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I.2 Vulnérabilité sismique des Monuments Historiques en maçonnerie

I.2.2 Effets des sollicitations sismiques sur les églises et chapelles maçonnées

De nombreuses enquêtes post-sismiques ont été effectuées dans des zones où les édifices anciens en maçonnerie sont nombreux (Doglioni et al., 1994; Lagomarsino et al., 1997). Elles ont permis de corréler la vulnérabilité de ces structures à des modes de ruine locaux associés à deux mécanismes fondamentaux, illustrés en figure I.14. Giuffrè et Carocci (1993) montrent que le mécanisme le plus fréquent apparaît quand une paroi est sollicitée perpendiculairement à son plan. Le second mode intervient quand le mur est sollicité dans son plan. D’Ayala et Speranza (2003) décrivent et expliquent ces mécanismes dans des édifices anciens ordinaires.

a) b)

Fig. I.14 Mécanismes de ruine (Carocci, 2001). a) Sollicitations hors plan. b) Sollicitations dans le plan des murs orthogonaux à cause des tirants visibles en façade.

Le séisme de l’Ombrie-Marche en 1997 a endommagé plus de 1200 églises, soulignant l’ex-trême vulnérabilité de ces édifices face aux séismes. En effet, ils présentent de grands espaces sans murs transversaux, des éléments élancés, des voûtes de grande portée, des arcs et des dômes aux poussées souvent mal contrebalancées, et sont caractérisées par une absence quasi systématique de connexion horizontale. Lagomarsino et Podesta (1999) montrent que même des séismes relativement modérés peuvent causer des dommages conséquents. Des experts italiens tels que Doglioni et al. (1994) et Giuffrè et Carocci (1993) ont donc proposé de décrire les églises comme des assemblages de macro-éléments. Doglioni les décrit comme une portion de l’édifice, homogène d’un point de vue structurel, coïncidant ou non avec des zones architectoniques ou fonctionnelles. Ils présentent chacun un comportement et une vulnérabilité spécifiques, et ne doivent pas être confondus avec le macro-élément utilisé en modélisation numérique, système à un degré de liberté représentant un système entier. Cette décomposition en sous-structures est généralisable à de nombreux édifices et permet de mieux décrire les mécanismes de dommages qu’en essayant de décrire le comportement général de chaque structure. Plusieurs mécanismes locaux de ruine sont souvent impliqués. Ces macro-éléments sont repérables par les séries de fissures qui soulignent leurs interfaces. Le code italien concernant ces édifices est basé sur les travaux de Lagomarsino et al. (1997); Lagomarsino (1998) pour les premières versions, puis La-gomarsino et Podesta (2004). Papa et Pasquale (2013) recensent neuf macro-éléments (façades, nef, transept*, arc triomphal*, coupole, abside, couverture, chapelles et édifices élancés) associés à 28 mécanismes de ruines.

Nous avons regroupé les principaux mécanismes de ruine adaptés à notre étude par type de sollicitations. Les illustrations des dommages les plus sévères sont essentiellement tirées de ce code car les églises étudiées ici n’ont pas subi récemment de séisme destructeur. Nous avons illustré les premiers stades d’endommagement par des édifices du patrimoine étudié. Les macro-éléments et les mécanismes de ruines associés nous serviront au chapitre II pour définir une typologie d’ouvrages adaptée au panel et au chapitre V pour construire des courbes de fragilité.

a Dommages dus aux mécanismes "hors plan"

Les sollicitations "hors-plan" et les mécanismes de ruine associés renversent tout ou partie du panneau sollicité. L’insuffisance des connexions entre les murs orthogonaux et entre les murs et les planchers, l’absence de tirant et de chaînage d’angles, des planchers et charpentes simple-ment posés facilitent ces mécanismes. On verra en I.2.3 que l’ajout de tirants métalliques pour améliorer les liaisons peut les limiter.

- Déversement de la façade - Figure I.15

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Fig. I.15 Déversement de la façade. a) Mécanisme de rotation, avec ou sans chaînage, (Papa et Pasquale, 2013). b) Détachement de la couverture et des murs orthogonaux, Santa Maria del Fossale, Gemona. c) Fissures en V sur les murs gouttereaux, Saint-Jacques de Tarentaise, Boudin, Arèches, Archives du STAP.

Dommages : Une charnière horizontale se forme en pied de la façade, au niveau des ouvertures ou des voûtes. Quand les liens entre la partie qui déverse et le reste de l’ouvrage sont ponctuellement efficaces, une partie du mur orthogonal peut s’effondrer. On note des fissures en V sur les murs orthogonaux, verticales au niveau de la jonction et horizontales à la charnière.

Facteurs aggravants : Les causes de ce mécanismes sont visibles sur la figure I.15c. En effet la chapelle de Boudin, Arèches-Beaufort, ne possède pas de tirant longitudinal, de contrefort* en façade ou de chaînage d’angle. Le campanile* de grande taille génère des charges supplémentaires.

- Déversement des tympans* - Figure I.16

a) b) c)

Fig. I.16 Déversement du tympan. a) Mécanismes de pliage, (Papa et Pasquale, 2013). b) Effondrement complet, San Vito, L’Aquila. c) Fissures horizontales dans le chevet*, Boudin, Arèche, Archives du STAP.

Dommages : La charnière horizontale est située à la hauteur du haut des murs gouttereaux* qui ne rigidifient plus la partie haute des tympans. Elle peut être modifiée par de large baies.

Se forment alors une fissure verticale entre l’ouverture et le haut du tympan et deux fissures obliques jusqu’aux angles.

Facteurs aggravants : Le manque de liaison avec la charpente, une couverture pesante et des murs gouttereaux beaucoup plus rigides que la façade favorisent ces mécanismes, de même que la présence de grandes ouvertures comme une Rosace par exemple, placées généralement à une réduction de l’épaisseur de la maçonnerie.

- Basculement de la nef - Figure I.17

a) b) c)

Fig. I.17 Basculement de la nef et désolidarisation des murs et de la couverture. a) Mécanisme (Papa et Pasquale, 2013). b) Fissuration et effondrement partiel de la nef, Santa Maria dei Raccomandati, San Demetrio ne Vestini. c) ND du Mont Carmel, La Combe, Saint-Gervais. Dommages : Quand les parois latérales de la nef sont sollicitées hors de leur plan, des rotules plastiques se créent entre les voûtes et les murs, provoquant la déformation des arcs et des voûtes et une perte d’aplomb des piliers. Ce mécanisme est souvent accompagné d’un glissement de la charpente (Cf mécanisme suivant). Les fissures de la chapelle de la Combe sont apparues après le séisme de 2005, rendant le bâtiment impropre à l’usage.

Facteurs aggravants : L’absence de tirant transversaux, un élancement important des murs, une maçonnerie en couches et des éléments qui poussent comme les arcs ou les voûtes sans être contrebalancés de façon appropriée, favorisent l’activation de ce mécanisme.

- Poussée du toit et déversement des murs - Figure I.18

a) b) c)

Fig. I.18 Déversement des parois latérales de la nef, du transept ou de l’abside. a) Mécanismes (Papa et Pasquale, 2013). b) Effondrement du transept sous l’action de la toiture, cathédrale de San Massimo. c) Fissures verticales au droit des ouvertures, Saint-Gervais Saint-Protais, Saint-Gervais-les-Bains.

la masse de la toiture se déplace, accentuant les sollicitations. La maçonnerie éclate autour des chevrons*. On note aussi une fissuration verticale au droit des ouvertures, horizontale dans les murs, se prolongeant partiellement par des fissures en V sur les façades orthogonales.

Facteurs aggravants : L’absence de charpente* triangulée amplifie ce mécanisme puisque même sans sollicitation dynamique, la charpente transmet alors des efforts horizontaux à la structure en maçonnerie. L’absence de chaînage d’angle, une couverture pesante et des liens trop raides favorisent aussi ce mécanisme, alors que des liens solides mais souples entre les murs et différents éléments de la toiture ou des éléments de contreventement* contribuent à réduire ce mécanisme.

b Dommages dus aux mécanismes "dans le plan"

a) b) c)

Fig. I.19 Mécanisme de ruine "dans le plan", d’après (Tomaûevič, 1999). a) Comportement en flexion. b) Glissement de cisaillement. c) Cisaillement.

Les mécanismes "dans le plan" conduisent rarement seuls à la ruine. Ils se produisent quand la configuration générale de l’édifice bloque les mécanismes "hors plan", et sont de deux sortes : - Comportement de flexion. Si le chargement vertical est faible comparé à la résistance en traction de la maçonnerie, le pan de mur se comporte comme un bloc rigide et bascule sous l’effort horizontal. Si le chargement vertical est plus important, il y a écrasement (Cf fig I.19a). - Comportement de cisaillement. Quand des fissures dues au comportement en flexion ré-duisent la section résistante du mur, il peut y avoir glissement de cisaillement, le plus souvent à une des extrémités du mur, comme illustré en figure I.19b. Le mode de ruine le plus reconnais-sable est celui provoquée par l’alternance de la traction et de la compression. Les fissures en X partent du milieu du mur ou des angles d’une ouverture, pour se propager vers les coins du mur (Cf Fig I.19c).

- Sollicitation longitudinale de l’église - Figures I.20 et I.21

Dommages : Les sollicitations longitudinales de l’église génèrent du cisaillement dans les murs selon le mécanisme expliqué ci dessus I.20. Dans le cas d’églises à collatéraux, elles provoquent un basculement des piliers et arc doubleaux* séparateurs. On note alors des fissures dans les arcs ou linteaux* longitudinaux, des fissures dans les voûtes des collatéraux et un écrasement de la base des piliers I.21.

Facteurs aggravants : Les grandes ouvertures, même rebouchées, une maçonnerie de faible épais-seur, des chaînage en béton trop rigides, des voûtes armées sur leur extrados ainsi qu’une cou-verture ou des voûtes trop lourdes sont à éviter. Une maçonnerie de bonne qualité, des linteaux correctement dimensionnés, des tirants longitudinaux et les contreforts* en façade contribuent à limiter ce mécanisme. Le même mécanisme se produit avec moins d’ampleur quand l’église est sollicitée transversalement. Les piliers basculent, sur une moins grande longueur, et des fissures importantes apparaissent dans l’arc triomphal*.

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Fig. I.20 Cisaillement des murs. a) Mécanismes, (Papa et Pasquale, 2013). b) Fissuration de l’église San Michele Archangelo, Bagnolo. b) Fissuration du transept avant les travaux de res-tauration, ND de l’Assomption, Cordon.

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Fig. I.21 Déséquilibre des piliers et déformation des voûtes. a) Mécanismes, (Papa et Pasquale, 2013). b) Santa Maria Assunta, Sellano. b) Voûtes des collatéraux* et de la nef principale, Saint-Jean-Baptiste, Megève.

- Rotation de la façade dans son plan - Figure I.22

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Fig. I.22 Rotation de la façade dans son plan. a) Mécanismes, (Papa et Pasquale, 2013). b) Fissuration et effondrement partiel de la façade de l’église dell’Immaculata, Paganica. c) Fissure verticale dans l’axe de la porte et fissures des panneaux latéraux, Boudin, Arèches

Dommages : Dans le cas d’une façade multi-couche, les différents plans se délitent et pivotent indépendamment, ce qui engendre des fissures en X. Mise en œuvre de façon plus monolithique, toute la façade pivote, ce qui cause un détachement complet de la partie haute de la façade ou une fissure verticale en son milieu, zone de faiblesse à cause des ouvertures, et une fissuration en biais dans les panneaux latéraux du portail.

ados-sés formant contreforts* aident au bon comportement de l’ouvrage, contrairement aux grandes ouvertures et à un élancement prononcé.

- Perte de raideur de forme des voûtes - Figure I.23

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Fig. I.23 Affaissement des voûtes. a) Mécanisme (Papa et Pasquale, 2013). b) Effondrement partiel de la nef, San Pietro Apostolo, Budrio-Corregio. c) Fissures prononcées dans les voûtes, Saint Germain, Grand-Nâves, La Léchère.

Dommages : Le mécanisme est activé par des mouvements différents de part et d’autre de l’espace couvert par les voûtes, nef, collatéraux* ou chœur*. Ceci génère du cisaillement dans les voûtes. Une fois fissurées, elles perdent leur forme donc la raideur associée et s’effondrent. On note des fissures au niveau des parties plus rigides, façade orthogonale ou arc triomphal* et une déconnexion des voûtes par rapport aux murs latéraux et aux arcs doubleaux.

Facteurs aggravants : La présence de tirants bien dimensionnés et positionnés aide au bon comportement de l’ouvrage, à l’inverse des voûtes trop fines et trop plates, des grandes ouvertures et des charges ponctuelles de toiture.

c Dommages sur des édicules particuliers - Portique, auvent, narthex* - Figure I.24

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Fig. I.24 Dommages sur les portiques, auvent et narthex. a) Mécanisme, (Papa et Pasquale, 2013). b) Effondrement du portique, Madonella del Lago, Santo Stefano di Sessanio. c) Auvent encastré dans la façade, fissures aux appuis, Saint Laurent, Aiton

Dommages : Dés que le centre de gravité de l’édicule se déplace, des fissures dans les voûtes ou le plafond, dans les entablements* et au niveaux des appuis apparaissent, suivies du détachement des façades puis du démantèlement du porche.

Facteurs aggravants : L’absence de tirants, des piliers présentant une rigidité insuffisante, ou des arcs ou des voûtes générant une poussée transversale trop importante activent ce mécanisme.

- Coupole, tambour* et lanterne - Figure I.25

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Fig. I.25 Rotation des coupoles, tambours et lanternes : rupture en cisaillement des montants et en traction des voûtes. a) Mécanismes (Papa et Pasquale, 2013). b) Effondrement du tambour, église delle Anime Sante, L’Aquila. c) Rotation du campanile*, Boudin, Arèche.

Dommages : Les voûtes et coupoles, situées à la jonction de sous-structures, sont particulièrement sensibles à la répartition irrégulière de raideurs dans la structure, qui génère une torsion générale, provoquant des fissures dans la coupole, la couverture du lanternon, les pendentifs et le tambour*. Facteurs aggravants : L’absence de cerclage et de contrefort* autour de l’édicule, une couverture pesante avec des transferts de charge ponctuels et de grandes ouvertures activent ce mécanisme.

- Objets élancés : statues, campaniles*, croix - Figure I.26

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Fig. I.26 Renversement des structures élancées peu fixées. a) Mécanisme, (Papa et Pasquale, 2013). b) Effondrement partiel, beffroi, Foligno. c) Rotation du campanile, Sainte Marie Made-leine, les Vincendières, Bessans.

Dommages. Un élément élancé, surtout en hauteur, ne possède pas l’assise suffisante pour résister aux accélérations, surtout si des déformations aux étages inférieurs compromettent sa stabilité. On note des déplacements permanents, une rupture des arcs et des piliers des campaniles*. Facteurs aggravants : Cerclages et broches de connexion limitent ce mécanisme, tandis qu’un élancement important ou la position asymétrique des éléments supports le favorisent.

- Clocher tour - Figure I.27

Dommages. Les clochers sont des éléments élancés donc très vulnérables aux séismes. Leur endommagement peut provenir de rotation (fissures en biais) dues aux rigidités différentes de

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Fig. I.27 Endommagement des clochers. a) Mécanisme (Sepe et al., 2008). b) Flexion et rotation du clocher, San Francesco da Paola, Bagnolo in Piano . c) Clocher de Saint-Pierre-aux-liens, Epagny, après le séisme de 1996. Sa partie supérieure a été abattue faute de pouvoir être réparée.

leurs faces, ou des déplacements provoqués par le reste de l’église. Speranza et al. (2006) et Sepe et al. (2008) détaillent ces modes de ruine.

Facteurs aggravants : De grandes ouvertures, un porche en RDC ou des contraintes asymétriques à cause de murs mitoyens de hauteurs différentes favorisent ces mécanismes. Casolo et al. (2013) proposent une étude comparative de 10 tours, basée sur des modèles numériques et des enquêtes in-situ. Ils montrent l’importance de l’élancement, de la surface résistante au cisaillement et de facteurs géométriques, irrégularités ou inclinaison due à de mauvaises fondations.

d Ruine des murs multi-couches

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Fig. I.28 Endommagement de murs multi-couches : effeuillage et expulsion de matériaux. a) Mécanisme (Binda et al., 2006). b) Exemples de dommages (Modena et al., 2011).

Le principal défaut d’un mur en maçonnerie est de ne pas présenter un comportement mo-nolithique dans la direction transversale. Son comportement devient fragile quand il est soumis à des forces horizontales ou verticales excentrées. Ses principaux modes de ruine sont le déta-chement des couches ou effeuillage, le déversement général ou local du mur et l’expulsion de matériau, comme illustré en figure I.28. La couche interne est confinée par les couches externes, ce qui lui permet de présenter une meilleure résistance en compression qu’une couche seule. Mais Vintzileou et Tassios (1995a) montrent que les couches externes sont ruinées avant d’atteindre leur résistance limite hypothétique car elles sont soumises à l’effort horizontal dû à l’expansion de la couche interne. De plus, quand le cœur s’endommage, la charge qu’il supportait est transférée sur les couches externes qui sont plus résistantes de par leur appareillage. La connexion entre

l’intérieur et l’extérieur, même minime, est alors annulée par l’effort de traction sur la surface de contact. Les couches externes prises séparément sont plus élancées et sont donc ruinées plus rapidement par un mécanisme hors plan induit par la combinaison de la charge verticale et de l’effort horizontal.

Vintzileou et Miltiadou-Fezans (2008); Vintzileou et Tassios (1995b) ont démontré la grande vulnérabilité des murs tri-couches en compression, car un décollement des couches externes provoque la ruine prématurée du mur. Toumbakari (2002); Toumbakari et van Gemert (1997) ont montré sur une série de murs multi-couches que les connexions transversales sont essentielles pour limiter les déformations hors plan de ces murs. La campagne de Silva (2012) propose une campagne expérimentale en statique et en dynamique, qui souligne une fois encore la grande vulnérabilité des maçonneries anciennes multi-couches.

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