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Recensement et classement typologique du patrimoine baroque des Hautes

II.2 Recensement du patrimoine cultuel baroque savoyard

II.2.3 Conclusions sur le patrimoine étudié : particularités du baroque savoyard

Grâce au recensement et aux relevés de ces 200 édifices nous avons listé les différents éléments constitutifs des églises traitées afin de souligner les caractéristiques architecturales importantes d’un point de vue structurel. Les planches morphologiques de l’annexe C permettent de les comparer pour tous les édifices, à l’échelle du 1/200e. Nous pouvons donc maintenant tirer quelques conclusions sur ce patrimoine particulier.

a Différences structurelles marquées entre le haut et le bas des vallées

Nous avons montré que ces différences se lisaient dans le type de plan, la mise en œuvre des couvrements mais aussi la qualité de la maçonnerie. En effet, la liberté d’action et la richesse se concentrant dans le haut des vallées, la dynamique architecturale se traduit dans deux types de structures différentes. Dans le bas des vallées, les églises ont été essentiellement restructurées à l’époque baroque pour suivre les nouveaux canons : percement de fenêtres, élargissement de la nef, ajout de collatéraux, construction d’un bulbe, modification du chevet d’origine. Ces structures sont donc très composites aussi bien dans les matériaux que dans la forme des macro-éléments, plus nombreux et moins bien liés (Cf fig II.23b). Citons l’exemple de l’église de Megève, dont les soubassements datent du XIe, le chœur du XIVe, la nef du XVIIe, le clocher du début du XIXe et l’avant-nef de la fin du XIXe, ou celui de l’église de La Chambre, dont le portail aux

a) b)

Fig. II.23 Opposition entre l’architecture du bas et du haut des vallées. a) Saint-Thomas-Beckett, Avrieux : située à 1160m d’altitude en Haute Maurienne, reconstruite complètement de 1649 à 1689 ; Silhouette massive et trapue, continuité longitudinale. b) Saint-Etienne, Aigue-belle : située à 320m d’altitude à l’entrée de la Maurienne, modifiée aux XIVe, XVIIe, et XIXe ; composite, clocher hors-œuvre et chœur beaucoup plus bas.

voussures décorées date du XIIe, le collatéral Nord du début du XVIe et le reste de la fin du XVIIe. Les modèles devront tenir compte de ces évolutions de géométrie et de chargements.

Dans le haut des vallées, les moyens disponibles et l’augmentation de la population conduisent à reconstruire l’église à neuf. De plus, essor démographique aidant, la création de nouvelles paroisses implique la construction de nouveaux lieux de culte. Dans tous les cas, ces édifices sont construits en une seule phase : ND de la Gorge aux Contamines 1699-1701, Saint-Pierre à Villard-sur-Doron 1672-1676 ou Saint-Nicolas-de-Veroce 1725-1729. Dans ces édifices, la mise en œuvre et les matériaux sont de qualité beaucoup plus homogène. La structure est constituée de moins de macro-éléments et est d’aspect beaucoup plus massif de l’extérieur. (Cf fig II.23a)

Les modifications postérieures importantes sont peu nombreuses dans le haut des vallées. En effet, les sanctuaires refaits à neuf avant la révolution ne seront plus une priorité avant que la montagne ne commence à se désertifier à partir du milieu du XIXe. Les travaux effectués ne concernent le plus souvent que la reconstruction des clochers suite à la Révolution, incendies ou avalanches (Argentières, Montgilbert, Chamoux). Au contraire, dans le bas des vallées, la période baroque n’a pas permis de renouveler l’ensemble des églises. Elles seront reprises entre 1815 et 1860, accentuant encore le caractère composite de celles qui échappent à la campagne de reconstruction totale (Montendry). La figure II.23 illustre en plan et en coupe ces différences entre les églises du haut et du bas des vallées. Cette remarque est valable aussi pour les chapelles. Elles sont naturellement plus nombreuses dans les hauts de vallées car la vie y est très rude, et ont été mieux protégées par leurs habitants des rénovations et remplacements tardifs.

b Des changements structuraux mais de fortes permanences vernaculaires En dépit des changements apportés à l’âge baroque, d’une part la structure massive de-meure, d’autre part l’opposition entre extérieur et intérieur est encore plus marquée que dans les constructions antérieures. Les églises restent des édifices vernaculaires, parfaitement adaptés à un climat rude et à des conditions de construction très rustiques. Toitures énormes, percements chiches, façades basses et pignons latéraux limités, ou alors tronqués par une section horizontale couverte par une croupe triangulaire, composent des ordonnances sèches et raides. Les façades sont nues et renforcent l’aspect extrêmement austère, exception faite de la façade principale mieux enduite et parfois peinte. Dans sa plus simple expression, en Maurienne, elle est percée d’un portail, d’une baie en plein cintre et d’un oculus. Plus on monte vers le Nord et plus les décors sont élaborés : portail avec fronton saillant fortement mouluré, colonnes à chapiteaux corinthiens ou composites, niches et statues, médaillons en trompe-l’œil et serlienne.

La décoration intérieure au contraire est toujours très colorée et abondamment dorée, des stucs en abondance, une profusion de fresques végétales et surtout de grands retables. L’ar-chitecture se constitue de larges bandeaux d’entablement, frises, corniches et pilastres. Sur les formes simples traditionnelles se superpose une architecture feinte en stuc, parfois en bois, qui peut être extrêmement chargée (Avrieux). Les courbes propres au baroque italien sont limitées, même dans les décors, et plutôt réservées aux retables et aux chaires sculptées.

c Un patrimoine mobilier précieux

Même s’il n’intéresse pas directement le diagnostic structurel des édifices, le contenu mobilier de ces églises est étonnamment riche et bien conservé. Il participe au même titre que l’édifice à cette construction patrimoniale analysée au paragraphe I.1.1. On trouvera en annexe B la liste des objets, statues, mobilier, linge liturgique classés conservés dans ces églises.

Fresques, chaires et retables expriment tous la volonté tridentine de catéchiser les fidèles. Les retables sont une particularité de ces églises, exceptionnels de par leurs finitions, leur variété et la fantaisie populaire qui les a inspirés. Leur taille devient impressionnante au cours de la période baroque, et ils se multiplient jusqu’à trois ou cinq retables par église avec l’adoption de nouveaux saints. Tout de bois, parfois stuqués, ils présentent une multitude de statues, plus rarement de tableaux. Leur but est initialement plus apologétique qu’esthétique : le maître-autel raconte la vie de Jésus et/ou de Marie et du saint titulaire. Ils sont composés d’un soubassement lambrissé et d’un ou deux étages, et s’articulent le plus souvent en trois panneaux verticaux. Sur la partie lambrissée se découpe le tabernacle abondamment travaillé souvent réalisé à part. À l’étage intermédiaire, on trouve les saints de l’Écriture côté Évangile (gauche). Côté Épître (droite) se situent les cultes à caractère neuf, comme le Rosaire, la Nativité et les saints du Premier Millénaire. Au centre, une image dogmatique ou sacrée. L’étage de couronnement figure en général la Crucifixion, la Vision Béatifique ou le Couronnement de la mère de Dieu, mettant en scène des cohortes d’anges et des statues en pied. Les retables, véritables monuments, leurs origines et leur classement en courants ont été étudiés par Charabidze (2009) en Piémont et Savoie, en Tarentaise par Robbe (1939) et en Faucigny par Monery (1975).

On notera aussi les fresques parfois beaucoup plus anciennes (Vulmix à Bourg-Saint-Maurice, Saint-Antoine à Bessans) et les chaires à prêcher sculptées.

d Un patrimoine menacé

Nous ne reviendrons pas sur le risque sismique de la zone étudiée, exposé en section II.1.2. Toutefois l’urbanisation croissante des fonds de vallée, l’augmentation de population des villages d’entrée de vallée dépassant les plus hauts niveaux du XVIIIe, la transformation des hameaux en

stations de ski, conduisent à une multiplication des constructions et donc à une augmentation du risque. Par exemple le séisme de Lambesc en 1909 dans les Alpes du Sud avait tué 46 personnes, détruit le village du même nom et causé des dommages représentant 0,7% du budget régional de l’époque. En 1982, le ministère de l’environnement a commandé une simulation évaluant les dommages causés par un séisme identique. Selon ce rapport, en 1982, il aurait causé la mort de 400 à 970 personnes et coûté 600% du budget régional. L’augmentation du risque même dans des zones plutôt rurales ne doit pas être sous-estimée.

D’autre part, dans la zone d’étude la sismicité doit être combinée à d’autres aléas. En Savoie par exemple, les 305 communes sont aussi concernées par les risques liés aux sols argileux, 253 par le risque d’inondation, 211 par le risque de mouvement de terrain, plus d’une centaine sont concernées par des risques technologiques, 186 par des risques de cavités naturelles ou issues de carrières. Enfin, 53 ont des zones habitées soumises au risque d’avalanches. Or tous ces phénomènes risquent de combiner leurs effets sur les constructions en cas de séisme.

Enfin, divers changements structurels à la période baroque ont souligné ou engendré certaines faiblesses dans les églises. On a noté en particulier un déversement des murs et une ouverture de la nef, un affaissement des voûtes et une désolidarisation des macro-éléments. De plus, une humidité importante en pied de mur sape la maçonnerie et détruit les décors intérieurs. Ces dommages sont amplifiés par le manque d’entretien d’une grande majorité d’édifices. Seuls ceux situés à proximité immédiate de stations de sports d’hiver sont entretenus, les communes ayant plus de moyens, et la mise en valeur pouvant s’avérer rentable en termes touristiques. Ces édifices et leur contenu correspondent bien à la définition complexe du patrimoine et rassemblent tous les enjeux listés en section I.1.1.

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