaque composant du matériau dans la modélisation. On distingue plusieurs méthodes, en fonction de la description des joints et des éléments.

a) b)

Fig. I.35 Stratégies de micro-modélisation. a) détaillée. b) simplifiée.

a.1 Modèles micro-mécaniques continus

Dans le modèle micro-mécanique détaillé, chaque constituant de la maçonnerie, éléments et joints, est décrit individuellement par une géométrie et une loi de comportement prenant en compte les paramètres de frottement, raideur, ouverture etc. (Cf Fig I.35). Les éléments peuvent être modélisés avec une loi de comportement élastique simple (Page, 1978) ou plus complexe (Reyes et al., 2009). Le maillage doit suivre la géométrie exacte de la structure. La modélisation des joints est capitale puisqu’ils sont souvent le point de départ des fissures. Le mortier est considéré comme un milieu continu, lié aux blocs par des éléments d’interface discontinus. Dans le modèle simplifié, les pierres sont modélisées par des éléments mais le mortier est direc-tement considéré comme une interface et modélisé grâce à des éléments d’interface dits "joints" (Lourenço et Ramos, 2004; Oliveira et Lourenco, 2004). Ils sont composés de deux rangées de nœuds superposés, avec une loi de comportement en frottement. Il est facile d’introduire ces joints dans un programme EF car les inconnues aux nœuds sont les mêmes pour les blocs et pour les joints, mais les deux maillages doivent être parfaitement compatibles. Les interfaces sont considérées comme le lieu de propagation de la fissuration, avec une épaisseur nulle.

Ces techniques ne sont pas utilisables en grands déplacements car il faudrait créer un nouveau maillage pour mettre à jour les contacts.

a.2 Modèles micro-mécaniques discrets

Cette méthode, initialement développée par Cundall (1971) pour l’analyse des massifs ro-cheux fissurés a été utilisée ensuite pour modéliser les structures maçonnées. La structure est considérée comme un ensemble d’éléments distincts, rigides ou déformables. Ils sont reliés entre eux soit par des lois de contact régulières soit par des éléments de contact élasto-plastiques qui suivent par exemple un critère de frottement de Coulomb et simulent l’action du joint. Une fois chaque élément modélisé géométriquement et mécaniquement, on peut déterminer, sous accé-lérogramme, l’historique des déplacements des éléments. Dans le premier cas les équations de mouvement sont résolues par des schémas explicites (Idris et al., 2008), dans le second par des schémas implicites, ce qui rend les temps de calcul beaucoup plus longs (Rafiee et al., 2008).

Cette technique permet de grands déplacements pour les joints et de petits pour les éléments. Les blocs peuvent "perdre" des contacts et en "recréer" d’autres durant le calcul car ceux-ci ne sont pas fixés. On peut donc théoriquement simuler correctement les mécanismes d’effondrement. Toutefois la FEM utilisée pour mailler les éléments n’est pas très performante. Cette méthode n’est donc pas recommandée pour étudier les états de contraintes.

Les modèles micro-mécaniques rendent compte précisément des phénomènes non linéaires qui interviennent dans la maçonnerie, notamment au niveau des joints. Ils font apparaître la faible résistance en traction et un mécanisme de frottement sec. Toutefois le temps de préparation et de calcul limite la méthode aux structures de petite dimension. De plus, la description exacte de la disposition des éléments et des joints est le plus souvent impossible à donner (Cf section I.1.3). Enfin, ces modèles utilisent un grand nombre de paramètres, notamment au niveau des lois de contact, qui ne peuvent pas toujours être mesurés, surtout sur des MH.

b Modélisations macro-mécaniques de la maçonnerie

Pour les structures en maçonnerie de grande dimension, une macro-modélisation est bien adaptée. La maçonnerie hétérogène de la structure est considérée comme un seul matériau continu aux propriétés homogènes, auquel on peut appliquer les principes de la mécanique des milieux continus (Cf Fig I.37). Ce milieu homogène doit présenter le même comportement mé-canique global que le milieu hétérogène de départ, qui sera traduit par la loi de comportement de ce "matériau équivalent", schématisant donc les caractéristiques physiques détaillées de la maçonnerie. Dans ce but, on utilise des méthodes d’homogénéisation, comme les méthodes de bornes, bien adaptées aux blocages (Acary, 2001) et l’homogénéisation périodique, à privilégier pour les appareillages réguliers (Pande et al., 1989).

b.1 Modélisation en plasticité parfaite

C’est la suite numérique de la méthode développée en I.3.1. Nous avons montré que la notion de plasticité parfaite permettait de mettre au point des modèles qui font intervenir un minimum de paramètres caractéristiques du matériau. Les hypothèses sont donc les mêmes que pour l’analyse cinématique (Heyman, 1966, 1969) et permettent de qualifier la relation contraintes-déformations adaptée au cas de la maçonnerie : résistance illimitée en compression, nulle en traction, pas de rupture par glissement et rupture sous petits déplacements.

Le calcul à la rupture permet ainsi d’évaluer la stabilité d’une structure maçonnée, avec une implémentation simple d’outils numériques. On détermine le domaine de chargement potentiel-lement supportable par la structure, en se basant sur la seule connaissance d’une part des efforts qui lui sont imposés et d’autre part de la capacité de résistance du matériau. Mais il n’est pas possible d’accéder à une description des fissures, les zones de fragilité étant déterminées par l’utilisateur en données d’entrée.

b.2 Modélisation en élasticité linéaire

Fig. I.36 Modèle de la Basilique Saint Marc à Venise, (Mola et Vitaliani, 1997)

La méthode des éléments finis en élasticité linéaire est utilisée pour modéliser des édifices monumentaux en maçonnerie, comme la Basilique St Marc à Ve-nise en figure I.36, (Mola et Vitaliani, 1997), ou la façade de la Basilique St Pierre de Rome (Macchi, 2001). Ce type de calculs permet de pointer les "zones sensibles", c’est-à-dire celles susceptibles d’être solli-citées en traction puisque la maçonnerie pèche essen-tiellement par une résistance à la traction quasi-nulle. L’influence de la géométrie sur le comportement de la structure est parfaitement visible. Ils permettent ainsi de mieux comprendre le fonctionnement de l’ouvrage. L’un des inconvénients réside dans la difficulté à caractériser les différents paramètres élastiques du matériau maçonnerie dans son ensemble. D’autre part, puisque l’on ne décrit la maçonnerie que

dans son domaine linéaire, il est souvent délicat de déterminer le mode et le lieu de rupture de la structure. En effet on ne peut décrire la redistribution des efforts lors de la fissuration de l’ouvrage. Toutefois ces modèles restent des outils très intéressants pour un premier diagnostic.

b.3 Prise en compte des phénomènes inélastiques

Fig. I.37 Modélisations multi échelles

On trouve deux grandes approches dans la littérature, comme sur la figure I.37.

On peut considérer une fissuration répartie. La géométrie est gardée telle quelle mais on in-troduit le processus de fissuration par l’intermé-diaire des lois de comportement, permettant de changer la déformation et la raideur du matériau à chaque point d’intégration. Les fissures se dé-veloppent dans les zones où les contraintes sont excessives par rapport à des critères spécifiés, le long d’un chemin non-prédisposé mais déterminé par les calculs. Cette approche est souvent préfé-rée pour des structures de grande taille où il est impossible de traiter chaque fissure individuelle-ment. Cette technique part du postulat qu’une fois la résistance en traction de la maçonnerie dépassée, il y aurait perte complète de cohésion dans la direction de la contrainte principale la plus importante. Lourenço et Rots (1997) pro-posent un modèle en plasticité non associée en s’appuyant sur les travaux réalisés pour le béton, permettant de simuler les comportements inélastiques du matériau en compression comme en traction. Lotfi et Shing (1991) ont proposé un modèle d’endommagement fragile et de plasticité couplés pour le cas particulier des maçonneries chaînées et armées. Borst et al. (1994) autorisent le développement de fissures dans d’autres directions que celle de la contrainte principale la plus importante, ainsi que le changement de direction de la fissure principale (rotating cracks). L’analyse faite par Silva et al. (2012) de l’église de Gondar est un bon exemple de cette méthode. Ils comparent des modèles 3D plus ou moins détaillés avec un modèle linéaire. Le modèle non linéaire utilisé est celui de Faria et al. (1998), formulé à l’origine pour des barrages en béton, que Silva (2012) a identifié sur plusieurs séries de murs testés en laboratoire. Ils montrent ainsi que les dommages, contraintes et déformations sont comparables dans les différents modèles, mettant en évidence une concentration dans les façades latérales, plus sujettes aux mouvement hors-plan à cause de l’absence de contrefort* ou de tirant et de la poussée du toit. Le modèle continu non linéaire permet de prendre en compte l’accumulation de dommages dans la structure, en particu-lier en traction. La simulation permet ainsi une meilleure compréhension de l’endommagement et des mécanismes de rupture.

La fissuration peut être introduite par une méthode discrète. Des blocs décrivent les parties "homogènes" de la structure ; des éléments joints, en s’ouvrant, simulent le développement des fissures dans une zone de la structure choisie d’avance. Les fissures suivent alors une voie "non-naturelle" prédéfinie. C’est la technique utilisée par Frunzio et al. (2001) pour étudier un pont romain. Il a placé les éléments numériques de type joints aux interfaces jugés stratégiques de la structure numérisée, appliqué un critère de Drucker-Prager pour tous les matériaux et calculé le module d’élasticité selon le processus d’homogénéisation proposé Aboudi (1991). Il montre que les résultats sont très dépendants des paramètres matériaux, difficiles à évaluer. Domède (2006) analyse un pont de chemin de fer en 3D en utilisant des macro éléments pour lesquels elle compare différentes lois de comportement homogénéisées (élastique-plastique avec un critère de Von Mises, modèle d’endommagement de Mazars, élasto-plastique avec un critère de

Drucker-Prager), et des éléments joints capables de s’ouvrir et de glisser (critère de Coulomb).

Les modèles macro-mécaniques permettent de bien appréhender le comportement de l’ou-vrage. Les modèles intégrant l’endommagement permettent une bonne modélisation de l’accu-mulation de dommages. Associés à des éléments joints, ils permettent d’intégrer le caractère hété-rogène de la structure tout en conservant la simplicité des calculs sur milieux homogènes (Pegon et Anthoine, 1994). Leurs résultats sont cohérents avec les données expérimentales. C’est donc un bon compromis entre précision des résultats et temps de calcul pour analyser des structures en maçonnerie de grande taille et fournir une bonne approximation des déformations globales. Néanmoins, ces modélisations n’autorisent pas la localisation des déformations au sein de la structure et ne permettent donc pas de rendre compte de la fragilité avérée de la maçonnerie au niveau des joints de maçonnerie. De plus les résultats sont dépendants de la disposition comme de la taille du maillage. La localisation de la fissuration peut être très fortement influencée par la typologie des éléments de maillage employés, et les solutions dépendent énormément de la taille de ces éléments quand la fissuration se produit, si les paramètres du modèle d’endommagement ne sont pas reliés à la taille de chaque élément grâce à l’énergie de fissuration.

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