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Stratégies de modélisation numérique par éléments finis

III.4 Hypothèses simplificatrices de modélisation

III.4.5 Charpente et couverture

a Difficultés et enjeux

Comme pour les voûtes maçonnées, ne pas les modéliser du tout reviendrait à négliger une masse importante, notamment en Maurienne où les toitures sont pesantes. De même, ne les modéliser que sous forme de masses réparties et ponctuelles risque de nous conduire à sous-estimer la raideur de la structure (Casarin et Modena, 2008; Jaishi et al., 2003; Pulido et al., 2012). En effet, la déformée des modes Flex-Y1 et Flex-Y2 visible en figure III.7 montre que des modes prépondérants s’appuient sur une déformée notable des frontons, avec un déplacement relatif des 2 pignons très important. Or une panne devrait a priori minimiser ce phénomène.

Mais modéliser pièce par pièce la charpente semble tout aussi problématique. D’une part nous n’avons relevé partiellement qu’un petit nombre de charpentes, et à grande échelle un relevé complet de toutes les charpentes semble délicat à réaliser. En effet, il ne s’agit pas seulement de relever la dimension et l’emplacement de chaque élément, mais aussi de décrire chaque assemblage pour caractériser son mode de fonctionnement puisque les assemblages ne sont pas conçus pour travailler tous de la même façon (Hoffsummer, 2002). Parisi et Piazza (2008) montrent que ce sont aussi des éléments clés, qui peuvent être des points de fragilité importants et des zones de dissipation d’énergie sous chargement sismique. De plus, la description du matériau lui-même, anisotrope et vieilli, est délicate. Mouterde (2011) souligne que les caractéristiques actuellement prises en compte dans l’Eurocode 5, norme européenne pour le calcul des constructions bois, sont difficilement adaptables pour des édifices anciens. Comme les bois utilisés n’ont pas été triés, il faudrait affecter à chaque élément une valeur particulière prenant en compte ses défauts et qualités : mode d’équarrissage utilisé à l’époque, hétérogénéité des accroissements ligneux, défauts dus au séchage ou à d’éventuelles dégradations biologiques du matériau, qui sont des éléments difficilement quantifiables. D’autre part, modéliser chaque élément sera très coûteux en temps de mise en place comme en temps de calcul, notamment pour les églises où la charpente est complexe. De plus les charpentes observées sont toujours hyperstatiques. Il sera donc délicat d’étudier les raideurs relatives de chacun des éléments du modèle.

a) b)

Fig. III.38 Détérioration des liaisons bois-bois et bois-maçonnerie. a) Assemblage dans la char-pente de Saint Gervais Saint Protais, Saint Gervais-les-bains. b)Jour entre le chevet maçonné et la panne sablière, Saint Loup, Servoz.

Ensuite se pose la question de la modélisation des assemblages bois anciens, sujet de recherche en soi. La plupart des assemblages observés – assemblages à mi-bois, assemblages par dévêtisse-ment latéral avec queue d’aronde, assemblages par tenon-mortaise – sont réalisés par enlèvedévêtisse-ment de matière et complétés la plupart du temps par l’adjonction d’une ou plusieurs chevilles qui assurent le maintien de l’assemblage. Des propositions sont faites pour approcher de façon plus réaliste le comportement d’un assemblage en mettant en œuvre une loi de comportement du bois qui tienne compte de l’anisotropie, de la non-linéarité du matériau, des frottements et des contacts unilatéraux au sein d’un maillage tridimensionnel fin (Koch et al., 2013). Mais leur mise en œuvre à l’échelle d’une structure entière n’est pas pertinente. De plus ces assemblages montrent le plus souvent des jeux importants, comme illustré en figure III.38a. Il peut s’agir de dommages anormaux ou d’évolution naturelle. En effet ces assemblages, même parfaitement taillés à l’origine, ont été fait sur du bois vert dont le retrait a modifié les longueurs d’assem-blage de chaque barre en fonction de la place de l’élément dans l’arbre lui-même : un retrait sur une orientation transversale est plus important qu’un retrait radial, et encore plus qu’un retrait axial. Il n’est donc pas possible de savoir si les écarts mesurés sont d’origine, voulus ou non. Selon Mouterde (2011) il n’est donc pas pertinent de les considérer comme des encastrements, hypothèse pourtant retenue par les manuels de charpentier.

La même question se pose pour la description de l’interface entre la charpente et les parties maçonnées. Dans les chapelles, il n’y a qu’une seule sablière sur chaque mur gouttereau. Dans les églises le plus souvent, un double cours de sablières repose sur chaque mur et sert d’appui aux entraits* des fermes principales et aux blochets* des fermes secondaires. Dans les deux cas, la force de gravité et les frottements de ces sablières* sur la maçonnerie doivent empêcher le déplacement horizontal. Nous n’avons repéré au cours de nos observations aucun dispositif d’an-crage des sablières sur les maçonneries. Le décollement ou soulèvement de tout ou partie des charpentes est donc parfaitement possible, ce qui modifie complètement leur statique. Ceci est d’autant plus probable que cette liaison rudimentaire est le plus souvent très détériorée comme on peut le voir en figure III.38b.

Enfin, sous chargement sismique, des difficultés supplémentaires apparaissent, notamment à propos de la dissipation de l’énergie. Il faut savoir si elle se produit au niveau des assemblages comme cela est envisagé dans l’Eurocode 5 ou s’il y a dissipation par déplacement et frotte-ment sur les appuis maçonnés. De plus Parisi et Piazza (2008) ont montré en laboratoire qu’un

assemblage traditionnel de type tenon-mortaise pouvait dissiper de l’énergie. Mais les autres assemblages n’ont pas été étudiés. De plus, il faudrait confirmer la validité de cette conclusion à l’échelle de la structure.

b Stratégies de modélisation testées pour la charpente

Poursuivant notre stratégie de modélisation pertinente mais aussi légère que possible, nous souhaitons quantifier l’influence de 8 stratégies de modélisation de la charpente sur la raideur globale de l’édifice. Les caractéristiques des modèles les plus intéressants sont récapitulées dans le tableau III.12

Modèle Panne faîtièreConditions aux limitesPanne Sablière Chevrons C0 Masses linéaires et ponctuelles en haut des murs

C1 encastrement

C2 rotule libre rotule

C3 rotule

C4 encastrement encastrement rotule

C5 rotule encastrement rotule

C6 éléments joints éléments joints rotule

C7 éléments joints

Table III.12 Stratégies de modélisations proposées pour la charpente

Nous avons utilisé comme modèle de référence la stratégie V1 proposé pour les voûtes : un modèle de CSJT sur une pente nulle et sans voûte, afin de ne pas multiplier les incertitudes et de garder le modèle le plus simple possible. Le modèle C0 correspond donc au modèle V2, où la charpente est modélisée sous formes de masses répartie et ponctuelles en haut des murs, et sera pris comme référence pour les comparaisons. Pour les sept autres modèles, nous nous intéressons à trois interfaces qui concentrent les incertitudes : les liaisons bois/bois, ici des chevrons sur la panne faîtière et les pannes sablières ; les liaisons bois/maçonnerie des pannes sablières sur les murs gouttereaux et enfin les liaisons bois/maçonnerie des pannes dans les murs pignons.

Pour chaque cas, nous envisageons 3 façons de les modéliser : un encastrement, une rotule réalisée grâce à un élément joint de raideur infinie en déplacement dans les trois directions, ou des

a) b)

Fig. III.39 Caractéristiques des éléments joints. a) Liaison bois/bois, exemple des chevrons sur les pannes sablières. b) Liaison bois/maçonnerie, exemple des pannes sablières.

éléments joints dont les caractéristiques varient selon les directions. Les joints représentant les assemblages bois/bois doivent permettre le déplacement hors des mortaises ou encoches, comme illustré en figure III.39a. Les joints représentant les assemblages bois/maçonnerie doivent per-mettre l’arrachage de la pièce de bois sur sa petite section ou le soulèvement des pannes sablières, comme illustré en figure III.39b pour ces dernières. Nous traduisons ce comportement numéri-quement en utilisant une raideur très faible pour le joint dans les directions de déplacement possible, et des raideurs très élevées dans les autres directions.

c Résultats et conclusions

De façon général, ces modélisations conduisent à un très grand nombre de modes locaux, auxquels ne participent que des éléments de charpente. Les 12 modes premiers modes de C7 présentent moins de 0,01% de MMP. Nous avons donc choisi de nous concentrer sur les modes globaux, pour lesquels la MMP est supérieure à 5% et qui sont donc susceptibles de concerner la maçonnerie.

Fig. III.40 Fréquences propres et masses modales participatives (MMP) cumulées dans la di-rection X pour les différentes stratégies de modélisation de la charpente.

La figure III.40 montre que, comme pour les fondations, les différentes stratégies de modé-lisation proposées conduisent à une variabilité des fréquences propres et masses modales par-ticipatives (MMP) pour CSJT. Toutefois la tendance reste la même. Dans tous les cas deux modes de flexion en X et deux modes de flexion en Y se distinguent. La figure III.41 présente les déformées des modes Flex-X1 et Flex-Y1 pour le modèle C3. On remarquera en comparant ces déformées à celles de la figure III.7 que l’ajout de la charpente n’a pas modifié l’allure globale des déformées.

En revanche la dispersion des résultats est beaucoup plus importante d’un modèle à l’autre que pour les fondations. Ainsi, l’écart-type pour le mode Flex-X1 est de 1,48Hz autour d’une valeur moyenne de 4,65Hz, et l’écart-type du mode Flex-X2 est de 1,56Hz autour d’une valeur moyenne de 6,91Hz. Comme pour les fondations, cette dispersion augmente pour les modes plus élevés. On note aussi que la présence de la panne sablière réduit considérablement l’importance des modes en Y. Alors que dans le modèle C0 Flex-Y1 présente une MMP de 10%, elle n’est plus que de 5% pour C3.

a) b)

Fig. III.41 Déformées modales de C3. a) Flex-X1, 25,7% de MMP, 4,63Hz. b) Flex-Y1, 5% de MMP, 6,88Hz.

Modèle Direction X Raideur équivalente (N/m) Direction Y Raideur équivalente (N/m)

C0 6,75E5 4,07E6

C1 1,31E6 5,86E6

C2 6,88E5 5,70E6

C3 7,11E5 5,78E6

Table III.13 Raideurs équivalentes dans les directions X et Y pour les 4 premiers modèles de charpente.

des assemblages traditionnels et des dommages listés plus haut. Cette conclusion est confirmée par Doglioni et Mazzotti (2007). Les rotations ne peuvent pas être empêchées, quelle que soit la zone d’intérêt. Le modèle C1 tout encastré augmente drastiquement la rigidité globale du modèle notamment dans la direction X, comme on peut le voir en comparant les raideurs équivalentes calculées pour les modèles C0 et C1 exposées en tableau III.13.

Les possibilités de déplacement offertes par les modèles avec des joints génèrent des modes supplémentaires par rapport aux quatre autres modèles. Il s’agit notamment de modes verticaux et de modes mixtes. On retrouve aussi les quatre modes principaux cités plus haut Flex-X1, -X2, -Y1 et -Y2, avec des masses modales légèrement plus élevées que pour le modèle C3. Ces stratégies de modélisation sont donc pertinentes mais ne peuvent être utilisées en l’état pour un diagnostic structurel. En effet, les caractéristiques mécaniques des éléments joints sont numériquement arbitraires. Même en supposant que la résistance à la rotation est nulle, il faudrait les calibrer sur des essais visant à qualifier les 3 déplacements. En l’état, les modèles ne peuvent apporter que des informations comparatives. De plus, ces modèles sont très lourds à mettre en place, même sur un édifice aussi simple que CSJT.

Pour classer les stratégies de modélisation en fonction de leur influence en terme de raideur globale, nous avons estimé la raideur équivalente des quatre premières stratégies, en utilisant la même technique que pour les voûtes (Cf. fig III.37). Contrairement à ce que nous attendions, la dispersion des résultats est faible. Une fois le modèle C1 éliminé car irréaliste, on s’aperçoit que le modèle le plus simple C0, qui ne prend en compte que la masse de la charpente, ne montre pas une raideur significativement plus faible que les stratégies C2 et C3 qui modélisent explicitement la charpente.

De plus, en comparant les surplus de raideur apportés par la charpente à ceux causés par les voûtes (Cf tableaux III.13 et III.10), on voit que l’influence de la charpente est très faible par rapport à celle des voûtes. Dans la direction X, même en considérant le modèle C1 que l’on sait

beaucoup trop raide, la raideur est seulement 1,94 fois supérieure à celle du modèle C0, alors que pour les voûtes, la raideur du modèle V4 est 6,62 fois supérieure à celle du modèle V2 (ou C0) dans la direction X.

En conclusion, à grande échelle, une modélisation même simplifiée de la charpente sera lourde à mettre en place. Il faudra donc, pour que l’investissement soit rentable, que la modélisation apporte des informations supplémentaires fiables et précises, que l’on puisse attendre de la char-pente un effet particulièrement notable suite aux relevés ou bien que la charchar-pente en soi soit l’objet de l’étude par sa valeur. Dans ce but, le modèle C7 est le plus approprié mais nécessite un travail important en amont pour caractériser correctement les éléments joints en fonction du type d’assemblage et de leur état ainsi que de l’état de la surface de contact entre le bois et la maçonnerie. Pour ce faire, des tests en laboratoire sur des assemblages reproduisant l’état réel des vieux assemblages seront indispensables.

Mais sans informations supplémentaires et au vu du coût supplémentaire engendré par la mo-délisation de la charpente, les différences relativement faibles entre le modèle C0 et les modèles à joints ou articulations nous autorisent à conserver le premier. Cette stratégie de modélisation sous formes de masses ponctuelles et réparties en haut des murs nous permet de simplifier au maximum le modèle et de réduire les coûts de calcul.

Chapitre IV

Validation de la stratégie de

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